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I sat in regret for all the things I've done | Angelo (fb)
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Magni Hammarskjöld
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GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden

I was lost in the pages of a book full of death. And on I read until the day was gone. And I sat in regret for all the things I've done

@Angelo Borghese   | 13 décembre 2019 - Fin de soirée/début de nuit
 


Les yeux voient le rictus de mépris, mais le cerveau ne l'analyse pas. Bien trop occupé à gérer mes propres émotions et à réfréner l'envie de parler de ce qui ne devrait pas être dit à haute voix. Je n'ai jamais ressenti ce besoin avant ce soir, pas aussi fortement, pas aussi simplement. Et cela me perturbe, traçant une chaîne de montagnes en travers de mon front. D'ordinaire, quand je ressens l'envie de parler de Syn, c'est à elle que j'écris des mots. Déversant ma logorrhée dans l'encrier, inondant des parchemins de phrases sans but. Je secoue légèrement la tête en signe négatif pour tenter de me remettre les idées en place, mais le rhum encore brûlant dans ma gorge ne parvient qu'à rendre légèrement flou les contours de ma vision perturbant ma perception du moment. « Ce que tu dis, c’est pas con, mais…J’crois plus qu’il y a quoi que ce soit à construire, dans mon cas. Ni que mes proches ont besoin que je me batte pour eux. »   Je ne connais pas sa vie, je ne me permettrais pas de douter ouvertement de sa phrase. Peut-être bien qu'il a pas de proches qui ont besoin de lui. J'ai du mal à le croire, mais admettons. Mais malgré ça, je trouve son point de vue trop sombre, trop rattaché à la boue dans laquelle il ne parvient pas à se défaire. Celle qui stagne dans le fond des trottoirs, neige et terre mêlées dans une mélasse qui vous colle aux semelles. Englué dans une perspective sans hauteur. Je reconnais cette vision-là. Je l'ai expérimentée par le passé. Empêtré dans la fange, on ne parvient plus à se relever suffisamment pour apercevoir le monde au-dessus de la ligne du caniveau. De là, en effet, rien ne semble pouvoir être construit. Aucun avenir pour celui qui n'a pour horizon que le contour d'un fond de pavé. « Moi j’suis plus le type qui frappe à côté que le marteau de guerre, tu vois ? Un minable. » Je ne parviens pas à retenir un ricanement malgré la teneur de son propos. Je suis loin de le considérer comme un minable, sinon je serai déjà partie vers d'autres tables, retrouver ma solitude et mes pensées sombres. Ou alors, s'il est un minable présentement, je lui accorde le bénéfice du doute sur la globalité. Est-ce qu'on est pas toujours minable au moins une fois dans sa vie ? Est-ce que de telles épreuves ne mettent pas nos forces à rude épreuve ? Je suis pas un expert, peut-être même que je me donne des excuses pour avoir été un moins que rien moi aussi. Mais je dirais bien qu'être minable, se sentir minable, fait partie du processus du deuil quand on perd ce qui ne devrait pas être mortel. Un parent ne devrait pas avoir à enterrer son enfant. Pourtant ce sont des foutues conneries qui arrivent souvent. Et sachant cela, nul ne devrait enchaîner les écueils et les chutes après ça. La société devrait les porter, les aider, les épauler. La vie devrait se montrer plus rayonnante encore. Les Nornes devraient choisir d'autres foutus cons pour tisser des horreurs sur leurs chemins. Mais là encore, rien ne fonctionne comme ça devrait. Par Thor, il est difficile de pardonner aux Dieux dans ces moments-là. Difficile de comprendre la nécessité de subir les revers d'une main qu'on n'avait pas offensés. Juepucha. «Y’a une époque, j’voulais aider les autres. Maintenant… Comment on peut aider qui que ce soit, quand on ressemble à ça ?   Et je l’assume. Je cherche pas à faire semblant d’être mieux que je ne le suis. La vie a voulu tout m’enlever ; je prendrai pas le risque de lui laisser la moindre prise pour qu’elle me refoute une droite. Quand t’es déjà à terre et que tu vaux plus rien, tu crains plus de te prendre toutes les merda de l’existence à la gueule. » Mes bras se serrent un peu plus contre ma poitrine tandis que je pousse légèrement du pied la chaise sur laquelle il est toujours appuyé. Poussé en arrière contre le dossier de la mienne, j'observe mon interlocuteur avec une expression qui oscille entre réflexion sombre et perplexité. Il aidait les autres ? En servant des bières dans un bar ? Pourquoi pas, après tout, on doit voir passer toute sorte de personne avec leurs problèmes ici, et il faut reconnaitre, qu'Angelo à ce quelque chose qui donne envie de discuter. En plus de son rhum à la vanille. Ou son rhum à la vanille joue un beau rôle dans cette sensation d'écoute sécuritaire qui se dégage de lui derrière son regard humide d'alcool. Je plisse légèrement les yeux, aussi bien pour soulager ma vision qui est elle-même moins précise qu'au début de la soirée, que pour essayer de déchiffrer plus en détail l'homme qui me livre ses ressentis personnels, et qui se dépeint avec si peu d'amour pour lui-même. « J’ai perdu ma fiancée, j’ai perdu mon fils, j’ai perdu mon job, j’ai perdu la vue…Au moins, j’peux pas toucher davantage le sol. J’sais que c’est pas glorieux. Mais j’baisse pas les bras. Je préfère quand même ramper dans l’espoir de parvenir un jour à remarcher que de laisser tomber. » Je hoche la tête pour ponctuer la fin de sa phrase, incapable de songer que ce langage non verbal lui échappe entièrement, avant de revenir mentalement à mes interrogations précédentes. Est-ce que le travail qu'il a perdu était en rapport avec son envie d'aider les autres ? Un travail dans le social peut-être ? Ou le médical ? Je me rends compte que je ne sais rien de la vie d'Angelo, et que la discussion qu'on a ce soir est probablement la plus longue qu'on ait jamais lui et moi. De mes souvenirs de lui à Durmstrang, près de vingt ans en arrière donc, c'était un type qui venait donner du coup poing avec nous de temps en temps. Pas méchant, mais que nos conneries énervaient aussi, parfois. Je crois. Ma mémoire s'évapore un peu dans des brumes floues. Seule la partie de mon cerveau avide de renseignements, continue en solitaire, de noter les informations dans un coin de ma tête et d'essayer de faire des liens logiques de déduction digne d'un grand détective. Une habitude plus qu'une curiosité malsaine, encore une fois.

L'homme s'empare du verre de vin posé entre nous, et je ne prête même pas attention au regard qu'il lui lance. Je suis juste satisfait de savoir que le verre sera bu par quelqu'un. Ca aurait été con de devoir le jeter, même s'il mériterait de changer de fournisseur avant de dégoûter ses clients. « Il avait trois semaines, ça fait cinq ans. J’ai jamais rien connu de plus douloureux que ce moment où on est rentré chez nous, et que le premier truc qu’on a vu, ce sont ses affaires de bébé dans le salon. En plan, là où on les avait laissés quand tout allait bien, sans penser que chaque geste qu’on faisait serait associé à une dernière fois. Tout était là, comme avant, inchangé, mais lui n’était plus là. Ce souvenir, à chaque fois, c’est comme un pieu en pleine gorge. » Une ombre traverse mes iris dans un éclair glacé. Je saisis de quoi il parle, bien que n'ayant pas expérimenté le même retour à la maison que lui. Pas concernant Syn en tout cas. Pas de berceau dans mon appartement de Bogota. Pas d'affaires de bébé dans le salon. Rien que le vide de toute part. Ce vide plein des cris d'Alva dans la salle de réanimation. Ce vide plein de cette haine brûlante qui me déchirait de toute part. Les ongles s'enfoncent dans les paumes sous la pression soudaine de cette réminiscence de ces sentiments qui n'avaient trouvé aucune échappatoire. Je ne vois plus Angelo, soudain tiré en arrière dans le film de mes souvenirs. La crise qui avait secoué mon être quand j'avais fini par arriver jusqu'à mon salon. Quand, à bout de nerf après une nuit sans sommeil et en enterrement rapide, j'avais tourné les talons. La solitude, l'impasse de ma situation, la honte, la culpabilité. Et personne à qui se confier. Personne à qui raconter le drame qui se jouait dans mon cœur béant. Le vide jusqu'à l'éclat de bruits qui avait brisé, un temps, l'obscurité du gouffre dans lequel j'étais plongé. Le son de la porte qui éclate sous les coups de pieds, les injures, l'éclat luisant de l'arme à feu sorti d'un short rouge. Des détails qui me reviennent en mémoire avec la pertinence tangible de la fatalité. Cet instant, infime, où l'on accepte la fin qu'on vous propose sans discuter. Mon front se ferment, les traits durcissent et les mâchoires serrent plus fort. Heureusement, la voix du barman résonne à nouveau, me ramenant dans le présent bruyant de la chaleur moite du bar bondé. « On a essayé de passer par-dessus. De vivre malgré son absence.  Et puis y’a eu la séparation, l’accident…J’sais pas si j’aurais réussi, si j’étais pas devenu aveugle. Peut-être bien. Mais y’a une limite à ce qu’un homme peut supporter sans s’affaisser, même quand il croit être fort. » J'avale avec difficulté, encore pris par la force du souvenir qui a surgi, m'emportant trop loin dans des événements que je ne m'autorise pas à revoir ailleurs que dans ma solitude la plus sombre. Ce jour-là, face au pistolet, indéniablement, je m'étais affaissé, l'égo brisé de toute force dont je ne m'étais jamais cru doté. J'avais accepté l'issue qu'Alva avait choisi. Je n'avais pas résisté. Ni répondu aux coups, ni tenté la moindre défense. J'avais abandonné. Et je déteste avoir été aussi faible sur le moment. Je déteste le Magni de l'époque d'avoir cédé si facilement face à la douleur. Si j'avais fait autrement, si j'avais puisé un peu plus dans mes forces au lieu de m'écrouler, bien des choses auraient été différentes. Peut-être même qu'Alva aurait encore sa mémoire. Et une montagne de culpabilité en moins à porter.

L'homme soupire et je tente tant bien que mal de me raccrocher à sa douleur à lui, et reprendre le cours de sa conversation pour me défaire des limbes d'un passé trop pesant.  « Toi, t’es foutrement fort. Deux décès, et même pas la chance de la tenir dans tes bras… T’as pas non plus été épargné par cette puttana della vita. Tu parviens à être heureux quand même ? » Un ricanement rauque et froid roule dans ma gorge avant une nouvelle quinte de toux que je refoulé d'un mouvement de tête agacé. « Je dois être fort. C'est pire quand je le suis pas. Je peux pas me permettre de faire autrement. On m'a toujours appris à répondre aux coups, à penser aux responsabilités avant tout. A un moment j'ai cru que je pouvais laisser tout ça aux autres. Les conséquences qui en ont découlé me feront toujours regretter cette décision. » Je n'ai plus de rire à lui rendre, qu'une voix sombre teintée d'une tristesse qui s'écoule, épaisse, le long de blessures encore ouvertes. « De la force oui, mais puisée dans la lâcheté et le mensonge à moi-même. Je suis doué pour enterrer de côté ce qui m'arrange. »Une capacité acquise et développée lors de mes plongées en apnée. Cet état de calme, de vide et de méditation profonde où je me défait, strate après strate, minute après minute, de tout événement que je souhaite oublier. Faire croire que certaines choses n'existent pas, ou peu, pour mieux donner le chance et convaincre tout le monde, moi y compris, que les crevasses ne sont que des fissures sans gravité. « Si je suis heureux ? Oye Vaste question. Je vis des moments heureux oui. Je partage des instants précieux. Oui, ça m'arrive. La vie des autres ricoche contre la mienne, ça donne des jolies étincelles. » Et Thor sait que je ne manque jamais d'électricité. Un rictus moqueur traverse mes lèvres, adoucissant des traits qui s'étaient fait trop durs. J'ai conscience d'éviter d'entrer dans les détails de sa question, d'omettre un élément clé de ce bonheur qui parvient à vibrer dans mon âme au-delà des vides. L'enfant aux rires qui chatouille mon cou quand je le soulève de terre. Ses odeurs quand je tombe dans ses bras pour trouver la paix. Ses regards si fiers et heureux quand on part camper et que je lui montre tout ce que la nature à offrir de sublime. L'enfant qui a construit des ponts au-dessus des précipices. Et puis il y a Markus, aussi. Sa présence retrouvée, la chaleur de ses sourires et son contact qui apaise tout. Oui, il y a du bonheur dans ce quotidien enchaîné à leurs souvenirs. Peut-être que je n'aurais pas été capable de le voir il y a trois ans de cela, deux. Peut-être un an même. Peut-être même que ce n'est que là, dans ce bar étrange, que je prends conscience de l'existence de ces paillettes d'or qui parsèment mon chemin. « Mais t'es pas en reste parce. Y a rien à comparer, mais t'as visiblement perdu bien trop à la suite en peu de temps. Cinq ans. Faut en avoir dans les tripes pour supporter tout ça à la suite et y a que toi qui peut décider quand t'en auras assez de ramper dans le trottoir et que tu voudras remonter dessus. Je sais pas ce qui s'est passé pour tes yeux, mais de ce que tu m'dis t'étais déjà au fond avant ça. Que tu sois au sol ou non, la vie se gêne pas pour continuer à nous foutre des claques. J'suis pas sûr que tu sois si en sécurité en bas contre les coups, hijueputa. Pero es eso. Ton rhum et toi vous me faites trop parler. Creo que tomaré otra pola pero si quiero volver entero es mejor no. » Mes bras se décroissent enfin pour venir frotter le visage que la conversation nocturne commence à creuser de fatigue. Rattrapé par les longues heures de travail, et les verres dont j'ai perdu le compte, l'idée d'aller retrouver mon lit et le silence de la forêt autour me semble enfin une belle perspective. Je ne remarque même pas que j'ai fini par changer complètement de langue sur mes dernières phrases au profit de l'espagnol. Un raclement sec de gorge plus tard et je détourne mon regard vers ma montre qui tique une heure avancée. Aren doit déjà dormir, du moins je l'espère, et la madre aussi. A moins qu'elle n'attende mon retour un verre de guaro à la main, les pieds devant la cheminée à maudire le climat local. Un soupire soulève ma poitrine, c'est le désavantage d'habiter loin. Je ne peux pas prendre le risque de rentrer à moto ni transplaner après un certain seuil de consommation. Je pourrais éventuellement aller m'échouer sur le lit de Markus, mais c'est la solitude qui me tente le plus ce soir. Celle qui m'étreint de ses bras froid et nostalgique. Celle qui autorise les paupières closes sur des ondes d'écumes.




Although I felt like giving up It's not the road I chose
Angelo Borghese
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Un ricanement roule de sa gorge, rauque, juste avant qu’il n’ait une nouvelle quinte de toux.  Nonna disait que l’alcool, ça aide à terrasser les virus. C’est sûrement faux, malheureusement pour ce gars. « Je dois être fort. C'est pire quand je le suis pas. Je peux pas me permettre de faire autrement. On m'a toujours appris à répondre aux coups, à penser aux responsabilités avant tout. A un moment j'ai cru que je pouvais laisser tout ça aux autres. Les conséquences qui en ont découlé me feront toujours regretter cette décision. » Je fronce les sourcils à sa dernière phrase, sans la relever. J’ai pourtant envie de le faire. L’ancien psychomage, que j’essaie d’étouffer derrière trop de litres de mauvais vin, sait qu’il y aurait là quelque chose à creuser. La mort est quelque chose de difficile à porter, mais les regrets le sont tout autant. Je m’efforce de brimer mes réflexions. Je m’empêche de trop analyser, je pousse mon empathie plus loin, dans la cale sans lumière dans laquelle je me terre depuis trop longtemps. Et puis, je songe au reste de ses paroles. À cet apprentissage des coups, des responsabilités. Ai-je appris la même chose ? Non. On m’a appris à être un grand-frère, on m’a appris la douceur, l’amitié, la chaleur d’une réunion familiale autour d’une bonne table. On m’a appris à me tenir droit, à prendre la défense de ceux qui en ont besoin, à être quelque chose que ma mère pouvait appeler un bravo ragazzo. Mais être fort…? Face à quoi ? J’ai toujours été épargné par les épreuves, dans ma jeunesse. Je les ai connues dans la vie des autres, pas dans la mienne. Je n’étais pas pour autant aveugle – du moins à cette époque – à la réalité. J’accompagnais les autres du mieux que je le pouvais, je levais mon poing sans hésiter devant les injustices. Je ne les ai jamais supportées. Et je me suis toujours considéré privilégié, trop privilégié, d’avoir une vie si paisible, si douce, si simple. Peut-être que la claque aurait été moins douloureuse si je m’en étais prise quelques-unes dans ma jeunesse.   « De la force oui, mais puisée dans la lâcheté et le mensonge à moi-même. Je suis doué pour enterrer de côté ce qui m'arrange. » Sa voix est teintée d’une tristesse difficile à ne pas percevoir. Mes bras, toujours croisés derrière ma tête, se serrent. Je dois faire un effort monumental pour ne pas reprendre un rôle qui a toujours été le mien, pour ne pas intervenir autrement qu’en gérant alcoolique de ce bar minable. Les mots qu’il emploie sont forts. Lâcheté, mensonge, enterrer. Associés aux regrets, il forme un nœud, que l’homme n’a probablement pas dénoué. Et je ne l’aiderai pas à le faire. Ce n’est plus mon rôle. « Si je suis heureux ? Oye Vaste question. Je vis des moments heureux oui. Je partage des instants précieux. Oui, ça m'arrive. La vie des autres ricoche contre la mienne, ça donne des jolies étincelles. » Il y parvient donc encore. C’est possible, même après le pire. Je le savais, je l’ai toujours su, mais je ne parviens pas à y croire pour moi-même. Pas après tout ce qui s’est passé. Pas maintenant que je ne voie que des foutues ténèbres, en permanence. « Mais t'es pas en reste parce. Y a rien à comparer, mais t'as visiblement perdu bien trop à la suite en peu de temps. Cinq ans. Faut en avoir dans les tripes pour supporter tout ça à la suite et y a que toi qui peut décider quand t'en auras assez de ramper dans le trottoir et que tu voudras remonter dessus. Je sais pas ce qui s'est passé pour tes yeux, mais de ce que tu m'dis t'étais déjà au fond avant ça. Que tu sois au sol ou non, la vie se gêne pas pour continuer à nous foutre des claques. J'suis pas sûr que tu sois si en sécurité en bas contre les coups, hijueputa. Pero es eso. Ton rhum et toi vous me faites trop parler. Creo que tomaré otra pola pero si quiero volver entero es mejor no. » Une voix dans mon crâne, celle que je fais taire depuis que j’ai sombré, me murmure qu’il a raison. Pas seulement sur ses dernières phrases, d’ailleurs. L’ensemble de la conversation remue trop de souvenirs, mais aussi trop d’émotions. Et j’imagine qu’il pourrait dire une phrase similaire.

Je décroise mes bras derrière mon crâne, les étirant juste au-dessus, mains toujours emboîtées. Je laisse finalement retomber mes bras sur le table, un peu trop lourdement. « Ça fait chier, comme conversation. » J’imagine qu’il y aurait eu une façon plus charmante d’émettre mon avis sur le sujet. La formulation est mauvaise, de toute façon, mais mes pensées ne sont pas assez ordonnées pour que je puisse faire mieux. Je reprends : « Ça fait chier, parce que t’as pas entièrement tort. » Ma voix est rauque. Derrière mes yeux vides, rien ne tourne. Aucune image, aucun lieu. J’aurai peut-être la gueule de bois demain, ou peut-être pas. Tout dépend de si je décide de continuer sur ma lancée ou non. Je lève de nouveau mon bras, gueulant en toute délicatesse un « Smörl ? » comme je l’ai fait précédemment, en agitant cette fois un seul index. De l’eau. Pour lui, pas pour moi. Je glisse ensuite une main contre mes tempes, repoussant vers l’arrière l’une des mèches humides qui colle sur mon front moite. « J’aurais préféré te commander un autre verre, mais si tu veux pas te retrouver à dormir sur une table, vaut mieux que tu te mettes à l’eau. Mon ton est plus bourru. Mon vice est le mien ; je ne le souhaite à personne et je n’ai jamais considéré qu’il s’agissait d’une bonne solution. Ce type, que je me refuse de question de façon professionnelle, comme je l’aurais fait avec des patients, en a autant bavé que moi. Et son moral, ce soir, ne s’arrangera probablement pas avec de l’alcool ou avec une discussion avec moi. Je reprends : « Si t’es pas en mesure de transplaner, j’ai quand même deux chambres à l’étage. Ce sont pour mes clients, quand ils peuvent pas rentrer chez eux sécuritairement. » Ça me tenait à cœur, quand j’ai acheté le bar. Je ne voyais peut-être aucune perspective réjouissante à mon avenir, mais je ne voulais gâcher celui de personne. À mes côtés, une silhouette surgi. Je la perçois au son fort de ses pas sur le dos, à son raclement de gorge peu subtil et aux deux verres qui claquent la table. Très rapide, Smörl. Je le remercie d’un signe de tête, poussant l’un des verres vers mon Espagnol, sans toucher au mien. « Les regrets et le refoulement, ça gruge. Tu devrais consulter quelqu’un. » Conseil non-sollicité, donné par un alcoolique qui préfère ramper dans sa fange que d’avancer. Je me foutrais moi-même de ma gueule, si je le pouvais. Sauf que de donner ce conseil, c’est ma façon à moi d’apaiser mes propres regrets, de ne rien faire de plus pour cet homme, en sachant que j’avais les compétences pour le faire.
Magni Hammarskjöld
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@Angelo Borghese   | 13 décembre 2019 - Fin de soirée/début de nuit
 


Tandis que je songe à rentrer, l'homme s'étire en face de moi avant de laisser ses bras retomber lourdement sur la table dans un bruit sourd. Cette conversation m'a plongé trop loin dans des souvenirs lourds, et lui aussi visiblement. « Ça fait chier, comme conversation. » J'hoche la tête pour approuver ce qualificatif sans me formaliser le moins du monde de l'insulte. Ni d'être un participant actif de cette conversation qui le fait chier. Ni de le faire chier. Je ne suis pas en état pour avoir quelque chose à lui reprocher sur cette idée, tant je partage son point de vue. Elle me fait chier aussi cette conversation, autant qu'elle me fait étonnamment du bien de pouvoir partager l'espace d'un moment, des douleurs et des considérations compréhensibles par un autre. Echanger sur cette peine sans le moindre jugement ni le moindre discours lourd de compassion éplorée a déverrouillé une petite porte dont je ne soupçonnais pas l'existence dans mon âme. « Ça fait chier, parce que t’as pas entièrement tort. » Tant mieux s'il trouve mes phrases cohérentes, voire même logique, et peut-être même véridique ou intéressante à prendre en compte. Personnellement j'ai plutôt l'impression d'avoir été décousu, peu pertinent, et particulièrement amer et sombre. Alcoolisé, en somme. Un état déjà suffisamment avancé pour qu'il soit temps de passer à de l'eau et de la tisane. « Smörl ? » Pour la deuxième fois Angelo lève son bras et fait signe à son serveur dans un langage qu'ils maîtrisent visiblement bien mieux que moi car de mon côté je ne suis pas certain de saisir l'entièreté de sa demande. Un doigt levé pour verre de plus ? Mais un verre de quoi ? De vin malgré son goût terreux ? L'idée est surprenante mais après tout pourquoi pas. « J’aurais préféré te commander un autre verre, mais si tu veux pas te retrouver à dormir sur une table, vaut mieux que tu te mettes à l’eau. » Un rapide éclat de rire grésille entre mes dents avant de déclancher une nouvelle quinte de toux rauque. Les piques de ma gorge me semblent moins acérés, mais je soupçonne l'alcool d'être largement responsable de ces sensations diminuées plutôt que de l'effet réel du citron. Il n'a pas tord, même si encore une fois je préfèrerais faire le chemin, même difficilement, jusqu'à l'appartement de Markus, plutôt que de dormir sur un coin de table. Un reste d'ego pour moi-même, ma vieille carcasse, et l'image que je pourrais donner à voir.[color:f1ac=#indianred] « Si t’es pas en mesure de transplaner, j’ai quand même deux chambres à l’étage. Ce sont pour mes clients, quand ils peuvent pas rentrer chez eux sécuritairement. » Ma bouche affiche une moue impressionnée par cette proposition pleine de bon sens et d'attention pour ses clients. Je secoue néanmoins la tête tandis que le serveur revient déposer deux verres sur la table accentuant mon impression admirative sur la communication tacite entre ces deux-là. De mémoire il 'avait fait qu'un geste et échangé aucune parole. Et pourtant, ce sont bien deux verres, un d'eau posé devant et un d'alcool posé devant lui. Impressionnant. « Les regrets et le refoulement, ça gruge. Tu devrais consulter quelqu’un. » Surpris par le conseil frontal, et sensiblement hypocrite au vu de sa propre situation sur ses regrets, je hausse un sourcil perplexe avant de décharger un flot d'éclairs sombres dans sa direction. Regards noirs qu'il ne verra pas, peut-être vaguement conscience au son du souffle amer qui s'échappe de mes narines pincées. Si c'est pour virer sur ce genre de registre, il est grand temps pour moi de quitter la table. Parce que j'ai trop conscience de merder intérieurement, de préférer planquer mes problèmes sous des couches de glace plutôt que de me confronter à eux. Parce que je suis qu'un lâche et me l'entendre dire par d'autres est loin d'être ma priorité actuellement. Encore moins d'aller le raconter à un inconnu qui me prendrait en plus mes gallions entre deux sourires compatissants. Non. Vraiment pas ce que j'ai envie d'entendre ce soir. Mes doigts tapotent sur le verre d'eau, nerveusement, avant de l'agripper d'un geste rapide et sec et de l'avaler cul sec. Il claque, vide, contre la table et je repousse la chaise sur laquelle se trouvait mon pied d'un coup sec qui racle contre le sol du bar. « Listo. » Ma voix craque comme une branche qui se brise. Rauque de maladie et d'une amertume qui jaillit pour ensevelir toutes les émotions trop vives que la discussion avait fait remonter. « Gracias, para la habitación, pero no le necesito. J'ai des obligations à tenir. » Un enfant qui attend, parfois dans le demi-sommeil, qui guette malgré lui les sons de mon retour. Il n'entendra pas le moteur de la moto remonter toute la route qui traverse la forêt du parc naturel, il risque d'en prendre des conclusions inquiètes et il attendra que je monte l'embrasser dans son lit pour retrouver un sommeil paisible. Je le sais, car cela arrive à chaque fois, malgré mes milles discussions a ce sujet. Je n'ai pas réussi à le préserver des angoisses qui sont les miennes liées à mon travail et aux imprévues de la vie. « Heureusement que ton rhum est meilleur que tes conseils. » Une pointe de sourire narquois perce dans ma voix rocailleuse, il n'en reste que la conversation m'a fait du bien, autant que du mal, faut bien le lui reconnaître. Un soupir traverse ma poitrine comme une flèche qui perce l'énervement passager et je penche en arrière, les mains croisées derrière la tête dans un rapide éclat de rire. « Oye parce. Eso, j'avais pas parlé de ça depuis longtemps. Je vais aller méditer tout ça chez moi. » Dans une succession de mouvements lourds et à renforts de grognements d'ours bourru, je me redresse pour de bon, ramassant ma veste avant de claquer un main sur l'épaule massive d'Angelo. « Buenas noche. Si jamais, paraît que le proprio à une chambre à l'étage au lieu de finir endormi sur un coin de table. » Une boutade de plus, pour finir sur quelque chose de joyeux, pour ne pas laisser cette soirée gravée dans une pierre trop dure et arrondir les angles. Un faux-semblant de plus qui vient couvrir l'abîme duquel je me détourne sans vergogne. C'est la première fois que je parle de Syn à un presque inconnu. C'est la première fois que je parle de Syn en réalité. Je le réalise en contournant la table dans la ferme intention de quitter le bar. C'est déroutant de le réaliser alors qu'elle occupe encore une telle place dans mes pensées du quotidien. Peut-être pas tous les jours, mais régulièrement, sous forme de petites fleurs qui éclosent d'elles-mêmes dans mon cœur. Des idées qui s'éveillent sans que personne ne les aient spécifiquement provoquées. Et pourtant c'est vrai, elle n'existe pour personne d'autre que moi. Et un peu Angelo, désormais. Un frisson glacé court le long de mon échine tandis que je pousse la porte de l'établissement pour retrouver le froid de la nuit scandinave. Étrange soirée.

Dehors les bruits de la rue animée m'enroulent dans l'anonymat et engloutissent mes pensées trop bavardes. Mes yeux courent sur les groupes qui occupent la rue comme un espace public de rencontre et de vie. Et c'est vrai qu'elle l'est, avec ses pavés humides et ses exclamations de joies. Un peu plus loin les notes d'une musique trop forte résonne appelant les corps vers des promesses de danses électriques. Mais le goût de la fête m'est passé ce soir. Les mains dans les poches, un raclement de gorge toujours trop prise et je prends la direction des quartiers moins animés pour retrouver les rues larges et propres qui mènent au ministère, là où la moto est restée garée, attendant sagement mon retour. La bière roule dans les veines, le rhum réchauffe la peau et inhibe les sens, si je marche droit j'ai conscience de perdre la notion du temps et de me retrouver devant mon véhicule sans trop savoir quel chemin j'ai emprunté. Rentrer en moto n'est clairement pas d'actualité. Je transplane sans attendre d'avantage, retrouvant le silence nocturne de la forêt avec un soulagement profond. J'ai hâte de la solitude qui m'attend autant qu'elle m'oppresse. Ce soir je veux plonger dans cette partie de mon histoire qui devrait très certainement être partagée avec d'autres pour la rendre moins lourde. Parce que Syn mériterait, aussi, de ne pas être qu'un souvenir accroché à ma mémoire.



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Angelo Borghese
GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden
J'entends son souffle, qui semble teinté d'amertume. Si j'avais un peu plus de lucidité, je me ferais peut-être la réflexion que ma phrase ne lui a pas plu et je songerais à m’en excuser. Mes pensées et ma compassion ne vont pas jusqu’à cette extrémité : je suis trop égocentrique, actuellement. Je me dis simplement que lui aussi songe peut-être au fait que c’est hypocrite de ma part, de lui conseiller de voir quelqu’un. Et ce l’est, pas seulement parce que je refuse moi-même toute aide, mais aussi parce que je sais qu’en temps normal, j’aurais les capacités de l’écouter plus efficacement. Ce temps normal, toutefois, est révolu depuis plusieurs années. L’alcoolique incompétent que je suis n’est bon qu’à écouter le son du liquide restant dans ses bouteilles, pas les personnes. Le verre claque contre la table, dans un son plus mat qui m'indique qu'il est désormais vide, tandis que la chaise racle sur le sol. Certaines mimiques, lorsqu’on voit, nous indiquent le départ prochain de quelqu’un. C’est la même chose avec les sons. « Listo. Gracias, para la habitación, pero no le necesito. J'ai des obligations à tenir. » Je me contente d’hocher une tête de plus en plus lourde, sans m’interroger sur la teneur de ces obligations. Moi, je n’en ai aucune. Je peux m’enfiler toutes les bouteilles que je veux, rouler sous la table si j’en ai envie, m’écraser dans les escaliers jusqu’à mon appartement, m’avachir habillé sur mon lit. Personne ne dira rien, personne ne me demandera si ça va, personne ne me dira que je lui dois quoi que ce soit. Aucune obligation. Pas de fils à la petite tête brune, pour venir me secouer gentiment, pour se serrer contre moi pour un câlin, pour me demander de lui préparer son petit-déjeuner. Je suis libre, incroyablement trop libre, sans chaîne, sans engagement, sans rien. Qu’a-t-il déjà, tout à l’heure ? « T'as raison de continuer à chercher tes raisons, parce mais je suis pas sûr que ce soit dans l'alcool que tu les trouvent. » Elles ne sont nulle part ailleurs, pour le moment. « Heureusement que ton rhum est meilleur que tes conseils. » La phrase m’arrache un grognement plus ou moins clair, qui ressemble à un rire grinçant. Si je ne savais pas à quel point je suis devenu un ancien psychomage pitoyable, si j’avais encore la moindre estime pour mes compétences, ces mots pourraient être blessants. Ils ne le sont pas, pas vraiment. Ils ne font que me rappeler que je ne vaux plus rien, dans ce domaine, et que je suis foutrement mal placé pour conseiller quoi que ce soit. Je ne suis que l’alcoolique, l’aveugle, le propriétaire d’un bar miteux. Rien de plus.

Des voix au fond de la salle se font entendre plus fort ; elles s’adressent à mon serveur, d’une façon plus ou moins polie. Je me fais la réflexion que je devrais intervenir, avant de me rappeler que tout ce que je pourrais faire efficacement ce soir, c’est de m’écraser aléatoirement sur les genoux de quelqu’un. « Oye parce. Eso, j'avais pas parlé de ça depuis longtemps. Je vais aller méditer tout ça chez moi. » Mes pensées, sans être noyées par la quantité d’alcool avalée, se font plus lentes. Je ressens une pointe de culpabilité : de l’avoir fait replonger dans ses propres souvenirs, sans but thérapeutique derrière. Et un fragment de déception, aussi, peut-être. La conversation m’emmerde vu les sujets abordés, mais elle est aussi pertinente. Trop, probablement. Je sais que j’aurai aussi des pistes de réflexion à explorer, lorsque mes réflexions ne s’amuseront plus à tournoyer et que cette fichue journée sera enfin terminée.

D’autres sons se font entendre, grognements bourrus et chaise qui s'écarte définitivement. Une main claque sur mon épaule, dans une attitude trop sympathique. À l’exception de mes employés, je n'ai plus l'habitude qu'on agit avec moi d'une façon plutôt amicale. Mes vieux potes, je les ai fait fuir avec mon attitude merdique, mon refus de me soigner et d’avancer. J’ai refusé des tonnes de mains tendues avec bienveillances – peut-être, justement, parce qu’elles étaient bienveillantes. Je n’ai jamais toléré la pitié, encore moins depuis que je suis aveugle. Cette pitié, je ne l’ai pas sentie ce soir. Peut-être que l’Espagnol a remué des choses plutôt dérangeantes, peut-être qu’il a dit des phrases avec lesquelles je n’étais pas en accord, peut-être qu’il m’a fait chier. Il a scosse la gabbia , comme on dit par chez moi. Involontairement, probablement. N’empêche que ça me laisse avec une drôle de sensation. « Buenas noche. Si jamais, paraît que le proprio à une chambre à l'étage au lieu de finir endormi sur un coin de table. » Je ricane, le saluant d’un   « buenas noches para ti también » pendant qu’il s’éloigne. Ai-je envie de réfléchir à tout ce qu’il m’a dit, dès maintenant ? Non, assurément pas. Vivre ce genre de conversation une fois dans une soirée, c’est déjà suffisant. Je laisse mes doigts filer sur le verre apporté précédemment, le portant à mes lèvres. Le geste est moins assuré, les doigts sont plus malhabiles. Une partie du liquide glisse dans ma barbe, coulant probablement sur la table, tandis que le reste roule dans ma gorge.

Humiliant.

Sauf que je n’en suis plus à une humiliation près. « Heureusement que ton rhum est meilleur que tes conseils. » À une époque, cette phrase était inexacte. À une époque, j’étais un psychomage apprécié de ses collègues et de ses patients, un psychomage prometteur, avec une bonne carrière, une famille en construction. J’étais quelqu’un, Angelo Borghese, pas cet homme anonyme échoué sur la table d’un bar, les cheveux emmêlés, la gorge trop hydratée. Je n’étais pas un aveugle, j’étais presque un père, presque un époux. Quelqu’un. Avec un nom, des rêves, des buts, des qualités, une vision qui allait plus loin que de se questionner entre vodka ou gin.  « J'avance pour les autres, parce que j'ai pas le choix. J'ai une mère, des frères et des sœurs, des amis pour qui je dois me battre tous les jours. Pour qu'eux puisse ne connaître de la vie que ce qu'elle a de plus beau. » Les voix au fond de la salle, qui chahutent encore mon serveur, sont de plus en plus injurieuses. Se battre pour les autres…Je le faisais, avant. Je n’aurais pas hésité, je me serais levé, j’aurais sorti ces types par leur chemise, avec un sourire. Maintenant ?

Maintenant, je fais quoi ? Je me roule dans ma fange, dans mon rhum, dans mes sempiternelles bouteilles, dans mes plaintes et dans mes habitudes ? J’accepte docilement de ne faire qu’un avec la noirceur, j’accepte cette mierda de la vie comme quelque chose d’inéluctable, sans plus me battre ? J’accepte d’être personne, de laisser derrière moi, pour toujours, Angelo Borghese ? Et si je ne me relève pas, est-ce que je l’abandonne une seconde fois ? Lui, mon fils ? Si je ne suis plus rien, est-ce que j’arrête définitivement d’être son père, moi qui ne l’a été que quelques semaines ?
Dans un bon bouquin moldu, comme ceux que lisent mes sœurs, ce moment serait celui où je repousserais avec détermination mon verre vide. Le moment où je me lèverais, transformé, pour aller défendre mon serveur avec assurance.  

Je ne me lève pas avec assurance.

Je ne défends pas mon serveur.

Je ne repousse pas mon verre.

Je me contente de laisser tomber ma tête au creux de mes bras, comme si l’alcool m’avait définitivement assommé, pour camoufler les larmes qui ont commencé à couler sur mes joues.
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