( vígtennur ) Titus se souvient encore parfaitement de l'année de ses dix ans, lorsque le regard de son père sur lui a commencé à changer. Lorsque toute trace d'affection a lentement laissé place à une froideur mordante. Les pouvoirs de ses sœurs se sont manifestés bien avant les siens, et il attend avec angoisse que la magie dans ses veines se réveille enfin, que quelque chose en lui change. Il ne veut pas décevoir ses parents. Je ne veux pas de cracmol dans ma famille. Il ne compte plus le nombre de fois où il a entendu cette phrase.
Sa magie naissante se révèle finalement, à quelques mois de ses onze ans. Mais les changements qui l'accompagnent ne sont pas ceux que sa famille attendait. Sa peau déjà si pâle prend rapidement un teint diaphane et semble se creuser autour de ses yeux auréolés de cernes violacées. Et si ses parents ne remarquent pas immédiatement qu'il ne sort plus et mange à peine, l'apparition de ses crocs ne leur laisse plus aucun doute sur sa véritable nature.
Il ne comprend pas les discussions houleuses qui s'ensuivent, il veut juste aller se cacher pour ne plus entendre son père hurler qu'il n'est pas son enfant et qualifier sa mère de noms terribles qu'il ne comprend même pas. Ce n'est que bien des années plus tard qu'il réalise que ce n'est pas par amour ou par une quelconque bienveillance que son père l'a gardé, mais pour ne pas entacher sa réputation et conserver la fortune de sa femme.

( ósætti ) arrivé à Durmstrang, il sait ce qu'on attend de lui. Qu'il prête allégeance à Loki et porte avec fierté les couleurs des Trøbbel, comme les Falkenberg, comme ses sœurs, et tout le reste de sa famille avant lui. Il n'a pourtant aucune affinité avec le dieu de la discorde, et l'idée de mentir pour quelque chose qui le suivra durant toute sa scolarité lui fait presque plus peur que les menaces de son père.
Alors il ose désobéir, première de toute une série d'entorses futures aux valeurs de sa famille qu'il n'a jamais partagées. Il prête allégeance à Heimdall et à la lumière réconfortante de la lune, il demande à Frigg de le protéger, à Freyja de lui prêter sa sagesse dont il sait qu'il aura besoin pour braver la tempête à venir.
Et elle ne se fait pas attendre. À peine quelques heures après la cérémonie d'allégeance, une beuglante arrive et la voix de son père, plus tranchante qu'un rasoir, lui crache sa colère et son dégoût à la figure. Il sait ce qui l'attend aux prochaines vacances, lorsqu'il devra regagner le manoir familial. Pourtant il ne regrette pas son choix, il sait, au fond de lui, qu'il a fait le bon.

( öðruvísi ) plus les années passent, plus sa scolarité à Durmstrang prend des allures de parcours du combattant. Pris en étau entre le mépris de ses pairs et la menace de son père qui plane toujours au dessus de lui comme une épée de Damoclès, pas un instant de répit.
Et il se sent si mal dans son corps, trop à l'étroit dans cette enveloppe qu'il n'a pas choisie, qu'il ne reconnaît pas. Ce corps dont les veines charrient du poison et souillent la réputation de sa famille.
Il aimerait pouvoir disparaître pour échapper aux insultes, aux brimades, aux regards dégoûtés. Il en vient presque à oublier qui il est. Il n'est plus que le monstre, le travelo, le dégénéré. Il a beau se faire tout petit, aussi docile et silencieux qu'il le peut, la cruauté des autres semble inépuisable.
Et il comprend enfin. Rien de ce qu'il fera n'y changera rien. Foutu pour foutu, autant se défaire du masque, autant être enfin lui-même. Il abandonne les pronoms féminins qui lui faisaient si mal pour le masculin. Il choisit le prénom Titus. Il arrête de maquiller son teint trop pâle et ses cernes trop prononcées. Il ose enfin montrer les crocs à ceux qui cherchent à le blesser. Il a l'impression de respirer, enfin, après des années en apnée. Il sait que son père ne l'acceptera jamais, mais pour la première fois de sa vie il se sent prêt à l'affronter.

( beinbrot ) l'épreuve du service militaire à peine surmontée avec toutes les difficultés du monde, il retrouve une fois de plus le manoir familial tant redouté. En guise d'accueil, à peine quelques regards hésitant entre l'indifférence et le dédain.
La rage de son père se déchaîne aussitôt, inextinguible, et les insultes fusent, plus acides que jamais. Parce qu'il a osé faire changer son nom sur ses papiers, parce qu'il a osé assumer qui il est. Parce que son père n'a aucune emprise là-dessus. Comment oses-tu. Tu ne seras jamais mon fils, tu n'es même pas de mon sang.
Et pour la première fois, il répond. Il refuse de subir sans rien dire, d'encaisser le choc et d'attendre que ça passe. Je n'ai jamais eu le sentiment d'avoir un père, de toute façon. Rien de ce que tu peux dire ne peut plus m'atteindre. Et il sait que sa décision est prise. Il ne remettra jamais les pieds dans cette maison, ni même dans ce pays. Il ne laissera plus personne contrôler sa vie.
Il ne se souvient plus de ce qui s'est passé ensuite. Il se souvient juste de l'éclair de lumière qui l'a atteint au genou droit, de la douleur déchirante qui s'est diffusée dans tout son corps. De son réveil dans un lit d'hôpital à Göteborg. De la cicatrice aux filaments pourpres qui étoile désormais sa jambe et lui fait souffrir le martyr. Dernier cadeau de son père, marque indélébile pour lui rappeler d'où il vient.

( endurreisn ) la vie à Göteborg lui paraît infiniment plus douce malgré son appartement vétuste et minuscule, seul logement qu'il a les moyens de louer à dix-huit ans à peine et sans la fortune de sa famille. Il enchaîne les petits boulots, bien souvent ingrats et mal payés, pendant plusieurs années.
Jusqu'à ce qu'il tombe sur une petite annonce pour un poste de barman dans une boîte de nuit bien particulière, où la magie, l'alcool et l'encre s'entremêlent chaque nuit jusqu'à l'aube. Il ne l'a jamais quittée, n'a même jamais songé à chercher un autre job. C'est bien le seul endroit au monde où il s'est toujours senti parfaitement à sa place.