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I need you to fix me to get through • Angelo
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Ying Yue Amundsen
Ying Yue Amundsen
GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden
I need you to fix me to get through
Tw : homophobie et conversion

@Angelo Borghese  • 07 février 2024 - début d'après-midi


La nervosité occasionnée par la situation, et ma consommation excessive de café de la journée, arrive à son paroxysme. Je ne parviens plus à exercer suffisamment de contrôle pour contenir le besoin irrésistible d’être en mouvement. Les gestes parasites se multiplient, les allers-retours devant le canapé sont ceux de l’animal qui se sent piégé et qui s’agace de ne pas trouver l'échappatoire qu'il attendait. Si l’aveugle passe à côté des mimiques faciales qui viennent briser la surface lisse du masque que je suis normalement capable de maintenir, il ne doit rien manquer des mouvements rapides et secs qui frappent son tapis avec la dureté des pas habitués à une cadence rigide militaire.« Un psychomage qui affirmerait pouvoir vous soigner, ou qui accepterait de vous donner une potion pour diminuer vos envies, serait un idiot et un incompétent. » J’aurais dû en choisir un plus idiot et un incompétent, alors. Sa réponse m’agace, pas par sa franchise, mais parce qu'elle sous-entend. Il n'ira pas dans mon sens. Il ne m’apportera aucun réconfort apaisant. Il ne peut pas me soigner. Ou bien ne veut-il pas ? Un grognement sourd gonfle dans ma gorge avant d'être étouffé par un souffle de nez agacé. Je sens que je suis à deux doigts d’arrêter de lutter contre mon envie d’arracher sa porte et partir sans me retourner, et sans reprendre rendez-vous. « Vous pouvez mettre mes capacités en doute autant que vous le voulez, Mr. Birkeland. Je ne retiens aucun de mes patients contre leur gré et je ne dirai pas ce que vous souhaitez entendre, simplement pour vous faire plaisir.» Sa façon de mettre en mot les pensées qui m'avaient est foutrement désagréable. A croire qu’en plus d'être aveugle, il serait legilimens. A cette idée, ma tête se tourne vers lui, sèchement, détaillant une nouvelle fois son visage, son attitude, son sourire doux et calme qui contraste avec la nervosité qui m’agite. Cette façon d'être posée et à l'écoute m’écoeure autant qu'elle alimente ma propre rage. Combien de temps je vais accepter de rester à vivre cette mascarade ? J’en sais rien, mais il est probable que j'écoute la séance. D’ailleurs, je ne sais même pas combien de temps elle est censée durer, cette première séance. Première et très probablement unique. Vu comment elle se déroule et l’inutilité de ce qu’il semble vouloir m'apporter me portent à croire que c'était bien une connerie de venir ici. Que j'aurais mieux fait de trouver un professionnel du côté de Breidablik Gade plutôt que de la Völva.  « Il y a effectivement un travail mental à faire sur vous-même, mais pas dans le sens que vous l’entendez. Les raisons que vous m’avez données sont presque toutes liées à votre famille, et à l’incompatibilité de vos désirs avec vos responsabilités.  Vous dites avoir une bonne relation avec votre père, mais il semble s’agir d’une relation conditionnelle. Bonne, sous condition que… » Que rien du tout. Sans condition. Les lueurs sauvages du regard se sont plus intenses, les poings serrés plantent les ongles dans les paumes, assaillant à nouveau la chair avec rudesse sans se soucier de la douleur que cela provoque. Est-ce que mes raisons ne sont liées qu’à lui ? Qu'à mes engagements vis-à-vis des Amundsen ? Non. Et oui. Mais non. Je n’aime pas ces gens-là. Je les hais. Depuis toujours, jugés sèchement pour les penchants non naturels et déplacés. Je ne suis pas comme eux. Je ne cherche pas à l'être. L’ont-ils été, eux ? Les muscles serrent plus forts, les ongles creusent des sillons en croissant de lune rouge. Tu te mens vraiment jusque-là ? A croire que t’as chopé ça comme un virus un beau matin ? La violence remonte, seule réponse aux incohérences de mes mécanismes de défense pour refuser d’ouvrir les volets sur les réalités. La douleur est un souffle ardent, une vapeur toxique qui s’enroule autour de mes nerfs, sournoise et trop aiguë pour être affronter de face si brutalement. Je sens une soudaine dépression dans mes forces magiques. Le genre que je ressentais quand Bølga prenait forme dans les premiers jours. Violente et profonde, elle m'arrête nette, cherchant le tigre du regard sans apercevoir la moindre trace de fourrure rayée. Où est-il ? Et surtout, qu’est-il en train de foutre, bordel. «  Vos envies ne disparaîtront pas simplement parce que vous le souhaitez, ou parce que vous croyez que vous ne devez pas les éprouver. Elles seront encore là demain, et après-demain, avec des émotions en plus et un malaise probablement grandissant. » Je sais qu'il à raison, au fond. Mais je ne peux pas m’y résoudre. Pas encore. Pas comme ça. Ce serait abandonner. Avouer mon propre échec. Sauf que Ying Yue n’échoue pas. Un Amundsen doit gagner, à tous les coups. La seule façon de transformer cette vérité en réussite m’est pour l'instant inconnue, insaisissable, impensable. Le cœur s’emballe sous la poitrine de celui dont j'ai pris les traits. Tant par le maelstrom d'émotions que par la faiblesse passagère provoquée par ma fylgia, pour une raison qui m'échappe encore. Je sens son trouble qui se perd dans l'océan des autres émotions. Je sens sa tristesse, d'une profondeur que je refuse de prendre en considération. Il commence à me faire chier, lui aussi, à se montrer absent quand j'aurais le plus besoin de sa présence à mes côtés. La rage monte, gonfle dans la poitrine, bulle trop aigre et brûlante. « Il y a une boîte proche de la porte pour disposer du matériel biologique, si vous voulez vous débarrasser de votre fiole de polynectar de façon sécuritaire. » Mes yeux suivent la direction qu’il m'indique dans un éclair sombre. Un son sourd s’échappe de ma gorge, menaçant et désapprobateur avant que je ne m'arrête net, une deuxième fois, pratiquement dos à lui, le visage simplement tourné sur le côté pour le regarder en coin. « Sécuritaire pour qui ? Vous ou moi ? Vous avez peur que je décide de vous crever les yeux à force de vous écouter me poser des questions de merde ? Vous auriez pas tort. Ça pourrait arriver. De toute façon, ils vous servent à rien. » La voix tendue, dure et sèche comme une corde asséchée par un vent froid du Svalbard. J'ai vaguement conscience de potentiellement être d'un manque de savoir vivre injuste et déplacé. Mais c’est bien le dernier de mes soucis. La violence est la seule réponse viable aux tourmentes qui ronfle dans entrailles. Acculée, au pied du mur, la bête ne sait que répliquer et attaquer, crocs en avant. Quitte à être dans l’hypocrisie des pires coups agressifs. « Père et moi on se respecte. Sans condition. Arrêtez avec vos conneries, vous savez rien de moi. De lui. De la relation qu'on a lui et moi. C’est un homme droit dans ses bottes, qui sait ce qui doit être fait et je le tiens en haute estime pour ça. Sans condition, de mon côté. Et du sien. » Vraiment ? Non, je sais que non, je le sais trop bien. J'ai ses regards en preuves.  De trop nombreux souvenirs que la mémoire ne peut effacer. Ce tout jeune Ying Yue fier de son dessin de loups qui ose le montrer à son père, le regard brillant tant il s’est appliqué à se placer lui-même tel qu’il imagine qu’il sera parmi ses pairs. Ce père qui accepte, s’apprête à faire un commentaire, avant de dévier son regard vers la petite sœur et d'oublier le dessin d’un geste désintéressé sous le regard de l’enfant qui essaie d'être imperturbable. Comme on lui a appris. Droit, les mains serrées dans le dos, les joues rouges d’une chaleur cuisante qu’il ne parvient pas à faire partir, le cœur qui tambourine comme un cheval au galop. Il y a cet enfant, plus âgé, qu'il regarde avec déception face au comportement expansif de son fils qui rit trop fort au milieu des autres convives du manoir familial. Ce foutu regard de déception lorsqu'il avait annoncé qu’il avait été accepté dans la marine. Ce même regard qui n’a reflété aucune fierté brûlante quand il a obtenu son LOUPS avec les meilleures notes. Ce même regard qu'il va probablement devoir affronter, ce soir, quand il sera forcé de lui demander des comptes face aux démarches entamées auprès du patriarche Adelsköld et qu’il lui exigera de les mettre sur pause. Non, le fils Ying Yue n’a pas le même traitement plein d’orgueil du père comblé que les autres enfants de l’adelphie Amundsen. La mémoire est vile et sans filtre. A quoi me mentir. A quoi bon lui mentir. « Non, pas du sien. J’ai toujours tout fait pour le rendre fier et ne pas faire de vague, comme il dit. C’est jamais assez. C’est toujours moins bien que mes adelphes. J’aime pas me répéter, et je vous l’ai déjà dit. Je peux pas ajouter ça en plus. » Sans parler de l’attente d’un mariage prochain qu'il attend. Inutile d’en parler, cela risquerait de le mettre trop clairement sur la piste de ma véritable identité. Je sais que je n'ai pas été aussi précautionneux que je l'avais prévu, ni que j'aurais dû. Mais l'esprit ne peut retenir les fuites de tous les côtés sans laisser quelques informations filtrer.

D'un geste vif, rapide et incisif je me retourne, avant d’une enjambée la distance qui me sépare de lui pour venir me pencher sur son fauteuil, les mains appuyées sur le bord des accoudoirs, le souffle chaud de la rage légèrement plus rapide que la normale. « Vous avez l’air assez intelligent et attentif pour avoir compris pour le polynectar, tant mieux pour vous. Je suis pas là pour qu'on me brosse dans le sens du poil. Je veux des solutions. Donnez-moi les vôtres. Maintenant. Je verrais après si ça me fera changer d’avis sur l’envie de revenir. » Clairement négative pour l’instant. « Si vous me sortez une connerie du genre acceptez ce que vous êtes et faite la paix avec vos démons remballez vos beaux discours. J'en veux pas. J’ai aucun mal avec ce que je suis, mais ça c’est pas moi. » Je fixe mes yeux droits dans les siens pâles, avant de repousser son fauteuil d’un geste agacé, dans un son lourd de meuble probablement peu habitué à être déplacé quand il est occupé par son propriétaire, à la musculature largement développée.



I remеmber how I'd find you, fingers tearing through the ground. Were you digging something up or did you bury something down? In your soul, I found a thirst with only salt inside your cup.
Angelo Borghese
Angelo Borghese
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Un son sourd m'indique que mes propos n'ont pas plu à mon patient anonyme. Surprenant, vraiment. Dans les faits, sa récalcitrance n’a rien d’exceptionnel. Ceux qui viennent ici ont leurs raisons de ne pas choisir un psychomage officiel et me perçoivent comme une aide de dernier recours. Celui dont ils n’ont pas vraiment besoin, selon eux, mais qu’ils viennent quand même voir en secret, juste parce que. « Sécuritaire pour qui ? Vous ou moi ? Vous avez peur que je décide de vous crever les yeux à force de vous écouter me poser des questions de merde ? Vous auriez pas tort. Ça pourrait arriver. De toute façon, ils vous servent à rien. » Un rire rauque répond à la voix tendue. Un rire naturel, qui n’est pas forcé, et qui viendrait peut-être avec des yeux qui pétillent d’amusement, s’ils n’étaient pas fixés dans leur forme plus fantomatique. Je ne sais rien de la stature de mon patient, de son gabarit et de ses muscles. Peut-être pourrait-il réellement mettre une telle menace à exécution : j’ai une bonne forme physique, je me démerde bien au corps à corps, mais je demeure totalement handicapé, quand il s’agit de combattre avec une baguette. À une époque, ça m’emmerdait. Adolescent, je me battais pour défendre les causes qui me tenaient à cœur, je n’hésitais pas à lever la voix et le poing quand c’était nécessaire. Je m’appuyais sur mes larges épaules, qui suffisaient à en faire reculer plus d’un. Mais elles n’ont plus suffi, dès que je suis devenu aveugle. Je me souviens d’une courte baston dans une ruelle, entre deux bouteilles et trois clopes. On s’était payé ma gueule, on m’avait traité de minable. Froissé, dans mon orgueil miteux, j’avais tenté de me défendre, comme si j’étais encore Angelo Borghese, celui qui voit. Je me suis pris une sacrée dérouillée : je me suis alors dis que je n’étais qu’Angelo, l’inapte, l’alcoolique, l’inutile.

Maintenant, je suis moins dans les extrêmes. Je connais mes capacités et leurs limites, je me prends encore occasionnellement quelques coups, dans les rues, et j’en distribue bien moins – pas parce que je n’en suis pas capable, mais parce que je privilégie moins cette méthode. Derrière la violence, il y a généralement un passif, une existence pleine d’anecdotes et des émotions trop intenses. Et ce sont tous ces éléments qui m’intéressent, dans la phrase de mon interlocuteur. « Père et moi on se respecte. Sans condition. Arrêtez avec vos conneries, vous savez rien de moi. De lui. De la relation qu'on a lui et moi. C’est un homme droit dans ses bottes, qui sait ce qui doit être fait et je le tiens en haute estime pour ça. Sans condition, de mon côté. Et du sien. » J’attends, silencieux, la suite du mensonge. Ce n’est pas moi qu’il essaie de convaincre : c’est lui-même. Et c’est intéressant, comme réflexe de protection. Que pourrait-il découvrir, s’il poussait la réflexion…? Un bruit dans les escaliers, qui conduisent au second étage à aire ouverte, m’indique qu’un autre chat est en train d’entamer sa descente. « Non, pas du sien. J’ai toujours tout fait pour le rendre fier et ne pas faire de vague, comme il dit. C’est jamais assez. C’est toujours moins bien que mes adelphes. J’aime pas me répéter, et je vous l’ai déjà dit. Je peux pas ajouter ça en plus. » Sauf que le ça est déjà là. Ce n’est pas quelque chose qui s’ajoute ou qui s’enlève, pour plaire à quelqu’un d’autre. Combien ont essayé, pour ne pas décevoir les attentes familiales ? Ce thème est incroyablement – et effroyablement – récurent, à des degrés divers. Les espoirs de l’un, le désir de fierté, la déception, parfois le mépris. Tellement d’émotions intériorisées, parce que vouloir combler les objectifs et les attentes de quelqu’un d’autre, c’est inévitablement se heurter à un mur. Un son, rapide et soudain, m'indique que l'homme a fait volte-face pour se diriger vers moi. Je sens sa présence à proximité de mon fauteuil, courant d'air chaud dans une ambiance tiède. J'apprécie moins ce geste, que je juge intrusif. J'autorise bien des gens à entrer dans mon intimité, mais la notion d'autorisation est pour moi importante. Ceux que je croise dans la rue ont parfois certains gestes familiers, auxquels je m'adapte, mais je n’ai pas la même tolérance dans mon bureau. Ce n’est pas le même contexte et les limites sont importantes ; leur respect aussi. Je perçois dans l'air ses mains appuyées sur l'accoudoir, tandis qu'Hope laisse échapper un léger grognement d'agacement. Ses griffes raclent le sol, tandis qu'elle s'éloigne, probablement en direction du bureau. « Vous avez l’air assez intelligent et attentif pour avoir compris pour le polynectar, tant mieux pour vous. Je suis pas là pour qu'on me brosse dans le sens du poil. Je veux des solutions. Donnez-moi les vôtres. Maintenant. Je verrais après si ça me fera changer d’avis sur l’envie de revenir. » Un ricanement, de nouveau, m’échappe. Vraiment, ce type est un phénomène, dans certains de ses raisonnements. Je verrais après si ça me fera changer d’avis sur l’envie de revenir. Que croit-il des psychomages ? Que nous voulons à tout prix retenir nos patients, même ceux à qui l’on ne demande pas d’argent ? Qu’on leur murmure les phrases qu’ils veulent entendre, pour éviter de provoquer leur courroux ? La confrontation fait partie de nos techniques d’action, et je ne m’en passerai jamais, encore moins pour ne pas déplaire à quelqu’un. Ce déplaisir, de toute façon, est toujours le signe de quelque chose et peut être analysé. « Si vous me sortez une connerie du genre acceptez ce que vous êtes et faite la paix avec vos démons remballez vos beaux discours. J'en veux pas. J’ai aucun mal avec ce que je suis, mais ça c’est pas moi. » Mon fauteuil est repoussé, d'un geste qui aurait probablement été plus efficace, si j'avais été plus fluet. L'objet se déplace de quelques centimètres en direction de la petite table, la heurtant en douceur. La porcelaine de la tasse posée sur le bois résonne faiblement, un peu comme les battements de mon cœur. L’action, qui dépasse mes limites professionnelles, ne me plaît pas, mais ne me prend pas au dépourvu.  Il y a des raisons derrière chaque décision, même les plus impulsives ; l’homme a agi, plutôt que de prendre la parole et d’exprimer ses émotions. C’est un bon indicateur de sa gestion de sentiments complexes, ainsi que de son impulsivité.

Mes paupières s’ouvrent puis se ferment, comme si je pouvais le voir, dans ce geste réflexe de quelqu’un qui réfléchit. J’attends une seconde, puis une deuxième, en posant mon regard vide là où je devine sa présence. Un très mince sourire s’étire sur mes lèvres, bien plus doux qu’énervé. Je détache mon dos du dossier qui le supporte, affirmant : « On est d’accord sur un point, ce type de phrase est une connerie. En psychologie, on l’appelle la solution immédiate. S'il vous suffisait de faire la paix avec vos démons – qui ne sont peut-être pas ceux que vous croyez- , si c'était aussi simple que cela, vous l'auriez déjà fait et vous ne seriez pas ici, en train de tester la solidité de mon fauteuil. » Mon ton s’est fait plus moqueur, avant que je ne me redresse totalement.  Mes pieds s’ancrent sur le sol et ma silhouette se déplie dans cet espace que j’ai toujours voulu bienveillant et chaleureux. Je n’ai pas le réflexe absurde de faire rouler mes muscles ou de déplier mes bras, pour exposer leur largeur. Une telle réaction serait celle de l’Italien orgueilleux, pas celle du psychomage. Mon moi, ici, n’a pas sa place, et je me contente de tendre la main vers la petite table, mes doigts effleurant sa surface, avant de s’emparer de la tasse. Je poursuis, relevant le visage en direction de l’homme : « À ce sujet...Votre sens de l'observation sur l'inutilité de mes yeux m'impressionne largement, et je serais ravi de tester vos capacités très pratique en « crevage » d’oeils déjà cramés, mais pas ici. Vous pouvez vivre vos émotions librement dans cette pièce, tant au niveau de la colère que de l’agressivité, mais je ne tolère pas les menaces, orales ou physiques. Elles me signalent votre état d’esprit, mais ne sont pas utiles pour faire avancer la situation. Par contre, j’ai plusieurs coussins. Libre à vous de les utiliser pour pratiquer vos techniques en perçage de choses inanimées.» Hope, quelque part derrière le bureau, ricane. Je pousse légèrement le fauteuil dans l’autre sens, pour lui faire reprendre son emplacement initial, avant de me diriger moi aussi vers mon bureau. Mes pas, comme à l’accoutumée, sont assurés : « Quant au reste, je vous l'ai dit, Mr. Birkeland. Il n'y a pas de solution, parce que ça, ce désir que ne nommez pas, ce n'est pas une maladie. Et vous pouvez très bien ne pas revenir, ça vous concerne. Tout comme ça vous concerne, si vous pensez n’avoir aucun mal avec ce que vous êtes, ce que vous désirez et ce que vous aimez. Mais votre technique de répétition, pour vous convaincre, semble plutôt inefficace. » Je dépose la tasse sur mon bureau, là où elle sera probablement davantage en sécurité, avant de me retourner. Mes hanches s’appuient contre le meuble, tandis que mes bras se croisent contre mon torse, dans une position décontractée : « Vous avez avancé aujourd'hui, même si vous n'en avez peut-être pas l'impression. Vous étiez encore en train d’essayer de vous convaincre, tout à l'heure, au sujet de votre relation sans condition avec votre père. Mais vous êtes revenu sur vos paroles : vous avez relevé votre désir de le rendre fier et votre impression que ce n'est jamais assez. En somme, que vos envies ne coïncident peut-être pas avec sa vision du monde.  D’un côté, il y a lui. De l’autre, il y a vous. Et vous semblez passer en second, pas seulement après de lui, mais aussi auprès de vous-même.» Mes paroles, probablement, ne lui plairont pas. Nous avons, en très peu de temps, ouvert plusieurs boîtes et soulevé plusieurs tapis. Je peux guider sa réflexion, pas lui donner toutes les réponses ; le raisonnement doit venir de lui, que mes mots l’arrangent ou non. Je poursuis, la voix neutre : « Vous l'avez décrit comme un homme droit dans ses bottes, digne d’estime, un peu comme un modèle : selon vous, et pas selon votre père, un homme droit et estimable ne peut en aimer un autre ?» J’insiste sur le selon vous. Où en serait-il, lui, s’il n’y avait pas cette pression au-dessus de lui ?
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@Angelo Borghese  • 07 février 2024 - début d'après-midi


Il cille, calmement, pendant que je ne cesse de bouillir intérieurement, cherchant frénétiquement des portes de sortie sur les murs de la cage qui se referme autour de moi. Je ne suis pas claustrophobe, je n'ai pas peur des espaces clos, et pourtant la sensation de me sentir pris au piège est affolante. Est-ce ce genre d'émotions qui serrent la poitrine de Sebastian quand les cauchemars s'emparent de ses nuits ? La pensée parasite qui éclate comme une bulle d'eau brûlante m'arrache un infime frisson dans la nuque. Pourquoi faut que je pense à lui maintenant ? Connerie. Il n'a rien à faire dans mes pensées. Il n'a rien à voir avec tout ça. Il n'est pas concerné. Lui. Ni par cette reconnaissance de Père, cherchée comme un mirage frauduleux. Ni par le sujet de cette conversation qui secoue mes entailles jusqu'à faire vibrer mes doigts. Il ne fait même plus partie de cette famille. Il n'a rien à faire dans ma tête. Rien. Il n'est plus là.

« On est d’accord sur un point, ce type de phrase est une connerie. En psychologie, on l’appelle la solution immédiate. S'il vous suffisait de faire la paix avec vos démons – qui ne sont peut-être pas ceux que vous croyez- , si c'était aussi simple que cela, vous l'auriez déjà fait et vous ne seriez pas ici, en train de tester la solidité de mon fauteuil. » La voix du gars me ramène brutalement à la réalité. L'humour narquois qu'il utilise comme distanciation à ma propre rage ne fait que l'alimenter. Il se redresse et les yeux de l'autre sombrent dans des éclats d'un noir d'encre. Les poings ont rejoins les poches, serrés, intense, mauvais. L'envie sauvage de frapper et décharger ce trop plein de refus fourmille dans mes nerfs. Je ne le frapperai pas. Malgré toute la perte de contrôle qui est mienne dans cette pièce, je reste un militaire, sur-entrainé. Il est hors de question que je me laisse aller à une telle connerie. Ce n'est pas un homme qui s'est permis de m'insulter dans la rue. C'est un professionnel que je suis venu voir de mon plein gré. Et aussi chiant et stupide soit-il, j'ai quelque réticence à lui foutre mon poing dans la mâchoire. Un reste d'égo qui se croit encore en mesure de gérer tout ça et de trouver des solutions pour passer au-dessus de ce qu'il n'a pas réussi à endiguer au cours de ces quinze dernières années. Oui, l'égo a encore besoin de se dire qu'il n'est pas entièrement en train de perdre pieds. « À ce sujet...Votre sens de l'observation sur l'inutilité de mes yeux m'impressionne largement, et je serais ravi de tester vos capacités très pratique en « crevage » d’oeils déjà cramés, mais pas ici. Vous pouvez vivre vos émotions librement dans cette pièce, tant au niveau de la colère que de l’agressivité, mais je ne tolère pas les menaces, orales ou physiques. Elles me signalent votre état d’esprit, mais ne sont pas utiles pour faire avancer la situation. Par contre, j’ai plusieurs coussins. Libre à vous de les utiliser pour pratiquer vos techniques en perçage de choses inanimées. » Son humour me fait définitivement chier. Ses piques moqueuses et narquoises pourraient être de celles que je pratique moi-même en temps normal. Sauf qu'on est pas en temps normal. Que mes pensées se flottent dans des vents contraires furieux comme des bouts lâchés de leurs attaches. Elle me fouettent le crâne ces pensées déchaînées. Les images des souvenirs diverses se succèdent les uns aux autres dans une suite illogique. Tout me devient agressif aux sens. Le ronronnement âcre du chat qui est revenu se frotter contre mes chevilles, le sourire ridiculement narquois du Borghese, les odeurs trop agréables du lieu qui me donnent sans cesse l'impression d'être sur un voilier en pleine mer alors qu'on est au milieu d'un foutu bar des quartiers populaire en plein milieu d'un Göteborg aux odeurs sales et multiples. Le ricanement exécrable du tigre de l'aveugle qui me donne envie de lui jeter ses coussins sur nez. L'absence de Bølga me dérange et l'envie de l'appeler me démange la langue depuis cette étrange histoire de perturbation magique dans notre lien. Alors ses coussins, il peut se les enfoncer tout seul dans la bouche avec sa tasse de café. Je me tourne franchement vers lui cette fois quand il reprend la direction de son bureau. « Quant au reste, je vous l'ai dit, Mr. Birkeland. Il n'y a pas de solution, parce que ça, ce désir que ne nommez pas, ce n'est pas une maladie. Et vous pouvez très bien ne pas revenir, ça vous concerne. Tout comme ça vous concerne, si vous pensez n’avoir aucun mal avec ce que vous êtes, ce que vous désirez et ce que vous aimez. Mais votre technique de répétition, pour vous convaincre, semble plutôt inefficace. » Ou alors, elle est trop efficace, justement. Elle l'était jusqu'à récemment. Pourquoi ? Je ne saurais dire, mais ces derniers mois il m'est devenu plus difficile de lutter contre l'envie de ne plus résister. De ne pas fuir à chaque contact trop rapproché, aux souffles qui se croisent dans une chaleur venue du fond de l'estomac. L'usure, peut-être ? Ou alors des pensées insensées qui avaient fait leur bout de chemin quand, prisonnier des emprises magiques d'une créatures, les poumons brûlants d'air manquant, j'avais songé à la connerie que c'était de se restreindre tout le temps quand on frôle la mort à chaque fois qu'on quitte le port navale. Je secoue la tête, détourne mon regard, tente vainement de refermer les serrures qui sautent de tous les côtés. J'aurais pas dû venir. J'aurais pas dû céder à cette peur. J'aurais dû travailler plus dur, de mon côté. C'était un moment de faiblesse qui m'avait fait prendre rendez-vous avec lui. Oui, c'est ça. J'ai été faible, déconcentré par d'autres conneries. Comme Arsinoe et les démarches de fiançailles des paternels. Je me déteste quand je me vois faible comme ça. C'était une putain d'erreur. Je le vois maintenant clairement quand je reporte mon regard sur les yeux flous de l'homme qui me fait face, un sourire presque goguenard sur les lèvres. La fièvre rend mes yeux humides, de rage, de cette chaleur ardente qui consume la force mentale pour la rendre dangereusement poreuse. « Vous avez avancé aujourd'hui, même si vous n'en avez peut-être pas l'impression. Vous étiez encore en train d’essayer de vous convaincre, tout à l'heure, au sujet de votre relation sans condition avec votre père. Mais vous êtes revenu sur vos paroles : vous avez relevé votre désir de le rendre fier et votre impression que ce n'est jamais assez. En somme, que vos envies ne coïncident peut-être pas avec sa vision du monde.  D’un côté, il y a lui. De l’autre, il y a vous. Et vous semblez passer en second, pas seulement après de lui, mais aussi auprès de vous-même. » A ce niveau de la conversation, j'ai juste envie qu'il ferme sa gueule. Il se trompe, sur toute la ligne. Ou presque. Nous ne partageons pas la même vision du monde, Li-Zhu et moi. Nous le savons depuis toujours lui et moi. Il juge que seul la rigueur et la rigidité sont légitimes. Que l'amusement ne doit jamais déborder sur le reste. Alors que pour moi la rigueur n'est pas contradictoire à un amusement réel et joyeux. On peut aimer, sincèrement, la beauté d'un travail bien réalisé, fait avec soin et précision. On peut aimer la beauté des fleurs et cette façon unique qu'on les pétales de trouver leurs couleurs, tout en appréciant la rigueur qu'il faut pour avoir la chance de les voir s'ouvrir. Non, je ne veux pas calquer ma vision du monde sur la sienne. Mais je voudrais qu'il juge la mienne comme aussi valide que la sienne. Quand à savoir si je passe en second. Evidemment. Tant qu'il un des bêta de la meute. C'est une réalité, la nôtre, celle des loups, plus fortes que mon égocentrisme pourtant largement développé en dehors. « Vous l'avez décrit comme un homme droit dans ses bottes, digne d’estime, un peu comme un modèle : selon vous, et pas selon votre père, un homme droit et estimable ne peut en aimer un autre ?» Je secoue la tête, une deuxième fois, les dents serrées par la rage qui gronde. En quelques enjambées raides je suis à nouveau proche de lui. Sa large stature est loin de m’impressionner, je ne m'attarde pas dessus, encore moins à détailler la largeur de ses biceps. Les poings toujours serrés dans mes poches tremblent légèrement et ma voix gronde, trop grave, trop profonde, trop nerveuse et sèche à la fois : « Non. Racontez pas de connerie. L'amour ça sert à rien. Je parlais de penchant, c'est déjà suffisant. Aimer c'est pour les égoïstes qui s'en foutent de laisser les autres derrière. Y a rien d'estimable à aimer un autre homme. C'est inutile et franchement con. » Je détourne le regard, sentant une nouvelle fois la désapprobation rouge de ma fylgia, sans l'apercevoir nulle part. Reportant mon attention sur l'homme, je me focalise une nouvelle fois sur les expressions de son visage, et la rage flambe de plus belle. « Ca vous fait marrer de m'écouter vous exposer mes craintes. Vous faites un psychomage pitoyable. Vous demandez des conditions d'assiduité avant de commencer vos séances, mais derrière vous en avez rien à foutre de nous voir revenir ou non. Vous en avez rien à foutre que je parte, vous me retenez pas. Non seulement vous m'êtes inutiles, mais en plus votre parole vaut que dalle. Peut-être bien oui, que je passe en second après mon Père, parce qu'il sera toujours au-dessus de moi dans la hiérarchie. C'est pas un problème. Mais lui au moins je peux compter sur sa parole. Quand il dit mettre en place des choses, il les fait jusqu'au bout sans se dégonfler. Faut avoir peu de morale pour se foutre de la gueule d'un gars qui vient vous dire des trucs qu'il a jamais osé dire à personne avant. Vous inquiétiez pas pour votre gueule inutile, je m'amuse pas à prendre le risque de me casser un ongle pour si peu. Inutile de me retenir, visiblement laisser vos patients potentiels dans la nature ça vous dérange pas, continuez comme ça. » Dans un volte-face sec, je me détourne de lui, de son foutu tigre moqueur, de son image trop calme, des tourments qui m'assaillent dans un mal de crâne qui vrille mes yeux. Le poing gauche sort de la poche pour agripper la poignée de la porte et l'ouvrir d'une volée puissante. Le battant craque, un gond saute, comme toujours. Classique Ying Yue Amundsen enragé. Sauf que cette fois ce n'est pas porte, que je ne me retourne pas pour la ramasser dans un soupire agacé. Je m'arrête cependant sur le pas de la porte, tournant mon visage vers lui dans un reniflement de dédain, avec, l'espoir, peut-être, qu'il me retienne ? Non. Avant qu'il ne puisse le faire, je reprends ma marche, plus proche de la course au vue des enjambées immenses qui s'empressent de quitter la pièce, le couloir, qui passent les tables sans même les voir, jusqu'à ce que le lien magique se tende, se torde, s'étire, et se rétracte.

Bølga s'est enfin décidé à bouger de sa cachette de derrière le canapé. Qu'y faisait-il ? Impossible de savoir. Seule, une plume d'un rouge flamboyant témoigne, pour l’œil attentif, d'une présence animale qui a attendu là, pendant que son sorcier se débattait avec des incohérences qu'il refuse de voir en face.

J'ai transplané à peine sorti du bar. Assis contre un arbre, je regarde sans savoir pourquoi, le cimetière qui s'étend devant moi. Ma tête roule en arrière, rencontre l'écorce rude du feuillu. Les paupières mi-closent laissent passer un regard brûlant. Je ne sais pas ce que je fais ici. Un chois instinctif qui n'a rien de rationnel. Les iris s'accrochent au nom de la pierre qui me narguent. Ou qui m'appelle. Je ne sais pas. Comprend-elle seulement que je puisse être là ? Me reproche-t-elle de l'être ? Pourquoi Ying Yue, maintenant ? Seulement maintenant ? Après toutes ces années ?. Elle semble dire quelque chose comme ça, cette tombe. Et c'est sa voix que j'entends. Cette voix qui me semblait avoir à jamais oublié, perdue dans l'effacement du temps lointain de l'enfance. « C'est normal de craindre la douleur Ying Yue. Maintenant que tu la connais, elle fait partie de toi, à jamais. - Mais les autres n'ont pas peur Maman. Je veux être un loup-garou. - Tu apprendras à ne plus la craindre, tu sais qu'elle est éphémère, et que tu ne vas pas en mourir. - Et si les autres ne m'acceptent pas ? - Tu fais partie de la meute mon fils, tu auras toujours ta place. Dors, maintenant, tu dois être en forme pour ta première pleine lune avec les autres. Tu seras parfait, je n'en doute pas une seconde. » Le souvenir m'envahit dans une vague qui submerge tout le reste. Elle était restée longtemps, cette nuit-là, sa main sur mon front, à tenir mes cauchemars à l'écart. C'était elle qui gérait mes peurs. Ca a toujours été elle. Peut-être que c'est pour ça que je ne suis jamais venu ici. Parce qu'il aurait fallut que j'accepte que mes peurs ne sont pas toutes mortes avec elle. Et celle qui brûle dans mes yeux déversant une unique goutte d'océan le long de mon oreille, cette peur-là mériterait ses conseils pour être domptée.



I remеmber how I'd find you, fingers tearing through the ground. Were you digging something up or did you bury something down? In your soul, I found a thirst with only salt inside your cup.
Angelo Borghese
Angelo Borghese
GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden
L'homme se rapproche, encore. Je ne bouge pas, ne me met pas dans une position plus défensive. Est-ce que je le crois capable de me frapper ? De ce que j'ai perçu de son attitude, oui. Est-ce que ça me dérangerait ? Forcément. Quand ce genre de situation se présente, surtout dans mon bureau, quand l’un de mes patients dépasse ma limite, je dois prendre une décision difficile. Accepter de le revoir ou non. Généralement, je choisis la première option. J’ai du mal à laisser des gens derrière et j’ai l’habitude de me retrouver avec ce genre de cas.

La plupart de mes anciens collègues refusent, avec raison, de revoir des patients qui ont eu un comportement agressif. Tous ne sont pas à l'aise dans ce genre de situation, et le respect de nos limites est tout aussi important que le respect de celles des personnes que nous accompagnons. Mais il faut bien que quelques personnes, dans la profession, acceptent d'approcher ceux qui sont les plus difficiles à aborder. Sinon, ce serait les condamner à ne jamais pouvoir évoluer. En troquant mon titre officiel de psychomage pour celui de travailleur de rues, j'ai accepté que ce genre d'événements soit fréquent dans mon quotidien. Je peux affirmer, sans orgueil, que je ne crains ni les coups ni la mort. Le premier arrive, occasionnellement, et ne peut m'enlever davantage que ce que j'ai déjà perdu. Le second surviendra, inévitablement, un jour ou l'autre. Quelqu'un a été là pour moi dans un moment où j'étais pathétique ; je n'abandonnerai pas ceux qui sont dans une mauvaise passe, qu'importe les claques que je me prends au passage. « Non. Racontez pas de connerie. L'amour ça sert à rien. Je parlais de penchant, c'est déjà suffisant. Aimer c'est pour les égoïstes qui s'en foutent de laisser les autres derrière. Y a rien d'estimable à aimer un autre homme. C'est inutile et franchement con. » Intérieurement, je suis en accord avec la plupart de ses propos. Aimer, c’est inutile. Aimer, c’est inévitablement laisser des gens derrière et leur faire du mal. Cette pensée est néanmoins peu rationnelle ; elle est issue de mes expériences passées, pas d’une observation juste de la réalité. « Ca vous fait marrer de m'écouter vous exposer mes craintes. Vous faites un psychomage pitoyable. Vous demandez des conditions d'assiduité avant de commencer vos séances, mais derrière vous en avez rien à foutre de nous voir revenir ou non. Vous en avez rien à foutre que je parte, vous me retenez pas. Non seulement vous m'êtes inutiles, mais en plus votre parole vaut que dalle. Peut-être bien oui, que je passe en second après mon Père, parce qu'il sera toujours au-dessus de moi dans la hiérarchie. C'est pas un problème. Mais lui au moins je peux compter sur sa parole. Quand il dit mettre en place des choses, il les fait jusqu'au bout sans se dégonfler. Faut avoir peu de morale pour se foutre de la gueule d'un gars qui vient vous dire des trucs qu'il a jamais osé dire à personne avant. Vous inquiétiez pas pour votre gueule inutile, je m'amuse pas à prendre le risque de me casser un ongle pour si peu. Inutile de me retenir, visiblement laisser vos patients potentiels dans la nature ça vous dérange pas, continuez comme ça. » Cet homme a le sens du drame et sait comment tirer efficacement ses munitions, je dois lui concéder. Mes sourcils se sont légèrement froncés, ma machoîre s’est un peu serrée. Ce genre de discours, sur quelqu’un qui doute de ses propres capacités et qui a le syndrome de l’imposteur en relations d’aide, serait totalement néfaste. Ou rudement efficace. Quand on commence dans la profession, on a toujours peur de ne pas parvenir à réchapper les gens au bon moment. De ne pas être utile ou assez aidant. J’ai besoin d’au moins huit secondes, pendant lesquelles l’homme se dirige vers la sortie, pour me raisonner. Huit secondes où le doute, momentané, aurait pu luire dans mes iris bleutés s’ils avaient encore leur expressivité. Suis-je vraiment en train de le laisser tomber et de me foutre de sa gueule…? Suis-je en train de l’abandonner, en refusant de le retenir ? Si je laisse de côté mes émotions, mes propres craintes et mes incertitudes, la réponse est non.  Objectivement, je fais mon boulot ; c’est sa propre vision qui est teintée, probablement en raison d’un problème d’attachement, qui se laisse percevoir dans ses propos.

La porte s’ouvre avec trop de puissance et j'entends le son d'un gond qui saute. Un court moment de pause s'ensuit, sans que je n'intervienne. Les cartes, celles de sa destinée et de ses choix, sont entre ses mains, pas entre les miennes. Le silence s'évanouit alors que ses pas reprennent, s'enfonçant plus loin dans le bruit ambiant, avant de disparaître. Je ne soupire pas. Je ne gronde pas, ne râle pas, ne gueule pas. Je me contente de me pencher un peu vers la droite, pour attraper au hasard un parchemin sur le bureau, dans une pile que je sais vierge. D’un sort, j’y inscrit quelques mots : « Faut encore réparer la porte. Tu peux passer dans une dizaine de minutes ? Je prendrai ta relève au café. Ce genre de réparation, qui implique au minimum un contact visuel, m’est difficilement accessible. Je plie la missive, avant de l’ensorceler, pour qu’elle s’envole vers mon serveur. Lui, très certainement, va râler. Il était déjà d’assez mauvaise humeur, la dernière fois qu’il a dû réparer la porte. « Vous devriez pas accepter ce genre de types », qu’il me disait. J’avais dû lui expliquer que c’était spécifiquement ce genre de types que je voulais recevoir chez moi.  

Je contourne mon bureau, pour m’asseoir derrière et noter les détails de la rencontre. Hope, exceptionnellement, ne me lance aucun commentaire moqueur. Elle appuie doucement sa tête contre ma jambe, et je glisse mes doigts contre sa fourrure, rigolant :   « Ma confiance en moi en a presque pris un coup. » Mon ton sonne faux. Même si je différencie les faits objectifs des doutes liés aux émotions, même si je sais que je ne suis pas coupable, je ne peux pas chasser entièrement mes interrogations. « Il a été rude. » Je secoue la tête dans un signe de négation, tout en trempant ma plume dans mon pot d’encre. Je me trompe sur sa position, mon index se teintant très probablement de noir. « Pas plus que Pedro la semaine dernière. Il se défendait, il souffre. Et il n’avait pas tort sur un point…L’amour ça sert à rien. » Cette phrase, peut-être plus que les autres, a touché à certaines cordes sensible. Elle m’a rappelé Ève et ce qui arrive, quand on aime trop. Du chaos. Et des pertes. L’amour n’est pas un miracle, qui peut être sauvé dans toutes les circonstances. Pour certaines personnes, dont moi, il est plus simple de le laisser à d’autres. « Angelo. » La désapprobation résonne dans la voix du tigre, alors que je laisse échapper un léger rire : « T’en fait pas Hope, je dirai jamais ça devant un patient. » J’ensorcelle la plume, pour qu’elle commence à noter ce que je lui dicterai, tandis que ma fylgia rétorque : « C’est pas ce qui m’inquiète. » J’hausse les épaules, sans vouloir approfondir le sujet. Pour moi, il est classé. Je suis peut-être habitué à aider les autres à exprimer leurs émotions, mais je suis encore incapable de ne pas enfouir les miennes.
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