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Ici, y'a pas de portes à claquer (Ying)
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Angelo Borghese
Angelo Borghese
GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden
Les poings martèlent rageusement le sac de boxe. Ils touchent leur cible, même si je ne la vois pas, dans cette habitude du corps qui s’entraîne fréquemment et qui est habitué de se fier à ses autres sens. Hope ne dit rien, mais fait des cercles dans ma salle d’entraînement, agacée. Et triste.

Nous le sommes tous les deux.

Je frappe plus fort, jusqu’à sentir mes jointures résister plus difficilement aux impacts répétés de la chair sur la surface lisse. Le désavantage d’être aveugle, outre tous ceux qui sont visibles – ou plutôt, qui ne le sont pas – c’est que l’absence d’images laisse trop de place aux réflexions et aux souvenirs. Et celui d’aujourd’hui…

Mon poing heurte le vide, me débalançant dans mon élan. Je me rattrape d’une main au sac, un juron au bord des lèvres. Bordel d’handicap. Est-ce que ça aurait été différent, pour lui, si j’avais pu les voir ? Est-ce que le dernier chapitre aurait été modifié, si son foutu psychomage de merde avait de vrais yeux, plutôt qu’une langue qui ne sert à rien ?

Mon bras est demeuré enroulé autour du sac. L’autre poing frappe, encore, encore et encore, toujours plus fort. Des impulsions douloureuses glissent de ma main jusqu’à mon bras, mais je les ignore. Je songe à la voix de la mère de Pedro, quand elle m’a annoncé la nouvelle cet après-midi : « El funeral será el próximo jueves.» Je m’étais inquiété de son absence, dans les derniers jours. Il n’était revenu ni dans mon bureau ni dans les coins que je fréquente : j’avais cru qu’il m’ignorait volontairement, vu le déroulement de la dernière scène, où je l’avais confronté un peu plus durement sur sa consommation excessive. J’avais bien compris, que ce n’était pas occasionnel. Mais je n’avais pas cru, pas capté, que c’était à ce point. L’ekstaseavild, cette saloperie consommée par trop de sorciers, a eu sa peau. Et je n’ai rien fait. Ou plutôt, je n’en ai pas assez fait.

Mes jointures sont humides, le sac aussi. L’air empeste la rage et les regrets, des émotions que je devrais mieux contrôler. Une sueur moite me colle à la peau, alors que je me redresse. J’attrape une serviette, que je passe autour de mon cou avec une force totalement ridicule, avant de me diriger vers ma douche. En colère, contre moi-même.

Une trentaine de minutes se sont écoulées, lorsque je transplane devant le Bøddelbar. Je me suis habillé simplement, comme je le fais toujours lorsque je viens dans ce quartier. Un jean, un t-shirt sans logo – sauf si Hope a joué un tour dans mon dos, mais je doute qu’elle le ferait ce soir. Ma main est serrée trop violemment autour de la poignée d’un petit chariot, que j’utilise très occasionnellement. À l’intérieur, plusieurs sacs aux formes et aux contenus variés. Mes jointures, que j’ai soignées sommairement, m’élancent encore, mais je m’en fous éperdument. Je ne suis pas d’humeur à grand-chose ; je redoute les échos que j’entendrai ce soir auprès de mes informateurs habituels, tout en ayant infiniment besoin d’entendre les dits échos. Comprendre où j’ai merdé, qu’est-ce que je n’ai pas vu, qu’est-ce que j’ai loupé.

Un simple coup de tête contre mon autre main m’indique que celui que j’attendais est arrivé. Hope conserve sa position : je connais bien ce coin, mais mes pas sont moins habiles dans un environnement aussi large, qui n’est pas mon espace habituel.   « Je vous appelle encore Oskar ce soir ou vous avez envie d’un autre nom ? » Ma voix, bien que moqueuse, est tout aussi douce qu’à l’accoutumée. C’est feint. Je n’ai pas ma patience habituelle et je me sens déjà agacé de cette présence, qui risque de trop me rappeler l’autre.

J’aurais dû annuler ce rendez-vous.

Nous avons des règles, en psychomagie. Quand nous ne sommes pas émotionnellement stable, quand nous ne sommes pas en état d’interagir avec neutralité et professionnalisme, il vaut mieux remettre une rencontre. J’aurais dû, oui, mais je ne l’ai pas fait.
Ying Yue Amundsen
Ying Yue Amundsen
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Ici, Y'a Pas De Portes À Claquer


@Angelo Borghese  • 12 février 2024 - Soirée


J'aurais dû annuler. Ou simplement ne jamais accepter. C'était une idée de merde, mais je n'avais pas réussi à résister à la provocation puéril de son courrier. Continuez à fuir. Non, je ne fuis pas. Je suis pas de ceux qui se détournent des problèmes. Pas quand j'ai mis le pied dedans. Plus à ce sujet. Pas comme ça en tout cas. J'ai voulu annuler, toute la journée, mais bloqué à la base à préparer le régiment pour le départ du lendemain, je n'avais pas pu sortir relever mon courrier de la boîte postale donnée au psychomage. Il est trop tard pour annuler maintenant. Le regard plongé dans mon miroir, j'observe les traits de l'homme pris grâce au polynectar avec dégoût. Le visage est grossier, trop marqué de rides d'expressions qui ne me correspondent pas, les cheveux courts et bouclés d'un châtain clair me laissent perplexe et je déteste ses canines trop petites. Je résiste à l'envie de lui percer l'oreille d'un coup de baguette pour y placer au moins un de mes anneaux fétiches. Ce serait déjà une part de moi, et moins j'en montre, mieux c'est. Non ? Le psychomage récolte déjà suffisamment de détails explicites sur ma vie personnelle, inutile de lui faciliter la tâche.

D'un geste rageur je retire la chemise passée sur les épaules - à peine musclées - de l'homme. Qu'est-ce qu'il avait écrit ? Éviter l'allure d'un fils de bonne famille. Qu'est-ce qu'il va foutre dans les quartiers populaires qui craignent, les lundis soirs ? Mon nez se retrousse, le souffle gronde dans la gorge et je secoue la tête avant d'aller ouvrir mon dressing d'un coup main énervé. Difficile de laisser les chemises de côté, les doigts effleurent les tissus variés avant de s'arrêter machinalement sur celle brodée d'un serpent aux reflets d'émeraude. Quand je remarque sur laquelle je me suis arrêté, une lueur sombre traverse les iris. Un nouveau souffle agacé s'échappe de mes narines, tirant un simple t-shirt noir, un de ceux de mes anciens uniformes, avant de refermer sèchement le battant coulissant.

Assis sur mon lit, les coudes posés sur mes genoux, je joue nerveusement avec les pattes du petit loup qui couine de joie. Je pourrais ne pas y aller. La pensée traverse la tempête du crâne dans un éclair blanc qui me fait grogner. Non, je ne suis pas du genre à me défiler. J'ai besoin de se rendez-vous, parce que depuis la dernière fois, ma tête est devenu un enfer de questions et de réflexions invasives. Parce que ma rancœur le concernant est aussi tenace que profonde. L'envie de me venger de son ton moqueur et de ses fausses insinuations a pris toute la place et masque les autres émotions. Ce n'est que ça. Un besoin de vengeance. Rien d'autre. Profitant de ma distraction, je sens la petite peluche se rouler dans le creux de la main. Douce sensation qui chatouille l'épiderme sans parvenir à retirer l'énervement qui consume mes nerfs. Pourtant je la laisse-là, observant la couleur flamboyante de son poil, ressassant encore et encore la même question qui finit toujours par jaillir : comment il sait ? Dans un soupir amer je dépose délicatement le louveteau endormi sur l'oreiller sous le regard doux de Bølga allongé sur ma couverture. « On va être en retard. » La voix calme du tigre me tire de mes pensées, haussant les épaules dans une moue boudeuse. « T'as pas intérêt à me refaire les mêmes conneries que la dernière fois, toi. J'ai déjà assez à gérer d'un connard qui se croit drôle, pour avoir envie de demander ce que tu fous à t'amuser avec tes transformations. » La queue du tigre fouette l'air, agressif et tout aussi agacé que moi. Ça promet une belle soirée pleine de bons sentiments.

Debout devant mon miroir, j'observe une nouvelle fois l'effet des habits choisis. J'essaie de tester les émotions du visage emprunté, tente de lisser les marques d'expression ancrées dans la chair, sans succès. Résigné, j'attrape la veste choisie, assez longue, d'un bleu marine profond, la plus élimée de ma collection,  et la passe sur mes épaules. Je glisse la flasque de polynectar dans la poche intérieure, vérifie que ma baguette est elle aussi bien place, avant de claquer la porte de mon appartement derrière moi dans un dernier grognement agacé.

Le Bøddelbar se dresse devant moi. Posé dos au mur d'en face, je me retiens de plisser trop clairement le nez de dégoût face à l'odeur de poissons morts qui embaume les rues étroites de cette partie du quartier très populaire. L'ambiance y est particulièrement lourde, sale, comme s'il y régnait toujours une tension palpable. Malgré la nervosité qui tend mes nerfs comme des cordes d'amarrage, je dois reconnaître que le fond de l'air a quelque chose d'électrisant. Une odeur de chaos qui leur jaillir à tout instant et qui titille mon instinct de loup. Immédiatement mis sur le qui-vive, mes sens en alertes se délectent des regards en coin que l'adresse une femme qui passe, lentement, sur le trottoir d'en face, le visage mangé par une large capuche. L'ombre d'un sourire tend tout aussi lentement le coin de mes lèvres quand mon regard se plante avec calme dans ses yeux inquisiteurs. Je ne suis pas habitué de ces quartiers, de leurs tensions et encore moins de leurs problématiques. Mais le chaos est mon rayon, il nourrit cette partie sauvage qui se déploie facilement au contact des comportements destructeurs des autres. Peut-être bien que la soirée pourrait ne pas être si déplaisante que cela.

Le craquement d'un transplanage résonne. La silhouette massive qui s'inscrit dans ma vision périphérique fait immédiatement redescendre l'enthousiasme de ma dernière pensée. Pourtant je ne quitte pas tout de suite la femme des yeux, attendant qu'elle ait tourné au coin de la rue pour darder un regard que l'endroit a rendu sauvage, sur le psychomage qui se dirige droit sur moi. Il tire un lourd chariot derrière lui, guidé par le tigre blanc collé contre sa hanche. Un rictus de dédain filtre et s'accroche aux lèvres quand il me salut d'une voix qui sonne moins calme que la dernière fois, bien que toujours aussi moqueuse. « Je vous appelle encore Oskar ce soir ou vous avez envie d’un autre nom ? » Le ton est déplaisant, agaçant, et le désir de vengeance se refait plus vivace. « Monsieur Birkeland. » La réponse claque, dure et tranchante, presque autoritaire. Un ton de Løjtnant qui rappelle à un soldat le respect qui lui est dû. Un ton qui se veut tout, sauf amical. « Vous trainez le cadavre du gars qui vous avez tabassé avec vos poings ? C'est ça vos «sacs» à transporter ? Vous faites le sale travail des mafieux locaux ? » La voix trop grave du gars rend mes remarques plus grondantes que menaçante. Pourtant, malgré moi, une infime lueur intriguée perce dans mes iris qui se pose avec curiosité sur les sacs aux contenus indéchiffrables.



I remеmber how I'd find you, fingers tearing through the ground. Were you digging something up or did you bury something down? In your soul, I found a thirst with only salt inside your cup.
Angelo Borghese
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Je viens souvent dans ce coin. J’en connais les dédalles, les aspérités, les bâtiments et les impasses. J’en connais le son que le vent d’hiver fait lorsqu’il frappe les pavés enneigés, j’en connais le son des chaussures qui s’enfoncent dans l’eau boueuse d’un printemps encrassé. C’est une rue vivante et écœurante, à l’odeur âcre de la misère et des préjugés. Une rue que les touristes fuient comme la peste lorsqu’ils s’y aventurent par inadvertance, une rue où les aurors ne viennent que pour faire des arrestations et des sermons. Une rue d’abandon, une rue sans pardon, une rue chargée d’émotions.

J’ai mis une année complète à apprivoiser, graduellement, ceux qui la fréquentent. D’abord, les petits caïds, pas bien méchants, qui y errent à la sortie des bars. Et puis les autres qui s’y tiennent en soirée, faute de mieux, habitués à la malpropreté et à la pesanteur, habitués au parfum des poissons morts et aux cris trop fréquents. Ceux-là, plus sauvages, trop accoutumés de se faire dire je vais t’aider par des gens qui les ont ensuite abandonnés, ont été les plus difficiles à approcher. Pedro en faisait partie. Il habitait dans l’un des logements à droite du bar, chez sa mère, avec son petit frère. Il s’attachait, graduellement, à son rythme. Il m’avait dit, lors de notre première rencontre, qu’on pouvait se fier à personne. Il m’avait dit que les causes perdues sont les plus faciles à laisser tomber, que les intervenants voulaient des résultats, et qu’avec lui, y’en avait jamais. Il m’avait dit « Angel, Angel, faut savoir quand baisser les bras », il m’avait dit « le soleil, même moi je le vois pas ». . Il avait dix-sept ans dans son corps, bien plus dans son passé. C’était un gosse, j’étais l’adulte, et je ne suis pas parvenu à le sauver.

J’y songe alors que la réponse de celui que j’ai invité claque, d’un ton presque autoritaire. « Monsieur Birkeland. » Mes dents se serrent. En temps normal, ça me ferait sourire, peut-être même rire. Pas ce soir. Et ma réaction m’indique clairement que j’ai fait une erreur : je n’aurais pas dû lui demander de venir. « Vous trainez le cadavre du gars qui vous avez tabassé avec vos poings ? C'est ça vos ‘’sac’’ à transporter ? Vous faites le sale travail des mafieux locaux ? » Je suis habitué aux provocations. Je suis habitué aux insultes, aux joutes verbales, aux tests. Je suis habitué, oui, et pourtant, en cet instant, je ne parviens pas à conserver mon calme. Mes réflexes de psychomage se sont fait la malle : il ne reste que ceux d’Angelo, le sanguin, l’impulsif, celui qui cognait trop vite quand il était ado, celui qui avait trop d’idéaux. J’en oublie presque mon désir d’aider ce type, les veines trop rouges, le cœur trop brûlant, les yeux trop humides.

Mon poing se resserre contre la poignée du chariot, tandis que le second s’enfonce dans la poche de mon jean, pour ne pas être tenté d’aller ailleurs. Mes traits ont perdu de leur bienveillance ; un tic nerveux s’agite sous ma paupière, sans que je ne le remarque. « C'est marrant, que vous parlez de cadavre. Spécifiquement ce soir. » Ma voix n’est pas froide, mais elle n’est pas aussi chaleureuse qu’à l’accoutumée. Je me concentre sur l’air qui pénètre dans mes poumons, pour chasser une colère qui n’a pas sa place. Concrètement, cet homme n’a rien fait. Il a besoin d’aide, comme les autres, comme Pedro. Il n’a pas à supporter les événements qui m’impactent ou mes propres émotions. Je me tourne légèrement de côté, de façon à lui faire face : « Mettons les choses au clair, Oskar. » J’insiste sur le prénom, un fin rictus moqueur s’étirant sur mes lèvres. Je veux bien l’accompagner gratuitement dans ses tergiversations, je veux bien ne pas l’abandonner. Mais avec mes règles, dans un respect minimum : je ne suis pas son subordonné et son ton autoritaire, il peut le garder avec ceux de sa profession. « Je vous ai invité ni en tant que psychomage, ni en tant que patient. C'est pas une séance, plutôt une longue conversation. » C’est surtout une erreur, mais je ne le mentionne pas à voix haute. Je doute que quelque chose de bon ou d’utile puisse surgir de cette soirée et cette simple pensée devrait suffire à ce que je lui fixe un autre rendez-vous, à une autre date. Pourtant, je ne le fais pas. Je me contente de reprendre, plus calmement : « Je me suis dis que ce cadre était peut-être plus adapté à votre caractère qu’un bureau trop officiel, avec des chats qui vous agacent. Mais si ces termes ne vous conviennent pas, vous n’êtes pas obligé de m’accompagner. » Est-ce que j’espère qu’il se rétracte ? Peut-être bien. Mais je n’ai pas le temps de prolonger cette réflexion : des pas à ma gauche, rapidement suivis d’une voix connue, résonnent. « Borghese ! On se demandait si t'allais venir, vu ce qui est arrivé. » Je souris, cette fois avec sincérité, alors que je me détourne d’Oskar pour aller vers le côté du chariot, dont j’ai relâché la poignée. Je glisse mes doigts sur l’avant des sacs, sur lesquels se trouvent de minuscules points bombés, tout en répondant d’un ton moqueur : « Toujours au poste. Faudrait que je perde la vue pour pas venir. Tiens, j'ai un truc pour toi et les mômes. » J’attrape la courroie du sac que je viens d’identifier, me redressant. Me fiant aux bruits entendus, je tends l’objet rempli de provisions à Vikko, que j’ai reconnu sans peine. Il m’allège rapidement de mon fardeau, sans me remercier. Un court silence s’installe, qui me signale qu’il vient probablement de remarquer mon invité : « Chi è questo ragazzo? » « Oskar. » L’homme se racle la gorge bruyamment, puis lâche son verdict : « Sa tronche me revient pas. » Je me demande bien à quoi ressemble la tronche en question. Je lui avais pourtant bien dit de faire gaffe à son apparence, vu qu’il en avait la possibilité…Il s’est habillé comment ? « Évitez d'aller dans le coin du Fiskerbass, y'a de nouvelles bandes depuis hier soir. Seul, tu réussirais peut-être à les approcher mais avec lui... Non funzionerà mai. » Mes sourcils se froncent, ma machoîre se serre. Difficile – et impossible – de ne faire aucune association entre ces nouvelles bandes et la progression trop rapide de l’ekstaseavild dans les quartiers les plus à risques. « Compris. Est-ce qu'ils sont liés à ...? » « Aucune idée. Désolé de pas avoir plus d'info. » Ma main se tend vers l’avant, pour donner une claque amicale dans le dos de l’homme. Le coup résonne avec un peu trop de force, réveillant la douleur de mes jointures. « T'en fait pas, Vikko. Tu devrais même pas avoir à m'en donner, si ces bastardi incompetenti faisaient leur boulot correctement. » Sauf qu’ils ne le font pas. Et des gamins crèvent.

L’homme me salue d’une bourrade tout aussi énergique, avant de s’éloigner d’un pas plus traînant, probablement en raison du sac qu’il porte désormais. Je me penche pour récupérer la poignée du chariot, mes doigts frôlant deux-trois pavés avant de la trouver. Je me redresse, sans gêne, reportant mon attention sur celui qui ne doit pas rêver de passer cette soirée avec moi. Je ne cherche pas à expliquer ma conversation, me contentant d’affirmer d’un ton mi-amusé, mi-agacé : « J'avais dit pas dans le style fils de bonne famille. Vous avez mis quoi, des marques ? » J’espère que non. Mais si sa tronche n’allait pas à Vikko, qui n’est normalement pas le plus difficile à approcher, les possibilités qu’il passe inaperçu ce soir sont proches de zéro.
Ying Yue Amundsen
Ying Yue Amundsen
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@Angelo Borghese  • 12 février 2024 - Soirée


La différence de comportement entre notre rendez-vous de la semaine dernière, et celui de ce soir est trop importante pour qu'elle puisse m'échapper. Ma réplique l'énerve, au point de le faire serrer les dents. Légère pression des mâchoires qui s'imprime dans une rudesse sur ses traits. L'effet, inattendu, un un véritable plaisir à observer. J'étais venu avec l'idée de venger l'honneur qu'il s'était amusé à malmener en ricanements, sourires narquois et piques mauvaises. Son humeur agacée du soir est une porte entre-ouverte dans laquelle il m'est trop facile de m'engouffrer avec une joie presque enfantine. Un tic nerveux s'empare de sa paupière, son poing serrés sur son chariot laisse penser que le deuxième doit être en boule dans sa poche. Est-ce qu'il aurait souhaité me le foutre dans la mâchoire ? Possible. Je l'espère presque. Est-ce que le psychomage, sorti de son bureau, devient un colosse impulsif ? Intéressant. A moins que ce soir l'ambiance de ce quartier qui le transforme ? Plusieurs possibilités, une seule réalité, je risque d'avoir de quoi m'amuser, au final. « C'est marrant, que vous parlez de cadavre. Spécifiquement ce soir. » Je ne comprends pas en quoi c'est marrant, spécifiquement ce soir, mais soit. J'ai l'air d'avoir touché un point sensible sans même le vouloir, une victoire d'autant plus délicate à goûter qu'elle est imprévue. Un rictus creuse un coin de ma bouche. Il n'en profitera pas, tant pis pour lui. Je risque même de vouloir en abuser, malgré l'endroit et l'air pesant de la rue où on se trouve. Ce n'est pas mon problème, pas ma soirée de travail, ce monde ne m'intéresse pas, pas plus que ses problématiques. « Mettons les choses au clair, Oskar. » Il insiste sur le prénom et ça me fait chier d'entendre qu'il choisit l'obstination de cette familiarité que je juge déplacée. Mes yeux deviennent plus sauvages, dans l'éclat clairs des iris du polynectar cette lueur est presque dansantes d'un feu joyeux trop lisibles. « Je vous ai invité ni en tant que psychomage, ni en tant que patient. C'est pas une séance, plutôt une longue conversation. » C'est donc cela. Il a laissé son masque de psychomage accroché à son bureau pour venir en simple Borghese. Un homme que je ne connais pas, visiblement qui aime trainer des chariots dans des coins malfamés pour faire de la distribution de sarcasme. Ça ne m'intéresse pas de savoir qui est cet homme. Son nom est aussi plat que sa position sociale. Je n'étais venu voir le psychomage que pour son absence de liens probants avec les Douze. Je n'aurais sans doute jamais poussé la porte de son établissement sans cela. La Völva n'est pas mon quartier favori, même quand on sort avec les gars du Sjøbjørn. Les gens ici sont trop prompts à vouloir se mettre sur notre gueule. Et si j'aime le chaos, profiter de quelques soirées calmes n'est pas que du luxe.  « Je me suis dis que ce cadre était peut-être plus adapté à votre caractère qu’un bureau trop officiel, avec des chats qui vous agacent. Mais si ces termes ne vous conviennent pas, vous n’êtes pas obligé de m’accompagner. » Est-ce qu'il s'était attendu à ce que je refuse ? L'idée est délectable et accentue le sourire en coin qui s'y est fiché. Peut-être qu'il commence à regretter de me l'avoir proposé. Si c'est le cas, il risque de continuer droit vers le mur de la déception. J'oublie même que j'avais moi-même songé à ne pas venir. L'idée est loin derrière moi, disparue dans l'horizon brûlant des nouvelles perspectives qui s'offrent à moi. C'est marrant, ouais, comme il dit. Hors du cadre officiel de son bureau, c'est moi qui me moque, et lui dont les nerfs fourmillent nerveusement. Alors qu'il semble vouloir ajouter quelque chose une silhouette se dirige droit sur nous, apostrophant mon interlocuteur d'une voix familière. « Borghese ! On se demandait si t'allais venir, vu ce qui est arrivé. » Un léger tintement de curiosité vient résonner dans ma tête face à ce ce qui est arrivé visiblement grave et lourd de sens pour eux, entièrement vide et désintéressé pour moi. Les deux hommes se connaissent, se donnent rendez-vous probablement tous les lundis soirs, j'opte donc pour l'idée qui avait déjà germé quelque part : ce type fait dans le social. Et il veut que je me tape ce genre de pratique pour discuter avec lui. L'idée ne peut que être mauvaise. Je ne peux vouloir chercher distraction qu'ailleurs. Dans la nervosité des muscles gonflés par l'agacement que je lui procure.

Pendant qu'ils conversent, tantôt en langue latine - italien je présume - tantôt en suédois, je croise mes bras contre ma poitrine, regard neutre et désintéressé, poussant l'attitude jusqu'à venir poser une épaule contre le mur derrière moi. J'entends le prénom, le mien, adresse un infime sourire mauvais au type qui me jauge avec une sympathie toute égale. Non, je ne suis pas le bon type à prendre avec soi dans ce genre de démarche altruiste. Et le Borghese risque de s'en rendre bien vite compte, à ses dépens. Je regrette presque d'avoir laissé mes chemises de côtés.

Profitant de ne pas être concerné par la conversation, je laisse une nouvelle fois mon regard glisser sur le décor alentour. Savourant avec une intensité plus enthousiaste l'atmosphère tendue qui règne sur place. Distraitement, ma main croisée sur mon torse entoure la flasque de polynectar à travers la veste. Ça pourrait être drôle d'en jouer si les habitués du psychomage continuent d'affluer vers lui et de m'adresser des regards tout aussi peu avenants que le type qui me qui continue de me regarder en coin entre deux mots en italien. Quand les mains claquent sur leurs dos respectifs, annonçant la fin de ce premier interlude, je reporte mon attention d'un air narquois vers l'homme qui tâtonne sur le pavé sale à la recherche de la poignée de son chariot. J'attribue son manque de réflexe magique à une habitude d'un monde moldu qui le rend de moins en moins intéressant. J'aurais supposé qu'un sorcier aveugle développe au contraire des habitudes magiques plus marquées pour palier à sa cécité, plutôt que de se ridiculiser en positions grotesques en pleine rue. Mais soit. « J'avais dit pas dans le style fils de bonne famille. Vous avez mis quoi, des marques ? » Je ricane, rire court et réellement amusé avant de décroiser mes bras pour lisser machinalement les bords de la longue veste. « C'est marrant, comme en dehors de votre bureau vous perdez votre sang-froid en un rien de temps. Plus de sourires moqueurs et de ricanements à m'adresser ? Décevant, mais pas si surprenant. » Je ne réponds pas à sa question sur ma tenue, laisser les possibles en suspens concernant cette dernière est bien plus plaisant pour ses yeux aveugles et ses possibles inquiétudes. « Je vous concède que vous avez raison. Ce genre d'ambiance correspond bien mieux à mon caractère. J'ose penser cependant, que vous êtes bien loin d'imaginer à quel point. » D'un geste lent je passe ma langue sur les canines décidément trop petite pour l'ambiance du lieu. « Alors c'est ça que vous faites ici ? Le genre de type social au grand cœur qui plonge dans son complexe du sauveur. D'abord les séances de psychomagies gratuites, puis ça. Vous avez l'air d'avoir un paquet de trucs que vous essayez de vous faire pardonner pour en arriver là. » C'est gratuit, volontairement provocateur, c'est tellement plus facile d'oublier pourquoi je suis là en s'en prenant à ses propres failles. Un sport pratiqué depuis ma plus petite enfance. Un mécanisme de défense devenu une part entière de mon caractère. C'était une erreur, Borghese, de me faire venir ici. « Mais inutile de me raconter votre histoire, dites-moi, en revanche. Vous attendez à ce que je vous accompagne dans votre distribution ? Ou bien vous voulez enquêter sur ce truc qui s'est passé qui avait l'air de préoccuper votre pote ? Je pourrais me rendre utile, comme vous dire que trois gars vous observe depuis l'étage du bar en face de nous. Et qu'il y a un sortilege d'écoute autour de nous depuis que votre pote est venu récupérer son sac. » Une simple information donnée tout en sortant mon paquet de cigarettes d'une des poches extérieures de ma veste. Le ton est calme, bien que moqueur, avant que mon visage ne se relève vers un des visage précédemment repéré pour lui adresser un clin d'œil entendu. Une simple information qui ne lui est pas donnée gratuitement, et qui nécessitera une juste rétribution quand j'aurais trouvé l'occasion de trouver la bonne valeur d'échange.



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Angelo Borghese
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Il ricane et je sens Hope qui se rapproche de ma cuisse, reprenant sa place naturelle lorsque nous sommes à l’extérieur du café. « C'est marrant, comme en dehors de votre bureau vous perdez votre sang-froid en un rien de temps. Plus de sourires moqueurs et de ricanements à m'adresser ? Décevant, mais pas si surprenant. » Ce qui est marrant, c’est qu’il revienne sur cette histoire de sourires moqueurs et de ricanement, mentionnée la dernière fois, avant qu’il ne parte.  Faut avoir peu de morale pour se foutre de la gueule d'un gars qui vient vous dire des trucs qu'il a jamais osé dire à personne avant. » Je ris et je souris parfois, et il peut m’arriver de me moquer, mais jamais méchamment, rarement avec mépris. C’est pourtant ce qu’il semble avoir perçu, assez pour revenir sur le sujet, ce qui me ramène dans une réalité plus concrète : Oskar Birkeland était venu dans mon bureau pour recevoir de l’aide. Comme tous les autres patients, comme ces gens dans les rues que je fréquente, il peut avoir des réactions défensives. Des peurs, aussi, qui doivent être bien ancrées chez quelqu’un qui craint assez ses désirs – et les réactions des autres qu’ils peuvent provoquer – pour se camoufler sous une autre identité. Il y a certainement quelque chose à creuser, de ce côté. Est-ce une peur du ridicule ? Une peur du mépris, du dédain, de la perte de crédibilité ? L’ensemble ? Mes interrogations, qui m’ancrent dans mon rôle de psychomage sans m’arracher entièrement à mon agacement, font descendre légèrement la pression. « Je vous concède que vous avez raison. Ce genre d'ambiance correspond bien mieux à mon caractère. J'ose penser cependant, que vous êtes bien loin d'imaginer à quel point. » J’hausse les épaules, sans indifférence, mais sans intérêt. Ce qu’il sous-entend serait utile dans une conversation à égalité ou basée sur la provocation ; ce ne l’est pas si je décide de resté concentré sur son problème. Et je compte bien m’axer sur ce sujet, aussi difficile cela puisse-t-il être.

Je resserre ma main sur la poignée, tout en me détachant momentanément de la conversation pour écouter les bruits autour de nous. Rien qui m’alerte. « Alors c'est ça que vous faites ici ? Le genre de type social au grand cœur qui plonge dans son complexe du sauveur. D'abord les séances de psychomagies gratuites, puis ça. Vous avez l'air d'avoir un paquet de trucs que vous essayez de vous faire pardonner pour en arriver là. » Un rire m’échappe, amusé. Peut-être le genre de rire qui l’agace…? S’il me lance ce genre de répliques, il doit être prêt à accepter les réactions qui les suivent. Et puis, ça me distrait, momentanément, de ma préoccupation de la soirée. Pablo, la drogue, le reste. Je n’ai pas un paquet de trucs à me faire pardonner, non. Pas auprès de ceux que j’aide : peut-être auprès de ma famille et de mes anciens potes, mais c’est une autre histoire. Connaître ses motivations est important, surtout pour des projets sur le long terme, et j’ai assez d’introspection pour savoir que ce n’est pas un désir de rédemption qui m’anime. Ce serait égoïste et voué, inévitablement, à des déceptions et à un plongeon, au moindre échec. « Mais inutile de me raconter votre histoire, dites-moi, en revanche. Vous attendez à ce que je vous accompagne dans votre distribution ? Ou bien vous voulez enquêter sur ce truc qui s'est passé qui avait l'air de préoccuper votre pote ? Je pourrais me rendre utile, comme vous dire que trois gars vous observe depuis l'étage du bar en face de nous. Et qu'il y a un sortilege d'écoute autour de nous depuis que votre pote est venu récupérer son sac. » Il pose des questions et des affirmations de la même façon qu’un enfant qui veut distraire ses parents, en évoquant différents sujets, sauf le principal, pour le faire oublier. C’est habile, surtout en ce qui concerne ses dernières phrases et je m’interroge, de façon non-professionnelle, sur la profession qu’il exerce. « C’est surtout vous que le sortilège d’écoute devrait déranger, ce n’est pas moi qui a un problème – qui n’en est pas vraiment un, au sens littéral – à régler. » Mon ton est neutre, alors que j’extirpe de la poche de mon jean mon propre paquet de cigarettes. J’ai entendu l’homme sortir précédemment le sien, dans un son de carton qui frôle le tissu. Est-ce que l’information sur ce sort m’embête ? Partiellement. Ce coin n’est ni pour les froussards ni les innocents, et il y a pire que des sorts d’écoute. Mais ça me fait un peu chier, forcément, parce que ça signifie que je suis sur la bonne piste, avec cette foutue drogue. Les types derrière ce bordel se fourvoient par contre nettement, s’ils croient obtenir la moindre information pertinente en m’écoutant. Je n’ai actuellement que des soupçons et de la colère, et peut-être, une infinie sympathie pour ceux qui se sont embarqués dans ce trafic, en étant simplement perdus. « Quant au fait d’être observé par des gars, ça m’arrive assez souvent. La faute à mon physique, j’imagine. Ou à mon regard éclatant. » Je ricane, tout en sachant que cette phrase ne le fera certainement pas rire lui aussi. J’extirpe une cigarette de mon paquet, que je replace dans ma poche, tout en récupérant mon briquet. Allumer ma nicotine avec quelque chose d’aussi long qu’une baguette m’a toujours semblé une absurdité.

Je place le tube entre mes lèvres, l’allumant, avant de ranger l’objet moldu. Je tire sur ma clope avec nonchalance, sans me soucier de l’endroit où je souffle la fumée âcre, avant de reprendre la parole d’une voix plus contrôlée : « Je crois nécessaire de vous rappeler quelque chose, Oskar. C’est vous qui êtes venu me voir pour de l’aide, pas l’inverse. J’aime mes patients, mais aucun psychomage n’est maso au point d’accepter des insultes et des provocations de la part de quelqu’un qui s’en sert pour enterrer et fuir la vérité. » Aucun psychomage, mais un travailleur de rue, si. Je ne lui dis pas. L’habitude de me heurter à des personnes récalcitrantes, qui ne connaissent que la provocation pour se protéger et ne pas souffrir, ne me rend pas insensible à leurs moyens de défense. Surtout un jour comme celui-là, où je me sens plus réactif. Je reprends : « Parce que contrairement à ce que vous avez affirmez, c’est bien ce que vous faites. Ce soir encore : vous prendrez probablement toutes les distractions à votre portée pour éviter de fixer en face ce qui vous dérange. Or, ce sujet, vous n’avez terminé ni d’en parler ni d’y réfléchir. Et c’est l’unique raison pour laquelle je vous ai fait venir. » Pas pour m’aider. Pas pour mener une enquête avec moi, pas pour me servir de yeux. Surtout pas pour ça. « Libre à vous de lever ou non ce sort d’écoute. Quant à moi, il me laisse indifférent. » Et je suis sincère. Le dit sort peut être incommodant pour le patient, même non-officiel, mais en ce qui me concerne…Dans cette rue, je n’ai jamais camouflé qui je suis et ce que je pense. Ce n’est pas un secret pour personne, que j’enquête à ma façon sur l’ekstaseavild et que j’ai bien envie de secouer un auror ou deux. Je tire une nouvelle fois sur ma cigarette, avant de demander : « Ce que vous appelez des sourires et des ricanements ne sont rien de plus que de véritables sourires. Mais c’est intéressant, que vous les percevez sous un tel angle, comme si je me payais à chaque fois votre gueule. Pourquoi ? » Hope, à mes côtés, se met en mouvement et je lui emboîte le pas, en comptant sur le fait que l’homme nous suive. Si ce n’est pas le cas et qu’il a envie de rester là, tant pis.
Ying Yue Amundsen
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@Angelo Borghese  • 12 février 2024 - Soirée


« C’est surtout vous que le sortilège d’écoute devrait déranger, ce n’est pas moi qui a un problème – qui n’en est pas vraiment un, au sens littéral – à régler. » Mon seul problème actuellement c'est lui, le quartier de merde dans lequel il m'a demandé de le retrouver, la perspective de le suivre pendant son travail social non intéressant, et mon incapacité à foutre le camp immédiatement. Parce qu'il faut bien le reconnaître, je n'arrive pas à me faire à l'idée de le laisser en plan. Pas seulement à cause de mon plan de vengeance que mon cerveau brandit comme une voile pour masquer les véritables raisons de ma présence. Mais bien parce que ce problème est devenu omniprésent dans mes pensées depuis la semaine dernière, et que ça me fout en boule de n'avoir personne d'autre que lui avec qui décharger toute la frustration que cela fait gronder en moi. Imitant mon geste, l’homme a sorti son paquet de cigarettes, ce qui me donne l’excuse parfaite pour ne pas lui en proposer une - ce que je ne comptais pas faire dans tous les cas. Mes propres doigts en ont placé une entre mes lèvres avant de ranger la boîte dans ma poche. J’allume la mienne avec ma baguette, récupérant la cigarette entre mes phalanges pour en embraser le bout devant moi distraitement. « Quant au fait d’être observé par des gars, ça m’arrive assez souvent. La faute à mon physique, j’imagine. Ou à mon regard éclatant. » J’inspire la première bouffée de nicotine en jetant un regard légèrement méprisant au briquet moldu que l’autre fait étinceler devant lui. Ennuyant d’attendu. Sa remarque qui le fait rire me fait retrousser le nez d’agacement, donnant aux traits de l’autre un air dégoûté plus que marqué. Est-ce qu’il a fait cette blague uniquement parce rapport au problème pour lequel je suis venu le voir ? J’imagine facilement que oui, ça lui ressemble bien après tout, à se croire drôle et pertinent d’utiliser le moindre prétexte pour se foutre de ma gueule et de mes angoisses. Son manque de discernement et son absence de sens moral vis-à-vis de ma sensibilité m’emmerdent doublement. Je n’ai pas envie de son ton sarcastique, de ses moqueries qui trouvent trop bien leurs cibles, et de son air suffisant qui à l’air de me dire que c’est moi qui fait fausse route. Je préfère quand c’est moi, qui tient ce regard condescendant sur les autres. Je tire une deuxième fois sur ma cigarette dans un regard plus sombre, fixant avec une nouvelle intensité ceux qui écoutent, là-bas, à l’étage du bar en face de nous. « Je crois nécessaire de vous rappeler quelque chose, Oksar. - Monsieur Birkeland -  C’est vous qui êtes venu me voir pour de l’aide, pas l’inverse. J’aime mes patients, mais aucun psychomage n’est maso au point d’accepter des insultes et des provocations de la part de quelqu’un qui s’en sert pour enterrer et fuir la vérité. » Je le reprends d’une voix calme, mais toujours autoritaire, sachant pertinemment qu’il risque de ne pas prendre en compte ma demande concernant mon faux nom. Mais le plaisir de le reprendre est trop simple et accessible. Et le reste de sa remise au point ne m’intéresse pas, de toute façon. Je sais bien quels sont nos rôles, je ne serais pas revenu le voir sinon. Et sa réutilisation de la fuite est déjà du réchauffé. Je suis là. Je ne fuis pas, donc. La preuve, je suis même encore là. La seule fuite que je vois c’est lui qui se reconcentre sur moi et qui se permet l’indécence de remettre en question mes provocations, quand les siennes sont encore plus mal placées. Lui qui fuit la nervosité qui émanait de lui à mon arrivée, et qui continue à filtrer à travers les bosses rougies de ses poings serrées obstinément sur le manche de son chariot. J’ai trop l’habitude de frapper sur des sacs, et des gueules, pour reconnaître les stigmates d’une décharge de coups intenses au vu de l’état de ses jointures. « Parce que contrairement à ce que vous avez affirmez, c’est bien ce que vous faites. Ce soir encore : vous prendrez probablement toutes les distractions à votre portée pour éviter de fixer en face ce qui vous dérange. Or, ce sujet, vous n’avez terminé ni d’en parler ni d’y réfléchir. Et c’est l’unique raison pour laquelle je vous ai fait venir. Libre à vous de lever ou non ce sort d’écoute. Quant à moi, il me laisse indifférent. » Je ne dis rien, ne grogne même pas, dardant toujours mes iris tranchants vers les silhouettes en face. Je me contente d’aspirer plus sèchement la nicotine, le geste du bras redevient plus nerveux, plus agacé. Vous n’avez pas fini d’en parler ni d’y réfléchir. C’est bien là tout le problème justement. Et je compte bien lui faire payer toutes les questions et les nuits troublées qu’il a instaurées dans mon quotidien depuis la dernière fois. Quand à lever le sortilège d’écoute…Il me laisse le choix, parfait. Le coin du rictus heureux qui creuse ma joue est destiné entièrement à ceux qui écoutent, justement, de façon bien peu discrète. Ils n’ont probablement pas besoin ni envie de se cacher, peut-être bien qu’ici tout le monde observe, écoute, se sait épié sans que cela ne dérange réellement les susceptibilités. Ce n’est pas mon cas. Mon monde personnel comme professionnel est fait de secrets, de défense, de silence et d’attaques. Et coller au monde d’ici ne m’intéresse pas. Quand bien même ce pourrait être mal vu, ou mal joué au vu de la tension qui palpite dans l’atmosphère. Peut-être bien que je pourrais utiliser Borghese pour être le briquet qui enflammera les passions ce soir. Peut-être pas. « Ce que vous appelez des sourires et des ricanements ne sont rien de plus que de véritables sourires. Mais c’est intéressant, que vous les percevez sous un tel angle, comme si je me payais à chaque fois de votre gueule. Pourquoi ? » Je hausse un sourcil légèrement perplexe face à son incompréhension, avant de lever ma baguette. Mon sourire s’étire plus largement, amusé. Un véritable - pour reprendre son adjectif - sourire amusé. Quand je lance mon sortilège, un de ceux que l’on utilise dans l’armée, discret et invisible pour l'œil, mais audible et désagréable pour celui qui écoute. Un ultrason vif et crissant qui remonte rapidement les ondes magiques du sort adverse pour percer les tympans de l’indiscret. Détournant enfin le regard des silhouettes, je me mets en mouvement, rattrapant facilement l’homme et le tigre blanc qui avaient avancé sans moi. « J’ai perdu un combat à cause de vos conneries. C'était pas un truc important, heureusement pour vous, mais je suis juste venu pour ça. Pour qu’on finisse la conversation de l'autre jour et que je puisse retrouver ma concentration d’avant sans avoir vos foutues moqueries qui reviennent aux pires moments. » Mon ton est agacé, et je tire plusieurs fois de suite sur ma cigarette, nerveusement, avant de reprendre la parole : « Comment je suis censé le prendre différemment vos blagues et vos ricanements ? Vous vous amusez à me faire chier et à me provoquer. J’vois pas pourquoi je m'en priverais aussi de mon côté. Je suis pas certain d'être le genre de patient que vous puissiez apprécier, ça sert à rien de faire semblant. J’vous apprécie pas. Je vous ai choisi que parce que vous êtes pas dans le circuit officiel. Pas pour votre renommée. Vos sourires sont sincères ? C’est censé me prouver qu’ils sont pas là pour se foutre de ma gueule ? Qu’importe, je vais mettre un point au clair aussi. J’ai pas envie de vous entendre faire des allusions ou la moindre blague autour de mon…problème. J’en subis déjà suffisamment au quotidien pour avoir envie d’en entendre ici. » Je fronce les sourcils, avant de retourner aspirer la nicotine qui se consume trop vite entre mes phalanges. Je n'ai pas bu autant de café que la semaine dernière, pourtant la nervosité commence deja à remonter en flèche. En témoigne le nuage de particules en suspensions qui m’accompagne et qui s’est mis à virevolter dans tous les sens derrière moi. La mention de ces blagues dans mon quotidien est une réalité avec laquelle j’ai toujours eu du mal à composer. Dans le Sjøbjørn, nombreux sont ceux qui savent que le sujet m’agace vite sous couvert d’une homophobie profonde qui m'est attribuée. Réelle. Mais l'autre réalité, c'est cette homophobie largement répandue dans l'armée est aussi l'un des sujets de moquerie favoris de nombreux d'entre eux. Je préfère me moquer des faiblesses et des caractères trouillards de mes matelots, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. « Et je fuis pas. Arrêtez avec ça. Vouloir éradiquer un problème n'est une fuite. Vous par contre...Ça vous dérange pas de vous faire écouter, de venir apporter une aide sous disant à ces pauvres types d'ici. Mais visiblement vous êtes pas suffisamment inquiétant pour que les autres aient envie de se la jouer discret sur vos écoutes. Donc ils vous considèrent pas comme un danger. Ce qui me fait poser deux hypothèses : soit vous faites avec les autres comme avec moi : une aide de façade tout en ayant rien à foutre qu'en finalité, les types s'en aillent s'ils montrent de la réticence à s'ouvrir à vous. Soit vous faites partie de leurs petites combines ou du moins d'un accord tacite pour vous laisser faire votre distribution de Yule tous les lundis du moment que vous faites pas de vague. Non pas que la vérité m'intéresse, vous faites bien ce que vous voulez de votre intelligence. Mais je suis curieux. C'est quoi qui tourne ici en ce moment ? Drogue magique ? Moldue ? Tragique d'organes ? » Il l'a deviné, pourtant j'y retourne sans problème, dans les questions qui détournent l'attention du problème central. Ma voix s'est immanquablement parée d'un enthousiasme curieux presque affamé d'informations. La drogue n'a jamais été une tentation, mais en apprendre plus sur ce qui ronge les nerfs d'ici me semble être une bonne distraction passagère. Qui sait, elle pourrait finir par échouer dans les prochains ports d'escales, et même finir par monter jusqu'à nos fonds de cale.

La cigarette est déjà finie, une autre est tirée du paquet. Le filtre disparaît dans un crépitement qui allume la deuxième dans un même mouvement de baguette magique.
 


I remеmber how I'd find you, fingers tearing through the ground. Were you digging something up or did you bury something down? In your soul, I found a thirst with only salt inside your cup.
Angelo Borghese
Angelo Borghese
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Des sons rapides m’indiquent que l’homme nous a rattrapé, peut-être après avoir levé le sortilège d’écoute. Je le crois capable de l’avoir laissé en place, mais vu l’importance qu’il accorde son anonymat et le côté tabou que le sujet a pour lui, j’en doute. « J’ai perdu un combat à cause de vos conneries. C'était pas un truc important, heureusement pour vous, mais je suis juste venu pour ça. Pour qu’on finisse la conversation de l'autre jour et que je puisse retrouver ma concentration d’avant sans avoir vos foutues moqueries qui reviennent aux pires moments. » L’odeur du tabac, différent de celui que je fume, s’élève dans les airs et se mélange au parfum poisseux de la rue. Mon nez se plisse très légèrement, le temps que je m’y habitue. Il a perdu un combat…? À cause de moi, forcément. Pas à cause de lui, de ses propres compétences, de sa propre colère ou de sa propre incapacité à s’analyser lui-même, sans rejeter ses émotions sur autrui. Typique. « Comment je suis censé le prendre différemment vos blagues et vos ricanements ? Vous vous amusez à me faire chier et à me provoquer. J’vois pas pourquoi je m'en priverais aussi de mon côté. Je suis pas certain d'être le genre de patient que vous puissiez apprécier, ça sert à rien de faire semblant. J’vous apprécie pas. Je vous ai choisi que parce que vous êtes pas dans le circuit officiel. Pas pour votre renommée. Vos sourires sont sincères ? C’est censé me prouver qu’ils sont pas là pour se foutre de ma gueule ? Qu’importe, je vais mettre un point au clair aussi. J’ai pas envie de vous entendre faire des allusions ou la moindre blague autour de mon…problème. J’en subis déjà suffisamment au quotidien pour avoir envie d’en entendre ici. » Je tire sur ma cigarette, tout en analysant ses réponses. Sa vision déformée de la réalité est intéressante, pour ce qu’elle révèle de lui. Il a ainsi vraiment l’impression que je m’amuse à le faire chier et à le provoquer ? Et il subit pas mal d’allusions et de blagues au quotidien…? Est-ce seulement de là que lui vient l’impression que je me fous de sa gueule, dès que le sujet est abordé, ou y-a-t-il aussi une autre source camouflée ?

Pensif, j’expire une fumée odorante, tout en continuant de marcher. Peut-être que l’inviter n’était pas une si mauvaise idée. En mode réflexion, pour un patient, je songe moins au reste ; à ma rage liée à la mort de Pedro, à ma colère quant à l’inaction des forces de l’ordre et à cette tristesse, sourde mais bien présente, que je repousse plus loin temporairement. « Et je fuis pas. Arrêtez avec ça. Vouloir éradiquer un problème n'est une fuite. Vous par contre...Ça vous dérange pas de vous faire écouter, de venir apporter une aide sous disant à ces pauvres types d'ici. Mais visiblement vous êtes pas suffisamment inquiétant pour que les autres aient envie de se la jouer discret sur vos écoutes. Donc ils vous considèrent pas comme un danger. Ce qui me fait poser deux hypothèses : soit vous faites avec les autres comme avec moi : une aide de façade tout en ayant rien à foutre qu'en finalité, les types s'en aillent s'ils montrent de la réticence à s'ouvrir à vous. Soit vous faites partie de leurs petites combines ou du moins d'un accord tacite pour vous laisser faire votre distribution de Yule tous les lundis du moment que vous faites pas de vague. Non pas que la vérité m'intéresse, vous faites bien ce que vous voulez de votre intelligence. Mais je suis curieux. C'est quoi qui tourne ici en ce moment ? Drogue magique ? Moldue ? Tragique d'organes ? » Il ne fuit pas, mais il tente de contourner le sujet, encore, par la provocation et des questions qui l’éloignent d’une vérité qu’il ne veut pas creuser. Ses mots ne m’atteignent pas : je sais comment je fonctionne, je sais ce que je vaux, je sais que je ne suis pas parfait et que je me plante parfois dans mes interventions, je sais que je peux encore m’améliorer. Mais je sais aussi que, même en laissant partir mes patients, je ne les laisse pas tomber. « Drogue magique. Faudrait vous décider sur ma personnalité, Oskar. J'ai le complexe du sauveur ou je suis un indifférent qui se fout que les gens s'en vont ? » Mon sourire, qu’il jugera probablement moqueur, s’étire sur mes lèvres. Je sens une chaleur de plus en plus grandissante au bout de mes doigts, alors que je tire pour une dernière fois sur ma clope, au goût de tabac beaucoup plus prononcé : je la jette ensuite au sol, sans l’écraser. « Personne, surtout dans ce milieu, n’aime se sentir obligé ou forcé à quoi que ce soit. Retenir quelqu’un qui n’est prêt à discuter, seulement pour mon ego, serait absurde et inefficace. » Et sur ce point, je le crois similaire à plusieurs des personnes que j’ai rencontrées ici et que j’ai d’abord eu du mal à approcher. Lui imposer un cadre, essayer de le forcer à rester la dernière fois, n’aurait rien donné de bon. Ce n’est pas mon fonctionnement.

Hope, d’une légère pression contre la cuisse, m’indique que le moment est venu de tourner. Je suis naturellement le mouvement de son corps, tout en poursuivant d’un ton neutre : « Et je n’ai fait aucune allusion moqueuse à votre désir pour des hommes. J’ai fait une allusion moqueuse à mon quotidien.» Sur cette réplique, je lui accorde, je suis de mauvaise foi. Mon allusion tout à l’heure était peut-être un brin provocatrice, et peu professionnelle. Sauf que nous ne sommes pas dans un bureau, je lui ai dis que le ton serait plutôt celui d’une conversation, et dans une conversation, je suis beaucoup trop joueur – ou agacé – pour me tenir entièrement sage. Je reprends : « Vous ne visez pas le bon problème à éradiquer. À vos yeux, c’est le désir. Sauf que le désir n’est pas un problème ; ce qui l’est, c’est plutôt tous ces blocages que vous vous mettez, et qui me semblent fortement liés à votre identité et à votre père. Si vous refusez de vous analyser correctement, et de voir où se situe le vrai problème, vous n’avancerez pas, même si on se voyait tous les soirs. » Et je m’attends à ce que ça prenne un moment, avant qu’il accepte de le faire. De cesser de regarder ce sujet comme un problème et de creuser plus loin. C’est probablement trop enraciné en lui, depuis longtemps. Les processus de défense psychologiques peuvent être très puissants et beaucoup trop durables ; l’esprit est parfois prêt à entretenir bien des illusions, pour ne pas éveiller d’éventuelles souffrances. Je tourne mon visage dans sa direction, fixant mes yeux d’un bleu que je sais pâle là où je crois qu’il se trouve : « Oui Oskar, vous fuyez bel et bien. Vous restez derrière des raisons de façade, qui vous évitent peut-être d’affronter des aspects dérangeants de votre vie, familiaux ou personnels, et qui dépassent la raison qui vous a mené dans mon bureau. Des aspects comme cette impression que ce que vous faites n’est jamais assez pour votre père, dont vous m’avez parlé la dernière fois, ou ces moqueries sur ce sujet, qui vous donnent peut-être l’impression que votre milieu n’y est pas ouvert, et qui impliquerait encore un rejet potentiel. » Et il y selon moi pas mal à creuser aussi, sur ce les thèmes du rejet et de l’acceptation de soi.
Ying Yue Amundsen
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@Angelo Borghese  • 12 février 2024 - Soirée


La nicotine roule sur ma langue, la deuxième cigarette devrait être fumée plus lentement, si je parviens à maîtriser la nervosité qui est remontée en flèche. Je me concentre sur cet objectif pour focaliser mon esprit sur autre chose que la conversation qui revient inlassablement vers le sujet premier qui m'avait amené vers lui, et malgré la réticence à vouloir y revenir ce soir. La dualité de cette réalité m'agace, je déteste les duels sans issus. « Drogue magique. Faudrait vous décider sur ma personnalité, Oskar. - Monsieur Birkeland Je marmonne par automatisme grinçant. J'ai le complexe du sauveur ou je suis un indifférent qui se fout que les gens s'en vont ? » Les deux, visiblement, selon qu'il soit dans son simulacre de cabinet de psychomage ou ici à trainer des sacs dans un chariot ridicule. Les deux ne sont pas antagonistes, après le fonctionnement humain me dépasse, ne m'intéresse pas, et des deux c'est lui qui s'amuse à analyser les autres. Pas moi. Moi je me contente d'utiliser leurs failles et leurs sensibilités pour les emmerder. Pour mon simple amusement personnel. L'homme qui jette son mégot par terre sans prendre le soin de l'éteindre et cette constatation me fait tourner un regard méprisant vers le bout fumant de la cigarette. Je renifle dans un signe de dédain manifeste avant d'hésiter, une fraction de seconde à le faire disparaître. Mais je ne suis pas un homme de ménage. La seule chose que j'ai jamais accepté de nettoyer derrière les autres c'était le pont de nos navires quand j'étais matelot. Quand bien même ce mégot fumant me dégoûte, et l'homme qui l'a jeté encore plus. Si proche du port, il ne fait aucun doute que l'objet finira dans la mer. Polluant ses eaux sombres et pures. Il n'y qu'un aveugle pour faire un tel acte sans se soucier des conséquences. Non, peut-être pas, mais il se trouve qu'il l'est, et qu'il est le seul depuis que je vois agir ainsi actuellement. « Personne, surtout dans ce milieu, n’aime se sentir obligé ou forcé à quoi que ce soit. Retenir quelqu’un qui n’est prêt à discuter, seulement pour mon ego, serait absurde et inefficace. » Je n'y crois pas tellement, à ses explications. Mais s'il veut cacher son manque de compétence derrière de belles pensées, c'est son problème, pas le mien. Je reste convaincu qu'un gars qui laisse partir une personne qui vient lui parler dans un état de stress visible doit pas être un professionnel très consciencieux.  
 
Je suis ses pas, marchant très légèrement en retrait, laissant mes yeux filtrer et analyser le décor au fur et à mesure que l'on traverse la rue. Une habitude professionnelle, malgré le désintérêt réel pour le quartier et ses usagés, le cerveau prend en compte le moindre détail. Alerte aux regards en coin, aux gestes de tension, aux coup de mentons pointés dans nos directions. Ils le connaissent, le savent aveugle, certains en profite pour le dévisager plus largement que la décence normale avant de croiser mon regard et de le fuir lâchement. Certains le soutiennent, mais je n'entre pas dans ces jeux-là, pas ce soir. Le manque d'intérêt est lisible dans l'éclat terne de mes yeux, une façon comme un autre de leur faire savoir que leurs messes basses et leurs commerces m’indiffèrent. Qu'ils fassent ce qu'ils veulent de leurs dix doigts - à supposer qu'ils les aient encore tous - du moment qu'ils les utilisent pas pour me faire chier moi. Tout en tirant sur ma cigarette, je suis le changement de direction sans même y prêter entièrement attention, l'esprit toujours focaliser sur ma tache principale : ne pas finir ma cigarette trop rapidement, et contrôler la nervosité qui voudrait jaillir dans des gestes parasites. Ici je ne suis pas dans une pièce close avec la seule présence, aveugle, d'un psychomage. Je suis en public, et bien que sous des traits différents, il est hors de question que je me laisse aller autant que je me l'étais permis la semaine dernière.  « Et je n’ai fait aucune allusion moqueuse à votre désir pour des hommes. J’ai fait une allusion moqueuse à mon quotidien.» Les mots posés me concernant font naître un frisson dans ma nuque. Rejet immédiat et instinctif de l'âme qui refuse toujours de s'entendre trop clairement associé à ce qu'il vient de nommer. Mes iris se sont fait plus durs pour gommer l'envie de plisser du nez de dégoût. J'avais observer cette expression faciale dans le miroir sous les traits du polynectar, le rendu avait été plus que disgracieux. Je résiste également à l'envie de porter - déjà - la cigarette à mes lèvres. Trop tôt depuis la dernière bouffée. Mon poing gauche trouve la poche de ma veste pour s'y serrer momentanément. Quant à l'allusion à son quotidien je n'en relève que le mensonge primaire : un aveugle qui commente les regards qu'on lui porte. Connerie. « Vous ne visez pas le bon problème à éradiquer. À vos yeux, c’est le désir. Sauf que le désir n’est pas un problème ; ce qui l’est, c’est plutôt tous ces blocages que vous vous mettez, et qui me semblent fortement liés à votre identité et à votre père. Si vous refusez de vous analyser correctement, et de voir où se situe le vrai problème, vous n’avancerez pas, même si on se voyait tous les soirs. » Je ne vois pas en quoi mon père serait un problème à éradiquer, encore moins mon identité. Le désir en revanche, oui. Je peux me passer de celui-ci. Je peux me passer de désir, de regards, d'envies. Je ne peux pas me passer de ma place dans la société, des Amundsen, de la meute, de la marine, de qui je suis. Je ne peux pas m'en défaire, m'en extraire. Pas sans perdre l'essence même de ma vie, ma légitimité, mon existence. Sans perdre, peut-être aussi, la justification de tout. Les ongles trouvent la paume avec plus de dureté, les lèvres se pincent autour du filtre pour aspirer une longue et sèche aspiration de nicotine. Je ne refuse pas de m'analyser, mais je refuse que ce soit dans un objectif de me détourner de ces deux éléments : mon identité, et Li-Zhu. « Oui Oskar,- Monsieur Birkeland- vous fuyez bel et bien. Vous restez derrière des raisons de façade, qui vous évitent peut-être d’affronter des aspects dérangeants de votre vie, familiaux ou personnels, et qui dépassent la raison qui vous a mené dans mon bureau. Des aspects comme cette impression que ce que vous faites n’est jamais assez pour votre père, dont vous m’avez parlé la dernière fois, ou ces moqueries sur ce sujet, qui vous donnent peut-être l’impression que votre milieu n’y est pas ouvert, et qui impliquerait encore un rejet potentiel. » Un unique ricanement s'échappe de mes lèvres, d'une amertume froide et sans joie. Au même moment, je sens les prémices d'une baisse des effets du polynectar, mes canines grossissent lentement mais surement. Ma main tapote ma veste à la recherche de la flasque, passe entre les pans non fermés pour l'attraper dans la poche interne. Comme un alcoolique qui prendrait sa rasade de liqueur, je débouchonne la bouteille d'un coup de pouce pour en boire une lampée que je m'amuse à faire rouler sur ma langue. Gestuelle destinée aux regards curieux, infime amusement du joueur qui veut tromper la réalité de ce que j'absorbe dans un plaisir délectable admirablement feint. Les canines retrouvent immédiatement leurs petitesse ridicule, la flasque est remise à sa place et le poing retrouve la poche gauche, comme si ce n'était qu'un geste habituel à peine conscientisé. « Ce sont pas des impressions mais des réalités. Mon père me le fait savoir bien assez souvent pour que je sois au courant de la moindre déception que je lui occasionne. J'ai suivi ses traces professionnelles, mais pas dans la même branche : déception. Il n'a même pas fait l'effort de venir me féliciter lors de ma dernière promotion. La semaine dernière j'ai encore refusé un contrat qu'il voulait m'imposer. Voyez, ce ne sont pas des impressions. Tout ce que je fais est moins bien que mes adelphes. Pas de mariage en vu, pas de reprise de sa carrière à l'identique, pas assez en retenue, pas assez responsable pour qu'il ne se permette pas de prendre des décisions à ma place sans me consulter, pas assez distant, pas assez calme, pas assez... » Je m'arrête, réalisant que j'ai laissé ma rage parler trop librement. Ma dernière discussion avec le paternel n'est pas encore entièrement digérée. La rancoeur est brûlante à son égard autour du sujet Arsinoe Adelsköld. Ma propre déception et désillusion le concernant est cuisante. J'avais été, et je le suis encore, humilié, de savoir qu'il avait pris le parti de faire des démarches pour nous fiancer sans me demander au préalable ce que j'en pensais. Sans me laisser l'opportunité de donner mon avis. Comme si je n'étais encore qu'un gamin, un enfant irresponsable, un foutu gamin. Irresponsable. Un ronflement sourd m'échappe, grognement venu du ventre, interne, celui du loup qui tourne en rond, qui veut mordre, exprimer sa rage et sa frustration par les crocs plutôt que par les mots. Mais je n'aurais même pas cette satisfaction lors de la prochaine pleine lune. Il est peut probable que le Kommandør du douzième régiment me laisse transplaner chez moi au vu du caractère punitif de la mission qui nous a placé sous son commandement pour les trois prochaines semaines. Je parviens de moi-même à arrêter la manifestation sonore dans un léger mouvement d'épaules nerveux. J'inspire, calmement, pour retrouver un visage placide et tirer, doucement, sur la cigarette. « Mon milieu n'est pas ouvert non plus. C'est une certitude. C'est l'un des fonds de blague préféré des équipes. C'est associé à une idée de faiblesse, de manque de virilité, et tout ce qui manque de virilité, dans ce milieu, est sujet à moquerie et dégoût. » S'il est pas trop con, il pourrait arriver à estimer plus ou moins correctement de quel milieu je parle. Entre ces allusions et mon précédent laïus sur la carrière de mon père. Mais je m'en fou. Même si cela le rapproche potentiellement de ma véritable identité. Tant pis. Je suis pas le meilleur pour prétendre être quelqu'un d'autre. Fred se foutrait bien de ma gueule s'il savait tout ça. Je suis bien meilleur pour me cacher dans l'eau et attaquer depuis l'arrière d'une vague que pour me cacher derrière une fausse identité. « C'est quoi votre prochaine étape avec votre chariot ? On va déambuler comme deux bêtes de foire dans tout le quartier pendant longtemps ? Que vous soyez contraint par un syndrome du sauveur, ou que vous en ayez rien à faire de vos patients m'intéresse pas tellement. Je cherche pas à vous comprendre, vous faites ce que vous voulez de votre vie. Même mentir en affirmant voir que les autres vous regardent au quotidien. Ca me fait chier sur le moment, mais sur la durée, j'en ai rien à foutre, je compte pas vous voir tous les soirs. Deux fois, c'est déjà pas mal. Pas certain de revenir une troisième fois pour que vous me sortiez les mêmes conneries en boucle. Je veux bien admettre que j'ai quelques blocages sur ce type de pensée, mais je dois les faire disparaître. Les pensées. Je veux pas changer qui je suis. On en revient encore au même point. C'est le seul problème qui cloche dans ma tête. Y a rien d'autre à trouver ailleurs. Ce qui nous ramène, une fois de plus, à l'inutilité de cette discussion. » Et ça commence très doucement à me foutre les nerfs en l'air. Je déteste tourner en rond, et avoir la sensation d'être pris au piège.


I remеmber how I'd find you, fingers tearing through the ground. Were you digging something up or did you bury something down? In your soul, I found a thirst with only salt inside your cup.
Angelo Borghese
Angelo Borghese
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À deux reprises, encore, il corrige la mention du prénom par le nom. Comme tout à l’heure, quand j’ai dit que je croyais nécessaire de lui rappeler quelque chose. Je dois admettre que je prends un plaisir malicieux à l’appeler Oskar plutôt que Birkeland, aussi souvent me reprendra-t-il. Une façon gamine, sans impact, de l’embêter et de me venger de certains de ses commentaires. J'entends le son d'un tissu qui se froisse, puis d'une bouteille qu'on débouchonne. Le son m'en rappelle brièvement un autre : celui de tous les contenants alcoolisés que j'ai ouvert, lors de soirée perdue dans le brouillard. Je me doute que ce n’est probablement pas ce que l’homme à mes côtés a pris, et qu’il vient sûrement de boire son fameux polynectar. Du peu que je sais à son sujet, je ne l’imagine pas prendre une cuite allègrement en marchant avec moi. Trop de risques de dérapage et pour sa réputation, pour quelqu’un qui veut rester anonyme. « Ce sont pas des impressions mais des réalités. Mon père me le fait savoir bien assez souvent pour que je sois au courant de la moindre déception que je lui occasionne. J'ai suivi ses traces professionnelles, mais pas dans la même branche : déception. Il n'a même pas fait l'effort de venir me féliciter lors de ma dernière promotion. La semaine dernière j'ai encore refusé un contrat qu'il voulait m'imposer. Voyez, ce ne sont pas des impressions. Tout ce que je fais est moins bien que mes adelphes. Pas de mariage en vu, pas de reprise de sa carrière à l'identique, pas assez en retenue, pas assez responsable pour qu'il ne se permette pas de prendre des décisions à ma place sans me consulter, pas assez distant, pas assez calme, pas assez... » L'homme s'arrête et un ronflement sourd lui échappe, qui me semble exprimer une frustration et une rage déjà bien visibles dans ses répliques. Impossible de manquer l’importance de ce père dans sa vie, dans ses réflexions et ses aspirations. Ses actes dans le présent, aussi. Pas assez. Je n’ai jamais ressenti une telle chose auprès de mes parents, dans ma jeunesse, mais c’est un commentaire qui revient fréquemment auprès des rejetons des Douze familles qui me consultent. J’avais déjà peu de doutes sur la nature du sang de l’homme, et mes soupçons ne font que se confirmer. Je ne peux qu’éprouver de la sympathie, face à ce type de paroles douloureuses, des paroles qui trahissent des impacts, des facteurs environnementaux et des obstacles que ceux qui les prononcent remarquent rarement. « Mon milieu n'est pas ouvert non plus. C'est une certitude. C'est l'un des fonds de blague préféré des équipes. C'est associé à une idée de faiblesse, de manque de virilité, et tout ce qui manque de virilité, dans ce milieu, est sujet à moquerie et dégoût. » Un milieu en particulier colle bien à cette description et à son attitude général : l’armée. Je ne dis rien et ne cherche pas à l’interroger pour obtenir plus de précisions sur le sujet. Ce serait Angelo, qui s’informerait, si je le questionnais. Pas le professionnel. Le professionnel, en cet instant, a suffisamment à creuser sans avoir besoin d’une précision nette sur son boulot. Je me fais néanmoins la réflexion que les cartes se dévoilent et que le chemin s’éclaire : dans ces conditions, pas étonnant qu’il soit venu me voir dans mon bureau dans l’espoir d’un remède miracle.

Mes chaussures claquent avec moins de fermeté sur les pavés. Les trous sont plus nombreux, les flaques aussi, ce qui me permet de me repérer avec davantage de précisions. Je connais le coin, je sais où la route est plus abîmée, négligée par les autorités qui préfèrent investir dans la réparation des beaux quartiers. « C'est quoi votre prochaine étape avec votre chariot ? On va déambuler comme deux bêtes de foire dans tout le quartier pendant longtemps ? Que vous soyez contraint par un syndrome du sauveur, ou que vous en ayez rien à faire de vos patients m'intéresse pas tellement. Je cherche pas à vous comprendre, vous faites ce que vous voulez de votre vie. Même mentir en affirmant voir que les autres vous regardent au quotidien. Ca me fait chier sur le moment, mais sur la durée, j'en ai rien à foutre, je compte pas vous voir tous les soirs. Deux fois, c'est déjà pas mal. Pas certain de revenir une troisième fois pour que vous me sortiez les mêmes conneries en boucle. Je veux bien admettre que j'ai quelques blocages sur ce type de pensée, mais je dois les faire disparaître. Les pensées. Je veux pas changer qui je suis. On en revient encore au même point. C'est le seul problème qui cloche dans ma tête. Y a rien d'autre à trouver ailleurs. Ce qui nous ramène, une fois de plus, à l'inutilité de cette discussion. » Il se fout de ce que je fais, mais me demande quelle est la prochaine étape ? Intéressant. J’y vois la simple habitude celui qui veut connaître la suite ou une tentative, encore, d’orienter le sujet sur un autre thème. Et j’y vois, surtout, qu’il a admis avoir des blocages. Il n’en a peut-être pas conscience, mais ce simple aveu, dans un contexte où il me supporte très peu, est déjà pas mal. « Ces pensées ne changent pas qui vous êtes. C’est plutôt en me demandant de vous aider à les faire disparaître que vous essayez de changer qui vous êtes, Oskar. Et pas pour vous. » Ma voix demeure douce, alors que je bifurque de nouveau, cette fois sans me fier à Hope. Je connais bien ce coin, c’est ici que j’ai passé beaucoup de soirées. J’entends d’ailleurs le bruit habituel des éclats de voix et de couverts, qui résonnent à travers les murs trop frêles et mal insonorisés des bâtiments qui doivent nous entourer. D’autres sons, moins fréquents, comme des bruits de pas qu’on essaie de camoufler, à la fois léger et trop lourds, se font également entendre. Je fronce légèrement les sourcils, tournant la tête vers ma fylgia, comme si je pouvais la voir. Elle capte ce que je lui demande et je sens sa silhouette disparaître, alors qu’elle prend très probablement la forme du quetzal. Un léger bruissement s’élève au-dessus de ma tête, alors que je reprends : « Les blocages, que vous venez d’admettre, servent généralement à nous protéger. De la douleur qu’on appréhende, de la peine qu’on ne veut pas éprouver, de quelque chose qu’on a l’impression de devoir garder caché…De la peur de décevoir, aussi. » Mon ton se fait légèrement plus insistant dans les derniers mots. On a tous nos raisons, pour bloquer certains thèmes ou se mentir à soi-même. Les dangers, au-delà de ceux inhérents au fait de refouler des émotions, se situent aussi dans le déni de nos véritables motivations.

Je n’entends plus les ailes d’Hope, mais je sens qu’elle n’est pas loin. Elle ne tire pas trop sur notre lien, ce qui me confirme ce que je crois avoir détecté : nous ne sommes pas seuls dans les environs et les personnes qui nous suivent, ou plutôt qui viennent vers nous, sont proches. Je poursuis tout de même :  « Si on résume, vous avez ces pensées, ces envies, qui seraient peut-être bien moins dérangeantes pour vous dans un autre milieu familial et professionnel. Et si je me fie à ce que vous avez énoncé, c’est surtout pour les autres, qu’elles sont indésirables. Vos collègues, selon vous, et votre père. » Le dernier point semble nettement important, pas seulement sur cet aspect. Les sentiments qui étaient perceptibles, quand il a parlé de lui, soulevaient plusieurs questions, qui allaient bien au-delà de ses désirs. Je continue :  « Ça revient à vivre pour autrui et faire taire vos véritables besoins, pour correspondre à leurs attentes. Ça peut être votre vision de la vie ; mais si vous voulez éteindre une part de vous-mêmes, et souffrir par la même occasion, autant que vous sachiez pourquoi réellement vous le faites et quelles sont les vraies raisons, derrière. À ce moment, vous pourrez prendre une décision lucide, sans déni, qui implique tous les facteurs. Sinon, vous allez être constamment tiraillé. Déjà, parce que vous réprimez ce que vous ressentez et ce que vous voulez. Ensuite, parce que vous vous racontez des conneries sur les raisons qui vous pousse à vous réprimer. Si vous le faites, au moins soyez honnête avec vous-même, ça vous évitera une double lutte.» Dans un battement d’ailes rapide, Hope revient vers moi. Je la sens changer de forme pour reprendre celle du tigre ; ses dents s’appuient contre ma main, sans s’y enfoncer, pour me transmettre ce qu’elle a vu sans devoir prendre la parole. Je soupire, sans savoir si je suis blasé, agacé ou en colère ; les trois, peut-être. Je m’arrête, déposant doucement la poignée de mon chariot sur le sol, avant de me redresser :   « On est entourés, au moins trois types. Ce sont pas des amis, ni des habitués. Et j’crois pas qu’ils veulent bavarder : ils ont la démarche lourde de ceux qui sont payés seulement pour faire taire les gens qui posent trop de questions. Tu fais ce que tu veux : tu peux rester ou te casser, ça te concerne pas, j’aurai d’autres disponibilités plus tard dans la semaine. » Est-ce que ce sont ceux qui nous regardaient tout à l’heure, selon Oskar ? J’en doute. Je crois que les premiers n’étaient que des observateurs, qui ont transmis l’information, et que ma présence commence à faire chier certaines personnes. Sans surprise. Cette nouvelle information vient compliquer ma soirée, mais ne me déplaît pas entièrement. Cogner sur des types liés au réseau responsable de la mort de Pedro, ça peut défouler bien mieux que de faire une thérapie. Même si je sais bien, avec davantage d’honnêteté que de mauvaise foi, que je ne sors plus gagnant des bagarres depuis bien longtemps.

J’attrape ma baguette d’une main calme, mes épaules roulant vers l’arrière par habitude, comme pour dénouer mes muscles, alors que les pas se rapprochent. Je peux reconnaître, à la simple variation des sons, le moment où ils sont probablement visibles, plutôt qu’entre deux bâtiments :   « Perdus, messieurs ? Le bar de ceux sans colonne vertébrale, c’est par là. » Je fais mine de pointer dans une direction, de la main qui tient la baguette. Le sort – un simple sortilège d’immobilisation – jaillit au même moment et je comprends à l’exclamation rageuse des deux autres que j’ai bien atteint ma cible. Probablement ma seule victoire de la soirée ; esquiver des sorts, dans ma condition, tient du miracle. Il y a des limites aux compétences de l’ouïe.
Ying Yue Amundsen
Ying Yue Amundsen
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Ici, Y'a Pas De Portes À Claquer
tw : homophobie

@Angelo Borghese  • 12 février 2024 - Soirée


« Ces pensées ne changent pas qui vous êtes. C’est plutôt en me demandant de vous aider à les faire disparaître que vous essayez de changer qui vous êtes, Oskar. - Monsieur Birkeland - Et pas pour vous. » Rengaine habituelle, je devine qu’il s’amuse à m’appeler par mon faux prénom. Par plaisir, ou pour me faire chier, les deux. A ce niveau-là ce ne peut être rien d’autre qu’une volonté de se foutre de ma gueule. De mon côté, je ne compte pas cesser non plus de le reprendre. Je ne lui laisserais pas cette victoire. Je le suis encore quand il bifurque, et mon regard glisse sur la silhouette de plusieurs personnes dont les pas semblent vouloir suivre le même trajet, à quelques mètres derrière nous. L’esprit ne se focalise pas dessus, mais enregistre l’information pour autant dans un coin de la vigilance qui ne dort presque jamais. Les réflexes sont trop ancrés, les sens du loup trop aiguisés pour qu’on puisse se narguer de me prendre si facilement par surprise. Je doute cependant que les silhouettes suivent mes pas spécifiquement, d’où mon désintérêt latent qui me pousse à poursuivre mon cheminement sans rien modifier à mon attitude. Le tigre blanc change lui, de forme, et s’envole rapidement au-dessus de nos têtes que je lève en tirant sur ma cigarette, curieux de découvrir une nouvelle apparence à la fylgia du psychomage. Un quetzal, impressionnant et peu commun, mais probablement très pratique pour voir de loin. Ce que l’homme ne peut plus faire. Habile cette utilisation de l’animal pour palier à ses propres contraintes. « Les blocages que vous venez d’admettre, servent généralement à nous protéger. De la douleur qu’on appréhende, de la peine qu’on ne veut pas éprouver, de quelque chose qu’on a l’impression de devoir garder caché…De la peur de décevoir, aussi. »  Je sais qu’il a raison, en théorie, sur les blocages. Je vis avec, je vois les potes militaires au fond des cales des navires ériger les leurs. Tous ces mécanismes de défense trop visibles dont personne ne parle, ou très peu. Pour faire une vanne de temps en temps et se marrer un coup du déni qui coule dans le discours de notre voisin de couchette. Ce serait totalement hypocrite de ma part de ne pas admettre avoir les miens. Ils sont la base de mon éducation depuis l’enfance. Apprendre par le contrôle à maîtriser ce qui nous gouverne. Dépasser l’instinct animal, le faire sien, le rendre au service de nos propres ambitions. Et celles des Amundsen sont l’excellence et la victoire. Sur tout, tout le monde, tout le temps. Vaincre ses peurs. Vaincre les sentiments qui nous paralysent le cœur, vaincre ce putain de cœur qui contredit la logique. Vaincre nos spécificités pour prendre la place au milieu des autres. Pas toutes les spécificités non, mais celles qui empêchent de nous faire suivre la trace. Donc oui, je sais à quoi servent ces blocages. La question est de savoir si j’ai envie de savoir de quoi ils me protègent réellement. Au-delà de la déception du paternel, inévitable et déjà effective. C’est plus cette question-là qui me fait brièvement serrer la mâchoire et durcir l’expression de mon visage. Comme si ma veste était soudain devenue inconfortable, je roule une épaule, lisse distraitement le revers du col, avant de chercher instinctivement Bølga du regard sans le trouver. La brume scintillante a quitté mes jambes quand le cerveau a noté la présence des silhouettes qui ont pris la même bifurcation que nous, et qui continuent de s’approcher au son de pas lourds sur le pavé inégal. Dans cette partie-là du quartier, la rue est en très mauvais état, les odeurs plus âcres encore et celle de mon tabac ne suffit plus à en cacher les relans déplaisant qui me font pincer des narines de temps en temps. Je soupçonne ma Fylgia d’être plus intéressée que moi, profitant d’avoir une excuse de disparaître pour reprendre forme quelque part loin du regard du tigre-oiseau. « Si on résume, vous avez ces pensées, ces envies, qui seraient peut-être bien moins dérangeantes pour vous dans un autre milieu familial et professionnel. Et si je me fie à ce que vous avez énoncé, c’est surtout pour les autres, qu’elles sont indésirables. Vos collègues, selon vous, et votre père. » Bien résumé, même si elles sont aussi indésirables pour moi, aussi. Je me passerai bien de certains rêves, ou de certaines pensées quand l'infirmier Jakob s'entraîne en même temps que moi dans la salle de sport de la base maritime. « Ça revient à vivre pour autrui et faire taire vos véritables besoins, pour correspondre à leurs attentes. Ça peut être votre vision de la vie ; mais si vous voulez éteindre une part de vous-mêmes, et souffrir par la même occasion, autant que vous sachiez pourquoi réellement vous le faites et quelles sont les vraies raisons, derrière. À ce moment, vous pourrez prendre une décision lucide, sans déni, qui implique tous les facteurs. Sinon, vous allez être constamment tiraillé. Déjà, parce que vous réprimez ce que vous ressentez et ce que vous voulez. Ensuite, parce que vous vous racontez des conneries sur les raisons qui vous pousse à vous réprimer. Si vous le faites, au moins soyez honnête avec vous-même, ça vous évitera une double lutte. » Prendre une décision lucide. Je ne sais pas pourquoi plus que le reste cette phrase me marque. Vous pourrez prendre une décision lucide. Peut-être la tournure, le mot lucidité qui est exactement ce que je cherchais en cédant au besoin de prendre rendez-vous avec un psychomage. La lucidité qui me manque de plus en plus sur le sujet. Cette dualité qui brouille tous mes repères, chaque jour un peu plus, changeant des réalités qui étaient miennes et que j'avais réussi à enfouir profondément dès les premiers signes. Le premier regard glissé sur un autre dans une sensation de chaleur malgré le froid de l'hiver scandinave. Le reste ne fais écho à rien dans mon crâne si ce n'est un violent réflexe de rejet. Non, je ne vis pas pour autrui. Je vis pour moi, j'ai voulu de cette vie. Je veux ma place dans la meute, je veux cette loyauté au Amundsen. Je veux être l'un d'entre eux, pleinement, quitte à, en effet, peut-être, sous un certain angle, ne pas être entièrement. Non, je suis. Entier. La nervosité remonte, mâchouille la joue intérieure sans prêter attention aux alertes silencieuses de Bølga qui confirme l'arrivée imminente d'un danger potentiel vers nous. Deux bouffées rapides et rapprochées de cigarette plus tard, et je me retrouve à faire grincer mes dents les unes contre les autres. Il me fait chier. Ses derniers mots me font chier. Ils remuent trop de choses qui ne me plaisent pas. Des luttes, oui. Des foutues luttes. Lutter contre l'envie, lutter contre le dégoût, être tenté par l'un, restreint par l'autre. Je prends seulement conscience qu'on s'est arrêté quand un vol d'oiseau me ramène à la réalité de l'instant, et le tigre qui mord la main de son sorcier me fait froncer, moi aussi, des sourcils. Je ne comprends pas leur langage non verbal, et je ne cherche pas à le faire, mais l'attitude du Borghese laisse supposer qu'il a, lui aussi, connaissance de la présence des trois hommes qui sont désormais à quelques pas seulement de nous. Et que cela le fait chier. Est-ce qu'il s'attendait à ce que je lui communique cette information plus tôt ? Si c'est le cas, il s'est bien trompé sur mon compte. D'un geste presque lent, l'homme dépose la poignée du chariot au sol avant de me gratifier de précision inutile sur la situation : « On est entourés, au moins trois types. Ce sont pas des amis, ni des habitués. Et j’crois pas qu’ils veulent bavarder : ils ont la démarche lourde de ceux qui sont payés seulement pour faire taire les gens qui posent trop de questions. Tu fais ce que tu veux : tu peux rester ou te casser, ça te concerne pas, j’aurai d’autres disponibilités plus tard dans la semaine. » La fin de sa phrase me rassure, il n'a pas eu la connerie de croire que je me placerais en défenseur de l'aveugle entre lui et les bandits. Un bon point pour lui. En effet, ça ne me concerne pas. Je pourrais facilement me battre, les renvoyer d'où ils viennent, ou juste les foutre au sol et les laisser là. Mais ce serait presque trop facile, dommage, et honteux de ne pas profiter de l'occasion pour assister à un spectacle plus intéressant : celui de trois crapules qui se battent contre un aveugle qui semble prêt à prendre tous les coups plutôt que de reconnaître qu'il n'a aucune chance.

Sa baguette levée, je me décale très légèrement sans un mot pour lui laisser le plus de champ d'action possible, je prends même le parti de me reculer de trois pas vers l'extérieur du cercle pour marquer clairement que je ne souhaite pas être mêlé à leurs conneries. Je ne fais même pas l'effort de sortir ma baguette magique, baissant la tête vers la contemplation passive de ma cigarette pratiquement consumée dans son entièreté. « Perdus, messieurs ? Le bar de ceux sans colonne vertébrale, c’est par là. » Je souffle, amusé par la phrase du gars, un sourire narquois sur les lèvres. En une fraction de seconde l'atmosphère de la rue a changé, la tension s'est cristallisée sur nous, l'attention déjà focalisée sur notre duo s'est faite plus écharpée et nerveuse, et mon propre changement de comportement est notoire. Les traits se détendent, glissent vers des lueurs joyeuses où luisent une très infime lassitude quand le sort atteint sa première cible avec trop facilité sous l'exclamation énervée des deux autres. J'ai presque envie de ranimer le malheureux qui n'aura pas eu le temps de faire la démonstration de ses talents de duelliste de rue. Mais le combat ne me regarde. Je m'en désintéresse même complètement quand le premier sort adverse fuse vers l'aveugle. Je pourrais transplaner immédiatement et rentrer chez moi me changer pour aller rejoindre Jens chez lui pour profiter de cette fin de soirée dignement. Mais l'attrait d'un combat dans un tel milieu sous tension est trop fort et je reste, observant distraitement les échanges de magie. Mes pensées, elles, dérivent malgré moi trop rapidement vers les mots qu'il avait prononcé avant qu'on ne soit dérangé par ses autres activités lucratives. Ça peut être votre vision de la vie ; mais si vous voulez éteindre une part de vous-mêmes, et souffrir par la même occasion, autant que vous sachiez pourquoi réellement vous le faites et quelles sont les vraies raisons, derrière. Ca m'agace, parce que je sens que cette vision des choses me semblent être une première piste d'issue possible. Tout en étant impensable, encore, par une large partie de mon cerveau. Quelque chose cloche dans tout ce qu'il a dit, et de comment je vis la chose au quotidien. Quelque chose qui forme un noeud irrésolu dans ma tête et ne cesse de jouer sur ces luttes dont il parle. Ca ne me dérange pas de lutter. Je le fais au quotidien, dans mon travail, sur le terrain, avec les autres, envers mes sentiments contraire pour tous, pour Sebastian, pour les autres. Je lutte, pour faire taire ce coeur. Ta sensibilité est ce qui te rend singulier parmi tes adelphes Ying Yue. Connerie de sensibilité. Je tire, longuement, sur la fin de la cigarette avant d'expirer la fumée d'un oeil neutre posé sur le psychomage dont la situation ne semble plus aller en son sens vers la victoire. Le geste qui tire la baguette de ma ceinture est lent et se fixe en premier sur le mégot qui disparait dans un léger crépitement. Un soupir résigné s'échappe de ma poitrine quand je me décide enfin à refaire les trois pas en avant et me rapprocher du combat en cours. « L'abimez pas trop, on était en pleine conversation. J'ai pas fini de lui poser des questions. » Mon ton est à la fois un avertissement et d'une neutralité de pierre. L'un des deux gars se retourne vers moi d'un volte-face presque comique tellement il est empressé et qu'il manque de s'empêtrer dans son propre manteau. « Tu passeras après pour tes questions. » Agressif, vindicatif, peu enclin à discuter. Ca tombe bien, moi non plus. « J'ai pas le temps pour vos conneries de cours de récréation. Dégagez. » Cette fois ma voix, trop grave du polynectar, claque, ordre sec et froid. Je ne compte pas leur laisser le temps de répondre, encore moins d'avoir l'idée de le faire. Ils me font chier, je suis déjà entrain de perdre la question que j'avais en tête pour mon psychomage. Un premier sort jaillit, coupe de poignet souple, qui lance mon hameçon magique fétiche, droit dans la gorge du premier, avant de faire passer le fil de pêche autour du coup du deuxième en me déplaçant rapidement. Des gestes répétés si souvent qu'ils sont la continuité des autres sans marquer la moindre hésitation ni le moindre temps de pause. Le bras tire en arrière, les deux corps qui n'ont d'autre choix que de se rapprocher dans un gargouillis de gorges entravées. Le premier, celui dont l'hameçon à travers la chair, a porté ses mains à sa jugulaire de façon inutile, mais attendue. Le liquide vermillon s'échappe du trou causé par l'attraction. L'autre, étouffé par le fil trop fin qui lui cisaille la peau cherche l'air qui parvient difficilement à ses poumons. Suffisant. Je relâche le sort dans un regard sombre avant de pousser les deux corps titubants de deux coups de pied dans leurs reins respectifs. La force du loup les envoient chacun dans un craquement d'os bruyant rejoindre le corps de leur premier acolyte toujours assommé. « Inutile de revenir. » Ma voix claque une dernière fois, autoritaire, avant que je ne réajuste ma longue veste d'un mouvement d'épaules.

Je pousse un soupir avant de m'accroupir aux côté de l'homme dont la posture n'était pas la plus avantageuse, agacé par la situation. « J'entends vos histoire de faire un choix lucide. Ca me parle plus que vos conneries précédentes. Mais il y a un problème par rapport à ça. Je fais commence pour prendre une décision lucide quand ça me dégoûte moi-même ? Vous avez tort, le problème n'est pas que pour les autres, mais pour moi aussi. Moi aussi ça me dérange. Quand...hum...Quand j'embrasse un...Homme. » Le mot est murmuré, avec dégoût, acidité, comme s'il m'arrachait littéralement la langue. « J'arrive à traiter l'information de mon désir. Mais dès que d'autre gestes s'impliquent. C'est le dégoût qui l'emporte. Le dégoût de l'autre, de moi et de ce que je suis en train de faire. Le dégoût de ce que je donne à voir. Le dégoût de la sensation même. Voyez. C'est pas pour les autres que je veux que supprimer ces pensées. Mais pour moi. Pour retrouver cette lucidité et la simplicité de l'état de fait : ce genre de personnes me dégoûte et ne devrait pas exister. Et surtout pas dans ma tête. Comment vous justifiez que je puisse avoir envie, que ce soit ce que je suis comme vous le supposez, et que ça me dégoûte autant ? Ca ne fait aucun sens. » Je fronce du nez, malgré moi, malgré le rendu désastreux sur le visage du gars dont j'ai pris l'apparence. Je sens la dépression magique qui survient, comme la dernière fois, le long du lien qui me lie à Bølga. Il a recommencé ce je ne sais quoi qui me fait très légèrement ciller avant de reporter mon attention sur l'homme.  « Ca me concerne pas, mais j'aime bien savoir la gueule de qui je casse. Vous êtes mêlé à quel genre d'histoire ? Un problème avec le cartel local ? C'est quoi ? Vous êtes un auror déguisé et votre couverture vient de voler en éclat ? Quoi que, ces trois là avaient l'air peu entraîné. Ils ont fait l'erreur de supposer que j'interviendrai pas. Des exécuteurs de pacotille. » Le dédain exprimé est clair. Je déteste les mauvais duellistes et ceux capables de faire des erreurs aussi grossières que celle-ci. Je suis probablement hypocrite en raison de mon propre sur-entrainement, mais cette vision des choses m'intéressent peu. Ils étaient déplorables, et s'ils reviennent, je me ferai un plaisir de leur montrer en quoi la rigueur est nécessaire quand on s'engage dans un combat.



I remеmber how I'd find you, fingers tearing through the ground. Were you digging something up or did you bury something down? In your soul, I found a thirst with only salt inside your cup.
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