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Will we be able to keep our sea legs ? • Arsinoe
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Ying Yue Amundsen
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Will we be able to keep our sea legs ?
Tw : description très visuelle d'insectes et de corps. Ne pas lire en cas de phobie de type “grouillant”.

@Arsinoe Adelsköld • 16 avril 2024 - Soirée


J'aime aller chercher les autres, toquer à leurs porte, entrer dans l'atmosphère des préparions de soirée, dans leurs quotidiens et leurs habitudes. Et leurs frigos. J'avais été satisfait quand Arsinoe avait accepté que je vienne chez elle plutôt que je ne la retrouve directement devant la demeure des Adelsköld, découvrir cet appartement où elle dit n'y être que de passage et où elle héberge volontairement un épouvantar par plaisir personnel. Intriguant. Que de choses particulièrement intriguantes qui viennent compléter un tableau la concernant qui ne cesse de s'agrandir. J'y songe en gravissant les marchés de son immeuble, les yeux admirant les ongles délicatement peints d'un blanc laiteux sur lesquels dansent de verts serpents, ondulants paresseusement dans les cages étroites des ongles. Le sortilège en place m'amuse déjà, et je ne peux m'empêcher d'avoir la fierté de le contemplé avec une pointe d'excitation. Il me tarde de tester ce sortilège et mon aptitude à l'activer au bon moment pour déverser le poison serpentin dans l'assiette ou le verre du paternel. Arrivé devant la porte de la Kaptajn je m'arrête quelques instants devant celle-ci, hypnotisé par les mouvements des serpents sur leurs fond blancs. Est-ce que ce serait le sortilège qui plairait à Fredrikke ? On le distingue à peine, mais les serpents ont les mêmes formes que celles de Ashes : une tête fine, lisse, parfaitement alignée sur le reste du corps, sans aspérité. Seule la couleur est différente, le vert sombre presque noir, contient toutes la magie nécessaire à l'exécution de ma petite blague du soir. Ça m'amuse d'avoir fait attention à ce genre de détail, ce clin d'œil à un ami retrouvé, dont personne n'aura connaissance à part moi-même.

Dans un sourire narquois, je relève les yeux vers le battant de la porte d'Arsinoe. Je suis en avance, comme prévu. La tentation de tester son système de défense anti-intrusion avait été trop forte, évidemment. Comme résister à l'idée d'un système complexe et de l'affrontement avec un épouvantar ? Cela fait longtemps que je ne me suis pas retrouvé face à l'un d'entre eux. Enfant, leur présence était presque systématique dans mon éducation pour apprendre à me défaire de ma phobie jugée ridicule et risible par pas mal de mes cousins, et du grand-frère. Il avait toujours pris un malin plaisir à glisser des insectes dans mes draps, dans mes céréales du matin, dans les toilettes, dans mes cahiers d'étude. Et dans toutes sortes d'objets du quotidien. “C'est pour te désensibiliser petit-frère.” Mais cela n'avait pas suffit, et Li-Zhu avait fini par prendre les choses en main, laissé de me voir perdre mes moyens en pleine salle d'étude, ou passer toute la nuit debout devant mon lit incapable d'aller me coucher. L'entraînement avait été long, au début trop intense, ma mémoire a effacé les souvenirs douloureux associés aux premiers essais. Je ne me rappelle que des bras de ma mère serré autour de mes épaules, sa main caressant mes cheveux, sous le mutisme glacé de mes os qui tremblaient. Et sa voix qui murmurait, inlassablement, “Tu es en sécurité, ce ne sont que des rêves”. Je crois que c'est vers ces âges-là que j'ai commencé à considérer les rêves comme des éléments superflus du sommeil, de dont je me passerais bien. Et puis petit à petit j'avais appris à aimer ces exercice, à avoir envie de m'y confronter et dompter cette peut stupide, la tourner en dérision, la rendre aussi risible pour moi que pour les autres. Ôter au grand-frère son plaisir mesquin. Aujourd'hui, la phobie est toujours là, grinçante dans mes os quand la marée d'insectes coule sur moi dans ses horribles sons de pattes. Mais la peur n'est plus paralysante, la peau frémis mais ne vibre plus. Le dégoût est toujours là, mais accepté, intégré, moqué.

Passage concerné par le tw
J'inspire calmement avant d'ouvrir là porte et d'entrer, sans même prendre la peine de sortir ma baguette en préparation. Trop curieux, trop sûr de moi, trop confiant. J'ai besoin d'être détaché pour mieux contrôler les sensations qui font venir fourmiller le long de mon épiderme. Le battant se ferme discrètement derrière moi et les sortilèges s'enclenchent immédiatement, comme elle l'avait décrit. Les ouvertures se bloquent, le noir se fait et une porte de placard s'ouvre. A cet instant, où je devrais être entièrement tourné vers les premières manifestations de l'épouvantar, une seule pensée traverse mon crâne. Est-ce qu'il a réussi à prendre le recul sur la situation ? Ce serait stupide de croire que oui pour rassurer mon âme torturée par l'éventualité de le savoir prisonnier de ses cauchemars ici. Mon cœur se serre malgré moi et mes sourcils se froncent quand sous mes yeux, l'habituelle vague d'insecte n'est pas. A la place, des masses sombres, des corps, plusieurs, trois ? Non, quatre. Formes inertes, positions grotesques des membres qui ne traduisent qu'une chose : morts. Mes entrailles se serrent un peu plus, mes doigts s'enroulent autour de la baguette enfin tirée de son étui. Je ne cherche pas à distinguer les traits des visages de ceux qui gisent dans le marasme du salon d'Arsinoe. Cela ne servirait à rien. Cela ne m'intéresse pas. Seuls comptes les petits corps qui s'agitent et sortent en longues colonies coulantes de pattes, des trous habituels des corps en décomposition. Yeux, bouches, nez. La procession est telle qu'elle anime les cadavres de spasmes hiératiques, donnant l'illusion d'un reste de vie illusoire. Les bouches s'entrouvrent comme pour crier la douleur, murmures d'appels à l'aide de ceux qui sont déjà morts. Murmures trompeurs qui ne sont que les chuintements des corps de carapaces qui s'échappent pour se lancer a l'attaque de leur prochaine victime. Moi. La vision me révulse, dégoût délicat qui claque sur ma langue et retrousse mon nez dans un frisson glacé.

Je déglutis, difficilement. Depuis quand mon épouvantar à changé ? Les battements sourds de mon rythme cardiaque accéléré ne parvient pas à camoufler les cliquetis exagérés par le pouvoir de la créature magique. Au deuxième frisson j'entends un premier sort faire vibrer la porte derrière moi. Arsinoe. Je me fous qu'elle tombe sur la vision de la marée d'insectes qui coule désormais sur le sol de tous les côtés, recouvrant les corps d'une nappe sombre et mouvante, mais je me fous étrangement moins qu'elle tombe sur les silhouettes mortes et qu'elle en tire des conclusions hâtives.
Fin du passage tw

Inspiration, expiration, froncement de nez et claquement de langue dégoûtés avant de retrouver une neutralité de trait de marbre. La baguette se lève, le lumos cède sa place au ridikulis qui claque, ordre sec entre mes lèvres. Les insectes se muent en gelée rose fluo avant de disparaitre dans un craquement sec après un ricanement narquois qui s'est échappé de mes lèvres. L'épouvantar est renvoyé dans son placard, porte qui se ferme quand une autre s'ouvre derrière moi. D'un glissement de pieds je me tourne vers la propriétaire de la créature, et de l'appartement, dans un sourire joyeux : « Bonsoir Arsinoe, vraiment distrayant ton comité d'accueil. » Bølga, qui était resté assis en retrait tout le long du processus, ricane doucement en secouant sa tête tigrée. Je range ma baguette avant de passer mes doigts le long des trois gouttes d'or des boucles d'oreilles de l'oreille gauche. J'hésite encore à en changer la forme, ne sachant pas si elles s'accordent parfaitement avec ma coiffure ou non. Est-ce des serpents en rappel de mes ongles ne seraient-ils pas plus appropriés ? Ou bien trop exagérés ? « T'as un miroir quelque part ? » Question subsidiaire tandis que les yeux partent à l'exploration curieuse de la pièce qui se dévoile enfin devant eux.



I remеmber how I'd find you, fingers tearing through the ground. Were you digging something up or did you bury something down? In your soul, I found a thirst with only salt inside your cup.
Arsinoe Adelsköld
Arsinoe Adelsköld
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Une vieille légende raconte, dans l’armée de l’air, qu’un gamin se serait un jour infiltré sur notre base, lors d’une nuit particulièrement sombre et orageuse. Impressionné par notre équipement et la quantité de balais disponibles, l’enfant se serait élevé dans les airs, dans la zone militarisée. Il se serait amusé à frôler les limites de nos frontières, avant de louvoyer entre nos anneaux d’entraînement. Au dernier, pour imiter nos meilleurs combattants, il aurait tenté de sauter. Ses jambes auraient heurté durement le métal de l’obstacle, l’empêchant de retomber sur son balais, tandis que ses ongles auraient tenté de s’accrocher vainement à l’anneau. Un cri aurait alors résonné ; c’est depuis ce jour que le dernier anneau serait marqué de trois longues lignes, comme des griffures. Il ne faut jamais, selon la légende, tenter de sauter à travers l’obstacle pendant une nuit pluvieuse, sous risque de subir le même sort funeste.

Les légendes de ce genre m’amusent. Certains militaires y accordent du crédit : ils évitent superstitieusement l’anneau, comme s’ils oubliaient momentanément qu’ils sont des adultes. Ce sont eux que je m’amuse à narguer, alors que je saute pour une énième fois à travers l’anneau, réattérissant sans encombre sur mon balai. L’eau glisse sur son manche, sans s’infiltrer sous mes vêtements imperméables. Je tire la langue avec maturité à un korporal qui évite l’obstacle, et qui me jette un regard clairement désapprobateur. Peut-être qu’il s’imagine déjà récupérer mon corps au sol – ou alors, il est jaloux, parce qu’il n’ose pas sauter et que c’est plus pratique de se planquer derrière de vieilles superstitions plutôt que d’affronter nos craintes.

Dix minutes plus tard, je me pose enfin, un brin fatiguée, mais l’esprit plus en paix. Vingt autres minutes s’écoulent avant que je ne ressorte du vestiaire, lavée et habillée, sans mon habit militaire. J’avais amené au préalable mes vêtements pour ce soir, afin de gagner du temps : une simple combinaison verte, propre, respectable, qui a l’avantage considérable de ne pas être une foutue robe. J’enfile ma veste par-dessus, avant de quitter la base : j’aurai probablement du retard, mais ce ne sera pas énorme.

Je sais déjà, alors que je m’arrête devant la porte de mon appartement, que le Løjtnant est arrivé. Je peux sentir le frémissement magique des nombreux sorts qui entourent les lieux. Ils ne protègent pas son contenu ; il n’y a rien de précieux, chez moi. C’est surtout un amusement, au cas où des intrus voudraient rentrer sans cogner – et ils sont quand même plusieurs, à avoir trop fréquemment envie de me casser la figure. Je lève les premiers verrou, tout en me faisant la réflexion qu’il est probablement en train de s’amuser avec Robert, l’épouvantar. Épouvantar qui, d’ailleurs, se fout totalement d’avoir un nom. J’espère qu’il parviendra à le renvoyer dans son placard avant que j’ouvre ; je ne veux pas dévoiler à Ying la forme qu’il prendrait devant moi. Et même si je suis plutôt curieuse de l’apparence qu’il prend sous ses yeux, je prends volontairement mon temps pour lever les derniers sortilèges, afin qu’il puisse agir.

J’ouvre finalement la porte en même temps qu’une autre se ferme ; Robert a fait sa sortie quotidienne. « Bonsoir Arsinoe, vraiment distrayant ton comité d'accueil. » Distrayant ou non, tout dépend de la personne qui y fait face, j’imagine. Je ressens encore une culpabilité écrasante, quand je songe à Sebastian et à ce qu’il a vécu. J’écarte néanmoins cette pensée, allumant les lumières dans l’appartement.  Je jette un coup d’œil à l’homme qui range sa baguette, passant ses doigts sur ses boucles d’oreilles. Je note au passage les serpents sur ses ongles ; j’aime bien, c’est stylé. Son allure générale est plus que convenable. Dans le genre qui plaira à mon père, et qui me vaudra peut-être quelques reproches, pour ma soi-disant responsabilité dans le report des fiançailles. Il m’a déjà engueulée sur le sujet, quand il a su que le processus était retardé. Il m’a reproché d’être trop têtue, pas assez féminine, trop violente : « pas le genre de femme qui peut plaire à un homme, Arsinoe. » Un classique, qui ne devrait même plus être dérangeant. Dans les faits, je m’en fous, mais la déception, même illégitime, est toujours désagréable à entendre. « T'as un miroir quelque part ? » La phrase m’arrache un léger rire, alors que je retire mes bottes que je laisse sur le tapis. Je dépose aussi mon sac, avant de jeter ma veste dessus. « Dans ma chambre, dernière pièce au fond. » Pour certains, une chambre est un endroit privé, pour d’autres, comme moi, ce n’est qu’un lieu comme un autre. Elle est à l’image de mon appartement : impersonnelle. Une commode normale, sans personnalité et un lit de fer, avec un matelas double, pour les nuits sans solitude, plus dur que confortable.

Je jette un coup d’œil au salon et au placard, qui remue à peine. Robert se tient visiblement tranquille. Le salon est tout aussi neutre, presque ennuyant. Un canapé, le placard de l’épouvantar, une bibliothèque, quelques plantes. C’est plus rapidement pour déménager rapidement, quand on a pas grand-chose à traîner avec nous. Je ne suis pas attachée au matériel et il n’y a pas beaucoup d’objets, auxquels je tiens vraiment.  Mon sourire s’étire davantage, tandis que je rajoute en pointant le placard :  « J’espère que tu t’es bien amusé.» J’aurais été surprise, qu’il n’essaie pas de relever le défi. Je me dirige vers ma cuisine, seule pièce avec un certain cachet. J’y ai tous les outils, toutes les casseroles, tous les ingrédients nécessaires pour mon tapage nocturne. J’ouvre le frigo, tout en jetant un coup d’œil moqueur par-dessus mon épaule, lançant :  « Un gendre idéal. Sympa tes ongles. » Je suis sincère. Sa tenue plaira à mon père, au moins en partie. La mienne le fera probablement râler, même si elle est très convenable. Il me dira probablement en aparté que j’aurais dû choisir quelque chose de plus féminin.

Je sors deux bières du frigo, que je referme. J’en fais glisser une sur le comptoir, dans la direction de Ying : « Tu veux une bière ? » S’il refuse, je la boirai simplement à sa place. Sans attendre sa réponse, je me hisse sur le dit comptoir, les jambes pendant dans le vide, plus à l’aise dans les hauteurs que les deux pieds sur terre. D’un mouvement raide, je débouche ma bouteille, que je porte aussitôt à mes lèvres pour en avaler une longue gorgée. On a encore un peu de temps, avant le dîner, et je ne veux clairement pas affronter mon géniteur dans une parfaite sobriété.
Ying Yue Amundsen
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@Arsinoe Adelsköld • 16 avril 2024 - Soirée


Mes yeux se posent sur Arsinoe dès qu'elle referme la porte derrière elle. Sa silhouette habituellement revêtue de sa tenue militaire est aujourd'hui habillée d'une combinaison verte qui la met étrangement en valeur. Non pas que ce soit étrange qu'elle puisse être en valeur, mais il est étrange que je me fasse la réflexion qu'elle l'est. Est-ce vraiment une réflexion étrange, ou plutôt rassurante ? Aucune, probablement. Je sais juste reconnaître et apprécier une tenue bien coupée qui sied à la personne qui l'a porte.

Mes pensées sont chaotiques, je le sens, ça m'agace autant que le rythme cardiaque encore sourd qui palpite dans mes tempes. L'épouvantard a retrouver son placard, mais les sensations sont encore présentent sur ma peau, un frisson glacé coule dans mon échine, mes mains sont légèrement moites et le goût amer du dégoût colle à mes papilles. C'est stupide de ma part de m'être laissé surprendre par la forme de cet épouvantard. Le changement n'est que sjr la forme, pas le fond. Il ne devrait pas perturber autant mes capacités à reprendre le contrôle de mon corps. Qu'est-ce que sont des corps ? Rien. Aucun sentiment à éprouver de ce côté-ci. Un corps n'est qu'un corps. Qu'importe les traits qu'il porte. Qu'importe le mort qu'il voudrait nommer. Qu'importe la perte qu'il laisse sous-entendre. Qu'importe le trou qu'il voudrait créer des ce cœur qui cogne avec trop de forces contre mes côtes.

Son rire explose contre mon crâne et contre le tumulte résiduel provoqué par la confrontation. Si le visage est détaché, lisse et calme ne laissant rien deviner des vagues entre trop hautes, je prends son rire comme une claque qui me ramène à la réalité. La moquerie je sais gérer, je sais traiter l'information, je referme les portes de questions dont je ne veux pas, luttant contre la marée qui tambourine pour s'infiltrer.  « Dans ma chambre, dernière pièce au fond. » Je me détourne pour chercher du regard le fameux fond évoqué, hésitant à m'y rendre immédiatement. Préférant prendre d'abord le temps de prendre mieux connaissance des lieux de prime abord, je me déplace lentement dans la pièce principale, observant avec une intrigue amusé la simplicité austère du mobilier de la Kaptajn. Il faut peu de doute qu'elle passe peu de temps ici, et que le seul élément intéressant de la pièce est son armoire devant laquelle je me trouve à présent, à quelques centimètres de la porte qui vibre faiblement. « J’espère que tu t’es bien amusé. » Ma tourne se tourne vers elle, sourire narquois sur nos lèvres respectives. Je hoche simplement la tête avant de reporter mon attention sur l'armoire, passant un doigt sur les contours de celle-ci. Étonnant, comme choix de meuble. Quitte à garder un épouvantard dans la pièce centrale de mon appartement, sans faire l'effort du moindre autre élément de décoration, j'aurais au moins joué sur le côté “amusant” de la situation en le plaçant dans un secrétaire de bonne facture. Mais je suis bien plus soucieux des détails qu'elle ne l'est, d'après ce que je sais déjà d'elle, et que j'apprends au fur et à mesure. Un peu décevant, le décor et les soucis d'apparat sont des éléments que je juge souvent aussi appréciable à imaginer que l'appréciation du spectacle final. Le goût de l'art, peut-être.

Derrière moi le son caractéristique d'une porte de frigo qu'on ouvre vient faire frémir mon oreille tandis qu'Arsinoe reprend la parole d'une voix que j'estime être légèrement moqueuse : « Un gendre idéal. Sympa tes ongles. » A ses mots mon regard retombe sur les serpents qui ondulent doucement. J'aime quand quelqu'un remarque mes efforts fait pour les rendre singuliers. Était-elle sincère ou moqueuse ? Je ne sais pas trop, mais je me détourner de son armoire vivante pour me rapprocher un peu plus du fond de la pièce menant logiquement à sa chambre. Leur évocation m'a rappelé la question au sujet du choix de forme de mes boucles d'oreilles, et de la broche glissée dans l'une des poches de mon pantalon. Le son d'une bouteille glissée sur un comptoir retient mon attention et lorsqu'elle demande : « Tu veux une bière ? » avant de déboucher la sienne, je me penche légèrement en arrière pour l'apercevoir depuis le mur derrière lequel j'allais disparaître à la recherche de son miroir. « Avec plaisir. Laisse-moi juste deux secondes. » Sans attendre d'avantage, ni me soucier d'avoir l'air impoli de lui fausser si rapidement compagnie pour plonger dans la pièce potentiellement la plus intime de son appartement de vie factice, je pénètre dans sa chambre. D'un regard circulaire il saute aux yeux que la pièce est décorée avec la même absence d'effort pour le reste des lieux. Rien d'intéressant, si ce n'est une couverture placée au sol, et un lit qui n'a pas l'air d'avoir reçu de la compagnie depuis longtemps. Amusant.

Ma baguette sortie, je tapote rapidement les boucles pour en changer la forme d'un sortilège de métamorphose basique. L'or fond légèrement pour se modeler différemment et prendre l'aspect de trois serpents qui semblent mordre les trous de l'oreille. Les doigts libres les font bouger un peu, sous une moue peu convaincue du résultat. Trop exagéré. Nouveau coup de baguette, changement subtile, deux gouttes d'or qui entourent un seul serpent ondulé. Trop discordant. Dernier essai, le serpent s'allonge, se découpe pour ne laisser qu'un subtil aperçu d'une tête plate qui s'étire dans la tige glissée dans le trou, le corps devenu fin est séparé en une dizaine de petites sections comme un délicat squelette d'un animal qui n'a plus rien de serpent. Beaucoup plus subtil et fin. « Sebastian vraiment ? » Profitant du calme, Bølga glisse un murmure tout contre ma jambe qui me fait froncer des sourcils. « Ta gueule. - Je vérifiais l'état de santé de ton déni. - T'es con. » Le tigre ricane et je secoue la tete. D'un regard sur le côté, mes yeux croisent la couverture au sol et mon sourire se creuse, joyeux, avant de pointer la baguette dessus. L'objet se teinte immédiatement d'un délicat rose poudré pailleté avant de prendre la forme arrondie d'un panier, agrémenté d'un oreiller fushia. Je ne suis pas le meilleur en sortilège de métamorphose, mais le résultat n'est pas si décevant. Probablement que le panier n'est pas plus confortable que l'était la couverture d'origine, peut-être même qu'il s'affessera lamentablement à la première tentative d'utilisation, mais le rendu général est l'essentiel. La petite blague est faite et parlante visuellement.

A peine trois minutes après avoir quitté Arsinoe, je suis à nouveau dans son salon, me dirigeant d'un pas calme et parfaitement ordinaire vers elle. « Tiens, je t'ai apporté ça. Tu n'as pas l'air d'être du genre à porter multitude de bijoux, mais je tiens à mon titre de gendre idéal. » Tout en parlant, je tire un sachet de velour sombre de ma poche duquel mes doigts extirpent une broche aux reflets argenté presque terne. « Sans offense Kaptajn, mais j'ai pas opté pour un materiau dit “noble”. C'est une pierre des profondeurs, un minerai qui poli donne cet incroyable consistance solide et particulièrement légère. Permettez ? » La question vouvoyée est rhétorique car je suis déjà en train de saisir le bord de sa combinaison pour y piquer la broche d'un geste rapide et bien trop expert. Le rendu est plutôt appréciable, les teintes argentées se marient bien au vert de sa tunique, et la forme droite d'une simple tige souligne simplement l'ensemble comme un détail à peine perceptible. Discret sans attirer l'attention, mais présent malgré tout. J'avais songé à une flèche, pour représenter son élément aérien, avant de réaliser que cela pourrait être mal perçu si son paternel la confondait avec la rune de Tyr associée à mon nom. J'ajoute, reculant déjà de son espace vitale : « Évidemment, tu en fais ce que tu veux. Même me l'a piquer dans la main dès que tu en ressentiras le besoin. » Mon sourire moqueur se fait plus intense avant de reporter mon attention sur la bière laissée précédemment à mon égard et l'attrape pour l'ouvrir et en boire une longue première gorgée. A présent les deux coudes posés sur le comptoir à ses côtés, je laisse mon regard filer une nouvelle fois vers son armoire avant de reprendre la parole : « Ton épouvantard a déjà changé de forme toi ? » Le ton est neutre, juste un peu curieux, sans faire résonner la moindre appréhension dans le cœur à présent calmé de ma rencontre avec la créature magique. Mes yeux quittent le meuble pour revenir se poser sur mes ongles, reprenant presque immédiatement la parole : « Content que ça te plaise. J'ai hâte de les tester, ils contiennent assez de poison pour rendre la soirée intéressante. » Sourire en coin qui se perd dans une autre longue gorgée de bière, avant de tourner mon visage vers Arsinoe, attendant sa réaction.


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Arsinoe Adelsköld
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« Avec plaisir. Laisse-moi juste deux secondes. » Je m’enfile deux gorgées supplémentaires, tandis qu’il disparaît dans ma chambre. Je ne m’inquiète pas de ce qu’il peut y faire : il n’y a rien digne d’intérêt, dans cette pièce. Rien de secret, aussi. Je ne suis pas la seule militaire à avoir conservé l’habitude de dormir sur le sol, quand je ne parviens pas à trouver le sommeil sur un matelas. C’est débile, mais mon inconscient a probablement associé cette position à une certaine sécurité. Pas que je l’étais, quand je dormais là-bas sur la terre dure, ma vareuse glissée en boule sous ma tête. Mais ils étaient là, autour de moi, nos corps serrés les uns contre les autres, dans une seule unité.

J’avale une autre gorgée, tout en observant Røyk qui a pris sa forme de geai bleu et qui volète dans l’appartement. J’ai besoin de décanter et d’arrêter de trop penser, pendant au moins quelques heures. Il y a trop de sujets en suspens, trop d’inquiétudes latentes, trop de potentiels problèmes qui se sont précipités vers moi dans les derniers jours, sans que je les aies vu venir. Je ne peux pas en faire abstraction : pas quand ça concerne mon frère. Ce soir, néanmoins, j’espère parvenir à brièvement cesser de m’interroger sur le sujet. À m’amuser, peut-être. Le plan de Ying n’est pas mal ; et peut-être que ce jeu à lequel il jouait seul à mes dépens, dans les soirées des Douze, s’avèrera moins chiant, maintenant que j’en connais les règles.

J’en suis à la moitié de ma bière lorsque le militaire revient. Je l’observe de nouveau, curieuse de ce qui l’a poussé à chercher un miroir. Je suis généralement plutôt douée, pour noter des différences ou des changements. L’habitude des combats et de l’observation des champs de bataille : quand on est en alerte, on doit être en mesure de détecter rapidement une modification de notre environnement. Je note donc le changement de forme des boucles d’oreilles, qui m’arrache un sourire d’approbation. « Tiens, je t'ai apporté ça. Tu n'as pas l'air d'être du genre à porter multitude de bijoux, mais je tiens à mon titre de gendre idéal. » Curieuse, je baisse les yeux vers l’objet qu’il extirpe d’un sachet de velours. « Sans offense Kaptajn, mais j'ai pas opté pour un materiau dit “noble”. C'est une pierre des profondeurs, un minerai qui poli donne cet incroyable consistance solide et particulièrement légère. Permettez ? » Je n’ai même pas le temps de répondre à la question rhétorique : le militaire est déjà en train de saisir le bord de ma combinaison pour y piquer la broche. J’ai un infime mouvement de recul, par réflexe, qui me fait pincer les lèvres. Je me fous habituellement des contacts, sauf dans certaines périodes, quand certains souvenirs et cauchemars reviennent avec trop d’intensité. Ça m’agace. De savoir que les lettres des derniers jours les ont indubitablement éveillés, et qu’ils me feront encore chier pendant un certain temps. Jusqu’à ce que j’aie réglé cette question liée à Fredrikke, probablement.

J’observe la broche avec intérêt, glissant un doigt sur son contour poli. Acceptable. L’argent s’agence bien, mais j’ai une préférence pour le doré. Le løjtnant a la tendance irritante de bien me deviner en général, sauf sur ce point. J’aime bien les bijoux, quand ils n’ont pas trop de valeur. Ils me permettaient d’embêter discrètement mes parents quand j’habitais chez eux, en portant une tenue convenable, mais des accessoires qui l’étaient moins. Je pouvais ensuite faire ressortir ma personnalité, qu’on essayait d’étouffer sous des robes qui n’étaient clairement pas faites pour moi. « Évidemment, tu en fais ce que tu veux. Même me l'a piquer dans la main dès que tu en ressentiras le besoin. » Mon rire file, sans que je tente de le retenir. L’idée est amusante ; et j’aurai peut-être vraiment envie de lui piquer quelque chose dans la main ce soir. Je ne doute pas qu’en tant que gendre idéal, il saura être particulièrement irritant. Pour moi. J’imite son mouvement alors qu’il ouvre sa bière, avalant plusieurs autres gorgées de la mienne. Mes jambes bougent légèrement dans un mouvement de va-et-vient distrait, alors que j’observe Røyk reprendre la forme du lionne dans un piqué vers le canapé, sur lequel elle s’étend. « Ton épouvantard a déjà changé de forme toi ? »  Je reporte mon attention sur l’homme, fronçant légèrement les sourcils.  Même si le ton est neutre, la question ne me semble pas anodine. L’aurait-il posé si elle ne pouvait pas s’appliquer à l’expérience qu’il vient probablement de vivre ? Peut-être, mais j’en doute.« Content que ça te plaise. J'ai hâte de les tester, ils contiennent assez de poison pour rendre la soirée intéressante. » Une lueur d’intérêt illumine mes iris clairs, alors que je penche légèrement la tête pour mieux observer les ongles du løjtnant. Le poison se trouve donc à l’intérieur…? C’est génial et bien camouflé. J’apprécie le travail bien fait et conçu de façon stratégique : ça se reflète probablement dans mon sourire et dans mon signe de tête approbateur. « Encore mieux.  J’espère que y’a une bonne dose, là-dedans. Mon instinct féminin serait vraiment déçu que mon père passe une bonne soirée. » Je crache les deux mots les moins neutres avec mépris, alors que je termine en une trop longue gorgée ma bière. Je la repose sur le comptoir à côté de moi, avant de préciser ma pensée : «Il m’a conseillé d’éviter de te parler d’armée, pour ne pas te dégoûter avec mes idées. Et parce qu’il vaut mieux laisser ce sujet aux hommes, ‘’sans rappeler à Ying Yue que sa potentielle future femme est plus gradée que lui.’’ Il a rajouté ‘’je t’avais bien dit que ça te nuirait, ta carrière et ton orgueil.’’ » Ça ne devrait plus m’agacer. J’ai déjà mené toutes ces luttes contre ma famille pendant ma scolarité, quand j’ai choisi un autre clan, mais aussi quand j’ai pris une autre voie. J’ai accepté que je ne correspondrais jamais aux attentes et à la vision qu’ils auraient pu avoir de moi. J’ai même volontairement provoqué leur colère, à de nombreuses occasions et je n’ai jamais changé d’expression faciale, quand les potes me racontaient les célébrations organisées par leur famille pour leur promotion. Pas de fêtes ni de félicitations, pour moi. Je m’en foutais, vraiment. Je n’attendais rien d’eux, pas à ce niveau. Mais j’ai toujours aimé mon père malgré tout, et peut-être qu’une partie de moi, plus enfantine, qui ne l’avouerait jamais à voix haute, aurait apprécié, au moins une fois, recevoir davantage de reconnaissance de sa part que cette manifestation trop claire que pour lui, je suis un échec.

Je descends à regret de mon perchoir improvisé, mes pieds touchant de nouveau le sol. Ma main frôle la broche, alors que je reprends : « Je préfère ça à des fleurs. Au moins ça peut servir d’arme. » Un sourire espiègle s’étire sur mes lèvres. Je n’aurais pas imaginé Ying amener des fleurs, sauf pour jouer justement son rôle. Avec un sort d’herbes à puce, peut-être. Je mets ma bouteille vide au recyclage, avant d’ouvrir mon frigo pour en prendre une seconde. Très raisonnable. Et très empressée d’affronter ce repas familial, vraiment. À moins que je ne sois en train d’essayer de noyer définitivement mes autres pensées, celles qui reviendront inévitablement cette nuit quand je cuisinerai pour le pique-nique de demain, pour la sœur de l’autre connard…?

J’écarte cette réflexion, refermant le frigo, avant de retourner me hisser sur mon comptoir, pile au même endroit que précédemment. Je pointe le placard de Robert d’un signe de tête, la voix neutre : « Il change souvent de forme. C’est comme…une rotation ? Y'a certaines peurs dont je parviens définitivement à me débarrasser, d’autres qui reviennent me faire chier alors que je croyais m’en être débarrassé. » J’assume leur existence. Je ne crois pas qu’avoir des peurs est une faiblesse ; ce qui l’est, dans mon esprit de militaire surentraîné, c’est de ne pas les affronter. Chez les Spøkelse, pendant la guerre de 2015, on avait une étrange activité de fin de soirée. Un vieux gradé transportait dans sa malle un épouvantard. Personne savait pourquoi : il refusait de nous donner les raisons qui le poussaient à traîner avec lui ce colocataire encombrant. Par contre, il acceptait avec enthousiasme de nous le prêter, à chaque fois qu’on lui demandait. Quand on était de retour au camp et qu’on avait un peu de temps, on s’entraînait en groupe. On en est venu à connaître ainsi les plus grandes frayeurs de nos frères d’armes et leur résistance, face à ce qui les effrayait. Personne ne s’en servait pour se moquer : on se faisait confiance. Mais cette connaissance nous a été utile, à quelques occasions, quand l’une de ces peurs se concrétisait pour l’un de nos compagnons. On pouvait l’aider plus efficacement, s’il figeait dans le pire des moments.

L’habitude de m’entraîner m’est restée. Avant l’armée, mon épouvantard était plutôt stable. Je voyais un classique : ceux que j’aimais blessés. Au fil du temps, il a évolué, se transformant au fil des horreurs vues, des craintes surmontées et des épreuves traversées. Je rajoute, un léger rictus se peignant sur mes lèvres : « Ce que je déteste, c'est quand il en prend une nouvelle. » Quand il se modifie, c’est généralement parce que je suis parvenue à atténuer ou vaincre une peur, au point où une autre a pris plus de place. Quand il change totalement, c’est parce qu’une nouvelle, plus puissante, a surpassé toutes les autres ; je déteste avoir de nouvelles peurs. Les combattre, oui. M’en collectionner d’autres, non. Et je me doute que la forme que prendra Robert, quand j’ouvrirai seule ce placard, sera probablement différente de celle à laquelle je suis habituée. Elle mélangera probablement mon frère, mon impuissance, et une scène que j’exècre, qui revient dans mes pensées trop fréquemment. Je débouche ma bière, en avalant une gorgée avant de demander, en pointant l’antre de Robert du menton : « Alors, simple altération ou nouveauté ? » Simple curiosité. Je ne pousse pas jusqu’à lui demander ce qu’il a vu. Il n’aurait aucune raison de me répondre et c’est le type d’interrogation trop privée, surtout pour deux personnes qui ne s’apprécient pas.
Ying Yue Amundsen
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@Arsinoe Adelsköld • 16 avril 2024 - Soirée


L'intérêt de la Kaptajn est titillé par mes ongles, je le vois à la façon qu'elle a de pencher la tête pour mieux les observer et dans son regard intrigué. L'égo est touché d'avoir réussi à dessiner de tels sentiments dans les yeux de la militaire. Facilement flatté, et facilement assuré de faire son effet, l'orgueil n'est jamais assez humble pour ne pas s'en attribuer tous les mérites. J'avais longtemps réfléchi à cette idée, venue par une tendre nuit après l'un des retours de Sebastian de ses habituelles vadrouilles en Angleterre. Un autre retour glacé qui avait refermé les brèches ouvertes précédemment par de longues semaines à le distraire de sa rigidité moribonde pour dérider sa nature profonde de chat joueur. Ce retour-là en particulier avait été plus salé que les autres. Le vif sentiment cuisant de rejet avait été plus difficile à avaler quand après un an de service militaire dans la marine, parmi les miens, Sebastian était revenu plus distant que jamais. Comme si cette foutue année n'avait jamais réellement existé. Cette nuit-là, j'avais eu envie d'abandonner l'idée d'être le demi-frère sympa qui accepte sans rien dire et de traverser l'océan pour aller lui arracher toutes les conneries qu'il pouvait bien dire à son fils sur notre famille. Pour qu'il arrête une bonne fois pour toute de distiller son poison dans ses oreilles à chaque vacances. A défaut de pouvoir me permettre de faire ce genre de choses aussi frontalement sans devoir en payer des conséquences peu plaisantes, j'avais eu l'idée du poison pour la fois où il daignerait enfin venir lui-même affronter la meute en face. Mais il n'était jamais venu ce faible de Prince père. Un lâche doublé d'un traitre sans honneur. C'est à lui que je pense dans un éclair de regard carnassier posé sur les serpents qui ondulent doucement dans leur fond laiteux. Le poison d'origine devait être moins sympathique que celui qui fait luire les écailles d'un vert profond. Il devait être douloureux, désagréable, acide. Aussi dégueulasse pour ses entrailles que l'est sa façon systémique de détruire les maigres liens que j'essayais de construire avec mon petit-frère.  « Encore mieux.  J’espère que y’a une bonne dose, là-dedans. Mon instinct féminin serait vraiment déçu que mon père passe une bonne soirée. » Un léger éclat de rire, mauvais, traverse mes poumons. Il y a largement de quoi passé une bonne soirée avec un seul de ces serpents. S'il se retrouve à avaler les dix entiers il risque de se trouver plus que rapidement pris dans une transe étrange à voir défiler des lutins devant ses yeux. Ou tout autre choses que son crâne trouvera euphorisante et drôle. Je dois avouer que je suis particulièrement curieux de cette partie-là. Quelles genres d'hallucinations visuelles peuvent bien amuser un homme comme le paternel Adelsköld ?  « Il m’a conseillé d’éviter de te parler d’armée, pour ne pas te dégoûter avec mes idées. Et parce qu’il vaut mieux laisser ce sujet aux hommes, ‘’sans rappeler à Ying Yue que sa potentielle future femme est plus gradée que lui.’’ Il a rajouté ‘’je t’avais bien dit que ça te nuirait, ta carrière et ton orgueil.’’ » Mes yeux se relèvent vers Arsinoe, intrigué par cette facette de la relation qu'elle entretient avec son propre père. De la déception de l'un envers l'autre, un jugement négatif du paternel envers le choix de carrière de la fille, à croire que cette liste de non points communs s'allonge de jour en jour. Quant aux sujets des inquiétudes de l'homme, rien d'autre que la preuve qu'il ne me connait pas, et encore moins mes qualités de genre idéal mis en action. Mon orgueil élevé est loin d'être mis à mal par le rang supérieur de ma non future épouse, au contraire. Certains dans l'armée y voient là un tableau de chasse plutôt bien rempli, et une réussite que beaucoup jalouse. Marier une plus haute gradée, pas encore passé la trentaine, et arriver à la faire me respecter est plutôt considéré comme un exploit valorisant. Le genre de chasse dont on célèbre la victoire dans les quartiers des matelots en vidant un fond de bouteille en jouant aux cartes. Ce serait humiliant si j'étais en fin de carrière, hors c'est loin d'être le cas. Encore un civil qui ne connait rien à notre milieu. Mais je note cependant son soucis de ma propre sensibilité, et de son angoisse de me voir me sentir diminué aux côté de sa chère et tendre petite princesse. Informations intéressantes à avoir en tête pour la suite de la soirée.

Portant ma bouteille à mes lèvres, j'avale deux longues gorgées supplémentaires alors que la militaire saute au bas de son perchoir.  « Je préfère ça à des fleurs. Au moins ça peut servir d’arme. » Dit-elle en effleurant d'un geste la broche épinglée par mes soins à sa combinaison. J'hoche la tête, convaincu également, même si personnellement, j'ai toujours apprécié les fleurs. Un bouquet bien composé, élégant et parfumé, habille n'importe quel intérieur avec plus de tact que beaucoup d’œuvre d'art. Mais à offrir en cadeau de soirée, trop conventionnel, souvent mal adapté au contexte et rarement dans les bons tons de couleur des habits diverses des convives, encombrant pour celle qui les reçoit et ne sait qu'en faire, dérangeant pour celui ou celle qui doit s'empêtrer dans les idées pour trouver un vase ou un endroit où les poser, et disgracieux en fin de soirée quand il faut les récupérer froissées d'avoir été oubliées dans un coin.

Je la suis du regard distraitement quand elle retourne se chercher une deuxième bière tout en continuant à boire la mienne. Visiblement la Adelsköld compte arriver chez ses parents avec un peu d'avance sur les verres de champagne, ce que je ne peux qu'apprécier. Moi-même je ne rechigne pas à boire avant d'aller me perdre dans les discours chiants de soirées mondaines. Ce soir je compte cependant être raisonnable, je ne sais pas jusqu'où elle compte aller dans la descente de sa réserve au frigo, mais je n'ira pas plus loin que deux, en ce qui me concerne. J'ai envie d'avoir les idées entièrement claire avant de libérer le poison dans le verre ou la soupe du paternel. « Il change souvent de forme. C’est comme…une rotation ? Y'a certaines peurs dont je parviens définitivement à me débarrasser, d’autres qui reviennent me faire chier alors que je croyais m’en être débarrassé. » Intéressant, une rotation. Je me cale à nouveau le dos contre son comptoir pour mieux observer l'armoire qui bouge par intermittence plutôt régulière, songeur. Le mien n'avait jamais réellement évolué avant aujourd'hui. Du moins, avant que je ne le remarque aujourd'hui. C'était quand la dernière fois ? Difficile de me rappeler. Un instructeur de Durmstrang nous mettait souvent en face de l'un deux, à cette époque le mien était resté stable, malgré mes longues heures de pratiques. La peur est dominée, mais toujours là, en sommeil. Un dégoût angoissant parfaitement irrationnel qui amoindri ma capacité de contrôle, renforcé par une expérience déplaisante dans un marécage crasseux d'Asie. La guerre de 2018 avait nourrit mes angoisses d'images et de sensations plus réelles que jamais lorsque le corps entièrement immergé dans l'eau sale de quelques rivières boueuses, immobiles pendant des heures pour mieux se fondre dans le décor et passer derrière les lignes d'attaques des ennemis, j'avais dû laisser des insectes venir buter contre mon visage, chatouiller mes lèvres et mes paupières. Je réprime le frisson qui naît à la base de mon crâne dans une nouvelle gorgée de bière, longue, qui englouti presque entièrement le reste de liquide qui s'y trouvait. Les phobies sont de drôles de choses. Après la guerre, j'avais repris plus durement les entrainements avec l'épouvantard, reprenant le contrôle sur les réflexes nauséeux qui avaient découlé de cette expérience immersive. Mais depuis, les occasions ont été plus rares, d'autres choses à foutre que de combattre mes mêmes angoisses encore et encore. Deux ans peut-être ? Ca doit remonter à quelque chose comme cela oui. Alors quand ? Quand est-ce que ce foutu épouvantard s'est amusé à rajouter des éléments au décor ? Impossible de savoir. « Ce que je déteste, c'est quand il en prend une nouvelle. » Je n'aurais pas compris le sentiment avant aujourd'hui. Ce soir c'est différent, je n'ai assurément pas apprécié l'idée, mais il me faudra y songer plus tard, seul, sans crainte de laisser trop d'émotions se lire sur mon visage fermé. Mais je comprends que si le sien change souvent de forme, ce doit être chiant à vivre. Et je comprends mieux aussi l'intérêt d'en avoir un chez soi. Ca lui évite la désagréable surprise de le découvrir au mauvais moment. « Alors, simple altération ou nouveauté ? » Demande celle qui vient d'ouvrir sa deuxième bière depuis son assise en hauteur. J'avale la dernière gorgée de la mienne avant de répondre d'une voix calme, largement désintéressée par ma propre réponse. « Altération. C'est la première fois, c'était surtout ça le côté divertissant. Le mien a toujours été stable. Le fond est resté le même, ces connards d'insectes, mais il s'est fait plaisir sur la forme. Plus réaliste et proche de ce que j'ai vécu sur le terrain. Ou alors c'est le tien qui est plus entrainé ? » Je n'ai rien contre l'idée de parler de mon épouvantard. Avoir peur que quelqu'un l'utilise contre moi, ce serait renforcée la peur elle-même. Je n'ai pas peur de ce que les gens pourraient faire de cette information, parce que cette information n'est rien. Je l'ai dépassée, aiguisé mon esprit à l'affronter et à la supporter. Le garder secret, ce serait rendre cette peur encore plus réelle qu'elle ne l'est. Elle ne me touche pas. J'en ai rien à faire. Qu'ils le sachent tous, et qu'ils sachent que ce n'est pas une arme. Ce n'est un secret pour personne, je suis le premier à faire des blagues dessus quand on trouve des cloportes sur le bateau. Je les encourage même à me foutre des trucs dans ma couverture pour rester habituer à les fréquenter. Quitte à m'en faire passer l'envie de manger pendant deux jours.

Dans un geste souple je me détache du comptoir, bière vide en main, répétant les gestes de la Kaptajn avant moi. Bouteille au recyclage, porte de frigo qui s'ouvre, nouvelle bière, porte qui se ferme. Sauf que je ne retourne pas immédiatement à ma place. Je m'arrête pile en face d'elle, la main contenant la boisson dans mon dos, l'autre paume posée à plat sur ma poitrine en même temps que mon torse se courbe dans une salutation polie : « Kaptajn Adelsköld, je suis honoré qu'une personne de votre rang à la carrière brillante accepte la demande d'un simple Løjtnant. Je n'oublierai pas votre humilité quand nos carrières respectives nous porterons au sommet de leurs accomplissements. » Voix douce, d'une tonalité emprunte d'un respect d'une justesse délicate. Flatteur mais non exagéré. Je me redresse dans un sourire lumineux qui finit par s'étirer en courbe narquoise : « J'ai hâte de cette soirée. » Je ricane, avant de déboucher ma bière et de la faire trinquer doucement contre celle d'Arsinoe. « T'en fais pour les doses, la demi-mesure dans le chaos c'est pas mon genre. » Je recule et retourne à ma place, ne posant cette fois qu'un seul coude sur le comptoir, pour rester tourné vers elle et poser un regard plus dur et moins amusé dans le sien. « Maintenant que les présentations avec ton animal de compagnie sont faites, dit-moi Princesse, qu'est-ce que mon futur ex-marine du Sjøbjørn t'a raconté d'autre comme connerie. » Je ne reviendrai pas sur la première. Et j'espère sincèrement que elle non plus. Ce serait con de gâcher si vite un début de soirée si bien entamé.


I remеmber how I'd find you, fingers tearing through the ground. Were you digging something up or did you bury something down? In your soul, I found a thirst with only salt inside your cup.
Arsinoe Adelsköld
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« Altération. C'est la première fois, c'était surtout ça le côté divertissant. Le mien a toujours été stable. Le fond est resté le même, ces connards d'insectes, mais il s'est fait plaisir sur la forme. Plus réaliste et proche de ce que j'ai vécu sur le terrain. Ou alors c'est le tien qui est plus entrainé ? » J’hausse les épaules, l’air de dire que je n’en sais rien, tout en ébaucher un léger sourire. Divertissant, vraiment ? Je doute de la véracité du mot qu’il emploie. Un changement de forme, surtout quand on ne s’y attend pas, est rarement si amusant. Il implique généralement trop de questions et de réflexions sur soi-même. À moins que ce soit plus enthousiasmant, quand la peur ne touche pas à nos proches… ? Je l’ignore. Il y a toujours eu des gens, dans les miennes. Trop de gens. Et je les échangerais volontiers contre une peur des insectes, même si ça doit être aussi plutôt chiant, surtout dans l’armée où nous sommes obligés de visiter des endroits parfois bien crades.

Je jette un coup d'oeil à Robert, bien planqué dans son placard, tandis que le Løjtnant imite mes gestes précédents. Je devrais probablement l'affronter, dans les prochains jours. C'est lâche et faible, de ne pas le faire. Et c'est spécifiquement pour ne pas m’enterrer dans mes craintes, qu’il est ici. Je devrais l’affronter, oui, mais j’ai peur de le faire. Peur de revoir ce que je n’ai pas envie de revoir, peur que mes appréhensions concernant mon frère ait transformé une scène déjà exécrable en quelque chose d’insupportable. Je ne sais pas à quel point je réagirais bien ou non, si c’était son visage, qui était superposé sur celui de mes coéquipiers. Si c’était sa tête qui tombait, plutôt que les leurs. Je vaincrais assurément l’épouvantard, comme d’habitude. Mais il y a une marge entre imaginer quelque chose et le visualiser clairement. Serais-je capable de prendre une décision lucide concernant Fredrikke, après une telle vision…? J’en doute.

L’homme qui s’arrête face à moi, bière derrière le dos et main sur la poitrine, m’arrache à mes pensées qui dérivaient. Son geste m’arrache un sourire : « Kaptajn Adelsköld, je suis honoré qu'une personne de votre rang à la carrière brillante accepte la demande d'un simple Løjtnant. Je n'oublierai pas votre humilité quand nos carrières respectives nous porterons au sommet de leurs accomplissements. » Je ris, sincèrement amusée. Je crois qu’il dépassera mon rang, un jour. Soit au même âge, soit plus jeune. Mes objectifs de carrière ne sont pas dirigés vers une ascension prodigieuse ; même si j’envisage de plus en plus d’amorcer les démarches, pour être un jour Major.   « J'ai hâte de cette soirée. » Je réponds à son geste, faisant claquer ma bouteille contre la sienne, avant d’en avaler une autre gorgée. « T'en fais pour les doses, la demi-mesure dans le chaos c'est pas mon genre. » Je ricane, tandis qu’il se recule. Ce qui s’annonçait comme quelque chose d’emmerdant se révèle finalement potentiellement amusant. Et autant ça me plaît, autant ça me fait aussi chier. Je n’ai jamais aimé le déni : il bloque la progression, empêche de travailler sur soi et revient à un mensonge fait à soi-même. Je ne l’ai jamais aimé, mais comme tout le monde, j’en fais parfois. Je suis tout de même obligé d’admettre quelque chose que j’avais déjà deviné, lors de notre combat : j’apprécie un peu le Løjtnant. C’est un emmerdeur, chiant, insupportable. Et c’est peut-être pour ces raisons, que je l’aime bien. Ce qui m’embête, forcément. Je refuse de m’attacher aux gens, surtout aux autres militaires.

J’avale une autre gorgée, tandis que l’Amundsen reprend la parole : « Maintenant que les présentations avec ton animal de compagnie sont faites, dit-moi Princesse, qu'est-ce que mon futur ex-marine du Sjøbjørn t'a raconté d'autre comme connerie. » Futur ex-marine. Le mot pourrait me faire rigoler, si le thème n’était pas sérieux. Je relève le princesse, que je vais sûrement me coltiner pendant un moment, et rétorque d’un ton moqueur : « Tu ne perds pas de temps en préliminaires, mon esturgeon poilu. Direct dans le vif du sujet. » Røyk, sur le canapé, s’étouffe presque de rire. La lionne s’agite en quelques tressaillements amusés, alors que je pose ma bière un peu plus loin sur le comptoir, pour ne pas la renverser par inadvertance. D’un mouvement souple, je ramène mes jambes vers moi, de façon à les glisser sous moi, dans une position assise clairement indigne de ma royauté. Je reprends, plus neutre : « Ce sont des rumeurs sur un type que tu aurais transformé. » Des rumeurs, encore. Elles sont trop nombreuses dernièrement et je m’interroge sur leur recrudescence. Est-ce parce que les militaires sont plus bavards ? Nous l’avons toujours été, à notre façon, mais nous étions si soudés à mon époque que nous préférions nous soutenir que de détruire nos réputations – dont on se foutait totalement. Je poursuis : « Apparemment vaut mieux ne pas se retrouver seul avec toi avant une nuit de pleine lune. » Je récupère ma bière, tout en songeant à la soirée que j’évoque. J’aime bien les bars et je ne me prive pas d’y aller, quand je le peux. J’y trouve le bruit qui m’aide à m’endormir, l’abrutissement des sens et souvent, de la compagnie. Ce soir-là, j’étais assise au comptoir, non loin d’un groupe de marines, entourés d’autres personnes. L’un d’eux, mon voisin de droite, était extrêmement loquace. Un peu ivre, aussi. J’en ai peut-être profité pour le faire parler un peu plus, sans qu’il ne se fasse prier : « Il racontait, à un public un peu trop intéressé, que t’as pas été foutu de sauver ceux qui t’accompagnaient lors d’une mission, trop préoccupé par l’idée de te sauver toi-même. Et que les Amundsens sont tellement trop bestiaux que t’as pas pu te retenir de croquer un de tes coéquipiers, le seul autre survivant de l’attaque. Selon le type, c’était une tentative ratée de le faire taire définitivement. » Est-ce que je l’ai cru ? Non. Ses histoires m’ont surtout intéressée pour ce qu’elles étaient : des histoires. Basées sur, je n’en doute pas, des faits réels. Je ne crois néanmoins pas que le Løjtnant soit du genre à transformer un homme de son navire, par simple caprice. Je l’imagine plutôt du genre à prendre des précautions, pour ne pas que ça arrive par inadvertance. Il ne m’a pas mordue, le soir de notre combat. S’il était aussi féroce, aussi incapable de se contrôler, il aurait pu le faire. Je poursuis, un sourire moqueur s’étirant sur mes lèvres : « Il semblait en avoir pas mal à raconter, sur l’armée. Mais après il s’est malencontreusement mis à divaguer et à parler de melons. Moins intéressant. » Parce que quelque chose a peut-être été accidentellement versé dans son verre. Mes yeux moqueurs, et un peu méprisants, complètent cette partie du récit. Il n’était plus intéressant, après qu’il ait parlé. Et l’entendre râler simplement sur l’armée, sans distinction, m’exaspérait. Je prendre une autre gorgée, avant de demander : « Isaksen bavardait pour raisons familiales. Pourquoi il s’ouvre la gueule, le tien ? Il t’aime pas la tronche ou y’a d’autres raisons ? » Je sais d’expérience qu’il y a trop souvent d’autres raisons. Mais celui-là était peut-être simplement débile et de mauvaise foi ?
Ying Yue Amundsen
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@Arsinoe Adelsköld • 16 avril 2024 - Soirée


« Tu ne perds pas de temps en préliminaires, mon esturgeon poilu. Direct dans le vif du sujet. » La lionne s'étouffe à moitié dans son exclamation de rire tandis que je réprime le sourire en coin qui aurait pu jaillir sur mes traits. Je m'attendais à ce qu'elle réagisse à son surnom, l'inverse aurait été étonnant, et décevant. Les surnoms sont des choses communes dans les régiments, dans l'armée de façon générale, les plus drôles comme les plus élogieux m'amusent toujours, tant qu'ils viennent de personnes que j'apprécie. Ils peuvent aussi me faire chier quand ils sont lancés par des connards qui me manquent de respect. Et grâce à Fredrikke - il faut bien lui reconnaître son rôle dans cet état de fait - il est vrai que la Kaptajn a quelques qualités sympathiques qui me font l'apprécier et tolérer ces surnoms ridicules. Je module malgré tout les traits pour leur donner un air faussement pincé et aigri comme si ma langue s'était soudain métamorphosée en rondelle de citron. « Ce sont des rumeurs sur un type que tu aurais transformé. » Mon visage se lisse avant de retrouver un sourire moqueur que le goulot de ma bière fait momentanément disparaître. Ce type de rumeurs ne sont pas nouvelles, fantasmes de nombreux racontars de fond de cale entre deux parties de dés ou de cartes. Les mêmes rumeurs qui rendent les menaces autour de m'accompagner les nuits de pleine lune plus tangibles. Je la laisse continuer, sans rien ajouter pour le moment.  « Apparemment vaut mieux ne pas se retrouver seul avec toi avant une nuit de pleine lune. » J'avais déjà plus ou moins deviné l'origine spécifique de la rumeur, il n'y avait rien de difficile là-dedans, des hommes transformés avérés, il n'y en a pas eu tant que ça en mission dans lesquelles je me suis retrouvé impliqué. Il n'y en a qu'un seul. Un seul et unique. Une lueur carnassière glisse dans le regard que je laisse percer vers elle en attendant la suite. « Il racontait, à un public un peu trop intéressé, que t’as pas été foutu de sauver ceux qui t’accompagnaient lors d’une mission, trop préoccupé par l’idée de te sauver toi-même. Et que les Amundsens sont tellement trop bestiaux que t’as pas pu te retenir de croquer un de tes coéquipiers, le seul autre survivant de l’attaque. Selon le type, c’était une tentative ratée de le faire taire définitivement. » Je ricane, cette fois, rire grave, plus proche d'un grognement et Bølga qui est allé s'assoir près du canapé où est allongé la lionne, tapote doucement le sol de sa queue. Ça l'agace que la réalité d'une bataille aussi merdique puisse être à ce point détournée dans l'unique but de m'être préjudiciable. Ça m'agace d'autant plus que cela vient d'un membre de mon propre régiment, forcément. Normalement, la sensibilité des marines vis-à-vis de ma condition est l'une prérogatives pour le recrutement. Sur le papier. Mais dans les faits, je sais que les différentes chaînes décisionnaires ne sont pas infaillibles, encore moins regardantes quand tous les autres tests ont été réussi. Le huitième régiment est l'un des plus ardus, avec le second et le cinquième ils sont dans les trois regiments aux concours d'accès les plus rigoureux. La condition n'est pas toujours suffisante à recaler un ou une prétendante aux postes. Quand bien même mon Orlogskaptajn est le premier à savoir qu'il est difficile de servir sous les ordres d'une personne qu'on ne respecte pas. Les erreurs de recrutement arrivent, malgré tout cela. Le plus con c'est que Pitfurn est un bon élément, quand il me cherche pas les puces. Ce qui arrive trop souvent, surtout ces derniers temps.  « Il semblait en avoir pas mal à raconter, sur l’armée. Mais après il s’est malencontreusement mis à divaguer et à parler de melons. Moins intéressant. » Mon nez se plisse très légèrement, je porte ma bière à mes lèvres avant de dévier mon regard vers Bølga qui me regarde de son faux calme de félin. Je sens vibrer sa colère latente envers le marine évoqué. Je n'ai pas de doute sur l'identité du connard qui parle dans mon dos le soir dans les bars. Après la première missive d'Arsinoe j'avais isolé deux candidats potentiels d'après ses maigres informations, mais la date de congés de l'un ne collait pas avec la date de sa rencontre. D'ordinaire, c'est Jens qui joue le rôle du rabâcheur de clapet des moins que rien qui se permettent de colporter des rumeurs sur les membres de leur propre régiment. Au détriment des règles de base du Sjøbjørn. Au détriment de nos valeurs, et de ce qui fait notre unité. Si mon visage affiche un sourire amusé, ce n'est que l'expression de toute la joie qui se manifeste à l'idée de faire comprendre à Pitfurn son erreur. Dommage, que Jens et Thullen ne puissent faire partie de cette vengeance-là. Ils le méritent pourtant. Plus que jamais, depuis leur foutue chambre d'hôpital. « Isaksen bavardait pour raisons familiales. Pourquoi il s’ouvre la gueule, le tien ? Il t’aime pas la tronche ou y’a d’autres raisons ? » D'un geste calme, je passe un doigt sur les trois boucles d'oreilles, comme pris dans mes réflexions, avant de reporter mon regard vers Arsinoe. Je détaille les traits de son visage sans chercher autre chose que ce que j'ai envie de lui dire ou non. Cette histoire de loup l'intéresse-t-elle ? Je n'en suis pas sûr, elle en connaît déjà deux parties, différentes et infimes de ce qu'avait été cette mission. J'avale une nouvelle et longue gorgée avant de hocher la tête pour moi-même et de répondre d'une voix calme. « Tous les recrutements ne sont pas heureux, parfois il faut composer avec les défauts des autres. Pitfurn est un excellent marine, il n'a pas son pareil pour vous frayer un chemin de la glace la plus fine sans alerter toute la banquise sur trois cent kilomètres à la ronde. Mais il considère mon loup comme un gâchis de sang magique. Il s'en est plutôt bien caché au début. » Mais il tolère de moins en moins mes ordres et mes prises de décision. Sans aucun doute que la punition humiliante que je lui ai imposé pendant la mission en quarantaine n'a pas aidé à lui faire passer la pillule des habilitations temporaires que les blessures du Kaptajnløjtnant m'avaient octroyées. « Il a pas tort ceci-dit, je sais me montre bestial quand il le faut. » Les lueurs carnassières s'accentuent sous l'afflux des souvenirs, du goûts de sang terreux, des odeurs de boue marbrée et des pins arrachés. Distraitement je passe une main sur le torse, là où subsiste les restes de la cicatrice qu'elle a déjà vu. « Certains pensent que j'ai plus de scrupules à tuer un autre loup. Ils se trompent. » Surtout quand ils sont utilisés comme commando spécial. Envoyer des mercenaires garous pour imprimer plus durement les dégâts d'une attaque est le genre de pratique qui me dégoûte. C'est à cause de pratiques du genre qu'on est si mal considérés. Utilisés pour notre forces, accentuer l'effet de sauvagerie, perpétuer la terreur, et insuffler l'idée qu'on est que cela, des outils pour servir les humains. Les loups qui acceptent cela ne valent pas mieux que ceux qui les asservissent. « C'est stupide de sa part d'avoir fait ça. Il sait pourtant qu'on aime pas les mauvais parleurs dans le Sjøbjørn. Faire ça en l'absence de Jens, mauvais choix stratégique. » Parce qu'il aura à faire à moi directement, et à tous les autres. Peut-être même que je pourrais en toucher deux mots à Martin. Ce sera l'occasion de prendre de ses nouvelles, depuis qu'il a demandé un changement d'affectation pour rejoindre la Terre, les occasions de le croiser ce sont faites moins fréquentes. Notre dernière pleine lune ensemble remonte déjà à six mois. Un autre bon élément perdu après cette fameuse mission. Lui n'avait pas souhaité suivre les mêmes contraintes que moi après sa transformation. “Se bouffer le poil à chaque pleine lune sur un caillou, j'sais pas comment tu fais pour supporter ça.” Comment lui en vouloir, lui, il avait jamais demandé à être un loup. Il raconte même que ça lui a donné le mal de mer. Vérité ou mensonge, sûrement un peu des deux. Je crois surtout qu'il a pas réussi à faire la paix avec ce qui lui est arrivé, encore moins les accusations qui avaient rapidement pris forme sur l'auteur de la morsure de trop. La queue de Bølga tape plus lourdement le sol tandis que mes pensées dérivent vers l'enquête qui avait suivi notre retour. Deux marines sur les dix, huit morts et un charnier laissé sur place, entrecoupé d'une pleine lune. Forcément, certains généraux c'étaient rués sur l'occasion, servie sur un plateau d'argent, de remettre en question ma présence sur leurs navires, les risques encourus par les équipages, quitte à oublier que la situation aurait été la même dans n'importe quel corps de l'armée. L'enquête n'avait abouti qu'à la seule conclusion possible : Martin avait survécu qu'avec beaucoup de chances, et une potion de loup administrée au bon moment. Sans quoi la première transformation aurait pu achever de déchirer les blessures béantes de ses chairs ouvertes. Je n'ai aucun mal à me rappeler distinctement les moindres détails de cette nuit-là. Des sorts de soins fait le plus efficacement possible jusqu'à manquer d'épuiser mes forces. Puis ses protestations quand il avait compris mes intentions. L'acceptation, enfin, de boire ma seule et unique potion survivante de l'attaque, puis la pose consciencieuse des barrières magiques autour d'une grotte où on avait réussi à se replier. Puis mon propre enfermement dans cette même grotte, à peine assez large pour contenir le loup rouge qui allait y passer la nuit. Sans potion je n'ai gardé que de vagues souvenirs des heures passées dans cette grotte à tenter m'échapper, des crocs retournés contre mes propres pattes, avant de parvenir à effondrer une partie de la grotte et de trouver une sortie. Martin m'avait raconté se souvenir de la profonde peine qu'il avait ressenti de me voir de déchaîner contre ma cage, puis la terreur de me voir lui sauter dessus à peine libéré, et puis le soulagement final quand il avait réalisé que je n'avais fait que lui lécher ses blessures jusqu'au coucher de la lune. « Ne me dis pas que tu as gobé ses idées fumeuses. Ou alors tu devrais peut-être te méfier, je pourrais avoir envie de te transformer pour la prochaine pleine lune. » Je m'extirpe de mes souvenirs dans un clin d'œil amusé, dissimulant l'acidité de rancœur qui a enrobé mon cœur face à la révélation de la traîtrise de Pitfurn. Reposant mon deuxième coude sur le comptoir, je quitte Arsinoe des yeux une nouvelle fois avant d'ajouter, dans un ton bien plus marqué par le dédain cette fois : « Quel connard. Remettre cette histoire sur le tapis, je vois pas son intérêt à part refoutre la merde dans le régiment. » A moins de chercher à sortir du régiment par la grande-porte avec humiliation cuisante en prime. A moins qu'il ne tente de profiter de l'affaiblissement du noyau dur du Sjøbjørn pour tenter l'impensable lui aussi ? « Je te dois quoi pour cette info ? » Le ton retrouve rapidement ses chaleurs amusées, délaissant la morsure du comportement de Pitfurn pour plus tard.


I remеmber how I'd find you, fingers tearing through the ground. Were you digging something up or did you bury something down? In your soul, I found a thirst with only salt inside your cup.
Arsinoe Adelsköld
Arsinoe Adelsköld
GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden
« Tous les recrutements ne sont pas heureux, parfois il faut composer avec les défauts des autres. Pitfurn est un excellent marine, il n'a pas son pareil pour vous frayer un chemin de la glace la plus fine sans alerter toute la banquise sur trois cent kilomètres à la ronde. Mais il considère mon loup comme un gâchis de sang magique. Il s'en est plutôt bien caché au début. » J’hoche la tête dans un signe de compréhension. Je note qu’il a le nom du marine, alors que je ne lui ai pas donné. Il a dû faire des recherches, après nos échanges de lettres. Un bon réflexe, digne de son rang. Des types comme Pitfurn peuvent très bien être d’excellents militaires, tout en étant de gros cons. L’un n’empêche pas l’autre, c’est même presque l’inverse – avoir un côté un peu connard semble parfois être un prérequis. Il faut souvent creuser, chez les collègues, pour voir ce qui se cache derrière les bêtises faites pour impressionner les copains ou asseoir une réputation. « Il a pas tort ceci-dit, je sais me montre bestial quand il le faut. » Je laisse filer un léger rire. Je ne crois pas que l’homme du bar faisait référence à la violence du Løjtnant en combat, du moins pas ce type de violence, inévitable. Et ce serait tout aussi débile de reprocher à un loup-garou d’être ce qu’il est, pendant qu’il est transformé. « Certains pensent que j'ai plus de scrupules à tuer un autre loup. Ils se trompent. » Je crois deviner, à travers les informations distillées, des fragments de la vraie histoire. Je songe aux quatre griffes aperçues sur son torse, après notre combat. Il avait dit que l’être avait été surpris de voir que sa technique d’attaque avait peu d’efficacité sur lui…Probablement d’autres loups, donc. Et qui au vu de l’histoire originale de Pitfurn, ont fait pas mal de victimes. Les gradés, après vérification, ont dû relever rapidement que le Løjtnant n’était pas responsable de la transformation de l’autre. C’est totalement stupide, de la part du militaire du bar, d’entretenir de telles rumeurs. Je n’ai aucun respect sur ceux qui ne font que perpétuer de vieux préjugés, pour leur compte personnel. « C'est stupide de sa part d'avoir fait ça. Il sait pourtant qu'on aime pas les mauvais parleurs dans le Sjøbjørn. Faire ça en l'absence de Jens, mauvais choix stratégique. » Jens. Je relève le nom de l’un des hommes que nous avons transportés, avec ma brigade. J’ignore son lien avec le Løjtnant, mais je l’imagine capable de s’attacher à ceux qui l’accompagnent en mission. On peut vouloir jouer les insensibles, mais peu de nous y parviennent entièrement. Est-il touché par ce qui lui est arrivé…? Peut-être bien. Peut-être pas. Je ne devrais pas m’en soucier, ni même me questionner sur le sujet.

J’avale une gorgée de bière, tout en observant la lionne qui s’étire largement sur le canapé. « Ne me dis pas que tu as gobé ses idées fumeuses. Ou alors tu devrais peut-être te méfier, je pourrais avoir envie de te transformer pour la prochaine pleine lune. » Je souris avec amusement face à son clin d’œil. Il doit bien se douter que ce genre de racontars d’ivrognes, ça ne colle pas avec moi. D’ailleurs, il s’en fout de ce que je crois, non ? Nos avis mutuels ne comptent pas. « Quel connard. Remettre cette histoire sur le tapis, je vois pas son intérêt à part refoutre la merde dans le régiment. » J’en vois peu l’intérêt, moi aussi. Mais le mépris et le dégoût conduisent parfois à des comportements qui ne sont pas profitables à l’instigateur. Les Isaksen ne pouvaient pas sincèrement espérer un résultat notable, de leurs actions et leurs paroles. Ça ne les a pas empêchés d’agir. « Je te dois quoi pour cette info ? » Ce type fait vraiment des échanges avec tout. C’est fascinant, et amusant. Je ne réponds pas immédiatement, relevant plutôt d’un ton moqueur l’une de ses questions implicites précédentes : « Est-ce que je rêve ou bien le Løjtnant s’intéresserait à mon avis sur les rumeurs le concernant ? » Mes yeux pétillent d’une joie espiègle et enfantine. J’ai repris l’une de ses propres répliques de ce jour-là, dans la forêt, en espérant qu’il fasse le lien. J’avale un autre gorgée de bière, avant de poser la bouteille sur mon genou, la tenant d’une main : «  Je te vois comme un con, mais un con avec certains principes. Pas comme un monstre sans cervelle. Ce mot est tellement employé à tort et à travers, de toute façon, et jamais pour désigner les bonnes personnes. » Ce ne sont pas les loup-garous, les monstres. Du moins, pas ceux comme les Amundsens, avec un certain contrôle. Ce ne sont pas davantage les gens comme moi. Ce sont plutôt ceux qui se cachent derrière leurs masques hypocrites, et qui font commettre leurs horreurs par les autres, en feignant d’avoir les mains encore blanche. Je reprends, toujours aussi moqueuse : « Je suis adepte des défis, moins des échanges. Et tu me donnes déjà quelque chose, ce soir. Mais si tu y tiens, disons que tu me dois un paquet de Melkerull. » Je ne dis jamais non à des sucreries. Et ce sera parfait, lors de ce soir de pleine lune, après une nuit à crapahuter en forêt.

Dans son placard, Robert recommence à s’agiter avec un peu plus d’entrain. Le bruit m’est tellement habituel que je n’y réagis pas. Mon sourire s’évapore légèrement, alors que je poursuis : « Je te l'ai raconté parce que ça me fait chier, des militaires qui en salissent d’autres parmi les civils. Comme s’ils avaient besoin d’autres histoire pour nous cracher dessus. » Cracher avec d’autres militaires, ce n’est pas forcément mieux et ça ressemble nettement à de l’insubordination, mais au moins, ça n’empire pas une réputation globale déjà bien entachée – souvent avec raison. Il y a assez d’histoires véridiques et exécrables sur l’armée, sans devoir en rajouter des fausses. Je reprends : « Je m'en foutrais, si ça n’avait aucun impact. Mais ça touche même mes interventions. On a eu un problème quand on a voulu amener un blessé, de la zone démilitarisée au Nord de Göteborg jusqu’à l’unité spécialisé de Sindri Sjukhus. La famille s’était mis en tête qu’on allait l’achever en plein vol, et ont préféré amorcer un transfert par voie terrestre. C’est peut-être pas une grosse perte, un mort issu de débiles, mais ça aurait pu être évitée. » La mort, c’est la mort. Mais ça me semble une bêtise et une absurdité, quand elle pourrait ne pas survenir. Cet épisode, un seul parmi tant d’autres, je l’ai encore au travers de la gorge. Je repose ma bière à moitié-vide sur le comptoir, avant de m’emparer de ma baguette. Flemme de bouger. D’un sort, je fais venir à moi un petit sac issu de la salle de bain. Je l’ouvre pour en sortir mon maquillage, fixant mon reflet dans le frigo, tout en demandant : « À ce sujet…comment vont tes hommes qui ont transférés ? » Ton nonchalant, gestes occupés. J’ai entrepris de me maquiller de façon sommaire, faisant exprès de ne pas focaliser mon attention sur le militaire au moment de poser la question. Il est libre de l’esquiver ou de feindre de ne pas l’avoir entendu.
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