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Le syndrome de Stockholm • Dax
2 participants
Freyda Stavanger
Freyda Stavanger
GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden


• Le syndrome de Stockholm •
Une silhouette solitaire, qui semblait n'être là que pour servir d'échelle à la démesure du chapiteau devant lequel elle se trouvait, souriait soigneusement, une carte postale à la main.

Derrière elle, s'élevait une débauche de tissus aux couleurs chatoyantes, où seules quelques touches d'un bleu outremer lumineux venaient contraster avec les tonalités chaudes, variations autour d'un rouge écarlate, d'un jaune tournesol et d'un orange...orange. L'ensemble aurait pu être douloureux à regarder trop longtemps, mais quelque chose dans l'agencement et l'équilibre des nuances créait un effet dynamique et enjoué qui semblait, d'un seul coup, faire remonter votre émotiomètre de deux crans vers la bonne humeur.
Oui, bon, certes, s'il faut se montrer scrupuleusement honnête, l'apparence du cirque Stavanger en elle-même, aussi soignée fut-elle, ne justifiait pas complètement la sensation qui vous prenait aux tripes quand vous approchiez de sa zone d'influence. Peut-être, et j'insiste sur le peut-être, quelques sortilèges savamment exécutés offraient-ils à l'ensemble une aura d'émerveillement et de félicité qui venait résonner avec l'âme d'enfant, enfouie (parfois trèèèèès profondément) en tout·e un·e chacun·e.

Une multitude de tentes s'étendait dans le périmètre immédiat du chapiteau principal, lequel, de par sa forme*, évoquait un phare joyeux au milieu de la grisaille urbaine.
Toutes les lanternes, guirlandes et autres lumières étaient pour l'instant éteintes, et une ambiance paisible baignait le lieu. Morphée ne semblait pas encore avoir relâché son étreinte sur le village miniature.

Mais revenons à la silhouette qui a nous interpelé·e·s en premier lieu.
Immobile quelques instants plus tôt, les yeux fermés et le visage levé vers la luminosité spectaculaire qui nimbait Stockholm, elle se tenait désormais bien droite, des années de danse offrant à son allure générale un équilibre et une grâce inconscients. Un débardeur blanc tout simple et un jean confortable, sur lequel étaient disséminés quelques patches bariolés, constituaient l'essentiel de sa tenue. Que souligner d'autre ? Ses bras ceints d'une multitude de bracelets en argent qui tintaient doucement en soulignant sa gestuelle ? Ses mains et son cou parés de bijoux similaires ? L'étrange oiseau qui se tenait non loin d'elle, natif, assurément, de contrées plus méridionales, et dont le plumage multicolore était pour l'heure camouflé par sa posture statique ? Le petit appareil définitivement moldu que notre protagoniste tenait à bout de bras ?

Qu'est-ce qui fait que dans l'ici et le maintenant, une image capture notre attention et vient titiller notre imaginaire ? Y voit-on l'écho d'un de nos états intérieurs ? Notre instinct nous souffle-t-il doucement à l'oreille un message subliminal que nous ne saurons décrypter que des années plus tard ? Ou le hasard, seul, préside-t-il au cortège de tous ces éléments, ces visages, ces fragments de vie qui croisent notre route, ne s'y accrochant que rarement pour effectuer quelques pas de concert ?

Attardons nous quelques instants pour, peut-être, dénicher le début d'un fragment de réponse. Ou juste parce que nous n'avons rien de mieux affaire. Après tout, il est encore tôt, en ce matin du 12 septembre 2023, aux abords de cette place verdoyante, où le crique Stavanger a jeté l'ancre, pas plus tard qu'hier soir.


De soigneux, le sourire de Freyda se fit sincère, éclatant. Elle le sentait rayonner au plus profond de son ventre, petite boule de chaleur qui remontait tout le long de son buste, pour s'épanouir sur ses lèvres et étinceler dans ses yeux. En ce moment précis, l'univers était dans un état d'équilibre parfait qui donnait l'impression à son âme de pouvoir enfin trouver le repos. Pour quelques minutes au moins.

•••

Iels étaient arrivé·e·s la veille, en fin d'après-midi et avaient profité des quelques heures d'ensoleillement restantes  pour dresser le camp, ce qu'elle et ses troubadours modernes appelaient le Village. Des tentes colorées qui, bientôt, se feraient l'antre de mille-et-un spectacles malicieux, intermèdes enchanteurs et paradis gourmands. Leurs magie et merveilles avaient un prix, celui de la sueur.
Mais à ces efforts succédaient ce moment qu'iels appréciaient tou·te·s : un repas autour d'un feu de joie qui ne portait jamais aussi bien son nom qu'en ces soirées paisibles. La fatigue de la route se diluait alors dans un pique-nique fastueux, où les discussions enjouées laissaient bientôt la place à des chants, tantôt lancinants et nostalgiques, évoquant des contrées lointains et sentiments perdus, tantôt entraînants et enjoués, échos des rencontres qui avaient émaillés leur route et enrichi leur existence ou rêves et espoirs un peu fous, nourris pour ce futur qui les guettait au tournant.

Puis, tout le monde rejoignait son repaire pour s'abandonner à une nuit réparatrice où demain n'était encore que ce moment lointain, temps de tous les possibles.

Le lendemain, Freyda était toujours la première levée. Elle s'affairait rapidement dans son bus aménagé, qu'elle surnommait sa roulotte, avant de se faufiler dans le Village pour effectuer quelques améliorations de son cru. Il s'agissait là, principalement, de vérifications basiques, ayant pour seul objectif de satisfaire à ses exigences un poil maniaques. Tel étendard devait pointer vers l'est tandis que telle tenture devait être encadrée d'une demi-douzaine de lampions. Elle procédait ainsi à de multiples et, dans l'ensemble, infimes, ajustements, pendant une trentaine de minutes. Les autres membres de la troupe avaient appris à ne pas venir perturber ce processus. Iels le savaient : Freyda était une femme de rituels. Et si certain·e·s parmi elleux s'en doutaient, personne ne se permettait de le formuler à voix haute : tous ces rituels frôlaient la superstition. Il suffisait qu'un seul élément ne soit pas à sa place pour qu'elle soit persuadée que quelque chose, lors de la représentation vespérale, allait cafouiller. Ou, peut-être, que le monde allait tout simplement s'écrouler sur lui-même.  Aller savoir quelles conséquences désastreuses pourrait avoir une guirlande qu'on aurait entortillée dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Et si Freyda avait conscience des proportions monumentales que prenaient parfois son étrange méticulosité, elle argumentait régulièrement, en son for intérieur, que rien ne valait sa tranquillité d’esprit. Et certainement pas trente minutes passées en petits réglages en tout genre.

Elle entretenait volontairement cette légère excentricité, qui lui permettait de procéder à l'ultime ajustement sans éveiller outre mesure la curiosité de ses troupes. Les dix dernières minutes de son tour de garde étaient consacrées à quelques enchantements, de la véritable catégorie, cette fois, conçus pour nimber le cirque d’émotions positives, d'appels à la fascination. Ces sortilèges assourdissaient momentanément les soucis et apaisaient les natures troublées.  Il lui avait fallu des années pour perfectionner la subtilité et le dosage, presque homéopathiques, de telles injonctions. Freyda se rappelait, non sans une grimace, chacun des ratés, des trop plein, des overdoses émotionnelles.
Mais elle était passée virtuose de cette magie-là et se tenait au centre de la piste telle une cheffe d'orchestre habitée par la musique, maniant sa baguette avec des gestes souples et grandioses. Sûrs. Créant un ballet aérien d'arabesques majestueuses et dessinant au sein du chapiteau un tableau subtil de sortilèges amicaux. C’était, du moins, l’image mentale que Freyda avait d’elle-même.  Peut-être, en vérité, ressemblait-elle alors à une taupe sous lsd cherchant aveuglément un chemin vers la lumière. Si c’était le cas, elle préférerait rester dans l’ignorance.

Cette ultime étape terminée, elle se préparait au rituel suivant : elle sortait devant le chapiteau principal, brandissait une carte postale de la ville où le cirque s’était installé et immortalisait l’instant avec un polaroid plus vieux qu'elle.

•••

Freyda appuya sur le déclencheur, tout sourire dehors.
Son sourire s’évanouit sitôt qu'un bruit retentit. Depuis l’intérieur du chapiteau. Était-ce un cri ? Était-ce un rire ?
C’était définitivement un intrus.

Agacée, la jeune (l’âge, c'est dans la tête) femme s’élança en direction du seul indice sonore qu’elle avait reçu.
Qui joua les rappels.
Il s'agissait définitivement d’un rire. Le rire d'un enfant. Innocent. Joyeux. Comme un carillon d’allégresse.
Freyda s'endurcit le cœur, barrant le passage à toute bouffée d'attendrissement. Elle ne pouvait pas se permettre que le cirque devienne le terrain de jeux de tous les gamins du quartier. Un, l’invasion risquait vite de taper sur les nerfs de toute la troupe. Deux, le cirque, en tant que bien matériel, ne s'en sortirait probablement pas indemne, même si on ne parlait que de tâches et autres griffures maladroites. Trois, au plus petit incident…disons que les Moldus aimaient beaucoup trop dégainer assurances et avocats au moindre froissement.
Elle se glissa sur la piste par l’entrée des artistes.

« Ne soit pas trop dure… »

Goldsworthy s’était faufilé derrière elle. La voix de sa conscience. L’indulgence incarnée.

Elle n'eut pas le temps d’être dure.

Le petit bout d'humain qui caracolait jusqu’à présent sur les gradins, en s’arrêtant tous les trois sauts pour lever la tête et admirer les étoiles peintes au sommet de la tente, avait soudain pris la résolution de les rejoindre. Tel un Tarzan en culotte courte, il prit son envol pour embrasser le poteau le plus proche. Le plus stupéfiant étant qu'il y parvint. Il s'agrippa au poteau de toute la force de ses petits bras et entreprit une lente ascension. Une courte ascension. Suivie de son revers. Une chute. Rapide, brutale et fulgurante.  Cri, stupeur et tremblement.

Le temps s’était soudain figé. Comme dans un ralenti digne d'un mauvais film, Freyda vit le visage du garçon se métamorphoser, de la surprise à la douleur. Une larme perlait déjà à ses paupières quand elle fit le premier pas vers lui. Suivi de toute une flopée d’autres pas qu'elle ignora. Son corps savait comment avancer, son esprit avait bien d'autres choses à faire que de jouer les inspecteurs.

Arrivée près du petit intrus, elle le sonda rapidement du regard. Ce n’était pas la première blessure qu’elle devait gérer, loin s'en fallait. Elle devina rapidement que l’enfant n’avait rien de trop grave. Rien d'assez grave pour ne pas lui administrer les premiers secours : deux bras pour apaiser sa peur et accueillir ses larmes. Le reste pouvait attendre. Freyda semblait en cet instant l'incarnation du calme.
Il ne fallait jamais se fier aux apparences. Sous son crâne, les pensées faisaient rage. Il fallait, il fallait…soigner cette jambe qui formait un angle à rendre fou un mathématicien. Les sortilèges curatifs n’étaient pas son domaine d'expertise mais elle devrait bien se débrouiller.  Elle devait se débrouiller.  Ensuite… un solide petit Oubliette, avant que la situation ne dégénère.  Elle voyait déjà les gros titres : «  Un enfant grièvement blessé lors d’une excursion au cirque Stavanger ». Bon, la grande prose n'avait jamais été son fort mais l’idée était là.  Elle ne pouvait pas se permettre cette mauvaise publicité.  Pas quand iels venaient d’arriver en ville.
Eut-il été legilimens, Goldsworthy aurait argué très rapidement que le cours des pensées de Freyda prenaient un tel chemin pour…ne pas penser justement. Ne pas penser à quel point l'enfant paraissait jeune. Fragile. Perdu et effrayé.  Ses yeux ressemblaient bien trop à ceux d'Astrid, petite, quand la vie lui faisait un malheur.
La mauvaise pub, la mauvaise pub… voilà sur quoi elle devait se concentrer, voilà ce à quoi elle devait palier.
Un sortilège curatif. C’était la priorité.

« Je…je vais faire quelque chose d'un peu étrange, mon grand… mais je te promets que tu te sentiras mieux après. »

Elle avait parlé d’une voix douce, mais pas bêtifiante. Elle détestait qu'on prenne les enfants pour des imbéciles.
Freyda saisit la baguette qu'elle conservait attachée à son mollet, cachée sous son jean.

* Bien…*

Concentration.

« Freyda ! Quelqu’un vient ! »

Et mer** !
En terrain moldu, elle ne pouvait se hasarder à afficher sa différence. Elle n’était surtout pas assez rapide, ni assez douée, en sortilèges pour gérer le contrecoup de ce genre de situations.
Sa baguette retrouva sa cachette et Freyda se redressa, bien décidée à se débarrasser de l'intrus·e au plus vite.

Une pensée l'effleura, envoyant poindre une pointe d’appréhension dans le creux de son ventre.
Pourvu qu'il ne s'agisse pas de la mère – ou du père - du garçon …

•••

Dehors, le cliché du polaroid, abandonné, commençait tout juste à dessiner une silhouette. Solitaire.


*:
Dax Tcherkassov
Dax Tcherkassov
TRØBBEL För att nå toppen av trädet måste du sikta mot himlen
J’ai l’air plutôt ridicule avec une moustache.

Styx se paie largement ma gueule alors que je termine de me préparer, rasant partiellement les poils sur ma joue, de façon à laisser bien en place deux immenses favoris blonds. J’utilise une potion d’hirsusité, lorsque j’ai besoin de me constituer une apparence qui implique de faire varier ma pilosité. Le résultat est absurde, mais convainquant. Je ressemble à un type dans la mi-trentaine plein de bonhomie, dont la naïveté suinte à travers tous les pores de sa peau.

Je glisse mes deux dagues préférées à ma ceinture, sur lesquelles je rabats ma chemise blanche. J’en remonte les manches jusqu’aux avant-bras, indifférent aux cicatrices qui s’affichent clairement. Pas la peine de les camoufler ; l’homme dont je dois m’occuper aujourd’hui n’aura pas le temps de s’attarder à un tel détail. Ma baguette, à l’abri dans un étui opposé à mes armes, n’est pas supposée servir aujourd’hui. Je ne mélange jamais la magie à mes contrats moldus, sauf en de rares exceptions. Un restant de conscience professionnelle, peut-être ? Réaliser un contrat en usant de mes compétences de sorcier me semblerait déloyal ; mes cibles doivent pouvoir se défendre à armes égales. Sinon, il n’y a aucun défi, rien de stimulant. Seulement un rapport de force déséquilibré dès le départ.

Un signal sonore dans la cuisine m’indique que la cafetière a terminé sa tâche la plus importante de la journée. Je jette un coup d’œil à la porte close de la chambre de mon colocataire, qui dort encore. Je verse machinalement le café dans ma tasse, tout en songeant aux excuses que je pourrais lui donner pour justifier ma drôle de tronche, s’il s’extirpait plus tôt que prévu des bras de Morphée. J’avais envie de tenter un truc de nouveau. Ça te plaît? Ce serait marrant. Ou alors c’est pour revendiquer de meilleures conditions de travail à l’hôpital. Tout le personnel porte des favoris et la moustache. Tout aussi crédible. Malheureusement pour moi, Sebastian ne s’éveille pas et je n’ai pas l’occasion d’essayer sur lui aucune de ces excuses bidons. J’en suis presque déçu.Je lave ma tasse désormais vide, que je place ensuite à proximité de la cafetière. Je griffonne quelques mots sur du papier blanc, que je laisse bien en vue pour le type qui habite avec moi depuis peu de temps: Étape 1 : Verse le café dans la tasse. Étape 2 : Maintenant que t’es bien réveillé, ramasse tes foutues chaussettes qui traînent dans le salon depuis deux jours. Convivial et sympathique. Tout moi. J’attrape mon sac, dont je me sépare très rarement, avant de quitter l’appartement et de transplaner. Direction Stockholm. C’est l’heure d’aller au cirque.

•••


Mes pas sont légers, mon sourire est factice. Il est encore tôt, mais je ne croise personne. Je suis assurément un intrus au milieu de toutes ces tentes colorées, mais je ne tente pas de faire dans la subtilité. Sans mauvais jeu de mots. Ou avec, plutôt. Je marche sans m’arrêter, comme un type un peu curieux, qui a décidé d’aller faire sa promenade habituelle en plongeant dans la nostalgie de son enfance. J’observe le chapiteau dont je me rapproche de plus en plus, et devant lequel se tient quelqu’un. Suis-je déjà allé au cirque, gamin…? Une fois. Je me souviens d’une odeur de confiseries, de popcorn et de barbe à papa. De trois acrobates, de rires, de la chaleur des corps compactés, de quelques animaux et de clowns joyeux. Une ambiance festive et agréable. Mais ce dont je me rappelle avec le plus de précision, c’est le visage effrayé de la funambule qui a chuté de quelques mètres, après que la corde sur laquelle elle se tenait se soit rompue. Par ma faute.

J’étais un gosse. Je faisais ce qu’on me disait de faire, même si on profitait largement de ma tronche d’ange. Et je ne sais pas si ce souvenir m’emplit de nostalgie ou de lassitude en cet instant ; à cette époque, j’aurais largement préféré profiter du spectacle, comme mes amis. Mais aujourd’hui encore, je ne suis pas là pour m’amuser. Du moins, pas d’une façon conventionnelle. J’ai du boulot. Et ce boulot implique que je pénètre dans ce grand chapiteau, dans lequel une femme vient de rentrer précipitamment, en abandonnant un…polaroïd ?

Je fronce les sourcils, sans comprendre ce qui a pu la pousser à laisser l’objet dehors. J’appréhende un imprévu, qui m’obligerait à trouver rapidement une alternative à mon plan. Ce dernier est plutôt sommaire, mais devait être fonctionnel. C’est un contrat basique, rien de compliqué. Des moldus concurrents veulent que je mette hors d’état, pour quelques semaines, l’un des acrobates du cirque. J’ignore leurs raisons – mais je devine que la jalousie est en cause – et je m’en fous. Tant qu’ils me paient. J’ai prévu empoisonner ma cible, par une potion invalidante de courte durée. J’ai vu à quoi elle ressemblait sur une photo et je comptais la piquer subtilement, après une conversation légère. Sauf que le travail de terrain est souvent très éloigné de la pratique ; je capte qu’un nouveau plan sera nécessaire lorsqu’un cri résonne dans le chapiteau. Дерьмо. Double merde. Je passe trop de temps à l’hôpital pour ne pas ignorer que le son est bien plus enfantin qu’adulte ; mes traits demeurent neutres, mais les battements de mon cœur s’accélèrent légèrement. Je jette un coup d'oeil au panda roux qui sort du chapiteau, où je l’avais envoyé quelques secondes plus tôt en éclaireur et qui me révèle ce que j’avais envisagé : une chute.  D’un signe du menton, je lui indique l’intérieur et il cligne de l’oeil pour me signaler qu’il a compris. Il sera discret. Sans attendre, je pénètre dans le chapiteau par l’entrée principale. Mes yeux mettent quelques secondes à s’habituer à la luminosité de l’endroit, glissant sur les gradins, les étoiles peintes au sommet de la tente, puis sur l’enfant, qui a vraisemblablement profité des bras de la femme que j’ai vu un peu plus tôt. Un câlin de réconfort, peut-être? Charmant tableau, qui me laisse totalement insensible. La position de la jambe du gosse, que j’aperçois même de loin, me signale que je n’aurai clairement que deux options : m’en tenir à mon plan initial et laisser ce moldu souffrir ou intervenir.

Ça m’emmerde toujours, comme dilemme. Qui n’en est pas vraiment un, au fond. Je prends toujours la même décision dans une telle situation. Un soupir blasé glisse entre mes lèvres, alors que je m’avance sur la piste. La femme semble dire un truc au gosse, mais je ne parviens pas à capter ses paroles, ni à voir ce qu’elle fait. Il faudra que je fasse dégager tout le monde, si je veux intervenir. Ou que je trouve un endroit plus privé. Bordel. Dans le petit cercle qui commence à se former autour de l’enfant, j’aperçois ma cible ; une lueur de joueur d’échecs bientôt victorieux brille brièvement dans mes iris, avant de s’éteindre. Je suis davantage sur le point de sacrifier mon fou que de prendre possession d’un roi. Je me compose un air gêné, comme si j’étais extrêmement mal à l’aise, alors que je prends la parole d’une voix hésitante : « J’veux vraiment pas déranger, vous semblez bien occupés, enfin, j’imagine que c’est fréquent d’être occupés dans un cirque, mais j’passais dans le coin, j’ai entendu un cri… » Qu’importe le contexte, j’éprouve toujours trop de plaisir à jouer un rôle. Ma froideur habituelle ne disparaît bien souvent que derrière tous ces masques que je porte continuellement. Les commissures de mes lèvres s’étirent davantage, formant un sourire timide, alors que mes mains se tordent l’une contre l’autre, mimant la nervosité : « C’est l’enfant d’un des membres de la troupe ? Le vôtre j’imagine ? Le petit semblait si bien dans les bras de sa maman…Mais il peut pas y rester toujours hein mon p’tit gars ? Faut soigner cette gentille jambe.  » Styx, à proximité des gradins, se retient pour ne pas venir proche de moi. Je sens ses émotions joyeuses ; ma fylgia s’amuse beaucoup trop, malgré la situation. Je baisse les yeux vers l’enfant, analysant rapidement son état. J’aurais besoin de faire des examens plus approfondis…Mais il y a trop de moldus ici. Je glisse un doigt contre ma moustache, dont je tortille la pointe, comme un tic nerveux, alors que je reprends : « Je suis médecin, je peux donner un coup de main, si vous voulez. Si ça peut vous éviter d’avoir mauvaise presse…J’ai l’air un peu nerveux comme ça, mais c’est que j’réagis mal à ce qui me sort de ma routine, vous voyez ? Et ma routine là, c’était ma petite promenade matinale dans le coin…Enfin, ça touche pas à mes compétences médicales, soyez-en sûre m’zame. Et là la priorité, c’est de s’occuper de votre fils. »   Et d’empoisonner l’un des acrobates, ultérieurement.
Freyda Stavanger
Freyda Stavanger
GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden
Il y avait un avantage incontestable à vivre dans un cirque : on n'était jamais seul·e.
Le pendant de cet avantage était un inconvénient tout aussi incontestable : on n'était jamais seul·e.
Freyda avait toujours soupçonné les membres de sa troupe d'être doté·e·s d'un dix-huitième sens (oui, les acrobates, clowns et autres artistes du cirque Stavanger étaient pourvu·e·s d’innombrables talents) qu'elle appelait intérieurement le sens du drame. Il suffisait qu'un petit incident, un chagrin ou un autre malheur de l'existence survienne pour que chacun·e soit irrémédiablement attiré·e sur place comme un aimant. Il avait fallu quoi ? Moins de trois minutes pour que Jia, Melchior, Ilse et la moitié des circassien·ne·s forment une cohorte autour d'elle, à asséner questions et conseils.

Soupir intérieur.

Pour vivre ainsi dans une communauté itinérante et soudée, il fallait une bonne dose de pudeur face à l'intimité du reste de la troupe. Mais le genre humain avait bien du mal à résister à l'un de ses penchants naturels : le besoin irrésistible de mettre son nez dans les affaires d'autrui. On aurait pu penser que la confiance qu'iels avaient pour leur maîtresse de cérémonie était suffisante pour les inciter à retourner à leurs affaires une fois qu'iels auraient constaté que Freyda avait la situation bien en main... On aurait alors pensé de travers.
La jeune femme se demandait parfois ce qui la retenait de soumettre l'intégralité de son entourage à un fabuleux sortilège d'Imperium, pour leur instiller quelques principes fondamentaux et goûter à un semblant de tranquillité. Réponse : la décence. Il n'empêchait que cette pensée la titillait régulièrement et que, dans un moment comme celui-ci, elle devait en appeler à toute sa moralité pour résister à la tentation. Sa moralité, et l'arrivée d'un intrus dans leur attroupement.

Il fallut donc tout son sang-froid à Freyda pour ne pas pâlir, frémir ou afficher le moindre signe de faiblesse. Gérer celui qui devait être le père de l'enfant allait se révéler une toute autre paire de manche.
D'un bref regard, elle essaya d'enregistrer le maximum d'information chez l'individu, tout en continuant à chuchoter quelques mots de réconfort au petit bonhomme qui était devenu stoïque face à l'avalanche d'attention dont il était victime.
Bon. Sans se targuer d'être une experte du genre humain, Freyda avait une tendance certaine à cerner aisément son prochain. Le trentenaire qui avait fait irruption sous le chapiteau avait plutôt l'air inoffensif. L'habit ne faisait certes pas le moine, mais un moldu tout en costume cravate et attaché-case, prêt à dégainer formulaires et avocats à la moindre rayure dont on aurait paré son bolide, l'aurait bien plus inquiétée. Les favoris et la superbe moustache qui ornaient son visage, tout comme le simple fait qu'il se balade aux abords d'un cirque au début de sa journée en faisait un individu moins antipathique que le banquier moyen.

La nervosité qui suinta rapidement dans ses propos confirma ses soupçons : elle ne devrait pas avoir trop de difficultés à se débarrasser de l'importun. Ou, si ses soupçons sur sa paternité s'avéraient fondés, à désamorcer une éventuelle rancune. Sans compter les sortilèges qui bardaient le cirque et qui viendraient très certainement susurrer des incitations à l'apaisement, voire même à la joie au creux de l'inconscient de l'intrus.

Avec un sourire qui se voulait rassurant et une attention qui lui était consacrée au mieux, Freyda prenait garde à mettre tous les atouts de son côté afin d'éviter le conflit.
Son appréhension initiale fondait doucement face au peu d'assurance que montrait l'inconnu. Inconnu. Cet épithète devenait lassant. En son for intérieur, elle le nomma Thomaz. Les dernières gouttes d'inquiétude finirent de s'évaporer quand le Thomaz en question crut identifier en l'enfant le fils de Freyda. Elle reprima un sourire narquois. Le petit était blond aux yeux. Sans avoir un diplôme de génétique, il semblait assez improbable qu'un être humain de ce type soir issu de ses propres entrailles...
Mais il pouvait bien être son fils adoptif si cela pouvait rayer l'un des problèmes de sa liste.

Si Thomaz n'était rien d'autre qu'un inconnu dans l'équation...
Un inconnu médecin, qui plus était ! C'était presque trop beau pour être vrai.
Une petite voix en Freyda soulignait que c'était aussi à cela que servaient ses petites manies : à garantir que son monde pouvait tourner rond, sans qu'un caillou ne vienne entraver sa course. On la disait supersticieuse quand elle était juste prudente.

La jeune femme leva soudain une main, interrompant les solilloques des différents membre de la troupe qui se chamaillaient sur la meilleure conduite à tenir. Le silence tomba aussitôt sur le petit attroupement.

« Monsieur est médic...médecin. Je vais gérer la suite. », commença-t-elle, en anglais, qui était la langue officieuse du cirque. « Mélisande, Ilse, c'est la première de votre numéro ce soir. Trouvez-moi Terence et Louis pour une répétition en bonne et due forme. », poursuivit-elle, lâchant, mine de rien, l'info de la nouveauté à venir. Un intrus, aussi timide soit-il, restait un spectateur potentiel.

D'une voix calme et ferme, Freyda continua de distribuer des instructions...

« McLaren... » Elle n'avait pas le temps de savoir auquel des deux frères, jumeaux monozygotes, elle s'adressait, aussi, dans le doute, l'usage du patronyme était préférable à une éventuelle vexation. « Il faut aller distribuer les tracts dans la ville. Commence par les petits commerces et le périmètre immédiat. Achète-nous de quoi déjeuner ce midi et ne lésine pas sur les marques d'attention. »

...et de forcer ses congénères à se disperser.

« Jia et Melchior, accompagnez-le. »

Alejandro et Gunther furent missionnés en corvée de costumes. Quant à Sigfried et Stanislas, disons qu'une petite ronde aux abords du cirque pour éviter de nouvelles intrusions ne serait pas du luxe.
Tranquillement, sans discuter, chacun•e partit vaquer à la tâche qui était désormais la sienne, tandis que Freyda se tournait enfin vers leur visiteur :

« Vous êtes médecin, n'êtes-vous pas ? »

Son suédois était bien moins fluide que son anglais.
Avec tout le respect qu'elle avait pour la profession moldue, elle n'en était pas moins persuadée qu'elle saurait gérer la situation mieux que ce Thomaz.

De l'intimité née d'une longue cohabitation, Freyda pouvait presque entendre Goldsworthy, sa fylgia, lui susurrer des conseils à l'oreille. Et elle était on ne peut plus d'accord avec ces suggestions silencieuses : autant faire bon usage de ce médecin tombé du ciel. Elle allait le laisser ausculter le garçon, juste ce qu'il fallait pour confirmer ou infirmer son propre diagnostique. Ensuite, ce serait autour de sa baguette d'entrer en scène. 1. Asséner un solide sortilège d'oubliettes à Thomaz. Doublé de quelques injonctions à quitter le cirque. un sortilège de confusion, en dernier recours. Ce qu'elle préférait éviter, elle avait tendance à avoir la main un peu lourde, alors qu'elle était passée maîtresse dans les autres sortilèges émotionnels. 2. Remettre le petit bonhomme sur pied (dans les deux sens du terme) à l'aide de quelques formules curatives. 3. Un deuxième sortilège d'amnésie pour effacer toute la mésaventure de son jeune cerveau. Accompagné de deux invitations pour la représentation du jour, à titre d'excuse. 4. Un auto-sortilège d'apaisement pour calmer ses nerfs, agrémenter d'une (ou deux barres) de chocolat.

« Ma proposition étions celle-ci : toi et moi irons à la, hum, comment vous disent ?  Lieu de soigner. »

Le petit bonhomme n'avait pas quitté ses bras. Elle lui murmura quelques nouveaux mots rassurants, se souvenant enfin de les asséner dans la langue locale, tout en se relevant du mieux qu'elle le pouvait, sans aggraver sa blessure.
Freyda prit ensuite la direction de l'infirmerie, une petite tente à la périphérie du "Village", sans vérifier que Thomaz la suive, habituée qu'elle l'était à ce que ses ordres, pardon, ses suggestions soient effectuées sans discussion. Intérieurement, elle maudit  plus d'une fois la présence de ce témoin moldu qui l'obligeait à se passer d'un bien utile Mobili Corpus qui aurait épargné ses forces, tout en assurant un meilleur confort à l'enfant.

Toujours sans un regard pour l'inconnu, elle installa l'enfant sur le lit de l'infirmerie, tout aussi colorée que le reste du cirque Stavanger. Dénicha une friandise qu'elle offrit au petit. Et s'écarta enfin pour laisser la place au professionnel. Roulement d'yeux intérieur.

« Besoin de something ? N'hésitez pas à me le dites. »

Peut-être aurait-elle dû réviser son vocabulaire avant de débarquer à Stochkolm... Autant ses discours, au cœur du spectacle, étaient maîtrisés à la virgule près, autant les communications spontanées, enrayées par le stress du moment, étaient une autre paire de manche.

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