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Allo docteur ? Tenez une pilule d’empathie, juste au cas où…
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Asgeir Mørk
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Allo docteur ? Tenez une pilule d’empathie, juste au cas où…

Samedi 19 novembre 2022  @Dax Tcherkassov


Asgeir était dans une angoisse des plus profondes. Sa petite fille, avec qui il avait déjà des interactions assez limitées, refusait à présent de lui adresser la parole et même de s’alimenter.

Que lui arrivait-il ? Était-elle atteinte d’un mal inconnu ? D’une maladie grave ? Il n’aurait plus manqué que ça. Elle avait déjà subi tant d’épreuves dans sa courte vie, ne pouvait-on pas la laisser respirer un peu ?

Dans un premier temps, il s’était dit que ce n’était que passager, qu’elle finirait par retrouver l’appétit et un semblant de joie de vivre. Il avait laissé passer plusieurs semaines, l’observant de loin dans les couloirs de l’école et lors des repas. Mais son état semblait se dégrader sous ses yeux. Lors des repas, elle semblait ne toucher à rien, ou très peu et c’était ce qui l’inquiétait le plus.

Son teint était de plus en plus pâle et de profonds cernes ornaient à présent ses jolies yeux. N’y tenant plus, Asgeir, rongé par les sangs, avait pris soin d’envoyer un hibou pour prendre rendez-vous au plus vite auprès d’un médecin. Le hiboux lui était revenu quelques jours plus tard avec un jour et une heure de consultation et quelques instructions à prendre en compte en fonction de l’état du patient et des modes de paiements.

Après avoir demandé une autorisation spéciale à la directrice de l’école de magie pour quitter l’établissement ce week-end, Asgeir avait traîné Helmi à l’hôpital sorcier de Göteborg. Il ne fallait pas prendre ce genre de choses à la légère, on n’était jamais trop prudent avec les maux latents.

Il était 11h15, ils avaient rendez-vous à 11h30 et ils déambulaient tous les deux dans ce dédale de couloirs labyrinthiques. Où se trouvait donc le service pédiatrique ? La sorcière de l'accueil lui avait pourtant bien indiqué de prendre la première porte à gauche au troisième étage, alors pourquoi n’étaient-ils toujours pas arrivés ?

De plus en plus stressé - stress qu’il devait inutilement transmettre à sa pauvre fille - ils finirent par déboucher dans le lieu tant recherché. Asgeir fut soulagé de constater qu’ils étaient pile à l’heure. Il se présenta à l’entrée du service et un jeune homme les accompagna jusqu’à une petite salle.

Une table de consultation trônait au milieu de la pièce ainsi que deux chaises dans un coin. Un petit meuble et un évier, dans l’autre coin de la pièce, achevaient de décorer cet espace aseptisé.

Ils s’installèrent tous les deux sur une chaise et attendirent patiemment qu’un médicomage vienne enfin diagnostiquer et soigner les maux dont souffrait la pauvre Helmi.
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Dax Tcherkassov
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Il y a deux types de journées à Sindri Sjukhus.

Les meilleures, ce sont les journées où je suis de garde aux soins intensifs pédiatriques, aux urgences et aux hospitalisations longues durées. C’est mouvementé et stimulant. Et il y a les journées où je dois faire, comme on dit entre collègues – ceux à qui j’ai envie d’adresser la parole – du travail de bureau. En somme, rien de bien palpitant. On déteste tous être associés à ces journées où l’on se coltine tous les rendez-vous pris par les patients, ces rendez-vous associés à des problèmes parfois importants, mais jamais assez urgents pour nécessiter une intervention rapide. Et tout ce qui s’étire trop longuement, tant dans le domaine de la souffrance que sur le plan des maladies, m’emmerde prodigieusement. Je ne vois pas non plus l’intérêt de ces heures passées à traiter des soucis d’eczéma infantiles, d’otites ou d’allergies. Ces affections inquiètent peut-être les parents, mais tant que ça ne dégénère pas, ça me laisse totalement indifférent. Et blasé. J’essaie donc d’échanger mes quarts de travail, quand je sais que je suis le médicomage associé à ces fameux rendez-vous. Mais aujourd’hui, je n’ai pas pu y échapper. Et ça me met, forcément, d’humeur plus ou moins sympathique. Surtout moins.

Il est onze heure vingt-quatre et j’ai déjà traité une sinusite, deux problème d’acné et une banale indigestion. J’ai l’enthousiasme d’un cactus loin du désert et l’humeur massacrante  d’un affamé à qui l’on donne de l’eau. Je prends le dossier de la prochaine patiente, tout en écoutant d’une oreille trop attentive les voix de mes collègues au fond du couloir. Leurs pas résonnent bruyamment sur le sol de l’hôpital et leurs gestes sont précipités ; ils traitent un cas urgent, assurément. De quoi s’agit-il ? Un accident ? Y a-t-il des contusions, des plaies, du sang, des points de suture, du vrai boulot à faire ? Ou une maladie qui dérape ? Avec une énigme à résoudre, quelque chose à analyser sous l’effet de l’adrénaline, pour rapidement trouver une solution ? Devant les problèmes à résoudre et les défis, j’oublie souvent l’âge de mes jeunes patients. Seuls m’apparaissent les chiffres, les symptômes, les éléments à associer. Du moins, jusqu’à ce que je me retrouve devant eux et leurs yeux parfois trop honnêtes, leurs yeux qui me font parfois éprouver une mince sympathie et un désir, sincère, de leur venir en aide.

Sauf que je n’ai vu aucun de ces yeux attendrissants, ce matin. Tant mieux pour moi et ma concentration, j’imagine. Je n’ai vu que des rejetons emmerdeurs, des parents chiants et trop de dossiers pour ma santé mentale. C’est donc avec irritation que je me détourne des bruits qui résonnent encore au fond du couloir, pour pousser la porte d’une des pièces où je fais mes consultations. J’ai ma tronche des mauvais jours : elle ressemble à ma tronche des bons jours, mais les probabilités que je souris accidentellement sont moins élevées. Mes iris glissent rapidement sur l’adolescente qui attend sur une chaise, à côté de…son père ? Je fronce brièvement les sourcils devant une impression de déjà-vu : où ai-je déjà rencontré ce type ? Je jette un regard interrogateur à Styx qui, sous sa forme de panda roux, s’est déjà approchée de la jeune fille. Inutile de compter sur ma fylgia pour me rafraîchir la mémoire, visiblement. Quelle journée merdique, vraiment. «  On ne s’est pas déjà rencontré quelque part ? » Autant formuler ma question à voix haute, cette énigme est plus palpitante que ce qui m’attend. Parce qu’à première vue, la jeune fille ne semble pas être sur le point de tomber inconsciente sur le sol aseptisé de ce bureau. Rien de bien captivant donc. Je dépose le dossier sur une petite tablette fixée au mur, qui permet de prendre des notes sans devoir s’asseoir, avant de poursuivre d’un ton où transparaît tout mon désintérêt : «  Je suis le docteur Dax Tcherkassov. Quelle est la raison de votre présence ici aujourd’hui ? » S’il s’agit encore d’un problème d’acné, je risque d’être très tenté d’avoir malencontreusement oublié mon crayon quelque part et d’être obligé de me perdre dans l’hôpital pour quelques heures.
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Allo docteur ? Tenez une pilule d’empathie, juste au cas où…

Samedi 19 novembre 2022  @Dax Tcherkassov


Les minutes s’écoulaient, s’égrainaient avec une lenteur de torture. Que faisait donc le médicomage alors que l’état de sa fille empirait de minutes en minutes ? Liv se tenait près de lui, tentant comme elle pouvait de calmer son anxiété.

L’angoisse qu’il contenait depuis des semaines semblait arriver à son paroxysme. Le chaudron était plein, il était sur le point d’exploser. Le moindre élément perturbateur risquait de lui faire perdre son sang froid.

Entendez par là, parler un peu plus vite et avec un peu moins de gentillesse que d’habitude. Asgeir n’était pas le genre à s’énerver pour de bon. Agresser verbalement ou physiquement quelqu’un, ce n’était vraiment pas son genre. Il ne s’était d’ailleurs jamais battu avec personne, même lorsqu’il était enfant.

Les bagarres, il laissait ça aux autres. A ceux qui avaient un égo à faire valoir, des valeurs à préserver, ou une âme de preux chevalier. Depuis qu’il était en âge d’inventer des histoires, il avait toujours été aux côtés des valeureux héros qui peuplaient son imagination, mais il n’avait jamais été le héros lui-même. Peut-être savait-il déjà, du haut de sa jeunesse, qu’il ne serait jamais un grand nom dans ce monde trop dur et trop virulent, pour l’être empli de bienveillance qu’il était.

La porte s’ouvre enfin et le médecin tant attendu entre enfin dans la pièce. Asgeir observe ce dernier jeter à peine un coup d'œil vers sa fille, avant de froncer les sourcils. Avait-t-il détecté quelque chose de si grave que c’était visible en un regard ? Risquait-il de finir avec la protection de l’enfance aux fesses pour négligence envers sa fille ?

Était-il un si mauvais père, que non content d’avoir déjà détruit la vie d’un premier enfant - son fils - il était également en train de détruire celle de sa fille ? L’angoisse le rendait presque fébrile. Il fallait qu’il se ressaisisse. Il ne pouvait pas se permettre de perdre son sang froid devant sa fille.

«  On ne s’est pas déjà rencontré quelque part ? »

Asgeir reste coi devant cette question, posée avant la moindre politesse de convenance. Pas de bonjour, pas de présentation, une question sortie de nulle part. Quant à savoir s’il l’avait déjà rencontré quelque part, Asgeir n’étant pas un adepte des hôpitaux et passant très peu de temps en dehors de Durmstrang ou de son habitation, il y avait fort à parier qu’il se trompait de personne. Après tout, ce ne serait pas la première fois qu’on le confondrait avec un autre. Il fallait dire qu’il avait un visage assez passe partout.

“ Je… je ne crois pas”.

Il observa le médicomage se diriger vers une petite tablette fixée au mur et y déposer un dossier, avant de reprendre.

«  Je suis le docteur Dax Tcherkassov. Quelle est la raison de votre présence ici aujourd’hui ? »

Reprenant ses esprits, il jeta un regard en direction d’Helmi, avant de commencer ses explications. Toutefois, il ne savait pas par où commencer. De la mort de sa mère, de son entrée assez brutale au cœur du monde de la magie, de son déménagement et adoption forcée, suite à la disparition de sa mère ? Du père plus que déplorable qu’il avait été depuis sa naissance ?

“ Elle ne mange plus. expliqua-t-il le plus simplement du monde.”

Après tout, c’était la raison première qui l’avait poussé à venir ici.

“ Et j’ai l’impression qu’elle ne dort pas beaucoup non plus. Malheureusement la communication est… disons difficile. Et j’avoue que… il jeta un regard perdu vers la chair de sa chair, j’avoue que je suis perdu… aidez-la docteur je vous en prie, je suis un père lamentable”.

Au bord de l’implosion, à deux doigts de fondre en larmes, les yeux brillants, Asgeir implorait le pauvre médicomage qui n’avait rien demandé, et qu’Asgeir ne semblait toujours pas reconnaître.

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Je me considère, sans aucune humilité, comme un bon médicomage. Je réagis adéquatement aux situations d’urgence, sans me départir de mon calme. J’ai généralement les bons réflexes, je suis méthodique, consciencieux et je maîtrise bien les sorts de soin. Un professionnel adéquat. Mais je suis totalement inapte dès qu’il s’agit de gérer les crises émotionnelles des parents ; ils m’agacent systématiquement. À l’époque où j’étais stagiaire, mon superviseur me le reprochait. Il affirmait qu’appuyer correctement les adultes qui accompagnaient les enfants faisait aussi partie de ma profession. Je n’ai jamais considéré son avis sur le sujet. Mon job, c’est de m’occuper des gosses, pas des braillards qui me les amènent. Ils ont l’âge de se gérer, qu’ils se gèrent. Et cette réflexion m’effleure avec force alors que je fixe l’homme qui me fait face et qui a répondu un « Je… je ne crois pas » à ma question précédente. L’énigme la plus intéressante de l’heure est morte. Vraiment, ce rendez-vous s’annonce chiant. « Elle ne mange plus. » Problème d’alimentation, soit. À première vue, elle ne semble pourtant pas présenter un soucis de santé intéressant qui pourrait expliquer sa situation : pas de goitre visible, ni de difficulté de déglutition. Il faudrait voir l’état de la gorge, mais… « Et j’ai l’impression qu’elle ne dort pas beaucoup non plus. Malheureusement la communication est… disons difficile. Et j’avoue que…, j’avoue que je suis perdu… aidez-la docteur je vous en prie, je suis un père lamentable. » Et merde. Vraiment, cette journée est pourrie. Non seulement je me coltine tous les problèmes d’acnés aujourd’hui, mais en plus, je me retrouve avec…ça ? Il croit quoi, qu’il est à un rendez-vous chez le psy ? Que je vais le consoler en lui donnant d’aimables tapes dans le dos et en lui disant qu’il se trompe, qu’il est sûrement un bon père vu qu’il a amené sa fille ici ? Ça ne signifie rien. Il peut effectivement être un très mauvais père et je ne vais pas l’apaiser sur ses compétences parentales, dont je ne sais rien.

Des lueurs désapprobatrices éclairent mes iris bleutés, sans que mes traits ne changent. Neutre, j’affirme : « Vous êtes effectivement un père lamentable si vous avez confondu un psychomage avec un médicomage en prenant rendez-vous. » Et selon ce qu’il m’a dit, c’est bien du premier professionnel, dont elle aurait besoin. Et lui aussi. Je retiens un soupir blasé entre mes lèvres serrées, m’approchant de la jeune fille en ignorant totalement le père pour la suite. Il l’a dit : la communication est difficile. Il ne me servira donc à rien. Je pose les questions de base, celles qui sont pertinentes, auxquelles elle répond. Je mesure ensuite son pouls, sa tension et sa respiration, avant d’observer sa gorge. Rien qui expliquerait son manque d’appétit, comme je m’y attendais. Du moins, rien du côté physique. Je la remercie pour sa coopération avant de me diriger vers le dossier, toujours sur sa petite tablette fixée au mur. J’y griffonne quelques notes avec le stylo dans ma blouse, avant d’en tirer une feuille de demande d’analyse, sur laquelle je coche quelques cases. Je me retourne ensuite vers le père, lui tendant la feuille : « Vous devrez aller au bureau de prélèvement avec ceci, je vous contacterai si les résultats sont concluants. » Perte de temps. Pour moi, mais aussi pour le reste du personnel médical qui devra traiter ce cas, parce que ce type n’a pas été foutu d’aller au bon endroit. Je rajoute, toujours aussi stoïque : « Mais ils ne le seront pas. L’aide psychologique, je la prescrit pour vous ou pour elle ? » Un rictus froid s’étire sur mes lèvres.
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Allo docteur ? Tenez une pilule d’empathie, juste au cas où…

Samedi 19 novembre 2022  @Dax Tcherkassov


L’angoisse lui étreignait le cœur, la gorge, les poumons, tout ce qui était susceptible d’être compressé. Il allait finir par demander une assistance respiratoire. Suspendu aux lèvres du médicomage comme si sa vie en dépendait, il attendait que tombe le verdict de sa négligence.

« Vous êtes effectivement un père lamentable si vous avez confondu un psychomage avec un médicomage en prenant rendez-vous. »

Il reçut les mots du médicomage comme on prend une gifle venue de nulle part, de plein fouet et avec un mouvement de recul après la violence du coup. Il s’était attendu à tout, sauf à entendre ses propos validés. Le tout prononcé avec un désintérêt tel, qu’on aurait pu penser que cette phrase avait été prononcée par quelqu’un d’autre s’il n’avait vu les lèvres de l’homme face à lui remuer.

Quel genre d’individu enfonçait et remuait le couteau dans la plaie des gens désespérés ? Sûrement un sadique qui prenait plaisir à rajouter du sel sur des plaies déjà douloureuses et purulentes.

Figé sur place, Asgeir ne savait plus comment réagir. La gifle verbale avait au moins eu le mérite de tuer dans l'œuf sa crise de panique et de larmes. Il s’était senti comme un enfant stoppé dans son élan par une autorité paternelle, avant de brailler dans tous les sens.

Il resta silencieux, tel un petit garçon pris en faute, tandis que le médicomage s’occupait d'ausculter Helmi. La peur qu’il ne soit aussi prévenant avec elle qu’il l’avait été avec lui lui tiraillait les entrailles, mais il fut soulagé de constater que ce n’était pas le cas.

Le docteur avait au moins le mérite de ménager un peu plus les enfants que les adultes - de ce qu’il pouvait constater.

Lorsque le médicomage finit par lui tendre une feuille remplie par ses soins, Asgeir hésita une demi-seconde avant de la prendre, pas certain de vouloir à nouveau se confronter à cette personnification de l’amabilité humaine. S’il avait passé une mauvaise journée, il n’en était pas responsable.

« Vous devrez aller au bureau de prélèvement avec ceci, je vous contacterai si les résultats sont concluants. »

Il prit la feuille et hocha la tête. Moins de mots il prononcerait, moins le praticien serait susceptible de les retourner contre lui.

« Mais ils ne le seront pas. »

Ce qui était une bonne chose puisque cela signifiait qu’Helmi ne souffrait d’aucun mal physique. Mais alors qu’est-ce qui pouvait bien la mettre dans un tel état ? C’était peut-être quelque chose de plus profond, qui ne se voyait pas avec une simple consultation.

«L’aide psychologique, je la prescrit pour vous ou pour elle ? »

“Pardon ?”

Une aide psychologique ? Il le prenait pour un fou ? C’était parce qu’il avait eu un léger moment d’égarement tout à l’heure ? ça pouvait arriver à n’importe qui. Ce médecin y compris, il en était certain. Il haussa les sourcils d’étonnement.

“Vous… pensez que nous devons consulter… une aide ?”

Il ne voulait pas prononcer les mots trop précisément pour ne pas inquiéter sa fille. Consulter un psychologue c’était… admettre une forme de faiblesse, l’incapacité à se gérer soi-même, à s’occuper de sa famille.

“Helmi ma chérie, est-ce que tu veux bien attendre dans le couloir quelque minutes, papa doit parler avec le médicomage.”

Mettre Helmi à l’abri de la suite de la conversation était sûrement la meilleure chose à faire. La jeune fille se leva et referma la porte derrière elle, plongeant la pièce dans un silence gênant.

“Euh je… je vous présente mes excuses pour mon attitude de tout à l’heure. Je n’aurais pas dû perdre mon sang-froid comme ça, surtout devant ma fille”

Il n’avait jamais su gérer convenablement ses propres sentiments et émotions. Il passait plus de temps à enfouir ce qu’il ressentait dans un coin de son cœur plutôt que de le laisser s’exprimer. Aujourd’hui avait été une exception dû à un trop plein de stress.

“Mais je… tenais tout de même à vous faire remarquer qu’il…”

A chaque mot prononcé, un doute féroce le tenaillait, entrecoupant sa phrase tandis qu’il cherchait les mots convenable pour continuer cette conversation

“Vous ne pouvez pas parler aux gens… comme vous venez de le faire. Ce n’est pas… ça ne se fait pas voilà.”

Il ponctua son dernier mot d’un hochement de tête, comme s’il venait d’envoyer un argument imparable. De toute sa vie, cette petite mise au point pouvait s’apparenter à son plus gros coup de gueule et il est était tout retourner. Il n’avait pas pour habitude de dire aux autres ce qu’il convenait de faire ou non, mais cet homme l’avait poussé dans ses retranchements.

Tout à coup, un flash lui revint en mémoire. Fugace mais d’une rare clarté.

“Le cimetière…” murmura-t-il. “Le cimetière ce jour-là c’était vous…”

Il revoyait à présent clairement cet homme qui les avait obligés à sortir du cimetière sans autre considération après l’enterrement de la mère d’Helmi. Ce jour-là, bien trop perdu dans son chagrin, il n’avait su quoi répondre à cette remarque dépourvue de la moindre empathie. Il s’était contenté de quitter les lieux avec la sensation de n’avoir pu dire convenablement adieu à celle qu’il avait aimé.

Il n’avait plus repensé à cet homme par la suite, préférant mettre cet énième regret dans un coin de son esprit. Et voilà que ce même homme se trouvait à présent dans la même pièce que lui.

Un autre que lui aurait probablement saisi l’occasion pour lui dire ses quatre vérités, à présent qu’il était en position de lui exposer de meilleurs arguments. Mais Asgeir n’aimait pas les conflits, et sa naturelle bonté avait pardonné ce qu’il avait fini par considérer comme de la maladresse.

Mais en était-ce vraiment ? Les propos blessants du médicomage un peu plus tôt ne jouaient pas en ce sens. Il opterait plutôt pour un gros manque d’empathie envers les êtres humains. Chose qu’il pouvait parfaitement comprendre, mais dans ce cas, pourquoi se tourner vers une des carrières où savoir faire preuve d’humanité était presque aussi important que le savoir-faire médical lui-même ?

“Simple curiosité de ma part mais… pourquoi pratiquer un métier comme celui-ci si vous ne supportez pas les gens ? Travailler dans un cimetière, je peux comprendre, mais un hôpital rempli de personnes ayant besoin de réconfort et de bienveillance, j’avoue que je ne comprends pas bien.”

Au point où il en était, sa meilleure option était encore d’essayer de comprendre cet étrange énergumène.
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« Pardon ? » Un simple mot, prévisible, qui m’annonce que la suite sera chiante. Il aurait mieux valu pour cet homme qu’il accepte mon conseil implicite et – presque – aimable L’aide psychologique n’a pas été proposée avec bienveillance, mais je la crois nécessaire. « Vous… pensez que nous devons consulter… une aide ? » Je pense surtout que le nous de sa phrase est particulièrement approprié. Pour sa fille, au vu des symptômes physiques et de l’absence d’explications factuelles à l’auscultation, c’est l’option la plus logique. Pour lui, ce serait peut-être pratique, si je me fie à ses paroles précédentes. Qu’il apprenne à se gérer, bon sang. « Helmi ma chérie, est-ce que tu veux bien attendre dans le couloir quelque minutes, papa doit parler avec le médicomage. » Un très mince sourire s’étire sur mes lèvres, rictus ironique. Ce genre de phrase, je sais très bien à quoi ça renvoie : le déni. Et dans cet état, les parents un peu cons sont généralement très enclins à tout mettre sur le dos du médicomage qui a eu la décence de les informer que tout ne se règle pas avec des potions d’antibiotiques.

J’observe avec désintérêt la jeune fille qui se lève et quitte la pièce, croisant les bras contre mon torse. Le silence s’installe, sans me peser, et je toise l’homme qui a eu la brillante idée de demander à se retrouver seul avec moi. « Euh je… je vous présente mes excuses pour mon attitude de tout à l’heure. Je n’aurais pas dû perdre mon sang-froid comme ça, surtout devant ma fille. » Il n’aurait pas dû perdre son sang-froid, ainsi, effectivement. Nous sommes d’accord. Agir comme il l’a fait, en plus d’être pitoyable, lui donne des allures de faible. Je n’ai jamais beaucoup respecté ceux qui ne parviennent pas à gérer leurs émotions, au moins en public, et qui se laissent porter par eux, comme des volcans toujours prêts à exploser n’importe où. « Mais je… tenais tout de même à vous faire remarquer qu’il… » Le rictus sur mes lèvres s’élargit, sans sympathie. Il bégaie ? Un homme de son âge, un père en charge d’une jeune fille qui a besoin d’aide et qui aurait probablement besoin d’une présence forte et rassurante ? La suite de sa phrase, il n’a même pas besoin de la formuler. Je peux aisément la deviner, parce que plusieurs parents ont été tenté de me remettre à ma place dans le passé, de façon plus ou moins polie. J’ai toujours répondu avec un minimum de décence et de respect, sans en être affligé. Je ne bosse pas dans un hôpital pour plaire aux adultes qui accompagnent mes patients et je me fous éperdument de leurs jugements, tant qu’ils ne m’emmerdent pas trop. « Vous ne pouvez pas parler aux gens… comme vous venez de le faire. Ce n’est pas… ça ne se fait pas voilà. » Je soulève un sourcil, faussement interrogateur. Comme je viens de le faire ? J’ai seulement confirmé sa propre phrase et proposé la seule logique qu’un médicomage devrait proposer dans une telle situation : un rendez-vous avec un autre type de professionnel. Le problème de sa fille – et le sien – n’est pas de mon ressort. « Le cimetière…Le cimetière ce jour-là c’était vous… » Cette phrase m’étonne davantage. Mon expression change, très légèrement ; mon nez se plisse alors que je l’observe plus attentivement, en cherchant un souvenir que lui semble avoir trouvé.

J’examine ses traits, les positions de ses mains, je me remémore sa voix. L’image, associée au cimetière, revient lentement de façon fragmentée : un type à qui j’ai demandé de quitter le cimetière après un enterrement, parce que c’était l’heure de la fermeture. J’avais donc raison, de considérer qu’il avait un air familier. Le mort, c’était qui pour lui et sa fille ? Une mère ? Un autre père ? Une sœur, une parente ? Tous les liens familiaux sont voués à se terminer de la même façon : six pieds sous terre, avec encore trop de vivants à la surface. Ça explique peut-être l’état de sa fille, mais ce n’est pas une raison pour trop m’ennuyer, alors que je ne fais que mon boulot. « Simple curiosité de ma part mais… pourquoi pratiquer un métier comme celui-ci si vous ne supportez pas les gens ? Travailler dans un cimetière, je peux comprendre, mais un hôpital rempli de personnes ayant besoin de réconfort et de bienveillance, j’avoue que je ne comprends pas bien. » Un rire sans joie file entre mes lèvres, rapidement éteint. La réponse fuse immédiatement : « Simple curiosité de ma part mais…Que savez-vous de ma bienveillance envers mes patients ? En êtes-vous un ? » A-t-il tort dans son jugement ? Pas entièrement. Je ne supporte pas les imbéciles, je ne tolère pas les couards, je m’exaspère rapidement du comportement de ceux qui ont peur d’agir et ne savent pas se tenir sur leurs pieds. Je ne suis pas non plus un modèle de sympathie et mes compétences en réconfort – que je ne désire nullement améliorer – sont très limitées. Mes petits patients, néanmoins, n’ont jamais à souffrir de mon attitude. À eux, je donne le meilleur de ce que je peux donner.  Je reprends : « Je ne vous doit rien d’autre que mon expertise et mes conseils médicaux, Mr…Mørk. » Le ton s’est fait plus méprisant, les yeux plus brillants. Le jugement suinte dans ma voix, avec une acidité moqueuse, après que mes iris se soient reposés sur le dossier, sur lequel trône le nom du père. Mørk. Plus faible que les autres, apparemment.

Mes bras demeurent croisés, alors que je me recule simplement d’un pas, pour m’appuyer contre le mur derrière moi. Je continue de toiser l’homme qui croit pouvoir me faire la morale, simplement parce qu’il n’est pas capable d’accepter mes réponses comme une grande personne. «  Je suis bien l’homme du cimetière. Le fossoyeur, pour être exact. Je ne vous demanderai pas qui j’ai enterré pour vous ce jour-là, je m’en fous pas mal. » Autant d’empathie qu’une huître, disait ma sœur lorsqu’elle me décrivait, pour se moquer de moi. Cet homme a déjà son opinion sur moi, de toute façon, et mon boulot n’est pas de lui plaire. Je pointe la porte fermée du menton, poursuivant : « Je me fous moins de l’état de votre fille, par contre. Vous n’appréciez peut-être pas mon conseil, mais il est le plus pertinent qu’un médicomage peut vous donner : allez consulter avec elle. » Parce qu’au point de vue strictement médical, je demeure convaincu qu’il serait inutile de lui faire passer des tests plus intrusifs.
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