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I need something stronger, a drug to kill the fear | Vigga
2 participants
Magni Hammarskjöld
Magni Hammarskjöld
GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden

I need something stronger, a drug to kill the fear

@Vigga Mørk  | Début janvier 2023 - Bar Ölkompaniet



Accoudé au bar j'attends patiemment que le serveur se libère pour prendre ma commande. Regard sombre et visage soucieux, je regarde en coin Vigga assise sur ma droite à la table qu'on a réussi à trouver libre à notre arrivée. Un regard rapide avant de reporter mon attention sur le serveur qui ne sait plus où donner la tête. Seul derrière un bar bondé, étonnant pour un soir de semaine de janvier. A croire que toute la scandinavie sorcière a eu une fin d'année difficile et cherche dans le lieu un peu de divertissement pour oublier l'amertume de son quotidien. Est-ce mon cas ? Indéniablement. Sauf que je ne suis même pas là pour espérer n'avoir qu'une conversation de badinage avec mon ancienne belle-sœur. Un très léger tic nerveux me fait tapoter le comptoir propre du bar de ce quartier huppé. Le regard du serveur se pose rapidement sur moi, je l'avise d'un signe de tête auquel il répond par la pareil avant de servir la commande qu'il tient en main à un duo de sorcières un peu plus loin. Qu'est-ce qu'elle m'a demandé déjà ? Un nouveau coup d'œil en coin vers la Mørk qui semble perdue dans ses pensées en attendant mon retour qui tarde un peu trop. Je pourrais moi-même trouver le temps long si je n'avais pas mille pensées agitées qui perturbent mon cerveau. Markus, Magnus, Aren, les Enfants. Non, vraiment pas une fin d'année en toute tranquillité. Mon rythme cardiaque s'accélère légèrement alors que les visages de mes deux amis viennent flotter dans mes pensées. En l'espace de deux jours trop de choses c'étaient jouées, me laissant au milieu de tempêtes d'émotions contraires qui m'avaient laissées épuisé en ce début de nouvelle année. Un soupire soulève ma poitrine alors que je me redresse légèrement à l'arrivée du serveur qui parvient enfin à s'approcher de moi pour prendre ma commande. « Bonsoir Magni, navré pour l'attente, ma collègue est malade je suis seul ce soir et visiblement ce n'était pas le bon pour l'être.  » Il me sourit d'un air nerveux et fatigué et un demi-sourire vient étirer mes lèvres en signe d'encouragement. « Visiblement Bjørn. Mais t'inquiètes pas je ne suis pas pressé, tu me devras juste un shooter en dédommagement. » Je le gratifie d'un clin d'œil narquois auquel il répond par un ricanement léger. Il a l'habitude de mon humour car je viens souvent ici. Un des rares bars du quartier pas trop guindé. Qui trouve le juste mélange entre établissement classe et ambiance détachée. Peut-être même que j'y viens un peu trop souvent car je remarque qu'il a déjà commencé à remplir la pinte de ma bière fétiche de son bar sans même que j'ai eu le temps de passer la moindre commande en ce sens. Mon sourire s'étire un peu plus alors que je désigne la table où Vigga m'attend toujours. « Ce sera la même chose pour elle s'il te plaît. » Le barman acquiesce de la tête un vague sourire sur le visage tandis que je sors mon porte monnaie de ma poche de veste. « Tu auras un truc à grignoter avec ? Je sais que normalement tu ne seras rien à cette heure-là mais on sort tout juste du travail et je meurs de faim. » Bjørn relève les yeux et hoche la tête d'un air confidentiel qui m'arrache un ricanement narquois. Il a vraiment trop l'habitude que je vienne lui réclamer tout en n'importe quoi.
Ma commande en main et mon bol de cubes de fromage en plus calé sous le bras je laisse le serveur retourner à la file de clients qui l'attend non sans un dernier mot d'encouragement et reprend la direction de la petite table où Vigga m'attend toujours. Je pose les pintes et le bol avant de m'asseoir à mon tour non sans un léger sourire de soulagement. « Désolé pour l'attente, il y a un monde incroyable ce soir. Les soirées afterwork ont la côte en ce moment on dirait. » Mon regard se pose sur ma nouvelle collègue, ayant toujours du mal à trouver le ton juste avec elle. Après avoir pris l'habitude de l'appeler Major pendant des années, il m'est encore difficile de briser ce titre et les codes qui lui sont associés en sa présence. C'est étonnant de se retrouver égal à une personne qui a été votre supérieure pendant un temps, et qui a eu la carrière qu'on avait ardemment désiré avoir adolescent. Tout cela pour finir voisins de bureau dans l'open space des aurors sous les ordres de Blumenthal. Cocasse. Ajouter à cela une histoire familiale liée sans pourtant être complètement profonde, et vous obtenez ce savoureux mélange dans lequel je ne suis pas le meilleur nageur. « Comment va Thora ? Vous avez passé un peu de temps ensemble pour Yule ? » des banalités, une façon de prendre des nouvelles de cette nièce que je ne connais que trop peu, mais qui semble avoir choisi son côté Mørk plutôt que son côté Hammarskjöl dernièrement. Étonnamment. Même si j'ai beaucoup de respect pour la femme assise en face de moi aujourd'hui, on ne peut pas dire que je porte cette famille particulièrement dans mon cœur. Certains membres en font une bien mauvaise publicité, jetant une ombre sombre sur les rares lumières dont elle est composée. Mais je m'interdis de juger les choix de cette nièce que j'ai moi-même laissé de côté il y a des nombreuses années de cela. Dix-sept années pour être exacte. Trop exacte. Je n'ai même pas besoin de réfléchir pour en faire le compte, le deuil impossible le tient pour moi.




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Vigga Mørk
Vigga Mørk
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Début janvier 2023 - Bar Ölkompaniet

C'est ce genre de bar qu'elle accepte encore de fréquenter : bondés, bien fréquentés et bien éclairés. Triple b, triple bière, jamais davantage. Elle n'a jamais été alcoolique, Hel merci, mais on n'est jamais à l'abri de tomber dans une drogue pour échapper à une autre. Rajouter cette corde à l'arc qu'elle aime tant retourner contre elle-même, non, sans façon. Ressembler à sa mère, non, encore moins. Donc, elle a demandé une bière à Magni, avec le geste de celle qui ne tient pas à préciser la qualité de celle-ci, le geste de celle qui boit plus par convention que par intérêt.

Ses yeux pâles parcourent la foule réunie en ce début janvier. Hector, sous sa forme canine, somnole à ses pieds. Il pleut dehors, une pluie froide qui ne semble jamais devoir s'arrêter. Ces pluies d'hiver si longues qu'on oublierait presque leur présence ; si bien qu'elle-même a gardé par réflexe l'imperméable gris jeté sur ces épaules, comme si elle s'attendait à ce qui se mette à pleuvoir à l'intérieur. Remarque, on est dans le Göteborg sorcier, ça pourrait arriver. D'un geste agacé, elle retire le vêtement superflu, souhaitant que son collègue n'ait pas remarqué sa distraction : il pourrait la croire ailleurs, plongée dans ses pensées, et elle détesterait cela. Elle a horreur de donner l'impression d'un manque de contrôle sur son propre cerveau. Elle n'a jamais compris l'intérêt que certains trouvent à se donner des airs de poètes torturés, de penseurs de Rodin ou de sphinx scandinaves. A croire qu'avoir l'air mystérieux rend forcément intéressant.

Elle se fout bien d'avoir l'air intéressante, elle veut juste avoir l'air normale, mieux, être normale. Qu'on ne la ramène pas avec la définition impossible de ce que pourrait être la "normalité", elle n'est pas d'humeur : pour elle, être normale, cela se résume aujourd'hui à accepter de prendre un verre avec un collègue et avoir une conversation posée avec lui. Point barre à la ligne stop finito. Et inutile de lui rappeler que cette simple perspective a le don de lui tordre le ventre, elle qui n'a jamais été douée pour cet exercice de sociabilité.

Stratégie générale : ne laisser en aucun cas le silence s'installer trop longtemps, poser des questions, répondre au mieux à celles qu'il posera, ne pas paniquer, boire trois bières au maximum et se concentrer sur l'instant présent. Elle se tient à ce mantra tandis que Magni revient vers elle avec les commandes à la main.

- Désolé pour l'attente, il y a un monde incroyable ce soir. Les soirées afterwork ont la côte en ce moment on dirait.

Elle hoche la tête, esquisse un sourire d'une seconde, prend son verre d'ambrée et attend qu'il s'installe. Se trompe-t-elle ou alors lui non plus ne semble pas tout à fait à l'aise ? Elle n'est pas spécialement douée pour lire autrui, alors elle préfère ranger l'impression dans un coin sombre de sa tête. Ses lèvres se portent à la pinte lorsque son collègue pose la première des questions de la soirée - la seconde, si on prend en compte celle des consommation.

- Comment va Thora ? Vous avez passé un peu de temps ensemble pour Yule ?

Elle aurait dû la poser cette fichue seconde question. Vigga, bon sang, qu'avait-on dit sur les silences trop long ? Elle aurait pu attendre cette bière, pour te donner contenance, non ? Voilà que son geste se suspend et qu'elle a du mal à dissimuler son trouble. C'est bien la peine de vouloir jouer la normalité... Comment va-t-elle se tirer de ce bourbier, alors que ses relations avec sa fille unique sont loin d'entrer dans ce cadre, dans l'image d'Epinal banale et rassurante que le reste du monde semble vouloir lui donner ? Elle a tant l'impression d'être la seule mère indigne de ce monde, sans modèle à suivre, que la moindre question devient un piège dont il faut se tirer à tout prix. Bon sang, Magni sait, ou du moins il devrait savoir, que sa nièce et elle sont loin d'avoir une relation apaisée. Elle lui en veut, presque, de mettre ce sujet si difficile si tôt sur la table. Elle repose son verre, un peu sèchement et répond, laconique :

- Non, je l'ai à peine croisée. Mais je suppose qu'elle va bien.

Réponse de mère indigne, sans doute. Elle "suppose", elle en est réduite à cela, et encore, supposer est un terme bien miséricordieux vu la situation : pour supposer, il faut s'appuyer sur quelque chose et elle, sur quoi peut-elle s'appuyer ? Un regard glacial, une fuite dès qu'elle rentre dans une pièce, les reproches de ses proches ? Rien d'autre, même pas des rumeurs qu'elle aurait pu récolter, puisqu'elle est tant paralysée par la honte qu'elle n'ose même pas enquêter sur sa propre fille. Elle sait à peine ce qu'elle fait de son existence... Vengeance à demi consciente, elle retourne aussitôt la question à Magni :

- Et toi ? Comment va ta progéniture ?

Le terme semble si froid dans sa bouche. Elle ne fait pas exprès : la froideur est devenue une seconde nature chez elle, un bouclier pour se protéger, éloigner les curieux et les soucis. De toute façon, il lui semble que Magni ne préfère pas évoquer le nom de son enfant dans des lieux publics : le fruit d'une paranoïa qu'elle ne comprend qu'à moitié. A moitié, parce que la paranoïa dans l'armée est bien utile. A moitié, parce qu'elle ne s'est jamais inquiété autant pour Thora que Magni semble le faire pour son enfant. Jamais. Tiens, une nouvelle faute à rajouter à son casier : non seulement elle n'a jamais songé à protéger sa fille, mais en plus elle ne peut s'empêcher d'éprouver un poil de mépris à l'égard des instincts manifestement surprotecteurs de son beau-frère. Il n'y a décidemment pas de fond à sa médiocrité. Comme pour se rattraper, elle s'empresse d'enchaîner avec une phrase un peu plus chaleureuse :

- Tu as dû lae gâter pour Yule j'imagine. Vos congés se sont bien passés ?

Enfants, Yule, vacances, congés. Conversation entre beaux-adelphes, entre collègues autour d'une bière. Pantomime de normalité.
Magni Hammarskjöld
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@Vigga Mørk  | Début janvier 2023 - Bar Ölkompaniet



A chercher des sujets de conversation banals, j'oublie que centré sur mes propres erreurs, je prête moins attention aux autres. Peut-être que si j'avais moins songé à Thora comme cette nièce pour laquelle je n'ai été soudainement qu'absence et silence, je me serai rappelé que Thora l'enfant n'est pas dans une relation mère-fille idéale. Mais en réalité je sais peu de choses de cette famille éclatée. Andres a toujours été discret sur Vigga et les raisons de leur divorce. Andres est toujours discret sur les sujets délicats. Une aptitude que je sais adopter aussi, mais pas ce soir visiblement. Je sens à la façon qu'à la bière de heurter trop sèchement la table que ma question a soulevé d'autres sentiments qu'un plaisir simple d'un parent trop heureux de donner des nouvelles de son enfant. « Non, je l'ai à peine croisée. Mais je suppose qu'elle va bien.  » Sa réponse confirme ma première impression que je noie dans une gorgée de bière tout en gardant mon regard droit posé sur elle. Malgré mon manque de tact évident, je refuse de me confondre en excuse, encore moins de baisser le regard, ni d'en paraître troublé. Je sais trop peu de choses sur Thora pour juger de quoi que ce soit concernant leur famille aujourd'hui. Je me garderais bien de juger quiconque à ce sujet, vivant ma propre parentalité en dehors des codes sociétaux normaux. Même si je ne comprends pas les motivations qui avaient poussées Vigga à délaisser sa fille et à accepter aussi facilement un éloignement qui semble devoir se creuser de plus en plus. Comment pourrais-je saisir les méandres de cette situation quand je compte personnellement les jours et les semaines qui me séparent des prochaines vacances scolaires. Quand ma propre vie est organisée autour de ce nœud central qu'est Aren. Chaque heure supplémentaire est faite et gardée précieusement pour pouvoir prendre le plus de jours possibles en même temps que ses congés. Deux parentalités vécues en diapason totale. Mais deux parentalités malgré tout. La question qui perle ensuite des lèvres de Vigga était attendue, presque inévitable. Elle était même souhaitée, provoquée, par mon entrée en matière direct. Peut-être trop direct, mais efficace. Je m'attendais juste à quelques lignes de conversation supplémentaires avant d'en arriver si vite à me renvoyer la balle. - « Et toi ? Comment va ta progéniture ? » Je note l'absence de prénom et la froideur avec laquelle elle prononce ce mot. Une ombre noircit mon regard, supplanté d'un pli qui zèbre le front. Est-ce qu'on est à ce point passé d'une bière entre collègue à une joute verbale acerbe ? En l'espace d'une question maladroite ? Ce serait sans doute l'un de mes plus beaux record si c'était bien le cas. Distraitement un doit tapote le verre, trois petits coups faibles, avant de remonter essuyer une goutte de condensation qui roulait vers la table. « Tu as dû lae gâter pour Yule j'imagine. Vos congés se sont bien passés ? » Les variations de tons me laissent perplexe. Peut-être bien que je suis trop habituée aux conversations plus franches et simples, aux éclats de voix et aux claques dans le dos pour être tout à fait adapté à cette soirée qui devait être une discussion entre beaux-adelphes autour d'une bière. Mais l'évocation de Yule et de nos congés me ramène à la réalité de ces derniers jours, et plus largement, dernières semaines. Une succession d'événements qui marquent encore mes yeux de cernes sombres. Des vacances mouvementées, chargées d'émotions volcaniques, entre la rencontre de Markus et d'Aren, la révélation de ce secret autour de ma paternité resté trop longtemps caché à mon meilleur ami. Un meilleur ami qui occupe toutes mes nuits depuis Yule justement. Les paupières cillent, chassant en arrière des pensées annexes qui ne devraient pas prendre le devant de l'esprit à cet instant. Quand bien même tout tourne autour de lui, même mon départ en mission en Colombie prévu pour demain. Un autre sujet de préoccupation à reléguer en arrière plan pour le moment « Il va bien. Des congés mouvementés, mais iel a été indéniablement gâté. » L'esquisse d'un sourire creuse la fossette gauche. Si on oublie notre excursion annuelle au temple familial de Thor repoussée à cause d'une de mes affaires, la soiré de nouvelle an interrompue par Markus rond comme un tonneau sous la table d'un bar, et la perspective de mon départ en Colombie et son lot d'inquiétude pour lui. Si on oublie cela, on peut considérer que c'était encore une belle fin d'année et qu'il a été gâté. Ou alors même en prenant tout cela en compte, on peut juger qu'il a été particulièrement gâté d'émotions fortes. De déceptions aussi. Je suis jamais avare de ces dernières avec mes proches. « Je voulais attendre avant d'évoquer un point le concernant avec toi d'ailleurs. Mais comme j'ai lancé le sujet de but en blanc sans penser que ce serait à ce point délicat, autant mettre cartes sur table immédiatement. » Mon sourire narquois s'étire plus largement dans ma barbe. Je n'ai nullement l'intention de me fâcher à mon ex belle-sœur, aussi je tente l'angle de l'humour entendu plutôt que de forcer le trait sur une neutralité passive. « Maintenant qu'on est collègue, je dois te dire que personne au bureau est au courant de son existence. » A part Markus, désormais. Mais j'estime que moins les personnes qui sont au courant savent qu'ils sont pluriels, mieux c'est pour tout le monde. Cela divisera d'autant plus le risque que le sujet soit inopinément mis sur le tapis. « Et j'aimerais que ça reste comme ça. Je crois pas me tromper en affirmant que si j'évite de prendre des nouvelles de notre famille commune ça te convient aussi. Disons donc qu'on garde ces sujets-là pour des moments plus personnels ? De préférence hors des lieux publics. On peut même ne pas en parler du tout. » Un éclat de rire éclair filtre entre mes lèvres avant que je ne porte ma bière tout contre pour noyer le ricanement plus froid qui manquait de se faire entendre également. Le verre résonne d'un son mat quand je le repose et mes doigts attrapent rapidement un morceau de fromage du bol placé entre nous deux. « Hésite pas à te servir surtout. Je connais bien le serveur je pourrais toujours aller lui en demander d'autre. » Mon dos se cale plus largement contre le dossier de ma chaise, d'un air décontracté qui convient mieux à l'heure et à l'endroit que ma précédente posture alerte. Après tout je suis sensé être un auror qui boit un verre avec sa collègue, et non être en train de parler d'un sujet qui me fou le cœur en proie à des palpitations trop rapides et couleur des sueurs froides dans la nuque.




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Vigga Mørk
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- Il va bien. Des congés mouvementés, mais iel a été indéniablement gâté.

Elle hoche la tête, mécaniquement. Sans jugement mais sans sympathie non plus. Sans indifférence mais sans intérêt particulier non plus. Qui aurait cru qu'elle comprendrait si vite les enjeux du small talk. Il faut croire qu'il est plus facile que prévu de se couler dans le moule des relations professionnelles, de cet entre-deux agaçant où l'on est poussé à aller plus loin que la politesse, à s'intéresser à l'autre que l'on côtoie des heures quotidiennes, mais sans jamais dépasser les limites de ce qui pourrait commencer une réelle amitié. Une relation à la fois entretenue et superficielle, que tout le monde critique mais à laquelle chacun finit par se conformer. Dans l'Armée, les choses sont différentes, les choses sont plus intenses, sont plus vraies, sont peut-être plus dangereuses aussi ; cela, ça lui manque. Elle aurait cru que les aurors alimenteraient entre eux aussi cet esprit de corps, mais le travail de bureau dépasse les heures passées sur le terrain, alors, à moins d'avoir partagé l'adrénaline face au danger, ou plusieurs missions compliquées, les relations oscillent entre le conformisme attendu de fonctionnaires et la camaraderie mêlée de rivalité de pseudo-policiers. C'est pourquoi elle essaie d'éviter les verres après le boulot, les espaces de coworking, bref, tout ce qui imposerait ce genre de conversation auxquelles ce soir elle se trouve confrontée.

Le fait que Magni soit son ex-beau-frère n'arrange rien à ce fond de superficialité qui colore leur relation. Ils ne se sont jamais tant fréquentés et si Vigga a toujours apprécié la famille d'Andres, elle n'a jamais osé totalement s'y intégrer. A cela s'ajoute les années post-divorce, ses déboires de droguée, la difficile pente à remonter... Bref, non, la relation n'est pas facilitée, elle se cache derrière ce vernis de politesse et de préoccupation qui déjà se craquelle.

- Je voulais attendre avant d'évoquer un point le concernant avec toi d'ailleurs. Mais comme j'ai lancé le sujet de but en blanc sans penser que ce serait à ce point délicat, autant mettre cartes sur table immédiatement.

Le bois sur la table qui craque légèrement quand elle y déplace son verre. De nature nerveuse, Vigga se tend, attend. Le sourire que lui décoche son collègue n’est pas pour la détendre, car même si elle n’est pas fine observatrice et ne voit pas la crispation sur les traits de Magni, elle y voit la fausseté et s’en défie aussitôt.

- Maintenant qu'on est collègue, je dois te dire que personne au bureau est au courant de son existence.  

Elle fronce des sourcils. Ne dit rien. A du mal à raccrocher les wagons. C’est dire si elle a prêté attention au discours sur l’enfant, son attention s’en est déjà détaché. Elle peine encore à faire le lien avec le discours plus haut lorsqu’il poursuit :

- Et j'aimerais que ça reste comme ça. Je crois pas me tromper en affirmant que si j'évite de prendre des nouvelles de notre famille commune ça te convient aussi. Disons donc qu'on garde ces sujets-là pour des moments plus personnels ? De préférence hors des lieux publics. On peut même ne pas en parler du tout.

Silence. Le visage de Vigga est de pierre. Les pensées s’agitent. Pas les plus sages hélas. Elles ne s’apaisent pas quand Magni feint la décontraction, rit de manière bancale, au contraire.

- Hésite pas à te servir surtout. Je connais bien le serveur je pourrais toujours aller lui en demander d'autre.

Ses doigts errent sans but sur la table. Les conventions voudraient qu’elle réponde au moins d’un demi sourire mais ses traits sont figés. Elle fixe ses yeux pâles sur son collègue. Elle ne voit pas son malaise, ni sa nervosité, toute absorbée par les siennes. Les siennes et sa colère. Vigga n’est pas outrageusement colérique mais elle est rancunière. Rancunière et blessée, au-delà de ce qu’il est possible d’imaginer, et de ce qu’elle-même peut imaginer.

Ce n’est pas les paroles de Magni qui sont blessantes, c’est la manière dont elle perçoit. L’impression d’être une mauvaise mère, renforcée. L’agacement devant le fait que ce père fasse de son enfant une affaire d’État, déplacé. La colère de se voir traitée comme une enfant qu’il faut avertir et soudoyer, attisée. Tout cela ne devrait pas avoir de place dans cet échange, puisqu’après tout, elle se moque de garder un tel secret : elle n’est pas adepte de ragots, a le tempérament plutôt secret et n’a guère besoin qu’on lui répète souvent les choses pour qu’elles soient comprises. Et c’est peut-être ça aussi, qui l’agace, que Magni ne le sache pas déjà. Illégitime, évidemment. Magni ne la connaît pas bien, il n’a pas à deviner.

Mais elle est agacée, pleine de rancœur, blessée par sa propre défaillance soulignée par les prévoyances de ce papa poule… Sans le formuler consciemment, elle pense à Thora, elle pense à l’indifférence qu’elle a eu pour elle, qu’elle a du mal à dépasser… et elle est perdue, furieuse, dépassée de voir un père aussi concerné, protecteur, inquiet. Inquiet au point de cacher l’existence de sa descendance au-delà du raisonnable. Avec un peu de psychologie, Vigga comprendrait, mettrait des origines sur ces précautions démesurées, se rappelerait le deuil de Magni, l’histoire de cette famille brisée. Mais ce n’est pas dans ses instincts, ce n’est pas dans ses habitudes, alors elle ne réagit qu’impulsivement, portée par ses propres deuils non réglés.

- Je ne pense pas avoir besoin que tu me proposes des marchés aussi bancals pour t’assurer de mon silence. Si tu ne veux pas que j’évoque ce sujet devant témoin, je ne le ferai pas. Tu as ma parole.

Un tel discours devrait être énoncé d’un ton chaleureux ou solennel, mais sa voix n’est que froideur et distance. Ses yeux parcourent la table, s’arrête sur le fromage… elle ne se sert pas, par pur esprit de contradiction.

- C’est tout ce dont tu voulais parler ?

Elle a envie de partir. Elle est en colère. Tout en ayant vaguement conscience d’avoir tort de l’être. Elle préfère ne pas exploser. Ils sont après tout, dans un lieu public et elle ne tient pas à compliquer ses relations avec un collègue. Elle rattrape sa contenance à son verre de bière ambrée. Difficilement.

Hector lève son profil canin vers elle. La surveille. Pressentant les ombres d'une tempête.  Il lâche un grondement bas, sans agressivité. Douceur, mère de sûreté.
Magni Hammarskjöld
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@Vigga Mørk  | Début janvier 2023 - Bar Ölkompaniet



Vigga ne réagit pas. Ni à mes inquiétudes, ni à ma demande, ni à mon rire. Son absence de réaction est un gouffre d'angoisses qui aspire la légèreté que j'avais essayé de rétablir pour coller un peu mieux à l'ambiance du bar et de la soirée. Le marbre de son vissage contamine le mien qui se défait petit à petit de ses plis pour ne laisser qu'une fermeture pleine de réflexion nerveuse. Le regard se durcit lui aussi, moins tendre, à la limite de l'avertissement concernant la réponse qu'elle rumine derrière son maintien parfait. Mes propres pensées osent tout craindre sans s'arrêter sur une seule possibilité. Est-elle déjà en train de penser à la meilleure façon d'utiliser cette information contre moi à l'occasion ? Essaie-t-elle de sonder mes raisons ? Ou bien charge-t-elle de colère ses considérations pour moi et ma propre relation distante avec sa fille quand je marque tant d'attention envers mon propre enfant ? M'en veut-elle de cette absence que j'avais mise presque du jour au lendemain avec Thora sans raison apparente ? Fulgurante, douloureuse, la réminiscence du souvenir de Syn me traverse de part en part. On pourrait croire qu'on s'habitue avec les années, mais ce n'est jamais le cas. Chaque lien établit par le cerveau ramène la même surprise de la blessure encore vivante. Mes dents se serrent face à son silence de marbre. Peut-être que je lis mal son expression qu'il s'agit de tout autre chose, c'est une probabilité assez facile à ériger en barrière à mes angoisses. On se connait si peau elle et moi. Une ex belle-sœur qui a toujours été timorée, sur la retenue dans le partage de sa personne à l'époque où elle faisait partie de la famille. Mon propre éloignement géographique n'avait fait que creuser des sillons d'une connaissance de façade. Mes propres drames m'avait détourné du besoin de faire attention à elle. A eux. J'ai mes défauts, mes regrets, mes erreurs. Je les reconnait facilement, sans honte. Andres mérite mieux que ça de moi. Il mérite les efforts, et Vigga par extension, et Thora peut-être un jour. Quand je pourrais la regarder sans compter l'âge que ma propre fille n'aura jamais.« Je ne pense pas avoir besoin que tu me proposes des marchés aussi bancals pour t’assurer de mon silence. Si tu ne veux pas que j’évoque ce sujet devant témoin, je ne le ferai pas. Tu as ma parole. » Me calquant sur son attitude je ne bouge pas, à peine un cillement de paupière face à la rudesse de sa voix. Je reconnais ne pas avoir été entièrement juste avec elle en abordant le sujet de cette façon. Quand l'enfant entre dans la balance, je perds mes moyens et ma logique implacable. La nervosité cherche à établir immédiatement le caractère non négociable de ce que je mets en place, avant même de chercher à faire comprendre les émotions sous-jacentes. Encore un défaut à remettre sur mes épaules et ma capacité devenue presque légendaire à être dans le trop et jamais assez dans le modéré. « C’est tout ce dont tu voulais parler ? » C'était l'élément central, rapidement balayé, plus ou moins facilement, mais dans une efficacité qui me laisse un goût amer. C'est frustrant de se sentir si peu pertinent avec quelqu'un qui a fait partie de ma propre famille. Quelqu'un qui a tant compté pour Andres. C'est là un autre de mes défauts, je voudrais que les choses soient plus simples, moins tendues, tirer cette relation sans profondeur vers des chemins plus doux. Parce qu'égoïstement j'aime entretenir de bonnes relations avec mes collègues, et que ça me ferait chier que ce ne soit pas le cas à cause de mes erreurs et mon absence des années précédentes. Le grondement de sa fylgia ne laisse pourtant que peu d'interprétation possible sur les émotions négatives qui agitent son âme derrière la sécheresse de son attitude. Les mâchoires se contractent trois fois, série habituelle de la nervosité en proie à des réflexions qui s'empressent de partir dans tous les sens, comme tant d'éclairs d'un orage de chaleur. Le doigt qui tapote le bord du verre hésite, s'arrête, reprend ses percussions silencieuses avant que le cœur ne relâche un soupir las. « Excuse-moi Vigga, j'voulais pas avoir l'air d'un con qui gère mal ses angoisses auprès de toi. Ca me met mal à l'aise de te demander ça. C'était mal formulé, mais merci pour ta parole. » L'humilité c'est pas toujours mon fort, mais ma tête est trop pleine d'informations diverses en ce moment pour parvenir à tout gérer sans devoir lâcher un peu de contrôle quelque part. « Je te force pas à rester discuter avec moi si t'as pas envie. Je comprendrais, j'ai visiblement dit une connerie. Je suis un oncle déplorable et absent pour elle, je savais pas que c'était aussi délicat comme sujet pour toi. » Le regard fuit vers la bière pour noyer la culpabilité qui voudrait y briller trop clairement, délaissant pour de bon les fausses joies pour sombrer dans la lourdeur des traits qui sont les miens depuis le nouvel an. Depuis cette stupide soirée et les paroles blessantes de Markus. Depuis l'ordre de mission envoyé par le gouvernement Colombien et mon départ prévu pour la fin de la semaine. Depuis cette mélasse qui ne cesse d'embourber mon quotidien. J'avale une nouvelle gorgée de bière, plus amère que les précédents avant de me laisser gagner par mon propre mutisme sombre. Peut-être bien que cette idée de bière après le travail n'était pas une bonne idée après tout. Mjöll ne dit rien mais se décide à quitter la table pour passer dans ma manche et remonter rapidement vers le cœur pour s'y installer en cercle, peau contre peau, dans un palpitement de gorge rapide.  




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