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Don't talk to me (about the past) - Jasper
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Arsinoe Adelsköld
Arsinoe Adelsköld
GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden
J’aime pas compter combien d’années se sont écoulées entre hier et aujourd’hui. Ça change quoi, que ça fasse un, deux, quatre ou six ans ? Hier, il était vivant, aujourd’hui, il est mort. C’est simple. Pas besoin d’y foutre de l’algèbre.

J’aime pas cette journée. J’aime pas y repenser. Je refuse de m’apitoyer. Mais il semblerait que j’avais une sale gueule aujourd’hui sur le terrain d’entraînement, parce que les recrues se sont empressées de m’offrir un verre. J’ai refusé, je bois pas avec les Flyverkonstabel. Faut les laisser vieillir un peu. Par contre, j’ai accepté la proposition de deux de mes collègues, qui m’ont entraînée dès vingt heures dans un bar aux environs de la base militaire. On a pris des shooters. Ils m’ont demandé si j’allais bien, j’ai dit que oui. C’était pas un mensonge. Je vais bien. On peut aller très bien, et tirer quand même la tronche.

Je vais très bien et je tire la tronche.

Ça n’a rien à voir avec la date. Ça n’a rien à voir avec le vingt-quatre mars deux mille dix-huit.

Je vais bien.

J’ai laissé la soirée s’étirer. J’ai bu pas mal, mais je suis pas torchée. Je pourrais encore transplaner chez moi, si je le voulais. Mais je le veux pas. J’aime pas dormir dans mon appartement. Il est vide, silencieux, froid. J’ai besoin de bruit, de chaleur, de corps. Même dormir sur le sol, avec des potes, c’est mieux que d’être dans mon lit, seule.

Mes collègues sont partis. J’ai traîné dans la rue, j’ai fumé une clope avec une petite bande et j’ai réservé une chambre dans un auberge bruyante, proche d’un bar que je connais trop bien. Le Sorcier Errant. Fixer la devanture, même si elle a mal vieillie, c’est comme fixer de vieilles photos. Ça m’emmerde, les vieilles photos. Elles viennent avec trop de souvenirs. Parfois on fait des trucs sans trop savoir pourquoi. Notre corps agit seul, où il écoute une partie de notre esprit qui se fout totalement de ce qu’on veut vraiment. Ou qui le prend trop en compte. J’sais pas, il est tard, c’est une réflexion trop complexe pour moi. Tout ce qui est clair, c’est que je suis maintenant dans ce foutu bar.

Et je les vois tous. Kolbein, assis à une table. en pleine discussion avec le gérant. Son petit sourire en coin, sa silhouette qui s’est élargie au fil des année, son air doux. Daegan, au comptoir avec Jasper, m’attendant avec une bière. Des rires, des sourires, de l’espoir, un soupçon d’amertume, mais surtout une putain d’envie de vivre.

Je frotte mes paupières, comme pour chasser des illusions. Mes anciens partenaires disparaissent, mais je vois encore Jasper, au comptoir. Tenace, comme hallucination. Je frotte plus fort ; Røyk sous sa forme de lionne émet un léger grognement, qui me signale ce dont je me doutais déjà. Ce n’est pas une illusion, Jasper est vraiment là. Et il me voit. Ses yeux sont fixés sur moi ; les miens s’arriment sur son visage, sans pouvoir s’en détourner. Il est comme un fantôme vivant du passé, revenu me hanter en cette foutue journée.

J’aimerais lui demander pardon. Lui dire que je suis désolée, que ça n’aurait jamais dû arriver. Mais je peux pas lui dire ça. Je peux pas lui parler. Pas de lui. Pas de cette époque. Y’a rien à dire sur le passé. Il est mort. Enterré. Le passé, mais aussi lui. Dans la même boîte. Je rouvre pas les boîtes moisies, je les laisse où elles sont, et je refuse de replonger dans les événements de cette date là.Mes yeux se détournent de mon ancien ami. Les confrontations ne me font pas peur. Et pourtant, je tourne les talons. Je bouscule les corps qui sirotent leurs bières, je donne presque un coup d’épaule trop fort au pauvre type qui se tient devant la porte, me coupant la sortie. Il s’écarte et je passe, laissant la porte se refermer derrière moi. J’ai fui et j’ai honte, mais pas suffisamment pour faire demi-tour : je presse le pas et tourne volontairement dans une ruelle peu fréquentée, même si je rallonge mon trajet. Je préfère ne pas prendre le risque qu’il me suive.
Jasper Strandgaard
Jasper Strandgaard
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18 Juin 2023, Demeure d'Elina et Kristof Aaberg

« Jasper ! Je suis heureuse de vous revoir mon enfant, je ne savais pas si on vous verrait cette année !» Un rire, un sourire, une accolade. Il retrouve avec plaisir les bras ferme de Elina Aaberg. A chaque fois ça le ramène quelques années en arrière quand Daegan les invitait, lui et Almar, durant les vacances et qu'elle les accueillait tous les deux avec des embrassades véhémentes et démonstratives, s'extasiant sur oh combien ils avaient grandi cette année, et vous reprendrez bien une part de gâteau n'est-ce pas ? Durant cette période, elle ressemblait bien plus à une mère que sa véritable mère, il fallait bien le dire. « Et n'est-ce pas cet adorable Vidar ? Tu n'as pas changé mon petit, et ce plumage, merveilleux vraiment !» Il lève les yeux au ciel alors que Vidar fait une roue superbe, visiblement très fier de lui, un roucoulement ravi s'échappant du bec de l'oiseau coloré. « Par pitié, ne l'encouragez pas, il va être intenable après…» Lâche-t-il dans un soupir, reculant d'un pas alors que la sorcière le relâche. Derrière elle, il voit Kristof qui incline légèrement la tête en guise de salut. Il est toujours très grave, Kristof, ce jour là. Ça se comprend. « Et bien sûr que je suis venu. Aussi longtemps que vous nous accueillerez… Nous viendrons. Il était comme un frère pour nous… Même si Almar s'excuse pour cette année, il a eu un empêchement…» Sa voix a un ton sincèrement désolé. Il sait que son meilleur ami et beau frère passera les voir un peu plus tard, pour s'excuser en personne, mais l'archéomage tenait à leur assurer qu'il n'avait pas oublié, loin de là. « J'ai amené les fleurs, comme promis.»Finit-il, désignant les compositions qu'il a choisi un peu plus tôt. Une nouvelle embrassade le récompense de ses choix et la main de Kristof se pose sur son épaule alors qu'il prend la tête de leur petit cortège de trois, cette année. 6, avec les Fylgjurs. Offrant son bras à la mère de feu son meilleur ami, il les accompagne jusqu'au cimetière, poursuivant une tradition installée entre eux depuis le décès de Daegan, au combat.

Même jour, soirée, Aux Sorciers Errants.

Les images de la journée tournent dans son crâne, au même rythme que le liquide ambré dans son verre. C'était réellement devenu une tradition. Une journée à se retrouver et à évoquer la mémoire du disparu bien trop tôt. Il déglutit doucement et termine son verre - le troisième - en quelques gorgées, avant d'interpeller le barman pour en demander un autre. Le whisky pur feu arrive en même temps que le regard contrarié du patron, mais Jasper l'ignore. Son ancien boss sait parfaitement pourquoi il boit ce soir, et il n'a vraiment pas envie d'entendre de leçon de morale. Pas maintenant.
Daegan était un tout petit peu plus vieux qu'Almar et lui. Suffisamment pour essayer de jouer les grands frères alors qu'il était loin d'être le plus raisonnable d'entre eux. Mais Jasper n'avait jamais eut de grand frère, alors… Il l'avait identifié à ce rôle, peu à peu. Un peu admiratif de sa volonté d'intégrer l'armée et de changer les choses. Toujours prêt à embrayer sur les folles idées qu'il proposait - surtout qu'il ne disait jamais non pour suivre ses folles idées à lui. Et puis, parfois, ça arrivait, quand les planètes s'alignaient correctement, il était de bon conseil. Dans tous les cas, il était une oreille excellente quand lui-même n'en pouvait plus entre ses adelphes dont il devait s'occuper, ses études à suivre et ses jobs à respecter.
Il lui manquait toujours. Ça lui brûlait le ventre de l'imaginer, seul, à mourir pour la patrie comme ils disent. Enfin. C'est ce qu'il pensait, qu'il avait été seul…
« Tu sais, notre seule consolation, Jasper… C'est qu'au moins quelqu'un était là pour recueillir son dernier souffle. Arsinoe l'a tenu dans ses bras jusqu'au dernier moment, et ça… Ça c'est important.»
Il était resté silencieux avant d'acquiescer lentement. Il ignorait, ça. Ils n'en n'avaient jamais parlé jusqu'à aujourd'hui. Et 'Noe… 'Noe non plus. Du moins, quand iels se parlaient encore. Ils avaient continué à échanger des courriers, quelques temps après le drame et puis… Et puis ça s'était arrêté. Elle n'avait plus répondu. Il avait un peu insisté, puis il avait arrêté lui aussi, peiné. Daegan était celui qui les avait présentés. Il avait tout de suite bien aimé la jeune femme qui ne machait pas ses mots et n'hésitait jamais à lui rentrer dedans quand il était trop casse couille. Littéralement parlant, parfois. Elle avait du caractère, elle savait se faire respecter… Et Jasper respectait et appréciait cela. Ça l'avait rassuré, un peu, de savoir que Daegan était avec ce genre de personne.
Mais elle avait arrêté de lui répondre. Il s'était senti un peu abandonné, il fallait bien le dire. Son meilleur ami était mort, et celle qu'il prenait pour une amie avait coupé les ponts à peine quelques temps après. Honnêtement il remerciait Almar et Ina d'avoir été là, sinon il n'était pas sûr de ce qu'il serait devenu… Quelque chose de bien pire que ce qu'il est maintenant, sans doute. Arsinoe l'a tenu dans ses bras jusqu'au dernier moment. Ça donnait … Une autre dimension à tout ça. Elle était présente, elle avait été là… On lui avait toujours dit qu'il était mort seul, mais non. 'Noe était avec lui. Pourquoi ne pas l'avoir dit ? Surtout après sa mort, quand il essayait de comprendre, d'assimiler… Pourquoi n'avoir rien dit?! Ça le mettait en colère, ça le rendait encore plus triste, encore plus amer. Encore plus perdu. Ces derniers temps, il n'avait plus beaucoup d'ancres auxquelles se raccrocher et cette nouvelle connaissance semblait… Comme avoir coupé une nouvelle amarre en lui. Il n'arrivait pas à comprendre. Il ne demandait pas de détails. Il ne demandait même pas forcément quelle était la mission, encore moins où ça se déroulait, juste… Juste savoir qu'il n'avait pas été seul, ça l'aurait aidé. Ça l'aurait apaisé, un peu. L'imaginer, seul, agonisant, ça lui retournait le ventre systématiquement, ça alimentait ses cauchemars à l'approche de la date anniversaire… Mais elle avait été avec lui. Est-ce que.. Est-ce qu'elle avait quelque chose à voir avec cette fin tragique ? Est-ce que c'est pour ça, qu'elle n'a rien dit...?

Fronçant légèrement les sourcils, il contemple le verre - vide - devant lui. Tiens ? « Hé, boss, encore un s't'euplait.» Il lâche, las, relevant la tête. Il cille en trouvant ledit boss juste devant lui, sourcils froncés et tic agacé aux lèvres. Il ne dit rien, pourtant, et lui resserre un verre. Un peu moins rempli que les précédents, mais Jasper a la jugeote de ne pas le signaler. « Quitte à vous bourrer bêtement la gueule, vous auriez pu le faire à la même table, ça m'aurait économisé des places.» Et il lâche soudain et le sorcier le fixe, perplexe. Du menton le vampire (?) pointe quelqu'un un peu plus loin, Jasper suit le mouvement et se fige. « C'est elle, non ? J'ai le souvenir de soirée de beuverie ici qui finissait avec toi et tes amis finissant sous la table alors que tu étais censé être de service, alors…» Il déglutit et ne répond rien. C'est elle. Il l'a reconnu tout de suite, c'est comme faire un bond dans le passé. Il peut presque entendre le rire de Dae' et sentir la claque dans le dos d'Almar. Et ça fait mal. Ses doigts se resserrent contre le verre froid alors qu'il essaie de décider quoi faire. Il est heureux de la voir - elle est vivante ! C'était une de ses peurs, l'air de rien, qu'elle soit morte elle aussi. Mais non. Elle est vivante. Il ne sait pas si ça rend les choses pires, ou mieux. C'est à ce moment là qu'elle tourne son propre regard vers lui, semblant flou sur le moment, comme si elle ne le voyait pas réellement. Est-ce qu'elle ne l'a pas reconnu ? C'est possible, il ne sait pas trop comment il est, là, tout de suite. Petit problème de métamorphomage. Mais finalement, il s'éclaire. Façon de parler. Mais elle le voit. Elle le voit, il la voit. Sa poitrine est serrée et au moment où il fait un mouvement pour se redresser, elle se lève et part. Juste comme ça. Alors qu'il sait qu'elle l'a reconnu. Serrant les dents, il vide son verre d'une traite et s'apprête à la hêler avant qu'elle n'ait quitté les lieux, mais une main à la prise trop ferme agrippe son bras et il croise le regard sérieux du patron. « Fait attention à ce que tu vas faire, Jasper. Et pas de bagarre dans mon établissement, tu connais la règle.» Il hoche la tête sans rien dire et l'être bien plus vieux que quiconque dans la salle fini par le relâcher, regardant celui qu'il a connu tout jeune homme courir derrière l'un des fantômes de son passé.
Jasper jure entre ses dents en constatant qu'elle a déjà vidé les lieux. Sans hésiter une seconde, il quitte le bar à son tour, ses yeux scrutant immédiatement la rue à la recherche de la silhouette qu'il poursuit. «  Jasper …?» Vidar est derrière lui, bien sûr, sous sa forme de loup qu'il s'est senti obligé de prendre à cause de l'agitation du sorcier.   « Je dois lui parler. Il le faut.» Il se contente de répliquer. Il le ressent, comme un besoin vitale désormais. Il doit lui parler. Lui demander pourquoi elle a arrêté de lui répondre, pourquoi elle n'a plus donné signe de vie - littéralement - si elle se rendait compte à quel point ça avait pu l'inquiéter… Et pourquoi elle ne lui avait pas dit. Vidar tente de lui dire que ça n'est pas raisonnable, qu'il a trop bu pour ça, que ça n'est pas le bon jour mais Jasper sait qu'il a tort. Ça ne peut pas être un autre jour. Parce qu'il sait, il sent, que s'il ne saisit pas sa chance ce soir, il risque de ne plus jamais la revoir. Il avance un peu dans la rue, aperçoit une ruelle du coin de l'œil et n'hésite pas une seconde. Il a bossé ici pendant longtemps, il connait le coin par cœur. Il sait où va cette ruelle, il sait aussi que c'est le meilleur moyen de quitter les lieux plus ou moins discrètement. Du moins, si elle n'a pas transplané. Son pas rapide claquant sur les pavés, il s'engage dans la ruelle, accélérant. Ça ne lui prend pas longtemps avant d'apercevoir la silhouette tant espérée,   « Arsinoe !» Il interpelle, courant brièvement pour se rapprocher d'elle. Il s'arrête avant de l'atteindre,   « Arsinoe, attends s'il te plait !» Sa voix a pris une intonation suppliante qu'il déteste mais il a vraiment peur qu'elle disparaisse soudain, qu'elle se décide à transplaner. La voir, c'est comme voir un fantôme, et les sentiments qu'il ressent sont tous différents et contraire les uns aux autres. Joie, soulagement. Intense colère, incompréhension. Un peu de rancune. Beaucoup ? Il ne sait pas.   « J'ai cru… J'ai pensé que peut-être, tu étais morte…» Toi aussi. Les mots sont retenus entre ses lèvres et il hésite, la colère et la joie se disputant dans son esprit.   «Je voudrais… J'voudrais juste te parler. S'il te plait ?» Ça fait tellement longtemps. Elle faisait partie de sa vie. Pour lui, c'était une amie. Elle lui a manqué.
Arsinoe Adelsköld
Arsinoe Adelsköld
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Tw: Détails macabres.

Les pas qui accélèrent pour rejoindre quelqu’un ont leur tonalité bien à eux. Ils sont plus agaçants que les pas traditionnels, ils obligent à se tenir en alerte. Je ne suis pas surprise de les entendre derrière moi. Je ne suis pas surprise de l’entendre, lui, mon ancien ami et le meilleur ami d’un des spøkelse dont la mort est irrémédiablement liée à un sentiment de culpabilité.

Le jour de sa mort, Daegan m’en voulait encore.

Ceux qui connaissaient la teneur de mes actes, dans notre escadron, ont compris. La majorité considérait qu’ils n’avaient pas besoin de me pardonner : ce n’était pas une question de pardon, c’était une question d’obéissance, de survie, de faire ce qu’on nous demandait. J’ai fais ce que d’autres n’auraient pas pu faire, j’ai épargné aux plus sensibles des poids qu’ils n’auraient pas pu supporter.

Daegan, lui, n’a pas compris lorsqu’il a appris la vérité, quasi par hasard. Quasi. J’ai toujours soupçonné mon Kaptajn de l’époque d’avoir fait exprès de l’envoyer lui ramasser un corps, précisément lui, dans la cabane en moi où j’agissais ce jour-là avec deux autres sorciers, plutôt qu’un militaire qui ne me connaissait pas. La solidité des liens qui nouaient chacun des membres des spøkelse emmerdait pas mal de gradés, à l’époque. Ils auraient voulu qu’on fasse notre boulot, mais sans s’attacher. Sans avoir les yeux qui continuent de briller, le soir, lorsqu’on se retrouvait, tous vivants. « Arsinoe !» Daegan aussi avait crié mon nom, en me voyant. D’abord de surprise, puis d’horreur. Il avait fixé mes mains, piquetés de points rouges. Ses yeux avaient ensuite dérivé sur ma vareuse, déposée sur une chaise brisée pour ne pas la tacher, et sur mes bras qui portaient des signes clairs de ce que j’avais fait dans la dernière heure. Est-ce à cette seconde qu’il a compris pourquoi j’allais au lac plus souvent que les autres – prétextant des besoins féminins – ou est-ce plutôt lorsque ses iris ont dérivé sur la silhouette étendue à mes pieds, attachée ? La pointe de ma botte noire reposait encore sur l’un des doigts noirâtres.

Les deux autres sorciers à mes côtés lui ont dit d’envelopper le corps et de dégager, en l’amenant à la zone habituelle. Il n’y est pas parvenu. Entre militaires, pendant cette période, on savait tous que ce genre d’actes était pratiqué : c’était la guerre, une guerre écoeurante, et on ne posait pas de questions. Mais il y avait une ligne, effrayante pour certains, entre savoir et découvrir que l’un de nos proches était impliqué. Pour Daegan, cette ligne a été définitive et décisive, comme si j’avais cassé quelque chose en lui ce jour-là. Il a refusé de me reparler, même quand je l’ai accompagné vers son dernier sommeil.

Et cette histoire, je ne veux pas y resonger. Je ne veux pas la mettre en mots, je ne veux pas feindre d’avoir été une bonne pote jusqu’à la fin, une pote que Daegan appréciait encore. Ce n’était pas le cas. « Arsinoe, attends s'il te plait !» Je sais que Jasper m’a rattrapée. Je sais qu’il est désormais derrière moi et que je pourrais transplaner, pour lui échapper. Ce serait injuste ; je l’ai été déjà suffisamment assez, avec lui. J’ai essayé de répondre à quelques-unes de ses lettres, à mon retour, mais j’ai rapidement arrêté. C’était trop difficile. Chaque missive me rappelait les yeux agonisants de mon vieil ami, posés sur moi avec dégoût. Chacun de mes mots, envoyés à quelqu’un qu’il appréciait, me semblait incroyablement hypocrite. Aurait-il apprécié que je tente de conserver mon lien avec Jasper ? J’en doute. Il voulait le mettre en garde contre moi. Ou il m’aurait un jour pardonné. La réponse de cette option, je ne l’aurai jamais. « J'ai cru… J'ai pensé que peut-être, tu étais morte…» Mes dents coincent ma lèvre inférieure, dans un geste qui peut autant refléter l’agacement que le trouble. L’alcool ingéré ne suffit pas à annihiler la douleur qui veut émerger, planquée sous ma peau. Je me retourne, lentement, fixant mes yeux sur l’homme. Pour lui aussi, c’est certainement une journée difficile aujourd’hui. Sa présence dans ce bar n’est pas anodine. « Je voudrais… J'voudrais juste te parler. S'il te plait ?» Je devrais refuser. C’est peut-être ce que Daegan préfèrerait. J’en sais rien. C’est pas facile, d’essayer de prendre en compte les préférences des morts. Pas facile, et un peu inutile. « Jasper. » Ma voix est froide. Mes iris glissent sur ses traits, que je n’ai pas revus depuis longtemps. J’ai le vieux réflexe, et l’envie, de le prendre dans mes bras. De l’inviter à venir prendre une bière avec moi, à la mémoire du disparu. Je n’en ai pas le droit. « Tu me veux quoi ? » J’ai peur qu’il me dise, lui aussi, cette phrase entendue si souvent et à laquelle j’aurais plus de difficulté à résister, de sa part : des réponses. Peut-être qu’à lui, j’en donnerais. Et c’est probablement aussi l’une des raisons qui m’a poussée à l’éviter autant, dans les dernières années.
Jasper Strandgaard
Jasper Strandgaard
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Elle s'est retournée. Il n'y croyait qu'à moitié, presque certain qu'elle allait subitement transplaner en le laissant derrière. Il en avait un peu marre d'être laissé derrière, il fallait bien le dire. Même si les ¾ du temps, c'est de sa faute à lui.
Mais passons, ça n'était pas le sujet à cet instant. Le sujet c'est qu'Arsinoe s'était belle et bien arrêtée. Au beau milieu de cette ruelle sombre à l'odeur peu ragoutante. Le genre de ruelles qui bordent les bars. Elles ne sentent jamais très bon. Même quand les bars sont biens. Son esprit alcoolisé digresse et il secoue doucement la tête, déglutissant difficilement un arrière goût amère, triste. Vidar l'a suivi, il est un ou deux mètres devant lui, entre lui et Arsinoe, trépignant doucement sur place, la fixant avec curiosité et une peine provoquée par leur lien, à lui et son sorcier. Il ne l'a pas connu, lui. Il ne sait pas qu'elle a fait partie de sa vie. Il ne sait pas qu'avec Almar, avant, ils étaient trois. Trois meilleurs amis. Du moins, il ne le sait pas réellement, précisément. Il ne lui en a jamais parlé de lui-même. Il a juste… Appris certaines choses en écoutant, chez les Aaberg cette année et l'année dernière. Il ne lui a jamais dit le nom du troisième homme qui les enveloppait dans une embrassade d'ours, sur la photo de la cuisine. Il a demandé une fois. La vague d'émotion qu'il s'est prise l'a convaincue de ne plus jamais le faire. Jasper n'en parle jamais, en dehors de cette fameuse journée. Même avec Almar. Parce que ça fait toujours mal, parce qu'il ne supporte toujours pas, aujourd'hui encore, cette sensation d'avoir perdu un membre de sa famille.
Il ne connaît pas Arsinoe, non. Mais il sent, il sent que Jasper brûle d'envie de juste franchir les quelques mètres qui le séparent du dos de la sorcière pour la serrer contre lui, fort. Parce qu'elle lui a vraiment manqué. Parce qu'elle était son amie. Parce qu'elle a su des choses sur lui, à l'époque où iels se parlaient, toustes. Parce qu'elle faisait partie des rares à qui il se sentait de faire des confidences, parfois. Parce qu'elle était importante pour lui, et qu'au finale, ce jour-là, c'est deux êtres chers qu'il a perdu, et non un seul.

L'émotion est réelle dans sa gorge, dans sa voix quand il évoque le fait qu'il pensait qu'elle était, peut-être… Morte, elle aussi. Et qu'il ne le saurait jamais vraiment. Il avait cherché des réponses… Mais ses réseaux ne s'étendaient pas dans l'armée. Il n'en n'avait jamais eu besoin jusque là, alors… Elle se retourne finalement et, c'est bête vraiment mais… Mais son cœur se serre douloureusement alors qu'il l'observe, qu'il repère les changements dû aux temps, ces changements qu'il n'aurait pas remarqué directement s'iels avaient continué à se côtoyer mais qui lui sautent aux yeux maintenant qu'il la voit vraiment, de plus près. Le temps est cruel, quand on ne le passe pas auprès de quelqu'un, il se débrouille pour vous le faire remarquer de la plus dure des façons. Il se sent stupide, ça fait six ans, il n'est plus un môme. Il est un adulte, il devrait gérer cette situation comme un adulte, en gardant bien la tête droite, sans avoir les mots coincés dans sa gorge, sans avoir cette irrésistible envie de replonger dans le passé, avec elle. Parce qu'il était beaucoup moins dur que le présent, ce passé. Ces joyeux moments passés à rire dans un bar ou un parc de la ville. Les lettres qu'il envoyait où il se plaignait à Arsinoe qu'il ne voyait plus assez son meilleur pote depuis qu'elle l'avait capturé dans son escadron et qu'elle avait au moins intérêt à ramener un cadeau à leur prochain retour. Il était si stupide à cette époque. Un foutu gosse qui n'avait pas réellement conscience de la réalité de la vie militaire. C'était il y a six ans. Il n'était déjà plus un môme, pourtant. Mais il ne comprenait pas tout ça. Il savait que le monde était dur, il était bien placé pour le savoir. Il pensait seulement que, pour les autres, pour ceux qui faisaient des bonnes choses, il était au moins un peu juste.

Quelle putain de désillusion, hein ?

« Jasper. » La voix est froide, elle frappe durement. Son corps se raidit et il redresse un peu les épaules, instinctivement. Comme pour faire face, à quelque chose. Même s'il ne sait pas quoi. « Tu me veux quoi ? » Il la fixe seulement, pendant une poignée de secondes. Il la fixe, il la détaille. Comme pour graver sa silhouette dans son crâne. Comme pour s'assurer qu'il ne rêve pas cette scène. « Je te veux quoi…» Il murmure alors, la voix à moitié songeuse, à moitié incrédule. Lentement, il s'avance. Comme s'il avait peur de l'effrayer. Ou peur qu'elle l'attaque. Ou disparaisse. Il déglutit et reprend, « Ça fait six ans, 'Noe… Je… Veux savoir comment tu vas. Je voudrais savoir pourquoi tu m'as plus répondu. Pourquoi tu as juste … Disparu, toi aussi. Comme ça, sans rien dire. J'm'inquiétais pour toi, tu sais ?» Il sait que c'est une grande fille et qu'elle sait se défendre. Il sait aussi que savoir se défendre, ça n'empêche pas la mort de vous faucher. Il inspire profondément et fini par fixer ses yeux, d'un vert pâle, troublé, dans les siens. La couleur qui montre sans doute le mieux la peine, l'inquiétude, l'angoisse, le trouble, le maëlstrom de sentiments qui l'agitent. Vert espoir, tu parles. « J'ai… Vu ses parents, aujourd'hui.» Il sait qu'elle saura de qui il parle. Aujourd'hui… Il n'y a pas cent milles personnes dont il pourrait voir les parents. Il ne sait pas pourquoi il le lui dit, par contre. Pour voir ce qu'elle dira ? Parce qu'elle a le droit de le savoir ? Parce que… Parce que… Parce qu'il veut savoir si elle aussi, elle continue de le pleurer ? De s'attendre à le voir débarquer pour lui piquer sa bière ? Si elle aussi, elle entend encore sa voix parfois.
Arsinoe Adelsköld
Arsinoe Adelsköld
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« Je te veux quoi…» Un murmure, à la fois songeur et incrédule. Sait-il qu’il aurait le droit de tout me demander ? J’aurais le droit de ne pas répondre. Mais celui de savoir, de poser des questions, lui appartient. Et de m’en vouloir, aussi, pour mon silence et la brisure de notre amitié. Il pourrait m’en vouloir aussi pour le reste, si Daegan avait eu le temps de le mettre au courant, mais je ne crois pas que ce soit le cas. Les événements se sont enchaînés trop rapidement. Ils s’enchaînent toujours rapidement, quand la mort doit se solder sur une ultime parole merdique et des regards lourds d’amertume.

Jasper s’avance vers moi, lentement, et je me demande s’il a peur ou s’il est simplement prudent. Peut-être prévoit-il attaquer…? J’en doute fortement. « Ça fait six ans, 'Noe… Je… Veux savoir comment tu vas. Je voudrais savoir pourquoi tu m'as plus répondu. Pourquoi tu as juste … Disparu, toi aussi. Comme ça, sans rien dire. J'm'inquiétais pour toi, tu sais ?» Ces mots pourraient faire vibrer une corde sensible en moi, si cette corde n’avait pas été sectionnée. J’ai rayé Jasper de ma vie par lâcheté et par respect – un peu con – pour un décédé. Je ne voulais lui donner aucune explication, je ne voulais pas le regarder et me rappeler l’écoeurement qui avait brillé dans les yeux de mon ancien frère d’armes, ce jour-là. Et je revois bien ces sentiments, alors que je fixe mes iris d’un vert doux sur celui avec qui j’ai passé d’innombrables soirées. Est-ce que je m’en veux, de l’avoir lâché ? Autant que je m’en veux pour le reste. On avance pas, avec des regrets. Il serait probablement lui-même moins conciliant, moins aimable, en me retrouvant, si nous n’étions pas aujourd’hui. La date fatidique, qui vient avec des souvenirs et trop de sentimentalité. « J'ai… Vu ses parents, aujourd'hui.» Mon cœur bat plus fort, alors que je serre un poing. Juste un, celui qui se contrôle mal, celui qui peut momentanément trahir le trouble qui m’habite et que je chasse. « Les parents de qui…? » Voix mesurée, trop neutre, qui résonne comme une trahison. Ce n’est pas mon problème. [color=#45B39D] «  Ah. C’est vrai, Daegan. « J’espère qu’ils vont bien. » Nom lâché de façon nonchalante, détachement que je crois non-feint, mais qui l’est entièrement. Ma fylgia, sous sa forme de lionne, m’observe de son regard trop doux et compréhensif. Que croit-elle comprendre ? Je reprends, de la même voix contrôlée : « Six ans, c’est pas grand-chose. J’étais occupée. » Occupée à m’assurer qu’on ne me demanderait plus de commettre des atrocités, occupée à ne plus autant les apprécier, occupée à oublier le sang des autres sur mes mains, occupée à oublier mon rire devant leurs cris. Ma gorge se noue, mes yeux s’abaissent, une seule seconde, avant de se relever : « Ça devenait trop difficile de te répondre, Jasper. » Et je ne pouvais plus le faire. Ça ne change rien à ici et maintenant. Ça ne change rien au fait que s’il est venu vers moi, en pensant venir voir quelqu’un qui pourrait s’attrister avec lui, il s’est trompé de personne. C’est con, de pleurer un mort, juste parce que c’est son anniversaire. Que Jasper et la famille de mon ancien Spøkelse le fasse, si ça leur plaît. Moi, je suis au-dessus de cette souffrance.

Je m'en fous.

De l'écho de son rire qui résonne de moins en moins fort au fil des années, étouffé par des fleurs à trois mornilles posés sur sa tombe asséchée.

Je m’en fous.

De son sourire que je ne reverrai jamais plus, de son sourire qu'il maniait comme une épée, de son sourire qui était incroyablement vivant.

Je m’en fous.

De ne plus entendre sa voix, « Noe lève ton cul, y'a le major qui te demande », de ne plus pouvoir me moquer de son ton rauque après nos traditionnelles trois clopes de fin d'intervention.

Je m’en fous.

De ne plus le prendre dans mes bras, en claquant fort son dos, comme on le fait entre camarades, plus frères que simple compagnons.

Je m’en fous.

Je m’en fous, je m’en fous, je m’en fous.

Je ne suis plus en deuil.

Je ne l’ai jamais été. Cette journée est neutre, sans sens, sans étiquette, sans signification.

Je m’en fous.

Ce n’est qu’une date parmi tant d’autres, marqués de chiffres qui ne rajoutent aucun anniversaire. Une date de bourrasque et de rafale, une date de rire et de bonheur, une date pour mourir sans pleurs, une date que je rayerai d’un coup de crayon, de la même façon que j’ai rayé mon nom, dans le rapport où j’ai relate les événements d’une mort aussi commune que les précédentes.

Je m’en fous, oui, vraiment.

Je me suis construite dans le sang des combats, dans celui de mes camarades qui coulaient sur moi, je me suis bâtie dans les larmes que je n’ai pas versés, dans les corps que j’ai dû porter, dans les mensonges que j’ai proférés et les atrocités auxquels je me suis associée. Je suis une Kaptajn habituée aux jours marqués d’un drapeau noir, une kaptajn habituée à boire une bière les soirs où il y a trop de croix, une kaptajn qui trouve plus rapide de s’appuyer à un comptoir que de visiter un foutu cimetière pour aller revoir un frère.

Et si mon cœur se serre, si ma gorge se noue, si mes yeux pâlissent et si mes traits se plissent, c’est dû à la fatigue, pas à la douleur, c’est dû à l’alcool, pas à la rancœur. Et si jamais mon âme veut pleurer, si jamais mon esprit veut se remémorer, c’est en raison de la longueur de la journée, pas à cause de celui qui est enterré.
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