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memories, shards in my chest (fred)
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Ása Strandgaard
Ása Strandgaard
SKJERME Förtroende som beviljas utesluter inte uppmätt misstro
memories,
shards in my chest


how could they ask the girl with blood on her heel to forget the sun? you burned yourself to death, girl, but you knew how it was to die with one last taste of sunlit air. @FREDRIKKE MØRK (sarasvati)


L’alcool engourdit doucement ses sens, alors que le sourire qui ne quitte pas ses lèvres commence à lui faire mal aux joues. Elle ne retient pas son flot de paroles, rigole à la moindre blague de ses ami.es, enchaîne les verres au même rythme qu'elleux. Iels l’ont invité à boire un verre à Göteborg, pour profiter des vacances et elle a accepté sans y réfléchir d'avantage. Son père les aime bien, alors elle aussi. Elle reprend une gorgée de son cocktail, réalise qu’il ne lui reste plus que des glaçons, fronce les sourcils. Jesper, en loutre, s’est enroulé autour de ses épaules et s’est endormi, bien trop tôt. Elle soupire, jette un œil à sa montre. Il est quatre heures passées, et si elle ne rentre pas bientôt, elle aura du mal à faire bonne figure auprès de sa famille une fois le matin venu. Les vacances d’hiver sont les seules où elle n’adopte pas un rythme nocturne, le ciel généralement toujours couvert lui offrant le répit dont elle a besoin pour vivre au même rythme que le reste de la société. Et pourtant, elle veille, alors qu'elle peut enfin profiter de journées normales. Elle s’excuse, annonce qu’elle doit rentrer et tente une dernière fois d’arracher des gouttes au fond de son verre, avant de se lever. Sa fylgia rejoint difficilement le sol, encore endormi et la suit en titubant vers la sortie. Le froid de décembre lui mord la peau dès qu’elle met les pieds dehors, et elle enfonce ses mains dans ses poches, regarde brièvement autour d’elle. Les rues sont vides, le bar déjà bien moins plein qu’au début de soirée, même si elle n'a prêté aucune attention à celleux qui les entouraient. Elle lève les yeux vers le ciel noir, réfléchit au fait qu’elle ne pourra pas transplaner, après avoir autant bu. Elle pourrait louer un balai mais ça ne serait pas bien mieux en terme de sécurité, sans parler du fait qu’on ne la laisserait certainement pas monter dessus. Elle considère le meilleur chemin pour rejoindre le réseau de cheminées, qui l’emmènerait dans un bâtiment public et encore ouvert proche de chez elle, quand une voix la fait sursauter derrière elle. Elle se retourne instinctivement, alors que la personne qui lui parle finit sa phrase. « Salut, t'aurais du feu? » Elle ne remarque pas le verre qu’il tient à la main, ni même qu’il semble la regarder sans la reconnaître. Elle se fige l’espace de quelques secondes, croit étouffer sous la panique qui la saisit aussitôt, brutale, envahissante, glaçante. Sa gorge se bloque, ses yeux s’agrandissent sous le choc, sa bouche reste entrouverte. Elle fait un premier pas en arrière, à la seconde où elle voit son visage, ce visage qu’elle n’a vu et revu que dans ses cauchemars les plus ignobles. Elle ne pourrait pas se tromper. Elle ne pourrait pas confondre ses traits gravés dans sa mémoire, son air mauvais, sa voix sournoise. Même après avoir bu, même l’esprit embrumé. Il n'y a plus que les lumières qui dansent doucement dans sa périphérie, tous ses sens en alerte, son corps crispé, prêt à agir. Elle le voit encore, menaçant, prêt à la piéger à nouveau, ayant certainement envie de jouer à un autre jeu en feignant l'ignorance. Elle le voit encore sourire de son air malsain, prêt à ajouter une remarque abjecte, prêt à la torturer, une nouvelle fois. Sa baguette est tirée dans l’instant qui suit et elle fait plusieurs pas en arrière. Elle ne réfléchit pas. Son sort est informulé, l’incarcerem part sans qu’elle n’ait à prononcer un mot, les heures d’entraînement lui ayant donné un meilleur contrôle sur ses sorts offensifs. Jesper se change simultanément en corbeau géant, brumeux, bat des ailes furieusement et elle le sent hésiter à prendre forme matérielle, le sent se retenir. Il ne peut pas, sans la démunir complètement. Elle ne dit rien, avant ou après le sort, prie pour que le sort touche. Elle prie pour qu’il disparaisse, pour que le cauchemar ne soit pas sur le point de recommencer. Elle n’a pas de moyen de s’enfuir rapidement, elle ne peut pas transplaner, maintenant qu’elle l’aurait fait sans hésiter. Elle ne peut qu'espérer, que cette fois-ci, ce soit lui qui soit prisonnier et pas elle.


i have made oceans out of my sadness
and still i drown
Fredrikke Mørk
Fredrikke Mørk
GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden
Énième nuit à tenter de nouer de nouvelles connaissances. Énième nuit à tenter de me réhabituer aux contacts, aux gens, à moi. Énième nuit qui n’est pas complètement concluante, parce que je suis trop préoccupé, parce que la semaine a été trop longue, parce que la journée a été pénible. Je ne parviens ni à me soucier des conversations ni à me distraire. Et pourtant, je demeure dans le bar animé, je continue de discuter, je m’efforce d’être concentré. Vainement. Mon esprit est trop plein, mes réflexions sont trop chaotiques et je n’ai pas envie de me divertir. J’ai probablement plus envie d’aller dormir, de passer outre cette nuit perdue, dont il me semble que je ne peux rien obtenir de bon.

J’ai salué quelques visages, dont j’ignore les noms, avant de sortir avec mon verre à l’extérieur. C’est le même depuis le début de la soirée, mais je n’ai pas suffisamment confiance depuis ce qui s’est passé avec Venceslas pour le laisser sans surveillance. Je respecte les envies de vengeance de mes anciennes victimes, mais cette nuit…Cette nuit, je n’ai pas assez de patience pour être empoisonné et pour le supporter. Je suis las, suffisamment pour vouloir fumer. Je n’ai repris les clopes que dernièrement, occasionnellement. Je n’aime pas entretenir les mêmes habitudes que Fred. Je préfère me tenir éloigné de tout ce qu’il aimait faire. L’occasion me semble toutefois bonne, en cette nuit où je me sens harassé. Je m’appuie contre le mur, cherche mon briquet d’une main. Je fronce les sourcils, incapable de mettre les doigts dessus. Hors de question d’utiliser un incendio, je n’envisage même pas l’option. J’évite ce sort depuis mon réveil, et je ne suis pas pressé de le réutiliser.

Devant moi, j’aperçois une silhouette. Quelqu’un qui s’apprête probablement à transplaner ou à partir. Je ne songe pas avant de lâcher d’une voix naturelle : « Salut, t'aurais du feu? » Une phrase banale. Des termes normaux. Une demande qui n’a rien d’extraordinaire. Je n’aurais pas dû oublier qu’avec mon passé, ce qui est banal ne l’est pas, ce qui est normal est brisé, ce qui n’est pas extraordinaire, c’est que je sois encore là. Je vois aussitôt qu’elle se retourne que quelque chose cloche. Je comprends rapidement, trop rapidement, ce qui se passe. J’ai assisté à ce genre de réactions à de trop nombreuses occasions, depuis mon réveil. Une ancienne victime. Je sais les reconnaître aux regards qu’ils me jettent, à leurs traits glacés, au mouvement de leurs pupilles, à la raideur de leur nuque. Celle qui me fait désormais face s’est figée, les yeux agrandis, la bouche entrouverte. J’ai aussitôt mal pour elle. Ma propre mâchoire se contracte, mes lèvres se pincent et mon cœur bat plus vite. Le nombre d’anciennes proies découvertes ne rend pas les choses plus aisées ; il ne les rend que plus effrayantes. Je suis sensible à chaque nouveau récit, à chaque histoire d’horreur, à chaque souffrance. Trop sensible. Je vois la femme faire un pas en arrière et ma main libre plonge instinctivement dans la poche de mon pantalon, pour en extirper ma baguette. Un réflexe. Je connais la suite. Je la connais trop bien et l’espace d’une seconde, j’envisage lâchement de transplaner. D’abandonner cette femme avec son traumatisme, avec notre passé commun, avec des souvenirs qui risquent de trop me remuer. Un réflexe égoïste. Je n’ai pas envie de souffrir, cette nuit. Je n’ai pas envie d’être l’objet d’une vengeance, de savoir supporter encore le récit de ce que j’ai pu faire. Je n’ai pas envie que mon corps tremble, s’écroule et m’abandonne. J’ai envie d’être sur mes deux jambes, stable. J’ai envie de serrer ma baguette entre mes doigts et de contrecarrer ce qui viendra, j’ai envie d’attaquer aussi, seulement parce que ça me démange. J’hésite combien de temps? Quelques secondes, à peine. Quelques secondes suffisantes pour que j’aie de trop nombreux sorts en têtes, pour que je sache pertinemment ce que je pourrais faire subir à cette personne que je ne connais pas, avant qu’elle ne m’attaque. Et ça me dégoûte prodigieusement, comme réflexions. Suffisamment pour que ma décision soit prise, lorsque je la vois reculer de plusieurs pas. Ma machoîre se crispe et j’inspire, avant de jeter ma baguette à un mètre de moi, sur le sol, de la même façon que j’aurais jeté une tentation particulièrement insistante. Sans surprise, le sort jaillit du bout de bois de l’inconnue dans la seconde qui suit et me frappe de plein fouet. Le verre que je tenais tombe sur le sol, éclate. Des liens s’enroulent autour de mon corps, étroitement serrés, réveillant une désagréable sensation de déjà-vu. On ne s’habitue pas à être attaché, même si c’est mérité.

Je n’ai presque pas bu, fort heureusement. Sinon, j’aurais très certainement été incapable de ne pas perdre l’équilibre. Mes bras sont plaqués contre mes corps et le haut de mes cuisses est entravé ; je garde mes pieds ancrés dans le sol, sans bouger. Je ne remue pas, je ne tente pas de briser les liens magiques. Immobile. Ma fylgia réagit plus fortement ; elle a aussitôt changé de forme, passant du koala pelucheux à l’apparence du taïpan venimeux. Elle siffle, tant en direction du corbeau géant qu’en direction de celle qui m’a attaqué. Je la fixe avec dégoût, les traits crispés : « Bordel Ashes, arrête de profiter de chaque occasion pour changer de forme. J’ai pas besoin d’un serpent. » Je sais qu’elle ne supporte pas que je me débarrasse aussi facilement de ma baguette, dans ce genre de situation. Je sais qu’elle ne comprend pas que je ne me laisse pas dominer par mes réflexes, que je continue de lutter contre l’instinct. Mais je n’ai pas besoin qu’elle comprenne, j’ai seulement besoin qu’elle arrête de prendre cette foutue forme de serpent. Elle me jette un regard noir, visiblement très récalcitrante, sans obéir et nous nous confrontons brièvement, jusqu’à ce qu’elle reprenne finalement son apparence de koala. Un koala vachement vexé.

Je reporte mon attention sur la femme, embêté. Je n’apprécierai pas la suite. C’est évident, terriblement évident. Et pourtant, malgré mes envies d’échapper à un moment désagréable, je lâche d’une voix douce :   « Vas-y. Venge-toi. Je le mérite. » Peu importe ce qui a pu provoquer sa réaction. J’inspire, sans frayeur, mais blasé d’avance de ce qui va suivre. Écoeuré, aussi, de découvrir un nouveau visage et d’approcher, une fois de plus, une personne que j’ai marquée suffisamment pour provoquer une réaction aussi instinctive.  Mes pupilles brillent d’une faible lueur attristée, mes dents sont toujours serrées. Dans ma voix, il n’y a aucune agressivité alors que je précise, presque malgré moi :   « Je te demanderais qu’une chose…Dis-moi ce que je t’ai fait. J’ai trop merdé, dans le passé, et même si c’est horrible à admettre et à entendre, je ne me souviens pas de ton visage. » Si je dois payer, je dois savoir pourquoi, même si je sais que ça ne me plaira pas..

Il
Ása Strandgaard
Ása Strandgaard
SKJERME Förtroende som beviljas utesluter inte uppmätt misstro

(tw) violences physiques, blessures


Son cœur palpite violemment entre ses côtes, à lui en faire mal, à l’assourdir. L’adrénaline ne redescend pas, alors que le sort vole vers sa cible. Elle n’a pas compris la baguette jetée à terre, a formulé l’attaque presque en même temps. Le geste la déstabilise un moment, alors qu’elle s’est attendue en le voyant sortir sa baguette à ce qu’il lui renvoie le sort, comme il l’a déjà fait auparavant, ses réflexes bien plus aiguisés que les siens. Elle regarde l’instrument qui git à présent dans la neige, puis le sorcier infâme, qui ne se débat pas, qui reste planté là. Comme s’il avait abandonné. Comme s’il se laissait faire. Pourtant, il doit avoir une idée en tête, pour l’avoir retrouvée, pour l’aborder alors qu’elle est seule. Elle fronce légèrement les sourcils, confuse. Il parle à sa fylgia, plutôt qu’à elle, alors elle en profite pour se rapprocher, sans être pour autant à sa portée, même si ses mains sont piégées. Rapidement, elle ramasse la baguette, la tient dans l’autre main, avant de reculer encore, la sienne toujours pointée vers le sujet de ses cauchemars.  Elle se recule, mais reste plus près qu’avant, malgré elle, maintenant qu’elle a le dessus. La baguette de Fredrikke en main, ce dernier ligoté, elle n’a pourtant pas le soulagement qu’elle aurait souhaité. La peur ne la lâche pas, parce qu’elle sait que c’est trop facile, pour lui, parce qu’elle sait qu’il doit avoir quelque chose de prévu, après lui avoir fait croire à autre chose. Elle jette un coup d’œil autour d’elle, s’attend à voir d’autres personnes surgir. Puis elle regarde les liens, s’attend à ce qu’il ait un autre moyen de les défaire. Il ne bouge pas. Elle ne sait pas quoi faire, maintenant qu’il est pris au piège. Elle n’a pas réfléchit jusque là, l’esprit encore égaré, sous l’emprise de l’alcool. Elle devrait partir. L’abandonner là, sans sa baguette, dans le froid, où elle espère que personne ne le trouvera. Le laisser mourir gelé. Une compensation presque parfaite à son calvaire, bien qu’elle soit certaine que le froid engourdissant serait plus clément que le soleil incendiaire. « Vas-y. Venge-toi. Je le mérite. » lui dit-il enfin et elle sent son ventre se tordre. Son ton, ce ton doux, mielleux, le même qu’il a utilisé pour lui demander en combien de temps elle mourrait, brûlée, lui arrache un frisson de dégoût. Il sait parfaitement ce qu'il fait. « Je te demanderais qu’une chose…Dis-moi ce que je t’ai fait. J’ai trop merdé, dans le passé, et même si c’est horrible à admettre et à entendre, je ne me souviens pas de ton visage. » La consternation la rend muette plusieurs secondes, avant qu’un sourire sans joie n’étire brièvement ses lèvres, avant que la colère ne commence à enfler en elle. Jesper s’est rapproché du sol, l’entoure de ses ailes protectrices, bien qu’immatérielles. Elle le sent fébrile, comme elle. « C’est une blague ? » lâche-t-elle d’une voix blanche, toujours incrédule face à ce qu’il vient lui dire. Il ne s’en souvient pas. Trois ans après, elle, voit toujours avec clarté le cercle dessiné dans le sable, les cloques sur sa peau, son expression perverse. Elle fait un pas en avant, sa baguette cette fois-ci plus franchement pointée vers sa gorge. Un autre pas, et l’arme se retrouve à quelque centimètres de sa peau. « Tu m’as fait passer le pire jour de ma vie et tu m'as oubliée ? » Son ton est haussé, sec, cassant. Toute raison a quitté son esprit, ne laisse place qu’à une colère aveuglante. Elle ne pense plus à ses doutes, à ses craintes qu’il prévoit autre chose. Elle se sent envahir d’impulsions qui ne la caractérisent pas. Tout ce qu’elle veut, en cet instant, c’est qu’il ait mal. Jesper partage sa hargne, recommence à battre des ailes. « Tu m’as brûlée pour quoi, alors, si tu ne t’en souviens pas ? Si t’avais pas mon frère en échange, si t’en as même pas de souvenirs pour ton plaisir tordu, ça a servi à quoi ? À rien ? » Les derniers mots sont presque criés, la baguette appuyée alors contre sa gorge. Sa fylgia s’envole au-dessus de leurs têtes et elle lève le regard, inquiète. Sa main se baisse momentanément, elle recule encore, alors que le corbeau fond vers elleux, alors que ses lèvres s’ouvrent sous la peur. « Jesper ! » crie-t-elle pour attirer son attention, pour le ramener à la raison. Mais il est trop tard, elle recule juste à temps pour ne pas être touchée alors que le wak wak se matérialise et plaque l’homme à terre, ses serres acérées s'enfonçant sans mal dans l’épaule. Ása trébuche en arrière, tombe à son tour, sent son corps lâcher sans même qu’elle ne puisse le retenir, une vague de fatigue la frappant au même moment. Dans sa chute, elle voit les cordes disparaître, le sort se rompre. Un immense malaise l'envahit, alors que Jesper maintient sa prise un moment. « Jesper, arrête, » le supplie-t-elle, et il semble enfin l'entendre, tourne la tête vers elle. Il lâche Fredrikke, arrache un soupire de soulagement à sa sorcière et il se change en loutre avant de courir à ses côtés, soudainement aussi terrifié qu'elle. Elle ne trouve pas la force de se relever rapidement, alors elle raffermit sa prise sur sa baguette pour se préparer à la suite. Mais l'épuisement qui la cloue sur place lui laisse deviner qu’elle n’aura pas l’énergie de lancer de sorts suffisamment puissants pour se défendre.


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Fredrikke Mørk
Fredrikke Mørk
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tw. blessures physiques

Sa fylgia l’entoure de ses ailes vaporeuses et je vois son sourire sans joie s’étirer sur ses lèvres. J’en ai la nausée, parce que je pressens que je n’aimerai pas la suite, parce que je n’ai pas envie de savoir ce qui lui est arrivé. Qu’est-ce qu’il a encore fait? Qu’est-ce que j’ai foutu? « C’est une blague ? » J’aimerais que ce soit le cas. J’aimerais pouvoir lui dire qu’il y a probablement erreur sur la personne, qu’elle s’est sûrement trompée d’adversaire, mais je n’ai pas cette illusion. Je sais que je suis responsable, sans même savoir de quoi. Elle s’avance vers moi, la baguette pointée vers ma gorge, jusqu’à ce que l’instrument de bois soit à quelques centimètres de ma peau. Je ne cille pas, ne bronche pas, ne tente pas de me défaire de mes liens. Ma mâchoire est toutefois crispée, mes dents sont serrées. Je ne crains aucun des sorts qu’elle pourrait me lancer, même si elle choisissait par hasard le plus puissant de tous. Ce n’est pas de la vantardise, mais l’habitude, et cet instinct imprudent de Fred, trop présent dans les moments où le risque est présent. Je me suis déjà pris des poisons, des intoxications, des coups, des sorts. Je suis prêt à tout me prendre, si je pouvais ainsi alléger un peu mes anciennes victimes, si je peux leur apporter un soulagement. Ce soir, toutefois, j’aurais voulu pouvoir fuir cette scène. J’en avais l’envie, j’aurais pu le faire. Lâchement. Ne pas affronter mon destin, ne pas affronter cette femme dont le regard me dit trop clairement les épreuves traversées et la hargne que je lui inspire, aurait été un acte d’égoïste que je ne peux que fuir. « Tu m’as fait passer le pire jour de ma vie et tu m'as oubliée ? » Un frisson fait tressaillir mon épiderme.  Le pire jour de sa vie…Je ne lutte pas contre le dégoût qui m’envahi, je ne lutte pas contre le mépris envers lui, envers moi, qui prend toute la place. Et en même temps je suis las, si las, de me prendre ce genre d’histoire à la tronche, d’en apprendre toujours plus et trop sur ce que j’étais. Mes paupières se ferment, brièvement, sans que je vois la fylgia qui recommence à battre des ailes. J’ai habituellement le courage nécessaire pour affronter mon passé, pour ne pas m’y opposer… Mais cette nuit, j’aurais voulu un moment de répit, j’aurais voulu pouvoir refuser la souffrance à venir et les remords, comme un type normal qui peut simplement vivre sa vie et demander du feu à quelqu’un, sans se faire attacher. Mes yeux se rouvrent, en même temps qu’elle reprend la parole : « Tu m’as brûlée pour quoi, alors, si tu ne t’en souviens pas ? Si t’avais pas mon frère en échange, si t’en as même pas de souvenirs pour ton plaisir tordu, ça a servi à quoi ? À rien ? » Je discerne ses émotions trop clairement, alors que la nausée s’éveille en moi avec plus d’insistance. Je sens à peine sa baguette appuyée contre ma peau, je ne vois pas sa fylgia qui s’envole. Ses phrases tournent dans ma tête, avec trop de clarté. Il l’a brûlée. Il lui a dit qu’il avait son frère en échange. Pourquoi? Qu’espérait-il obtenir? Et jusqu’où est-il allé? Ma mâchoire se contracte encore davantage, mes dents claquent les unes contre les autres. Une autre personne qui a été brûlée. Encore. Toutes les excuses du monde seraient trop vaines, trop superficielles, trop absurde. Il y a des méfaits qui ne peuvent se payer que dans le sang versé. « Jesper ! » Je ne remarque le corbeau géant qui fonce sur nous qu’au dernier moment. Mes pensées étaient ailleurs, trop loin, trop vives, trop inutiles. Je la vois reculer, jusqu’à ce que la créature prenne sa forme matérielle et l’espace d’une seconde, infime mais présente, une lueur d’effroi vient briller dans mes iris bleutées. Trop fatigué pour souffrir, ce soir, mais encore plus trop fatigué pour expérimenter une souffrance que je n’ai jamais connue.

Sauf que ses victimes, mes victimes choisissent elles-mêmes leur heure. Mon dos heurte violemment le sol, alors que des serres s’enfoncent dans ma chair. Le simple contact avec la fylgia suffit à me rendre extrêmement mal à l’aise, dans une sensation indescriptible, mais pénible. Je ne crie pas, je n’implore pas, je ne maudis pas. Je ferme les paupières sous la douleur foudroyante, tétanisante, alors que ma tête tourne, que mes idées s’enfuient et que l’instinct, ce foutu instinct de Fredrikke, veut cruellement se manifester. Les cordes se relâchent et je sens, dans ma confusion, cette envie de chercher ma baguette. De contre-attaquer. De faire couler un autre sang que le mien. « Ashes. » Je murmure son prénom en même temps que la femme lâche celui du sien. Mes yeux sont encore fermés, alors que je lutte contre cette impression d’avoir les épaules broyées, alors que je lutte – avec un acharnement qui veut sombrer dans les limbes – contre mon envie momentanée de rendre cette douleur. La pression qui me transperce s’apaise d’un coup, et j’en déduis que la créature m’a lâché. Mes paupières demeurent obstinément fermées. Il est hors de question que je les rouvre avant de me contrôler, hors de question que je regarde dans sa direction tant que la douleur me fait perdre la tête et accentue trop mon envie de me venger. J’inspire, j’expire, chaque respiration réveillant la sensation de brûlure, tant à l’avant de mes épaules qu’à l’arrière. Sous mes doigts, je sens soudainement le poil doux du koala. Un sourire reconnaissant m’échappe ; je sais qu’elle fait un effort pour me calmer, et je la soupçonne fortement d’avoir pris la forme du serpent juste avant. « Ça a le mérite d’être vachement original. » La réplique m’échappe, à travers une voix trop rauque. Je me sens sonné, un peu trop, pour une de ces soirs où j’aspirais à la tranquillité. Mais c’est mérité, je n’en doute pas et je tente de me focusser sur cette pensée, pour calmer mes envies de violence. À quel point a-t-elle souffert, pour que ma simple vue provoque une telle réaction? À quel point est-ce que j’éveille des souvenirs monstrueux chez elle, pour que sa fylgia décide de m’attaquer?

Mes yeux se rouvrent et se posent sur Ashes, pelotonné d’un air sauvage à mes côtés. Je pose mes mains à plat sur le sol, me redressant laborieusement. Je vois le sang qui s’écoule, je vois les trous, sans pouvoir jauger de la gravité. Je suis loin d’être un médicomage et je me soucie très peu de ce qui peut arriver à ce corps. La douleur s’est toutefois accentuée à mon maigre mouvement et je serre les dents, conscient que mes pensées sont soudainement bien moins claires que d’habitude. Je cherche la femme, un pli soucieux barrant mon front lorsque je l’aperçois sur le sol, la loutre à ses côtés. C’est quoi cette connerie? Elle n’a pas déjà assez souffert? Elle ne peut pas se venger librement, sans devoir en subir les contre-coups? Un juron m’échappe, avant que je ne tente de me mettre sur pieds. La première tentative est un échec, la seconde est une réussite. Ma démarche est bien plus lente que je ne voudrais, chaque pas m’arrachant une grimace. Ma voix résonne, faible, mais sans froideur : « Écoute, j’ai rien contre le fait que tu me perfores, vraiment, et je m’opposerai à rien qui concerne une vengeance directe. Par contre, si ça concerne ta propre santé…C’est autre chose. » Je suis persuadé que ça ne le rassurera pas. Mais je dois le préciser malgré tout, je dois me justifier ce que je m’apprête à faire. Parce que je n’ai pas le choix, pas vrai? Je me penche, les lèvres serrées, jusqu’à entourer ma baguette de mes doigts, qu’elle tient toujours. Je l’arrache de sa poigne d’un geste brusque, que j’aurais voulu éviter, mais qui était nécessaire. Un rictus contrit s’étire sur mes lèvres, alors que je pointe le koala du menton : « Je vais rien te faire. Si je sens que mes réflexes prennent trop de place, je vais redonner ma baguette à Ashes. » Et elle n’a aucune raison de me croire. Je fais un pas vers l’avant, pour m’éloigner un peu d’elle et lui laisser son espace, tout en restant proche si elle a besoin d’une intervention. Je repère le mur d’un bâtiment, contre lequel je me laisse tomber, le souffle court. Mes paupières veulent se fermer de nouveau, mais je les conserve ouverte. Je poursuis : « J’suis pas un très bon soigneur mais...Si tu veux réutiliser la même attaque, je crois qu’il serait sage d’attendre un peu. J’irai nulle part de toute façon. » L’inquiétude perce dans ma voix, mais aussi dans mes iris d’un bleu océan. Je peux souffrir, c’est l’ordre naturel des choses, ce n’est que justice et je ne m’en plaindra pas. Mais qu’elle se retrouve sur le sol…? J’ai la gorgé nouée, soucieux, autant parce que je redoute ce que j’ai pu lui faire que parce que je me haï de ne pouvoir intervenir directement, de ne pas pouvoir lui venir en aide. Ma voix résonne de nouveau, pour prononcer une phrase absurde, quelque chose qui me semble si vide, si inutile, mais que je ne peux pas passer sous silence : « J’aimerais me rappeler de toi, parce que t’as énormément dû souffrir pour en venir à une telle extrémité, et j’en suis terriblement désolé. » Sauf qu’être désolé ne change rien, strictement rien. Je pointe ma baguette vers les plaies que je vois, pour arrêter le saignement par le biais d’un sort informulé. Je réitère la manœuvre pour mon dos, en pointant le bout de bois de façon bien plus aléatoire. Mes mains tremblent, lorsque je dépose ma baguette à côté de mes jambes : « T’es capable de te redresser? Je peux pas t’aider directement, vu notre passé commun j’imagine que tu préfèrerais crever que d’accepter mon aide. Mais…y’a quelque chose que je peux faire? De l’eau, du chocolat? » J’imagine qu’elle préfèrerait mourir ici que d’accepter quoi que ce soit qui vient de moi. Et ça fait probablement plus mal que le reste, de me savoir aussi impuissant.
Ása Strandgaard
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(tw) blessures, sang


La gorge nouée, elle guette la silhouette encore allongée à terre, immobile. La fatigue l’assomme, l’engourdit, et elle sait que si elle se remettait sur ses jambes, maintenant, ses jambes céderaient. Jesper n’a pris forme matérielle ainsi qu’une poignée de fois et rien n’a changé, l’épuisement est toujours le même, à lui en couper le souffle, à la clouer sur place. Elle peine à présent à se tenir redressée sur son coude, à lever la tête pour réussir à apercevoir l’autre forme gisant au sol. Ce serait l’opportunité parfaite pour qu’elle puisse partir sans craindre d’être attaquée dans le dos mais elle n’a qu’une envie, c’est de se laisser tomber sur le dos et rester allongée quelques minutes. Elle ne peut même pas s’accorder cela, cependant, la peur l’empêchant de se reposer, de souffler. Elle ne peut pas le quitter des yeux, sa baguette toujours dans sa main droite, légèrement relevée, l’autre toujours dans la gauche. Elle entend sa voix, ne comprend pas ce qu’il dit ou si il lui parle. Puis elle le voit se relever, avec peine, à s’y reprendre à plusieurs fois et elle sent sa main trembler, se relever un peu plus pour être pointée vers lui. Elle n’a pas d’élan de pitié ou de regret, ne se soucie pas soudainement de son état. Elle n’en veut même pas à Jesper, même si elle aurait préféré qu’il évite, pour ne pas la mettre dans une situation pareille. Le simple fait d’avoir réussi à l’atteindre, à ce que ce soit à son tour d’avoir mal, même si c’est une fraction de ce qu’il lui a fait subir, lui apporte une satisfaction sans nom. Elle s’est su plus compatissante, même avec des personnes qu’elle n’appréciait pas particulièrement. Mais en cet instant, elle se sent absolument incapable d’éprouver la moindre sympathie pour cette ordure.
Il parvient à se remettre sur ses jambes, alors qu’elle sent son cœur couler. Il se met en marche, avance lentement, peut-être délibérément en sachant qu’elle ne peut rien faire. Encore une fois. Elle sent la panique monter et monter à chaque pas, à chaque centimètres qui les rapproche. Elle sent aussi le sang, ce sang qui a coulé et qu’elle a presque oublié. Ce sang qui se retrouve bien trop proche, ce sang qui pourrait lui redonner l’énergie qui lui a été arrachée. Elle sent ses crocs sortir, contre son gré, sans réussir à les rétracter, sa respiration se faire plus courte, autant sous l’angoisse qu’à cause de l’odeur, irrésistible. Il est si proche, trop proche et il se penche alors vers elle, lui met presque sa plaie sous le nez. La panique mêlée à l'impulsion qu'elle ressent de planter ses ongles dans sa nuque pour l'immobiliser un instant la fige sur place. Elle ne peut qu'ouvrir la bouche pour protester, pour faire autre chose que de rester allongée là. « Non- » La plainte s’échappe de ses lèvres, les garde entrouvertes pour permettre à l’air de rentrer plus facilement et elle se demande si il peut voir ses crocs, s’il aurait alors envie de la tourmenter là-dessus, aussi. « Écoute, j’ai rien contre le fait que tu me perfores, vraiment, et je m’opposerai à rien qui concerne une vengeance directe. Par contre, si ça concerne ta propre santé…C’est autre chose. »  Elle secoue la tête alors qu’il se penche, ne comprend pas ce qu’il cherche à dire. Il essaye de lui faire croire qu’il se soucie de sa santé, peut-être. Il lui arrache la baguette des mains, alors qu’elle cherche à la retenir, aussi bien pour la garder en main que pour le garder lui, là, proche, si proche. Elle relâche prise immédiatement, le laisse la prendre et s’éloigner, alors qu’elle lâche finalement l’appui sur son coude, se laisse retomber sur le dos, abandonne. Elle ferme les yeux, prend plusieurs inspirations, l’air frais de la nuit lui permettant de calmer ses pulsions, d’enfin rétracter ses crocs, sans parvenir à atténuer l'angoisse qui la tient depuis plusieurs minutes. Elle aurait pu l’attraper, aurait pu boire le sang qui coulait déjà. Mais elle n’en veut pas. Au delà des promesses à son père ne pas toucher à du sang pur, elle n’a aucune envie de goûter à son sang, de l’apprécier, de ressentir quoi que ce soit de positif à son égard. Elle ne veut pas non plus être si près de lui, être dans une position presque intime avec quelqu'un qui la répugne autant. Elle regrette alors presque l’intervention de Jesper, regrette d’être trop épuisée pour utiliser ses pouvoirs de persuasion. Ses tentatives échoueraient sans aucun doute.  « Je vais rien te faire. Si je sens que mes réflexes prennent trop de place, je vais redonner ma baguette à Ashes. »  Elle fronce encore les sourcils, ne comprend toujours pas. De quoi parle-t-il ? Qu’est-ce qu’il cherche à éviter ? N’est-ce pas là tout ce qu’il désire, la mettre à terre à nouveau, l’avoir à sa merci une fois de plus ? Elle ne peut rien faire, ne peut pas transplaner, ne peut pas lancer de sorts, ne peut pas se remettre sur ses pieds dans l’immédiat. Il est blessé mais il est debout, il peut utiliser sa baguette. Il a gagné.
Allongée dans la neige, les bras étendus à ses côtés, sa baguette inutile encore entre ses doigts, elle attend la suite, attend que la sentence tombe. Son autre main rejoint la fourrure de Jesper, en un geste censé l’apaiser, alors qu’elle observe le ciel noir au-dessus d’elle, les étoiles cachées derrière les nuages. Elle ne se redresse pas alors qu’il passe de l’autre côté de la rue, sait que même si elle était assise, elle ne pourrait rien faire. Il ne s’éloigne pas autant qu’elle l’aurait souhaité, sa voix toujours juste là. « J’suis pas un très bon soigneur mais...Si tu veux réutiliser la même attaque, je crois qu’il serait sage d’attendre un peu. J’irai nulle part de toute façon. J’aimerais me rappeler de toi, parce que t’as énormément dû souffrir pour en venir à une telle extrémité, et j’en suis terriblement désolé. » Elle secoue la tête, le creux se creusant d’avantage sur son front. Un sort crépite, son corps se crispe. Mais rien. Elle lève la tête, relève les yeux, le regarde enfin, voit qu’il soigne ses blessures. Bientôt, tout cela aura servi à rien, si ce n’est à la priver de ses dernières défenses. « T’es capable de te redresser? Je peux pas t’aider directement, vu notre passé commun j’imagine que tu préfèrerais crever que d’accepter mon aide. Mais…y’a quelque chose que je peux faire? De l’eau, du chocolat? » Elle lâche un rire froid, se redresse finalement sur les coudes, puis en position assise, appuyée sur une main, tournée vers lui. Il continue de se moquer d'elle, sait parfaitement que le chocolat a un goût de craie sur sa langue, n'a aucune propriété nourrissante ou rétablissante pour son corps. Elle le fixe, vaguement amusée par ses tentatives pathétiques. « C’est quoi, en fait, le plan ? Tu me fais croire que t’as tout oublié, que tu regrettes, que t’as changé ? Que tu veux m’aider ? Et puis quoi, on devient amis, on oublie tout ? Et quand je te fais bien confiance, tu trouves un autre moyen de me torturer, pire que le dernier ? » Peut-être est-ce l’alcool qui inhibe encore ses sens, mais elle ne sent aucune retenue, aucune hésitation dans le flot qu’elle lui réserve. Il aura besoin d’arrêter de prétendre plus tôt, cette fois-ci, puisqu’elle sait que tout ce qui sort de sa bouche est mensonge. Elle ne ressent que du dégoût, à l’idée qu’il puisse prétendre vouloir l’aider, être charitable, la laisser se venger. « Qu’est-ce qui te fait penser que je vais croire le moindre mot qui sort de ta bouche ? T’es le pire des déchets, je le sais, tu peux pas réussir à me faire avaler que trois ans ont changé ça. » Son ton n’est pas adoucit non plus, chaque mot craché, avec un sourire qu’elle cache mal, satisfaite de lui dire exactement ce qu’elle pense de lui. Ça ne changera rien, rendra probablement son sort pire, mais le soulagement devient addictif. « Va chier, Fredrikke. » Un vocabulaire qu’elle ne s’autorise jamais, qu’elle lui réserve spécialement parce qu’il a décidé de revenir faire irruption dans sa vie. Elle se remet sur les genoux, arrive enfin à tenir debout, appuyée contre un poteau qu’elle trouve, assez proche. Elle ne peut pas lui tourner le dos, ne peut pas partir, certaine qu’il attaquera sans hésiter, même s'il est assis, même si sa baguette a été déposée à côté de lui. Elle se souvient de ses réflexes. Elle ne peut qu’espérer que son prochain sort fonctionnera également, lorsqu'elle osera une nouvelle tentative.


i have made oceans out of my sadness
and still i drown
Fredrikke Mørk
Fredrikke Mørk
GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden
Elle s'est redressée sur les coudes, puis en position assise, et j'ai retenu un soupir de soulagement. Je suis rassuré de la voir dans une autre position qu'allongée, rassuré de voir qu'elle parvient au moins à ne plus être étendue dans la neige. « C’est quoi, en fait, le plan ? Tu me fais croire que t’as tout oublié, que tu regrettes, que t’as changé ? Que tu veux m’aider ? Et puis quoi, on devient amis, on oublie tout ? Et quand je te fais bien confiance, tu trouves un autre moyen de me torturer, pire que le dernier ? » Mes lèvres se crispent légèrement, ma mâchoire se serre. Je suis habitué à la haine, au mépris, au dégoût. Mais l’habitude n’empêche pas que ça fait mal à chaque fois et que les mots m’atteignent. Je sais qu’ils sont mérités et que s’ils le visent lui, ils me sont aussi bien adressés à moi. Je récolte les fruits d’actions dont je ne me souviens pas, et la récolte est amère. Si elle parle de torture, c’est que j’ai sans aucun doute employé un tel procédé. Associé à des brûlures…Un frisson glisse le long de ma colonne vertébrale, m’arrachant un léger rictus de douleur au passage. « Qu’est-ce qui te fait penser que je vais croire le moindre mot qui sort de ta bouche ? T’es le pire des déchets, je le sais, tu peux pas réussir à me faire avaler que trois ans ont changé ça. » Trois ans. L’événement date donc de plusieurs années…et il provoque encore une telle réaction, une telle hargne? Je jette un coup d’œil à ma fylgia, qui semble ressentir la détresse qui s’insuffle dans mes veines. Elle se rapproche, frôlant ma main libre de sa tête. Mes doigts touchent son pelage duveteux, mes paupières tressaillent. Je ne m’accoutume pas à l’idée d’avoir fait autant souffrir des gens, à les avoir marqués aussi profondément. Mais ce qui me fait le plus souffrir, c’est de ne pouvoir effacer leurs propres souvenirs. Les dieux se sont bien foutu de leur gueule, en ne prenant que ceux de leur persécuteur. « Va chier, Fredrikke. » Les mots employés ne me font pas rire, ne me font pas sourire, ne me font pas sourciller. J’y vois tous les sentiments que je lui inspire, tout ce que je lui ai fais subir et je le hais, je me hais, peut-être bien plus profondément qu’elle peut me détester.

Alerte, je la regarde se remettre laborieusement debout, puis s’appuyer contre un poteau. Je surveille les signes d’une chute éventuelle, prêt à intervenir à tout moment au cas où elle tomberait. Ma voix résonne dans cette nuit presque achevée, murmure inégal : « J’ai changé, oui, mais t’as pas à croire ce que je te dis, justement parce que je suis un déchet et que t’as raison de ne pas me faire confiance. » Je ne me remets pas debout pour lui faire face. Je me dis que me voir plus bas peut avoir un aspect rassurant, parce que ça ne me met pas dans une position de supériorité. Et j’aurais aussi du mal à tenir longtemps sur mes deux pieds actuellement ; la douleur est trop forte, déconcentrante, et je sais que je devrai transplaner chez moi pour me soigner, sitôt cette conversation terminée.  Je reprends : « Et je ne dis pas que j’ai tout oublié…Juste ce qui te concerne, même si c’est horrible à admettre, que j’aie pu te blesser à ce point, que t’as dû survivre avec ce souvenir et que moi, il ne m’a pas marqué. » Un rictus de dégoût déforme mes traits. Ça me semblait déjà horrible, lorsque j’ai lu le journal de Fredrikke, mais ça me semble encore plus inacceptable à chaque nouvelle rencontre.  Tous ces gens qui doivent vivre avec des cicatrices, avec des images, des émotions, des traumatismes…Et leur persécuteur qui est encore vivant pendant ce temps, qui a en plus l’esprit vierge, qui ne se rappelle de rien. C’est injuste, terriblement injuste. Je poursuis : « J’ai pas de plan, je veux pas être ton ami. Mais s’il te faut quelque chose pour te remettre d'aplomb, pour te permettre de transplaner et de t'éloigner de moi...Je peux t'aider. Et je peux lui redonner ma baguette, si ça te rassurerait de la savoir loin de moi. » Du menton, j’ai pointé le bout de bois qui est normalement un prolongement de ma main et dont je n’aime pas me séparer. Je le ferai, encore, si elle le veut. Mais je la confierais cette fois à ma fylgia : je préfère ne pas prendre le risque de ne pas pouvoir intervenir, s’il lui arrivait quelque chose. Je veux bien souffrir, si c’est nécessaire, si ça la soulage. Sauf que je ne pourrais pas supporter de voir quelqu’un sur le sol, en difficulté, sans intervenir. Je précise ma pensée, un rictus s’étirant sur mes lèvres pâles : « Je t’empêcherai pas non plus de me lancer d’autres sorts, si c’est ce que tu veux, tant qu’ils ne te foutent pas encore à terre. C’est la seule raison pour laquelle j’interviendrais. » Même si j’espère lâchement qu’elle ne choisira pas cette option. J’étais déjà fatigué, extrêmement las ; la blessure ne fait qu’accentuer cette faiblesse initiale. Pourtant, je ne me déroberais pas, si elle choisissait de pointer de nouveau sa baguette sur moi. Elle a dû souffrir bien plus, c’est indéniable, et je ne fuirai jamais devant les dettes que je dois payer.
Ása Strandgaard
Ása Strandgaard
SKJERME Förtroende som beviljas utesluter inte uppmätt misstro

(tw) violences physiques


L’épaule appuyée contre le poteau, elle sent la glace qui le recouvre commencer à tremper son manteau mais elle l’ignore, les yeux toujours plantés sur Fredrikke, attendant le moindre mouvement pour réagir. Jesper ne quitte plus sa forme de loutre, mais elle sent qu’il y a encore de la colère, chez lui, la même qu’elle ressent. Elle sent qu’il se retient, qu’il ne se transformera plus. « J’ai changé, oui, mais t’as pas à croire ce que je te dis, justement parce que je suis un déchet et que t’as raison de ne pas me faire confiance. »  Elle fronce les sourcils, surprise qu’il accepte aussi facilement ses mots. Ce n’est définitivement pas le genre de personnalité qu’il lui avait montré, sur la plage, trois ans plus tôt. Elle s’était attendue à plus de répartie, à des insultes en retour, quelque chose, plutôt qu’une abdication. Son attitude lui laisse un goût amer en bouche, comme si c’était trop facile, comme si ce n’était pas mérité. Comme si cela n’aurait servi à rien qu’elle vive avec ces souvenirs pendant trois ans pour qu’il s’excuse simplement, pour qu’il soit d’accord avec elle. N’aurait-il pas pu venir à cette conclusion avant de la laisser brûler au soleil ? Elle refuse d’y croire, parce que si elle y croit, elle sent que quelque part, c’est encore lui qui gagne. Et peut-être que c’est ce qu’il cherche, au fond. Elle n’a jamais aimé la confrontation, l’a toujours plutôt évitée, mais il y a quelque chose d’inachevé entre elle et Fredrikke, une douleur qu’elle n’a jamais pu effacer, une rage qu’elle n’a jamais pu éteindre. « Et je ne dis pas que j’ai tout oublié… Juste ce qui te concerne, même si c’est horrible à admettre, que j’aie pu te blesser à ce point, que t’as dû survivre avec ce souvenir et que moi, il ne m’a pas marqué. » Il tire une grimace et elle se sent l’imiter, peu satisfaite de sa réponse. Encore une fois, le fait qu’il l’ait juste oubliée fait enfler sa colère, lui prouve que pour lui ça ne voulait vraiment rien dire. Que dans ce cas, cela aurait pu être évité. « J’ai pas de plan, je veux pas être ton ami. Mais s’il te faut quelque chose pour te remettre d'aplomb, pour te permettre de transplaner et de t'éloigner de moi... Je peux t'aider. Et je peux lui redonner ma baguette, si ça te rassurerait de la savoir loin de moi. » Il désigne sa baguette du menton, et elle devine qu’il parle probablement de sa fylgia. Quoiqu’il essaye de faire, elle ne lui fait pas confiance. « Je ne veux pas de ton aide, » dit-elle simplement. Doucement, elle s’écarte du poteau, retrouve son équilibre, sur ses deux jambes. Elle ne se sent pas plus en forme, sait qu’elle aurait probablement besoin de dormir à présent pour complètement se remettre. Transplaner est définitivement trop risqué, avec l’alcool dans son sang et l’épuisement de son corps. Elle ne peut que partir à pied, en direction du réseau de cheminées mais elle n’a pas envie de lui tourner le dos. Elle préférerait le rendre incapable d’agir ou de la suivre, d’abord, mais elle sait que cela va se révéler difficile également. « Je t’empêcherai pas non plus de me lancer d’autres sorts, si c’est ce que tu veux, tant qu’ils ne te foutent pas encore à terre. C’est la seule raison pour laquelle j’interviendrais. » Encore une fois, il l’invite à l’attaquer. Encore une fois, il l’invite à se venger, ayant déjà déclaré qu’il le mérite, qu’il ne s’y opposerait pas. Et Ása sent cette haine, qui fait cogner son cœur, cette rage, qui la fait trembler et elle s’avance, elle réfléchit, elle regarde la baguette au sol. Elle réfléchit, mais son raisonnement n’est pas censé, ses pensées ne sont pas posées ou calmes. Elle veut qu’il souffre. Elle veut se venger, oui. « Puisque tu insistes. Peut-être que t'as besoin d'une piqûre de rappel. » Son ton est étrangement calme, pourtant elle se sent sur le point d'exploser. Il lui faut tout son contrôle d'elle-même pour ne pas lui hurler dessus, pour ne pas alerter les personnes qui trainent à l'intérieur du bar. Elle sait déjà quel sort lancer. S’il la laisse se venger, elle veut qu’il vive la même chose, elle veut qu’il brûle, lui aussi, comme elle, comme Vence et comme tant d’autres dont elle devine l’existence. Elle pointe sa baguette vers l’homme à terre, la formule prononcée au même moment. « Incendio. » Il a raison, il le mérite.


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Fredrikke Mørk
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« Puisque tu insistes. Peut-être que t'as besoin d'une piqûre de rappel. » C’est peut-être de la lâcheté, mais j’aurais préféré qu’elle refuse. J’ai espéré qu’elle ne prenne pas cette possibilité que je lui offrais, qu’elle choisisse de ne pas se venger davantage. Un soupir s’échappe de mes lèvres, alors que mes muscles se bandent davantage, comme pour se préparer à affronter la suite. J’ai mal, je suis fatigué, je suis exaspéré et j’en ai marre, ce soir peut-être plus que tous les autres, de me découvrir des victimes à chaque coin de rue. J’aurais voulu pouvoir profiter d’une nuit normale, sans remords, sans culpabilité, sans devoir payer pour les actes d’un dingue dont je veux terriblement me dissocier. Sauf que cette responsabilité, c’est la mienne. J’inspire et je serre les dents, tout en sentant ma fylgia qui se crispe aussi à mes côtés. Je m’en veux, de lui faire subir tout ça, mais je vois difficilement d’autres possibilités. Je ne veux pas attaquer cette fille ni la priver d’un soulagement qu’elle croit pouvoir obtenir de cette façon. Elle lève sa baguette et je ne remarque pas que mes doigts se sont tendus vers la mienne, que j’ai attrapée sur le sol sans y penser.

« Incendio. » De tous ceux qu’elle aurait pu choisir, elle a vraiment choisi le pire de tous, pour moi? Je bloque le sort instinctivement, sans réfléchir. L’instinct est plus fort que le reste et ce sort, qu’il a trop utilisé dans le passé, je l’haï plus que tout. Mes doigts tremblent contre ma baguette et sans que je ne songe à quoi que ce soit, je la pointe sur celle qui vient de m’attaquer. Le incarcerem n’est pas prononcé à voix haute, mais il file bien sur ma cible, sans que je n’aie planifié quoi que ce soit. Je laisse mes réflexes me dominer, ces réflexes dont j’ai encore trop besoin, dans le cadre de mon travail, mais qui peuvent parfois se retourner contre moi. Ashes glapit, comme pour me ramener à la réalité, et mes paupières se plissent alors que mes pupilles se posent sur Ása. Mes lèvres se pincent, mes yeux s’écarquillent sous le dégoût, alors que je réalise l’acte que je viens de poser. « Merde, désolé, je…C’est pas volontaire. » Je lève aussitôt mon sortilège, pris de tremblements qui m’échappent totalement. Mon regard est plus hagard, mes traits sont blêmes et je me calle contre le mur du bâtiment où je suis appuyé, comme si je pouvais y trouver une protection. Une protection contre quoi ? Pas contre Ása. Contre moi, contre lui. Parce que ce sont ses impulsions, qui ont gagné. Pas les miennes. Je grince, les dents serrés : « Je voulais vraiment pas t’attacher, c’était un réflexe. » L’ai-je effrayée ? J’espère que non. Ai-je réveillé de mauvais souvenirs ? Cette possibilité m’horrifie. Ma mâchoire se serre et mes paupières se ferment très brièvement, comme si je pouvais effacer toute cette scène et cet endroit. Je pourrais transplaner. Je pourrais mettre un terme à tout ça, retrouver ma quiétude. Je pourrais, mais je ne le fais pas. J’ai encore ce courage – ou cette folie – de rester. Je rajoute :   « L’incendio…Je l’ai trop lancé aux autres, je peux pas le supporter. » Ni maintenant, ni plus tard.
Ása Strandgaard
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(tw) angoisse, claustrophobie


Il n’y a plus de fil logique dans ses pensées, la colère, l’instinct peut-être, prenant le pas sur toute rationalité. Elle ne réfléchit pas, quand elle lève sa baguette, quand elle prononce l’incantation. Le sort part avant qu’elle ne puisse réellement prendre l’ampleur de ce qu’elle est en train de faire. Ce n’est pas anodin, d’enflammer quelqu’un et elle ne réalise pas qu’elle n’est peut-être pas prête à voir une personne brûler vive, ni même à la laisser brûler, sans agir. Elle s’en pense capable, parce qu’elle espère une rétribution, parce que c’est le genre d’attitude que son père attendrait d’elle. Le genre d’attitude digne de sa famille, qu’elle ne se serait jamais permise par le passé. Trop faible, sans doute. Pas assez convaincue à l’idée d’agir comme bon lui semble, de prendre ce qu’elle veut par la force, de se venger sans y penser à deux fois. Elle ne sait plus très bien pourquoi elle ne s’y est jamais essayée, alors qu’elle ne sait pas encore comment elle réagira, quand il prendra feu.
Le sort part mais n’atteint pas sa cible. Les réflexes qu’elle ne lui reconnaît que trop bien contrent l’incantation en une fraction de seconde et à peine un moment s’écoule avant qu’elle ne se retrouve ligotée, à son tour. Les cordes glissent contre ses vêtements, l’encerclent, l’étouffent, en une sensation bien trop familière. Ce n’est plus la neige qu’il a sous ses pieds, ni la lune au-dessus d’elle. C’est le sable qui colle à sa peau, le soleil qui la brûle, et sans qu’elle ne puisse y échapper, elle se sent revenir trois ans arrière, prise au piège, impuissante. Ses genoux cèdent à nouveau, plus parce qu’elle n’arrive pas à se rattraper plutôt que par véritable choc physique. Elle sent sa gorge se bloquer, l’air lui manquer, alors qu’elle pousse d’instinct contre les cordes, qui ne font que se resserrer à chaque impulsion. Il n’y a rien de réfléchi dans ses gestes désespérés, les mains repoussant avec peine l’étau qui l'emprisonne un peu plus à chaque seconde, sans succès. Elle n’entend ni les plaintes qui quittent ses lèvres, ni l’homme qui lui parle. Le soulagement ne la gagne pas quand les cordes s’évaporent, ses mains regagnant soudainement le sol. Le froid la ramène brutalement au moment présent, mais sa respiration ne se calme pas, elle ne parvient pas à se redresser, assise, les doigts dans la neige, l’air glacé entrant avec peine dans ses poumons. « L’incendio…Je l’ai trop lancé aux autres, je peux pas le supporter. » Elle ne cherche pas à comprendre ce qu’il lui dit, pourquoi cela voudrait-il dire qu’il ne le supporte pas, le point dans sa poitrine opprimant, l’empêchant de formuler une réponse cohérente. Elle relève le regard vers lui, sent la fraîcheur des larmes qui ont soudainement coulé lui brûler les joues mais surtout l’impuissance qu’elle ressent à cet instant. Elle sait ce qu’elle a envie de lui lancer, ses doigts cherchant et trouvant sa baguette tombée dans la neige. Elle sait par quel moyen elle pourrait le faire souffrir, même si cela impliquerait qu’il ne réussisse pas à l’en empêcher cette fois-ci. Un sort qu’elle a déjà vu son père lancer contre une cible facile, dès son plus jeune âge. Un sort dont sa famille parle nonchalamment, comme d’un simple expelliarmus, qui règle bien des soucis, qui permet de reprendre le contrôle, d’asseoir son pouvoir sur l’autre. Un sort illégal, qu’elle n’a elle même jamais lancé, mais qui la démange en cet instant, juste pour mettre fin à son jeu, juste pour qu’il ait mal, lui aussi. Sa main ne se lève pas pour autant et elle le fixe juste, la respiration courte, l’envie d’abandonner la saisissant de toutes parts. Elle ne se sent pas la force de se relever ou de se battre, son énergie toujours aussi vidée, son état psychologique ébranlé. Tout soupçon de courage l'a quitté et elle sait que si elle se laissait prononcer l'impardonnable, elle ne pourrait plus faire marche arrière. Elle le fixe juste, ne comprenant pas pourquoi il l'a relâchée, pourquoi il n'enchaîne pas. « A quoi tu joues ? » demande-t-elle finalement. « Qu’est-ce que tu veux ? Arrête de tourner autour du pot et dis moi pourquoi t’es là. » Elle préfère lui demander directement, plutôt que de perdre d’avantage de temps, surtout à présent qu’elle se rend compte qu’elle ne pourra pas y échapper. La panique ne l'a pas quittée, pourtant elle essaye de ne pas le laisser l’entrevoir plus que lorsque ses moyens lui ont échappé, quelques minutes plus tôt. Elle ne veut pas lui donner cette satisfaction. Le froid lui mord la peau des doigts, alors elle finit par les retirer de la neige, les essuie sur son manteau. Elle arrive finalement à se remettre debout, ne voulant pas laisser ses vêtements se tremper d’avantage. « Je ne peux pas transplaner, je ne peux pas te jeter de sorts et si je te tourne le dos pour m’en aller, je sais que tu m’attaqueras de toute façon. Alors vas-y, abrège, » crache-t-elle, encore essoufflée. Elle ne sait pas si elle a réussi à suffisamment masquer les tremblements ou le désespoir de sa voix mais elle soutient son regard, attendant que la sentence tombe.


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Fredrikke Mørk
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Je la fixe avec une angoisse qui prend de l'ampleur, observant ses doigts dans la neige, puis les larmes qui ont coulé sur ses joues. Ces dernières me font bien plus mal que mes blessures aux épaules ; elles me tordent le cœur, celui-là même qui n’a pas cessé de battre au bon moment dans le passé, et qui mène une course endiablée comme pour rattraper le temps perdu. À quel point Fredrikke lui a-t-il fait du mal dans le passé pour qu’être ligotée provoque une telle réaction ? Il l’a brûlée, mais comment ? Dans quelles circonstances et pour quelles raisons ? Il serait bien capable de ne pas en avoir, ce con. Et toutes ces interrogations soulèvent des réponses que je ne serais peut-être pas prêt à entendre, en ce soir de lassitude où j’étais déjà si peu près à me prendre des coups supplémentaires.

Je la dévisage avec plus d’attention, les sourcils froncés, les dents serrés. J’ai le réflexe de vouloir la rassurer et la consoler, sans pouvoir le faire. Je suis la pire personne pour aider une victime, le pire des souvenirs. Et de toutes les vengeances que je peux subir, le plus terrible n’est pas la douleur physique : c’est cette impuissance devant la souffrance de ceux qu’il a torturés, cette impossibilité de faire quoi que ce soit pour atténuer le poids qui a dû peser sur leurs souvenirs. Je la vois chercher sa baguette dans la neige, sans savoir si elle lançera un nouveau sort. Pourrais-je le supporter sans réagir ? J’aimerais croire que oui, mais je ne fais pas confiance à mes réflexes, pas ce soir. L’instinct prend trop de place, lorsque la douleur est trop présente. « A quoi tu joues ? » Je la fixe avec perplexité, attendant qu’elle précise ses pensées. À quoi je joue ? Rien. J’attends la fin de cet événement, le moment où elle décidera qu’elle est satisfaite. Ce n’est ni la meilleure façon d’agir ni de réfléchir, mais en cet instant où mon sang tâche encore le mur derrière moi, je ne suis pas capable de mieux. « Qu’est-ce que tu veux ? Arrête de tourner autour du pot et dis moi pourquoi t’es là. »  Mes sourcils se froncent davantage et je jette un coup d’œil de biais à Ashes, comme s’il pouvait me donner la bonne réponse. Croit-elle vraiment que je l’ai suivie ici pour faire quelque chose…? N’envisage-t-elle pas que j’aie pu être ici par hasard, dans le bar ? À quel point Fredrikke était-il fourbe et manipulateur, pour qu’une telle questionne vienne aussi impulsivement ?

À mon grand soulagement, elle se remet finalement debout, sans que je n’en fasse de même. Si je me relève, ce sera pour transplaner, et rien d’autre. Je doute de mes capacités, sinon, à tenir longuement une conversation en tenant sur mes deux pieds, sans perdre l’équilibre. « Je ne peux pas transplaner, je ne peux pas te jeter de sorts et si je te tourne le dos pour m’en aller, je sais que tu m’attaqueras de toute façon. Alors vas-y, abrège, » La morsure glaciale contre ma peau n’est pas celle du froid. C’est celle de l’effroi, devant cette énumération qui laisse trop percevoir qu’elle connaît bien son mode d’opération. Je remarque son essoufflement, hochant la tête dans un signe de négation :   « Je ne joue à rien. J’étais ici simplement pour profiter du bar. » Même si elle n’a aucune raison de me croire. Je pourrais être ici pour d’autres motifs, si j’étais effectivement un enfoiré qui recherche la compagnie de son ancienne victime, pour prolonger un passé exécrable. J’écarte cette pensée avec dégoût, poursuivant d’une voix hésitante : « Je ne te veux aucun mal. Je voulais pas te ligoter, c’est mon corps qui a… Je le referai plus.» Je n’ai pas complété ma phrase, incapable de trouver les mots exacts. Ils sont trop proches de la vérité, cette vérité qui vient avec une mémoire éclatée, mais un corps qui se rappelle bien mieux les gestes à poser. Mon front se plisse et des rides soucieuses apparaissent, sincères mais qui seront sûrement interprétées comme hypocrites, alors que je demande : « Pourquoi tu ne peux pas transplaner ? Tu es trop épuisée ou tu as trop bu ? » Va-t-elle croire que je cherche à repérer ses faiblesses ? Je me reprends aussitôt, pointant du menton la porte du bar plus loin : « T’as quelqu’un à l’intérieur qui pourrait te raccompagner ? Tu peux y aller à reculons si tu veux, en pointant ta baguette vers moi. Moi je vais transplaner aussitôt que je te saurai en sécurité. » Même si cette idée ne doit pas la rassurer. Je préfère tout de même l’éventualité de me prendre d’autres sorts, que de savoir que je l’ai abandonnée alors qu’elle n’était peut-être pas en état de se trouver un espace sécuritaire ou de rentrer seule.
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