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Ici, y'a pas de portes à claquer (Ying)
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Angelo Borghese
Angelo Borghese
GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden
Je n’ai aucune idée sur le choix qu’a fait Oskar. A-t-il transplané ? Peut-être bien. Trop concentré sur les sons des deux assaillants restants, je l’ai temporairement occulté de mes pensées. Je ne l’imagine pas incapable de se battre, pas avec les quelques informations données, notamment sur l’armée, mais je le crois capable de se barrer, par indifférence, ou de se mettre dans un coin pour simplement m’observer. Et se marrer ensuite. Cette option pourrait me faire grincer des dents, si je n’étais pas occupé à éviter un sort balancé par l’un des deux types. Hope m’a prévenu, par ces contacts à lesquels nous sommes habitués, et j’ai pu lancer un contresort à temps. Je ne me berce néanmoins pas d’illusions sur l’issue de la bataille : je vais perdre. J’ai toujours su me battre et je n’ai pas perdu toutes mes compétences, mais ma cécité est un sacré désavantage. Et ça me fait chier, inévitablement, dans ce genre de situation qui me confronte à mon écœurement d’un handicap que j’accepte mieux, mais encore mal.

Le second sort, que j’ai essayé de contrer trop tardivement, me projette sur le sol humide. L’impact est brutal, mais mon corps massif en absorbe une partie. La douleur se fait surtout sentir au niveau de la peau dénudée, qui est entrée en contact avec le bitume. Mon t-shirt s’est légèrement relevé pendant mon atterrissage, et je sens une  désagréable sensation de brûlure sur mon dos, dont la chair est déjà abimée depuis longtemps. Les sons se confondent, à partir de cet instant. Je note les pas précipités, j’entends les voix agacées, mais je distingue mal leurs mouvements. Trop de bruits en simultanée.

Les hommes semblent s’être dit qu’avec moi, la baguette n’était plus nécessaire. Un pied heurte mes côtes violemment, m’arrachant un grognement étouffé. Me fiant à une proximité que je devine, je range ma propre baguette, avant d’attraper la jambe d’un des types, tirant brutalement dessus. Il chute à mes côtés et je roule, malgré la douleur, pour agripper le tissu de son haut ; ma poigne est solide, tout comme mon poing, quand je frappe dans sa direction. J’entends la machoîre qui craque, signe que j’ai bien visé, et les jurons rageur de l’autre homme qui doit être parvenu à notre hauteur. Je ne vois rien, non. Mais j’entends, je sens. Je ne suis pas complètement inutile, complètement impuissant, et j’ai encore un foutu orgueil, qui m’a toujours dicté de continuer à me battre, même quand je sais le combat perdu d’avance.

Car il est bien perdu, ce combat. Je le sais quand le second coup me renvoie vers l’arrière, ma tête heurtant plus durement le sol. L’un des types est en colère – le plus amoché, probablement – et essaie à son tour de me soulever, comme je l’ai fait précédemment. Je suis certain que du point de vue d’un observateur, cette scène est marrante et ridicule. Je suis trop lourd pour l’homme ; il ne parvient pas à me faire bouger, et de dépit, il se contente de m’asséner un coup en plein visage. Je le contre trop tard ; les nerfs se révoltent, le nez craque, les pensées se mélangent brièvement. Hope est à mes côtés, mais elle ne s’en mêle pas. C’est une entente, entre nous. Je ne veux pas être l’homme défendu par sa fylgia, incapable de le faire soi-même. C’est con, c’est orgueilleux, mais c’est assumé. « Va falloir que t’apprenne à te mêler de tes affaires, Borghese. »  Je ricane franchement, même si mon rire se transforme de nouveau en grondement, lorsque des bottes heurtent encore une fois mon abdomen. Vraiment, ils ont une drôle de préférence pour ce moyen. « Pour que vous fassiez d’autres victimes comme Pedro ? Allez vous faire foutre, ne pas me mêler de mes affaires, c’est pas mon genre. » Ma voix est hachée, mes mots sont saccadés. La stratégie non plus, ce n’est pas mon genre. Parce que ce serait infiniment plus stratégique de dire ce qu’ils veulent entendre, de feindre et de ne pas provoquer. Mais en cet instant, je me fous éperdument de stratégie.

Un énième coup me fait brièvement perdre la notion du temps. Si j’avais des yeux efficaces, ils se seraient probablement voilés. À la place, c’est mon esprit qui fait tomber un rideau noir sur le reste. « L'abimez pas trop, on était en pleine conversation. J'ai pas fini de lui poser des questions. » J’entends la voix d’Oskar, qui me semble lointaine, et à laquelle l’un des types réponds. D’autres sons se font entendre, sans que je sois en état de les trier. Mes oreilles bourdonnent, ma tête me fait mal, ma peau brûle et c’est infiniment difficile de reprendre contact avec la réalité, quand la dite réalité se trouve dans les ténèbres. Je sens Hope qui s’étend à mes côtés et des mouvements agités, puis des chutes. Je devine ce qui a dû se passer : mon anonyme sous polynectar a dû se charger des deux types restants. Cette possibilité m’arrache un nouveau grondement, alors que je plaque mes mains contre le sol pour m’obliger à me redresser. Je suis parfois un psychomage bien pitoyable, en ce qui concerne ma propre introspection : je hais l’impuissance. Quand j’ai perdu la vue, après mon accident, je refusais l’aide de tout le monde, même quand c’était bienveillant. Je détestais qu’on veuille gentiment me guider, j’étais écoeuré quand on rapprochait de moi un objet pour m’éviter de le faire tomber, j’avais en horreur tout acte « spécial », dû à ma condition, qu’importe la charité et les raisons derrière. J’ai évolué, mais j’ai encore du mal avec ce genre d’actes. Même quand il s’agit d’un combat que je ne gagne pas, et que je sais très bien que celui qui s’en est mêlé ne l’a pas fait par pitié ou compassion. « Inutile de revenir. » Un rictus s’étire sur mes lèvres, alors que je cherche à calmer tant la précipitation de mon cœur que mon agacement croissant. Agacement à l’égard des individus qui ont attaqué, et qui sont probablement liés au trafic qui a emporté Perdu, mais agacement aussi à l’égard de cette foutue faiblesse qui sera toujours la mienne. C’est humiliant, de se faire sauver par quelqu’un d’autre, qu’importe ses raisons. Humiliant et exécrable.

Le goût du sang s’infiltre sur ma langue, sans que je ne sache sa provenance. Je glisse ma main contre mon nez et d’un mouvement brutal, sans tergiversation, le remet en place. Un craquement sec se fait entendre et mes dents s’enfoncent dans ma joue, tandis que je reprends la baguette que j’avais précédemment rangée. Faire des soins à l’aveugle, ce n’est pas l’idéal, et j’ai une pensée agacée envers l’homme qui a assisté à tout ce spectacle, et qui se marre peut-être de l’impact visible de mon handicap. Je l’entends d’ailleurs s’accroupir proche de moi, alors que d’un sort, j’achève de soigner mon nez, avant de murmurer un sort destiné à mes côtes. « J'entends vos histoire de faire un choix lucide. Ca me parle plus que vos conneries précédentes. Mais il y a un problème par rapport à ça. Je fais commence pour prendre une décision lucide quand ça me dégoûte moi-même ? Vous avez tort, le problème n'est pas que pour les autres, mais pour moi aussi. Moi aussi ça me dérange. Quand...hum...Quand j'embrasse un...Homme. » Cette capacité à reprendre la conversation là où elle était, comme s’il n’y avait eu aucune interruption, est mémorable. Et appréciable. Je préfère ce retour à l’ancien sujet qu’un commentaire sur ma condition ou une moquerie qui, même si elle viendra très certainement, ne pourrait que m’agacer dans l’immédiat. Je note dans un coin de mon esprit le fait qu’il a prononcé cette fois des mots complets, importants, sans les atténuer : embrasser un homme. Les réflexions ne vont pas plus loin. Mon esprit s’agite encore, et je dois déployer des efforts considérables pour m’ancrer dans le présent et dans ce qui est en train de se dérouler et de se dire, dans une obscurité bien plus dérangeante après un combat qu’au quotidien. « J'arrive à traiter l'information de mon désir. Mais dès que d'autre gestes s'impliquent. C'est le dégoût qui l'emporte. Le dégoût de l'autre, de moi et de ce que je suis en train de faire. Le dégoût de ce que je donne à voir. Le dégoût de la sensation même. Voyez. C'est pas pour les autres que je veux que supprimer ces pensées. Mais pour moi. Pour retrouver cette lucidité et la simplicité de l'état de fait : ce genre de personnes me dégoûte et ne devrait pas exister. Et surtout pas dans ma tête. Comment vous justifiez que je puisse avoir envie, que ce soit ce que je suis comme vous le supposez, et que ça me dégoûte autant ? Ca ne fait aucun sens. » Il réfléchit. Il réfléchit et c’est ce qui est important : le recul survient quand on ne cherche aucune explication, quand on se pose aucune question, quand ne cherche aucun sens et qu’on ne fait qu’avancer, en refusant toute réflexion.

Je range ma baguette, avant de glisser avec dédain mes doigts à l’arrière de mon dos. Je sens un liquide poisseux là où la peau a heurté le bitume, signe clair que mes bonnes vieilles cicatrices ont décidé de participer elles aussi à la fête. Elles m’emmerdent, royalement. J’essuie mes doigts contre mon jean, en me faisant la brève réflexion que je dois assurément avoir une sale gueule, en cet instant. Ça me permettra peut-être de continuer le reste de ma tournée tranquillement. « Ca me concerne pas, mais j'aime bien savoir la gueule de qui je casse. Vous êtes mêlé à quel genre d'histoire ? Un problème avec le cartel local ? C'est quoi ? Vous êtes un auror déguisé et votre couverture vient de voler en éclat ? Quoi que, ces trois là avaient l'air peu entraîné. Ils ont fait l'erreur de supposer que j'interviendrai pas. Des exécuteurs de pacotille. » Une erreur crédible. J’ai aussi fait cette supposition, et je ne sais pas ce que j’aurais vraiment préféré, entre l’intervention ou l’abstention. Ces mecs ne m’auraient pas tué ; ce qui fait le plus mal dans ce type de combat, ce ne sont pas les coups. C’est l’orgueil écrasé et l’impuissance, cette foutue impuissance qui devient nettement claire quand un autre homme vient à mon aide, comme si je n’étais qu’un aveugle incapable de quoi que ce soit. Je m’efforce néanmoins d’écarter cette pensée ; ce genre de réflexion ne peut me faire que replonger, comme jadis, pas me faire progresser. « Sauf que vous êtes intervenu. Sensibilité caché, désir de combat ou simple crainte de ne pas pouvoir me questionner ? »   Ma voix, même si moqueuse, est surtout pâteuse. Je glisse mes doigts contre ma machoîre pour la masser, sans percevoir de fracture. Je ne remercie pas Oskar, volontairement, tout en sachant que c’est peut-être ingrat. Un merci impliquerait une aide attendue et désirée. Je lui ai dit qu’il pouvait se barrer, et je ne sais toujours pas s’il compte se servir de cet épisode pour se moquer. Probablement. Aurais-je la patience pour le supporter ? Moins probable. Je rajoute : « Si j’étais un auror déguisé, même aveugle, je serais plus efficace que les vrais. » Le mépris perce légèrement dans ma voix alors que d’une poussée, je me remets debout. L’univers tangue. Une sensation désagréable, surtout quand on ne peut pas le remettre droit. Je serre les lèvres, ancrant solidement mes pieds dans le sol. Hope s’est relevée aussi, s’appuyant contre ma cuisse. Sans soucis des convenances, je crache au sol l’excès de fer qui remplit encore ma bouche, avant de reprendre d’une voix plus nette : « Moi, j’suis mêlé à aucune histoire. Mais y’a une nouvelle drogue qui circule depuis un moment, et les gars aiment pas que je leur arrache des vendeurs et que je pose trop de questions. » Ils aiment pas que je leur arrache des exécuteurs, aussi. Personne n’est noir ou blanc, y’a que du gris. Même ceux qui se sont servis de leurs poings aujourd’hui pourraient un jour atterrir dans mon bureau. Je les accepterais. Le problème, ce ne sont pas ceux qui agissent directement dans la rue, mais plutôt ceux qui agissent en retrait : ces mecs qui en engagent d’autres, en se foutant des têtes qui tombent.

Pour éviter de tâtonner comme un con pendant deux minutes, et pour m’éviter aussi une nouvelle humiliation, je lance un sort pour récupérer la poignée de mon chariot, et le dit chariot au passage. Mes doigts se referment sur l’objet de plastique, tandis que je tourne ma tête dans la direction où je devine la présence d’Oskar : « Vous m’avez demandé comment faire pour prendre une décision lucide, quand ça vous dégoûte vous-même. » Je marque une pause, pendant laquelle je reprends mon souffle. Je ne suis pas un geignard, je ne l’ai jamais été. Mon corps a ses limites, mais il est capable de prendre des coups ; si je ne contrôle pas mes yeux, je peux au moins avoir un certain contrôle sur ce que je peux supporter. Je reprends : « Les gens confondent souvent l’émotion avec les raisons derrière, ou la nomment mal. Si je résume vos propos, vous avez parlé du dégoût de ce que vous projetez aux yeux des autres - encore les autres - , du dégoût de vous, de l'acte, de l'autre. Vos réponses paraissent précises, mais elles sont en fait très générales : pourquoi ça vous dégoûte ? Est-ce une vision soi-disant écoeurante de l’acte qu’on vous a inculqué, qui vient se greffer à ce que vous ressentez vraiment ? Est-ce que ce qui vous dégoûte, au fond, c’est aussi d’aimer ça ? Quelles pensées, quelles émotions, proviennent vraiment de vous, de ce que vous ressentez fondamentalement, quand vous allez plus loin que la vision des autres sur vous, et quelles sont les pensées, les réflexes de dégoût, qu’on vous a plutôt inculqués au fil des années, au point que vous pensez que ce sont aussi les vôtres, sans que ce soit vraiment le cas ? » Comme lui précédemment, je reprends l’ancien sujet. J’ai le désir net qu’on ne parle pas de ce qui s’est passé, de cet échec prévisible, et exaspérant. Et j’ai aussi très conscience qu’un homme tel qu’Oskar, qui a déjà une très piètre opinion de moi, pourrait s’en servir à son avantage. Emmerdant, vraiment.
Ying Yue Amundsen
Ying Yue Amundsen
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Ici, Y'a Pas De Portes À Claquer
tw : propos homophobes

@Angelo Borghese  • 12 février 2024 - Soirée


L'homme se soigne, aussi grossièrement que sa stature et ses manières générales le laissaient prévoir. Il a un côté rustre, ours que ses larges épaules instaurent à première vue et qui se constate dans la lourdeur de son corps qui se déplace. Non pas disgracieux, mais ancré dans le sol sur lequel il évolue. Je ne m'attarde pas sur ses blessures, encore moins sur les soins sommaires qu'il s'administre. Je ne suis pas son garde du corps, je le lui ai déjà notifié, encore moins son infirmier. Qu'il se démerde tout seul. « Sauf que vous êtes intervenu. Sensibilité caché, désir de combat ou simple crainte de ne pas pouvoir me questionner ? » Un regard de dédain se pose sur lui tout en sachant qu'il ne pourra lire l'intention que j'y mets. L’idée qu’il puisse seulement penser que je suis intervenu par sensibilité me dégoûte et m’agace. Il m’a si mal jugé ? J’avais plutôt eu l’impression qu’il avait commencé à me cerner avant le combat. Ce n’était pas de la charité, encore moins de la sensibilité à son égard. Eventuellement un peu de moquerie de le voir se débrouiller comme un aveugle, limité par ses yeux, quand il pourrait faire un meilleur usage de sa fylgia dans un combat déséquilibré comme celui-ci. Des façons de se défendre sans y voir, il y en a plusieurs. Je pourrais avoir la bonté d’âme de lui en glisser quelques-unes à l’oreille. Mais je n’ai pas de bonté d’âme. Tout se paye, tout se mérite, encore plus avec moi. Encore une fois, mes pensées sont hypocrites, marquées par mon absence de sympathie pour le médicomage et les conneries qu’il me raconte. Par la rage aussi, que ses moqueries incessantes ont provoqué en moi lors de notre premier rendez-vous. Loin de moi l’idée de lui donner deux ou trois conseils qui pourraient lui être utile pour se défendre tout seul. Mes entraînements de marine fait à l’aveugle pour évoluer le plus discrètement possible en milieu opaque ne sont pas faits pour les civils. « Si j’étais un auror déguisé, même aveugle, je serais plus efficace que les vrais. » A cet instant, il me fait penser à Torstenn et sa hargne sourde et irrationnelle envers les forces de l’ordre civiles. Est-ce i étonnant de la part d’un type qui arpente seul les rues des quartiers pauvres de Göteborg comme un missionnaire au grand cœur ? Probablement pas. Ceux qui méprisent l’ordre pour des raisons aussi stupides que « ils ne font pas leur travail convenablement » m’exaspèrent souvent. Ce sont souvent les mêmes qui remettent en question nos méthodes et le système même de l’armée alors qu’elle est nécessaire. Alors que c’est nous qui mourrons et mettons nos fesses en danger pour qu’ils puissent continuer à se plaindre de l’inflation des potions anti-rhume. D’un geste lourd et instable l’homme se relève et je suis son mouvement avant de lisser une nouvelle fois ma veste et de ranger ma baguette dans son fourreau. Un rapide coup d’œil m’indique que les trois hommes ont foutu le camp, pour le moment. Reviendront-ils avec plus de bras ? Ou bien resteront-ils en retrait ? La curiosité titille mes nerfs, à choisir je préfèrerai qu’ils choisissent la première option. Le simulacre du combat qui vient de se dérouler est plus que frustrant. Le genre d’échauffourée que je déteste, trop rapide, trop facile, sans la moindre résistance. Sans saveur. « Moi j’suis mêlé à aucune histoire. Mais y’a une nouvelle drogue qui circule depuis un moment, et les gars aiment pas que je leur arrache des vendeurs et que je pose trop de questions. »  Compréhensible, je détesterais qu’un type comme lui se permette d’intervenir dans mes affaires sous prétexte de vouloir “sauver” l’âme des pauvres types pas assez intelligent pour se rendre compte qu’ils trempent dans des milieux de merde, du mauvais côté de la rive. La drogue n’est pas un sujet qui m’intéresse, tout juste elle me fait chier quand elle tombe avec trop d’enthousiasme dans les mains de mes matelots ou vient encombrer mes fonds de cale. Le reste, une perte de temps. Je n’ai jamais réellement compris l’intérêt de chercher la perte de contrôle dans ce genre de substance, ni l’intérêt de les commercialiser. Trop de prises de tête à gérer les territoires des uns et des autres. Du temps et de l’énergie gâchée. J’ai le luxe de pouvoir passer mes envies de violence ailleurs, et même de luxe de mépriser ceux qui se réduisent à ça.
D’un sort le psychomage récupère la poignée de son chariot indiquant qu’il souhaite continuer son étrange tournée. Soit. « Vous m’avez demandé comment faire pour prendre une décision lucide, quand ça vous dégoûte vous-même. » Une pause qui me fait détailler d’un œil plus perçant l’homme blessé. Il a été pas mal amoché, risible. Je regrette presque d’être intervenu, mais pourrait toujours trouver le moyen de tirer parti de ce sauvetage qui n’a de cela que le nom qu’on pourrait lui donner pour se moquer. « Les gens confondent souvent l’émotion avec les raisons derrière, ou la nomment mal. Si je résume vos propos, vous avez parlé du dégoût de ce que vous projetez aux yeux des autres – encore les autres – du dégoût de vous, de l’acte, de l’autre. Vos réponses paraissent précises, mais elles sont en fait très générales : pourquoi ça vous dégoûte ? Est-ce une vision soi-disant écœurante de l’acte qu’on vous a inculqué, qui vient se greffer à ce que vous ressentez vraiment ? Est-ce que ce qui vous dégoûte, au fond, c’est aussi d’aimer ça ? Quelles pensées, quelles émotions, proviennent de vous, de ce que vous ressentez fondamentalement, quand vous allez plus loin que la vision des autres sur vous, et quelles sont les pensées, les réflexes de dégoût, qu’on vous a plutôt inculqués au fil des années, au point que vous pensez que ce sont aussi les vôtre, sans que ce soit vraiment le cas ? » Un très léger grognement agacé lui répond tandis que je croise les bras sur mon torse, pensif. Je n’aime pas la façon qu’il a de poser ses questions et de sans cesse remettre tout sur mon rapport au l’opinion des autres. Je me fous royalement de l’opinion des autres. Les autres m’indiffèrent. En grande partie. L’opinion de Li-Zhu moins. Je le sais. Est-ce que c’est lui qui m’a inculqué ce dégoût ? Peut-être, involontairement, en filigrane. Ces questions-là n’ont jamais fait partie de nos enseignements. Jamais une telle interrogation n’est venue se poser sur les lèvres de mon père. Jamais nous n’avons osé même évoquer le sujet. C’est comme un acquis de naissance. Je sais que ce type de penchants sont mal vus et proscrits car non utiles à la meute. Le sont-ils autant chez les femmes ? Je dois avouer que je n’en sais rien, parce que ce sont des questions que je n’ai jamais cherché à approuver en profondeur avec les Amundsen. Jamais. Un frisson roule le long de ma nuque, sa dernière slave de questions me met mal à l’aise, je sens qu’elle creuse du côté de certains verrous déjà malmenés par mes dernières réflexions personnelles suite à notre première rencontre. Le silence s’étire, cela ne me dérange pas. Je sens Bølga qui cherche à se frayer un chemin dans le tumulte des questionnements, comme une ombre chaude qui voudrait me soutenir. Je repousse sa présence, refus catégorique de le sentir chercher un lien autrement que physique dans ces moments critiques. Je me sens sensiblement en difficulté quand il n’est pas matérialisé à mes côtés, encore plus de le voir prendre ses distances sous sa forme brumeuse pour aller faire je ne sais quoi derrière un muret. Caché de tous, comme il en a l’ordre, mais aussi caché de moi. Ca me fait chier. L’émotion de la colère revient trop facilement supplanter les autres. C’est plus facile de s’installer derrière les barricades des tranchées que d’avouer que le seul ennemi est déjà de notre côté de la ligne. « Je ne suis pas intervenu, je déteste qu'on prenne mon tour de parole. Ca commençait à être trop long, je vous avais imaginé plus débrouillard que ça, et la conversation n’était pas terminée. Je pars pour trois semaines, minimum. J’ai pas envie de devoir remettre à plus tard mes questions parce que vous êtes pas capable de mettre au sol deux pauvres types mal entraînés. Décevant mais pas étonnant. » Après tout ce n’est qu’un civil, au sang-impur, voire même un né-moldu il me semble ? Je ne suis plus certain, ce n’est pas le genre d’information que je juge utile si la personne ne l’est pas. Lui, je ne sais pas encore. Il m’apporte plus de problème que de solutions pour le moment. Peut-être bien, oui, qu’il l’est, né-moldu. Vraiment rien d’étonnant. Je suis presque surpris d’avoir pu imaginer qu’il se débrouillerait. Une distraction mentale occasionnée par ses questions, très probablement. « Nullement de la sensibilité, et l’appel du combat ça aurait pu, mais celui-là était particulièrement déceptif. Aucun challenge. Même pas l’ombre d’un peu de piment. A l’image de ce quartier finalement. L’apparence du chaos, mais rien d’autre qu’un manque de volonté. Je comprends que ça intéresse peu les aurors. Ils ont autre chose à foutre que de venir souffler dans le nez de quelques dealers effarouchés. »  Mon ton est faussement neutre, légèrement acide, en réalité je boude. Je boude Bølga qui s’est matérialisé ailleurs. Je boude ce foutus questions à la con qui me tordent le cerveau. Qu’est-ce que j’en sais si je suis dégoûté de sentir leurs mains sur ma cuisse parce que quelqu’un m’a dit un jour que c’était dégoûtant ou parce que je trouve ça réellement dégoûtant. Je boude parce que j’ai pas de réponses, et que je déteste me sentir face à un mur, encore une fois. Je déteste ce sentiment de tourner en rond, d’avoir peut-être trouver une première piste de sortie pour retomber dans un creux d’eau croupie à devoir réfléchir profondément sur ce que je ressens quand l’envie de mordre dans la chair d’un autre se fait trop brûlante. Et je déteste que cette pensée se forme aussi clairement dans mon crâne. Je n’aurais pas dû arrêter leur combat et le laisser mariner dans son sang. « J’sais pas, ce qui me dégoûte. Si c'est D’ai…Laissez-tomber. » Une flambée de refus s’embrase en même temps que je tente de focaliser mes pensées sur ce que j’ai ressenti la dernière fois. Envers ces doigts glissant à la surface du tissu de mon pantalon. La sensation première, celle que le dégoût est venue recouvrir. Je le sais, je le devine plutôt, et je la refuse aussi frontalement que je suis en train de m’éloigner de quelques pas, incapable de supporter cette flambée de rage qui gronde dans mon ventre. Le dégoût vient en second, il recouvre tout de son odeur de moisissure rance pour masquer le reste et me protéger du problème véritable. La peur profonde et viscéral d'aimer ça. Je m’éloigne avant de refaire demi-tour dans un volte-face nerveux. L’envie de reprendre une cigarette fourmille dans mes doigts mais je me l’interdis. Je fume, occasionnellement, dans le civil, en soirée, dans mes temps de pause sur le bateau, jamais à outrance. Deux cigarettes, c’est suffisant. Trois, ce serait agaçant d’aveu de nervosité mal contrôlée. Je reviens vers Borghese d’un pas calme, volontairement souple, comme anodin. « Mes réflexes tendent à les encastrer dans le mur d’en face, quand il y a un mur, et à les insulter copieusement sur ce qu’ils sont et que je ne suis pas. C’est comme une soudaine distanciation, je me vois et je réalise que ça ne peut pas être moi là, en train d’avoir l’idée de les laisser me toucher. Ca ne peut pas être moi. Ce n’est pas ce que je veux. » Je reviens en arrière, sur cette foutue idée que je ne suis pas comme ça. Je reviens au même point qu’au départ, dans son bureau, la semaine dernière. Je tourne en rond et ça me met en colère contre moi-même de buter contre les mêmes murs. « J’vois pas pourquoi les autres s’inquiètent de vous, vous êtes vraiment merdique comme psychomage et comme duelliste. Vous devez pas leur en piquer tant que ça des dealers, ou des consommateurs. » Le retour à l’attaque, la seule défense valable pour donner le temps au cerveau de trouver un échappatoire à la prison de pensées qui le retient prisonnier dans une foutue cage de pierre.



I remеmber how I'd find you, fingers tearing through the ground. Were you digging something up or did you bury something down? In your soul, I found a thirst with only salt inside your cup.
Angelo Borghese
Angelo Borghese
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Je profite du silence qui s’étire pour achever de reprendre mon souffle et trier mes pensées. Je les sens plus chaotiques, plus difficiles à ordonner. Et j’ai mal, forcément. Mais cette donnée, je peux plus aisément en faire abstraction. Les médicomages ont mis des années à trouver une solution acceptable, pour ces blessures dans mon dos qui ne se sont jamais totalement refermées, après l’accident. La douleur était quotidienne : épouvantable au début, gérable ensuite. Le pire, ça a toujours été le reste. L’absence de mes yeux, l’impossibilité de voir la lumière de nouveau. « Je ne suis pas intervenu, je déteste qu'on prenne mon tour de parole. Ca commençait à être trop long, je vous avais imaginé plus débrouillard que ça, et la conversation n’était pas terminée. Je pars pour trois semaines, minimum. J’ai pas envie de devoir remettre à plus tard mes questions parce que vous êtes pas capable de mettre au sol deux pauvres types mal entraînés. Décevant mais pas étonnant. » Mes lèvres ébauchent un rictus d’agacement et ma machoîre se serre. Je perçois une tentative de défense, dans ses mots. L’attaque semble être son modus operandi. Mais derrière le psychomage, il y a un homme, avec une patience qui n’est pas éternelle. Ses phrases, sur ce point précis, frappent trop justement. Je ne doute pas qu’il dise ce qu’il pense réellement et qu’il soit en train de décrire ce qu’il a perçu : un faible, pas foutu de battre seul trois types, parce qu’il n’est qu’un foutu aveugle. Un handicapé. J’ai lutté énormément contre cette image dans les dernières années, pour accepter qu’elle ne me définisse pas, pour accepter aussi qu’il y a bien des choses que je ne peux plus faire de la même manière, mais que ça n’empêche pas que je ne suis pas inutile. J’ai lutté, oui, mais la rage et la frustration reviennent encore fréquemment, surtout dans de tels moments où le combat, et les paroles de mon interlocuteur, me renvoient mes faiblesses à la gueule bien plus efficacement qu’un coup.

Je sens Hope qui se serre plus étroitement contre ma cuisse, dans un support moral dont je ne veux pas. Ai-je besoin d’aide pour tout, ce soir, même pour me calmer ? Je serre davantage mes doigts contre le chariot, alors que mon inconnu reprend la parole : « Nullement de la sensibilité, et l’appel du combat ça aurait pu, mais celui-là était particulièrement déceptif. Aucun challenge. Même pas l’ombre d’un peu de piment. A l’image de ce quartier finalement. L’apparence du chaos, mais rien d’autre qu’un manque de volonté. Je comprends que ça intéresse peu les aurors. Ils ont autre chose à foutre que de venir souffler dans le nez de quelques dealers effarouchés. » Cet Oskar est insupportable. J’ai l’habitude de gérer différents tempérament, mais celui-là est particulièrement…chiant. Et d’une mauvaise foi éclatante. J’ai, pendant une courte seconde, la tentation de lui dire de se démerder. De se trouver un autre psychomage ou de vivre avec son dégoût et son déni. Sauf que ce serait l’option facile, et si je commence un jour à emprunter un tel chemin, je ne vaudrai vraiment plus rien. « J’sais pas, ce qui me dégoûte. Si c'est D’ai…Laissez-tomber. »   Le retour du sujet me permet de me recentrer sur ce que je dois pas perdre de vue – façon de parler : son fonctionnement. Les émotions cachées derrière une défense bien aiguisée, qui a dû prendre de l’ampleur au fil de ces années à camoufler ce qu’il ressentait. Je note les mots amorcés et l’hésitation, qui confirment partiellement mon hypothèse. Pas un réel dégoût de l’acte. Dans mon dos, la peau brûle toujours, désagréablement. Le pansement du haut a-t-il été arraché ? Mes onguents sont chez moi, et je n’ai pas envie d’interrompre cette tournée pour un détail aussi trivial.

J’entends l’homme qui s’éloigne un peu, probablement occupé à gérer ses propres ressentis. Et à se dire qu’il ne ressent rien, peut-être. Je devrais me remettre à marcher, mais j’ai encore besoin de ces quelques secondes faux calme, où mon corps me signale que je ne pourrai pas faire complètement ma route habituelle. L’autre revient, dans une démarche qui semble calme. « Mes réflexes tendent à les encastrer dans le mur d’en face, quand il y a un mur, et à les insulter copieusement sur ce qu’ils sont et que je ne suis pas. C’est comme une soudaine distanciation, je me vois et je réalise que ça ne peut pas être moi là, en train d’avoir l’idée de les laisser me toucher. Ca ne peut pas être moi. Ce n’est pas ce que je veux. » On en revient au même point. À cette idée que ça ne peut pas être lui, pas que ce n’est pas cette lui, à cette volonté qui nie l’influence du père, pourtant établie. Tourner en rond n’est pas inhabituel, les pensées les plus ancrées ne se défont pas en un seul jour. Mais je redoute que le rond forme le même genre de boucles que la dernière fois : un avancement, un recul et la levée des barricades, avec une attaque. Je n’ai plus assez de patience pour gérer la dernière étape. Pas ce soir. « J’vois pas pourquoi les autres s’inquiètent de vous, vous êtes vraiment merdique comme psychomage et comme duelliste. Vous devez pas leur en piquer tant que ça des dealers, ou des consommateurs. » Un soupir d’agacement s’échappe de mes lèvres, tandis qu’Hope gronde doucement. Elle n’est pas agressive, elle est bien plus joueuse que sérieuse. Mais ce type, pour elle aussi, dépasse légèrement ses limites. Je sais ce qu’elle redoute : que la litanie des mêmes mots, qui m’enfoncent dans mes incapacités et mon inutilité en duel, m’atteigne.

Et c’est le cas.

Je ne me crois pas merdique, comme psychomage. Je sais ce que je vaux, j’ai confiance en mes compétences. Sauf que parfois, ce n’est pas assez. Comme avec Pedro, que j’ai perdu et j’aurais peut-être pu sauver, si j’avais été plus attentif, ou si j’avais pu voir. Je n’ignore pas que je passe à côté d’informations parfois cruciales et de plusieurs expressions faciales révélatrices, en ne voyant pas. Hope m’aide, mais ne peut pas tout faire ni tout me dire. J’étais un observateur bien entraîné et attentif : j’ai dû laisser de côté ses capacités, ce qui est inévitablement pesant, dans certaines situations.

Je ne réponds pas immédiatement. Je me contente de tourner ma tête dans sa direction, en imaginant ses traits – les vrais, pas ceux sous polynectar. Une machoîre un peu serrée, peut-être. Ou au contraire, en contrôle, neutre. Un regard dégoûté ou blasé, des lèvres un peu relevées. J’ai probablement tort. Les portraits que je dessine derrière mon ciel sans étoile ne seront jamais justes. « Encastrer quelqu’un dans un mur, insulter votre psychomage…Vous utilisez l’attaque, comme réaction de défense. Un moyen souvent efficace, qui évite de trop réfléchir. Sauf que réfléchir, profondément, c’est ce que vous devrez faire. » Ma voix s’est légèrement refroidie, mais elle est encore calme. J’essaie de voir au-delà des attaques, au-delà des mots, au-delà de cette vérité sur moi : j’essaie de me concentrer sur la souffrance de celui qui ne connaît pas sa véritable identité, et qui s’enfonce dans son déni. Je poursuis : « Vous pouvez continuer de vous cacher derrière vos barricades et votre épée, mais vous n’avancerez pas. Et je vous crois plus combatif. Vous semblez du genre à affronter le danger de front, mais sur ce sujet, vous sacrifiez n’importe qui d’autre à la place. Vous vous défendez contre quoi, Oskar ? » Mes lèvres se soulèvent en un léger rictus, alors que je rajoute : « Contre moi ? Vous avez établi que je suis merdique et faible, je ne suis donc pas une menace. La vraie menace, et qui n’en est pas vraiment une, c’est ce qui se cache derrière votre dégoût, ce que vous nommez de dix façons différentes sans l’admettre à voix haute, ce que vous ne voulez pas voir en face, bien plus aveugle que moi. » Mes mots sont plus bruts qu’ils ne le seraient dans mon bureau. Je le crois capable de les absorber et de les rejeter. Celui qui donne des coups avec autant de force que lui peut en prendre avec la même puissance. Et la douceur, en psychomagie, n’est pas le seul chemin possible. La confrontation est parfois nécessaire, même si ceux qui sont légèrement brusqués ne réagissent pas tous de la même façon. J’incline légèrement la tête, comme si je pouvais le voir. Mes yeux d’un bleu que je sais spectral se posent sur lui, sans rien me refléter. « Je ne crois pas, Oskar, que vous-même sachiez ce que vous voulez vraiment. Ce que vous voulez actuellement, c’est ce que votre père veut de vous, et ce que vous aimeriez vouloir.  Mais vos vrais désirs…Quels sont-ils ? Je parle de ceux qui émergeraient peut-être plus facilement, si vous n’aviez pas l’habitude de respecter ceux d’un autre, comme votre père, et d’en faire les vôtres. Vous devez réfléchir pour vous, en séparant ce qui vous appartient de ce qu’on vous a inculqué. » Ou réfléchir tout court. Profondément, en acceptant de baisser certaines de ses barrières, sans les lancer sur les autres. J’ai fais ce que j’ai pu ce soir, avec la patience que j’avais. Je ne crois pas pouvoir aller plus loin, malgré mon empathie et mon désir de l’aider. Mon ton est toujours sans animosité, sous contrôle, tandis que je conclus : « Et on peut s’arrêter ici dans la discussion, si vous n’êtes pas capable de la gérer. J’entends vos moyens de défense et je peux les tolérer, jusqu’à une certaine limite. Vous frôlez cette limite, ce qui, je n’en doute pas, doit vous plaire, mais n’est pas très utile dans votre situation, hormis pour vous donner un sentiment factice de contrôle et vous aider à fuir, encore une fois ». Très utile pour me donner envie d’encastrer quelqu’un dans le mur, moi aussi. Mais ça, je ne l’affirme pas à voix haute. J’ai dit tout ce que je pouvais dire : j’ai fait ce que je pouvais faire. Le reste lui appartient. Sans attendre sa répondre, je reprends ma route, la démarche plus lente, malgré tout attentif aux sons, pour vérifier s’il fout le camp ou s’il m’accompagne dans le reste de ma tournée.
Ying Yue Amundsen
Ying Yue Amundsen
GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden
Ici, Y'a Pas De Portes À Claquer

@Angelo Borghese  • 12 février 2024 - Soirée


Quelque chose dans toutes mes piques l'a touché. Un ego piqué au vif par mes remarques sur ses capacités de combat limitées ? Ma remarque sur ses capacités de psychomage ridicules ? Un mixte des deux ? Je ne sais pas, je m'en fiche pas mal dans le fond, je ne veux que cela : montrer les dents et faire réagir mon interlocuteur pour tirailler ses nerfs et réveiller l'homme derrière le professionnel. Toucher l'âme par vengeance, par attaque, par défense de mes propres blessures. Je n'ai pas la connerie de ne pas m'en rendre compte. Je me connais suffisamment pour savoir comment je fonctionne. Au pied du mur, je suis le pire des connards, magnant la mauvaise foi d'un coup de fouet acide. Quand le tigre grogne entre nous, je laisse mes yeux errer sur la fourrure blanche avec un font d'éclat mauvais dedans le regard. Alors lui aussi a des sentiments ? Expression plus vivace que toutes les autres concernant le succès de mes discours. Si la Fylgia réagit, c'est que l'homme est menacé dans son intégrité personnelle. Double victoire. Bølga lui ne réagit pas. Je le sens agacé quelque part, fermé à partager nos émotions respectives, moins sensible qu'auparavant, comme si mon retour en arrière avait dissipé ses envies de m'aider à percer la chape de plomb qui me protège des réalités que je ne suis pas prêt à regarder en face. Venu de nulle part, la brume scintillante de sa forme immatérielle émerge soudain, se collant au-dessus de mes épaules, dans le silence de Borghese qui tourne ses yeux aveugles vers moi. Cherche-t-il à savoir quoi répondre à mes attaques diverses ? A mieux sentir les odeurs des émotions qui se cachent derrière l'écran de fumée de mes attaques verbales ? Ou bien hésite-t-il à me lancer son large poing dans la mâchoire ? La dernière option serait appréciée, elle me permettrait de me décharger de ma propre hargne en toute légitimité. Mais elle me fait aussi chier, et signerait la fin de notre collaboration désastreuse. Serait-ce une si mauvaise chose ? « Encastrer quelqu’un dans un mur, insulter votre psychomage…Vous utilisez l’attaque, comme réaction de défense. Un moyen souvent efficace, qui évite de trop réfléchir. Sauf que réfléchir, profondément, c’est ce que vous devrez faire. » J'attaque rarement sans réfléchir, un minimum. Sauf peut-être quand j'attaque verbalement. Soyons honnête. Partiellement. Je fronce du nez, avant de croiser les bras sur mon torse. Réfléchir, profondément. Un projet peu convainquant qui est loin de me faire envie. Est-ce que j'ai envie de réfléchir à ça ? A mes véritables désirs ? Non. Oui. Non, mais il le faut. Trop de choses diverses prennent tout mon espace mental, c'est pour ça que je suis là. Je ne peux pas continuer comme je le fais depuis décembre. Depuis cette fameuse séance d'entraînement tardive dans la salle de sport de la base avec Jakob. Ce souvenir est trop difficile à regarder en face sans éprouver de la rage, de la honte, du dégoût, de la frustration, et ce complexe maelstrom d'émotions diverses qui me font rapidement abandonner l'envie d'essayer de les décortiquer et qui se termine par une fuite vers d'autres sujets. : « Vous pouvez continuer de vous cacher derrière vos barricades et votre épée, mais vous n’avancerez pas. Et je vous crois plus combatif. Vous semblez du genre à affronter le danger de front, mais sur ce sujet, vous sacrifiez n’importe qui d’autre à la place. Vous vous défendez contre quoi, Oskar ? -Birkeland -Contre moi ? Vous avez établi que je suis merdique et faible, je ne suis donc pas une menace. La vraie menace, et qui n’en est pas vraiment une, c’est ce qui se cache derrière votre dégoût, ce que vous nommez de dix façons différentes sans l’admettre à voix haute, ce que vous ne voulez pas voir en face, bien plus aveugle que moi. » Mon nom racle entre mes dents, terne et agacé. Son changement d'approche, plus agressif, éveille mes propres réactions défensives. Mais il est trop doux encore, trop dans la retenu, pas assez vindicatif pour parvenir à tirer mes émotions vers la rage incontrôlée. Je me contente de grogner dans un souffle agacé avant de décroiser mes bras pour enfoncer mes poings dans les poches de ma veste. Je ne suis plus certain d'être en capacité d'analyser ce qu'il me lance au visage. Cette menace dont il parle, tempête qui s'intensifie dans mon dos, à laquelle je reste obstinément aveugle, oui. Conscient de son existence, de ses vents forts qui grondent dans ma nuque, du froid qui fourmille sur mon épiderme, des vagues devenues écumes. Et pourtant le regard reste tourné dans l'autre sens, ferme, obstiné, à se croire fort de ne pas s'inquiéter de l'obscurité qui étend l'ombre de ma silhouette sur le pont du bateau déjà condamné. « Je ne crois pas, Oskar, -Birkeland - que vous-même sachiez ce que vous voulez vraiment. Ce que vous voulez actuellement, c’est ce que votre père veut de vous, et ce que vous aimeriez vouloir.  Mais vos vrais désirs…Quels sont-ils ? Je parle de ceux qui émergeraient peut-être plus facilement, si vous n’aviez pas l’habitude de respecter ceux d’un autre, comme votre père, et d’en faire les vôtres. Vous devez réfléchir pour vous, en séparant ce qui vous appartient de ce qu’on vous a inculqué. » Mon regard se détourne de lui, se pose sur les façades qui nous entourent, filent vers les silhouettes qui parcourent la rue humide au pavé délabré. Les histoires que ce quartier raconte ne m'intéresse plus. Ses odeurs de chaos m’écœurent de déception. Leurs regards en coin m’exaspèrent par leurs manque de volonté. Si bien que lorsque le psychomage reprend de sa voix toujours calme bien que sensiblement agacée, j'écoute sans prendre le respect de le regarde à nouveau : « Et on peut s’arrêter ici dans la discussion, si vous n’êtes pas capable de la gérer. J’entends vos moyens de défense et je peux les tolérer, jusqu’à une certaine limite. Vous frôlez cette limite, ce qui, je n’en doute pas, doit vous plaire, mais n’est pas très utile dans votre situation, hormis pour vous donner un sentiment factice de contrôle et vous aider à fuir, encore une fois. » Ca me plait, flatte l'ego de celui toujours satisfait de parvenir à pousser les autres vers les limites de leur patience. Dans une autre situation que celle d'une consultation que j'ai moi-même choisi, je serai resté pour pousser au-delà de la limite. Tester le registre de réponse qu'il fait quand on fait craquer les barrière de sa patience et de sa déontologie déjà peu élevée. Mais cet homme n'est pas une menace, comme il l'a lui-même dit. Pas même un aidant. Un insignifiant qui s'emploie à me faire chier à me renvoyer en arrière sans cesse sans proposer autre chose que de réfléchir à la place de mon père dans mes propres décisions. Conneries. Je ne réponds rien, je ne bouge pas quand il s'éloigne décidé visiblement à poursuivre ce pour quoi il était venu avec son chariot, malgré les blessures qui suintent dans son dos. Une attaque que je n'aurais pas vu ? Ou des anciennes blessures que le choc avec le pavé a rouvert ? Peu important. Je souffle du nez dans un dernier froncement de celui-ci avant de transplaner. Un craquement sec qui éclate dans mes oreilles et se répercute en écho dans la rue qui longe mon appartement de Göteborg.

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Les deux mains posées sur le bord du lavabo, je regard mon visage reprendre ses traits habituels. La lettre de Jens posée dans un coin attire mon attention alors que le coeur hésite. Est-ce que je suis prêt à supporter une de nos soirées dans un bar quelconque avant de partir en mission de plusieurs semaines ? Je sais de quoi sont faites ces soirées, des envies des autres, des jeux et des mots qui seront dit. Quels sont mes désirs Le regard sombre se plonge dans celui du reflet. Quels qu'ils soient, ces désirs, ils ne peuvent pas s'abstenir de me faire manquer une soirée comme celle de ce soir. Il y a des rendez-vous que je ne peux pas manquer sans attiser les moqueries des autres. Sans attiser ma rage et griffer mon épiderme de hargne animale. La nervosité à fleur de peau roule des regards de plus en plus sombres vers l'homme qui plonge dans l'eau glacée de réflexions qu'il n'a pas envie d'effleurer. D'un geste énergique, mes doigts attrapent la lettre et la roule en boule pour la jeter sur le visage qui se fronce de dégoût et de rage envers lui-même. Pas ce soir.

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Assis dans sur la banquette du bar, j'écoute Fridha nous faire le dernier compte-rendu dont elle a eu connaissance concernant le douzième régiment dont nous allons venir grossir les rangs pour le simple bon plaisir du Kommandør outragé par notre victoire écrasante. Les bières vidées, trop vites, étourdissent légèrement mes sens, dessinant des sourires moqueurs sur mes lèvres pâles. En face de moi, Jens a déjà entamé son habituelle ballet de caresses et de mots doux susurrés au col d'une jeune cliente du bar. Qu'elle ne s'en détrompe, je sais qu'il n'écoute pas les récits de sa vie qu'elle lui fait, et que son attention est entièrement tournée vers les informations de Fridha. Ses mains exécutent la danse sans même avoir besoin de se soucier de réfléchir à leurs actions. Cette pensée me faire rire doucement, pour moi-même, avant qu'un frisson glacé ne viennent traverser mon échine. Je réprime le sursaut qui accompagne le geste d'une main qui se glisse sur mon épaule par-dessus mon épaule. Seul le durcissement de mon regard laisse deviner que l'intrusion dans mon espace intime n'a pas été apprécié. En face, Jens a glissé un œil dans ma direction. « Ying Yue, quelle chance de te trouver, j'ai cru que tu allais partir sans même prendre le temps de passer me voir. » Mon sourire se fait plus charmeur, moins narquois, plaisir factice d'une voix qui m'agace déjà. « Je comptais pas passer te voir, mais puisque t'es là, je vais faire semblant que c'était le cas. » Elle pouffe dans mes oreilles tout en jouant avec un bouton de ma chemise. Quels sont tes désirs. Je repousse la question parasite dans un regard droit planté dans celui de Jens qui semble questionner vaguement s'il doit intervenir ou non. Un autre soir, j'aurais sans doute botté en touche. Je déteste quand une des filles revient à la charge. Surtout Ingrid. J'ai déjà dû la remettre à sa place une fois précédente, il faut croire que le message n'avait pas été transmis de manière assez clair avec elle. Je n'ai presque jamais accepté de revoir les coups d'un soir, trop de risques qu'elles s'attachent, qu'elles cherchent à me raconter leurs vies, qu'elles cherchent des réponses là où il n'y en a pas. Un infime pincement de narine trahis le fond de mes pensées quand je sens ses doigts glisser contre mon cou, et Jens se redresse pour attraper sa bière d'un geste enthousiaste. « Va falloir plus que des reproches ce soir Ingrid. Pas sûr que sa fiancée apprécie de voir une gamine dans ton genre tourner autour des fesses de son Løjtnant. » La tablée ricane et les doigts d'Ingrid manque de griffer mon épiderme en se retirant d'un geste sec. « Comment ça ta fiancée, c'est quoi ces histoires ? » J'avale une gorgée de ma propre bière sans rien ajouter de plus que de mêler mon rire à ceux du Sbjøbjørn présents. La jeune femme se déplace, contourne la banquette pour se planter, droite, sur le côté de la table. D'un mouvement d'une lenteur exagérée, je tourne ma tête vers elle, relevant des yeux d'un calme très légèrement embrumé par l'alcool. Son regard se plante dans le mien, avant qu'elle ne se décide à pousser un sifflement agacé entre ses dents serrées à et se frayer un chemin jusqu'à mon coin de banquette et se laisser tomber dans une pression presque outrageuse de sa poitrine à quelques millimètres de mon visage. Faut bien lui reconnaître qu'elle est du genre obstinée, Ingrid. Qui sait, elle pourrait peut-être arriver à convaincre mes pensées que le désir du soir réside dans ce simulacre habituel de comédie glaçante et sans saveur. Après tout c'est le genre de soirée qu'on recherche tous avant de partir un mois en mer, non ? A mes pieds, le tigre allongé au milieu des autres fylgjur, pose lourdement sa tête sur ma chaussure. Sa tristesse irradie, diffuse, à travers les fumées des bières avalées trop vites. Jens, qui a repris son ballet classique avec sa propre pêche du soir, cherche mon regard que j'évite avec une efficacité redoutable.



I remеmber how I'd find you, fingers tearing through the ground. Were you digging something up or did you bury something down? In your soul, I found a thirst with only salt inside your cup.
Angelo Borghese
Angelo Borghese
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Il a transplané.

Je l’aurais deviné même si Hope ne m’avait pas prévenu verbalement. « Il s’est barré. » Le tigre normalement joueur ne cache pas son agacement. Elle ne m’a pas connu à l’époque de mon alcoolisme, mais je ne lui ai rien caché de cette période. Des sentiments ressentis, de mon impuissance, de mon impression d’être soudainement devenu incompétent. Et je sens à cet instant, au ton de sa voix et aux émotions qu’elle me transmet, qu’elle n’a pas apprécié certains des commentaires d’Oskar. Je glisse ma main sur sa tête, pour l’apaiser. « Valait mieux. Je peux parcourir une partie du chemin avec lui, mais c’est à lui de faire le reste. Et personne ne peut aider quelqu’un qui n’est pas véritablement prêt à s’aider à lui-même. Je peux lui donner des pistes de réflexions, l’orienter dans sa connaissance de lui-même. Je ne peux pas accepter à sa place ce qui lui semble inacceptable et je ne peux pas réfléchir pour lui.

Reviendra-t-il vers moi ? Dans l’immédiat, j’en doute. Deux fuites, en moins deux rendez-vous, c’est un bon nombre. Et il est si convaincu que je n’ai aucune compétence, que je ne peux rien faire pour lui, qu’il ne poussera probablement pas la perte de temps à venir une troisième fois. C’est peut-être mieux ainsi. J’ai une bonne tolérance aux remarques méprisantes et déplaisantes, mais il touchait dangereusement à mes limites. Pourquoi s’imposerait-il une autre rencontre, en ayant une si basse estime de moi ? Il ira peut-être voir quelqu’un d’autre. Un psychomage dans une clinique privée, qui lui dira ce qu’il veut entendre, parce que c’est plus simple et que ça évite de se faire malmener par un patient trop agressif.

Je reprends ma route. L’absence d’Oskar m’enlève un poids sur les épaules ; il était une charge dont je n’avais pas besoin, ce soir. « Tu saignes. Dans le dos. » Je soupire, agacé, sans m’arrêter. « Je sais. » Je l’avais deviné, trop habitué à cette blessure stupide, qui s’amuse à se rouvrir trop souvent à la moindre occasion. « Angel…Tu devrais t’arrêter. Continuer demain. La journée a été longue. » Hope est rarement la voix de la raison. Elle est plutôt l’inverse : celle qui m’incite à faire des conneries et qui organise des blagues avec certains des clients, à mes dépens. Qu’elle tente de me stopper ne fait que me prouver son inquiétude, que je sentais. Elle redoute que les commentaires de ce type m’aient impacté davantage que ce que je montre, et que je continue par orgueil. Il y a bien de l’orgueuil, je ne peux pas le nier. Mais il y a aussi mon devoir, qui sera toujours plus important que le reste. « Pour eux aussi, la journée a été longue. » Eux, ces familles que je visite hebdomadairement, et qui doivent avoir été informés de la mort de Pedro. Il y a parmi eux des parents, des frères, des sœurs, qui doivent s’inquiéter pour leurs proches. Des amis qui ne savent pas comment préserver ceux à qui ils tiennent, des connaissances qui voient des chutes, sans savoir comment les empêcher. Je ne peux pas les laisser tomber, dans un soir comme celui-là, seulement parce qu’on m’a tapé un peu dessus et qu’un type déguisé sous polynectar a jugé que je ne valait pas une noise. Et même s’il avait raison ? Ça ne m’empêcherait pas de continuer à aider les gens de cette rue.

Environ une heure s’est écoulée, lorsque je reviens devant le café. Mon chariot est vide. J’ai distribué des vêtements aux Moretti, dont la fille aînée est revenue récemment au bercail après des mois d’absence. J’ai bavardé avec Manuel, un ancien pote de Pedro. Je l’ai assuré qu’il a fait tout ce qu’il a pu, que ce n’était pas de sa faute. J’ai donné des plats – cuisinés à mon café – aux Lombardi, aux Ramírez et aux Halvorsen. J’ai aussi refilé un paquet de capotes à Tony Álvarez, qui n’osait pas le demander à sa mère.

Je n’ai rien fait de majeur, en somme. Vous êtes vraiment merdique comme psychomage. Aider commence par les bases. Ce n’est peut-être rien, mais ce rien, ils en ont besoin. Et je ne changerai pas mon approche, simplement parce qu’un type effrayé par ce qu’il est a décidé que je ne valais rien.
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