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Let's talk about dead (Alf)
2 participants
Dax Tcherkassov
Dax Tcherkassov
TRØBBEL För att nå toppen av trädet måste du sikta mot himlen
« Pour quelqu'un de pas commode tu m'a l'air plutôt attentionné au bien être corporel des autres. Entre cette enfant et moi. J'imagine que ça devrait m'indiquer que tu es du côté pas commode mais fréquentable des gens qui se font enfermer en prison. » J’hausse les épaules avec nonchalance, alors que la commissure de mes lèvres s’étirent légèrement, sans former un sourire complet. Suis-je fréquentable ? Objectivement, j’en doute. Je n’aime pas voir les gens souffrir, mais je ne crois pas que ce soit par réel soucis pour leur bien-être corporel. C’est d’abord pour diminuer mon agacement ; quelqu’un qui souffre gémit, se plaint, pleure parfois ou se tortille, ce que je trouve incroyablement exaspérant. Mais c’est aussi parce que je n’éprouve aucun plaisir, aucune satisfaction, à voir un individu dans un tel état et que je sais que j’ai les compétences pour atténuer certaines douleurs. C’est pragmatique et divertissant. Sauf qu’il y a aussi des blessures dont je suis le responsable ; celles qu’on me paie pour infliger, celles qui viennent inévitablement avec une mission, celles que j’assène sans hésitation. Pour celles-là, je ne fais rien, et sauf en de rares occasions, je n’ai jamais été hanté par le visage de ceux que j’ai laissé derrière moi. J'espère juste que c'est pas en lien avec cette histoire personnelle avec, lui. » Lui. Je note avec curiosité qu’elle n’a pas utilisé son prénom, peut-être par hasard, peut-être pas. Je porte ma tasse à mes lèvres pour avaler une autre gorgée, l'observant grimacer. Sujet sensible, peut-être. Pour quelle raison ? À quel point approuve-t-elle ses gestes ? « Un instant j'ai eu l'espoir que tu avais plutôt rencontré d'autres membres de la famille. Mais j'aurais dû me douter que c'était lui. C'est toujours lui. J'espère juste qu'il t'a pas causé trop de dégâts. Le connaissant, il a dû te dire un tas de trucs détestables sur tes origines. J'aimerais m'excuser pour lui. Mais ça servirait à rien n'est-ce pas ? » Les dernières phrases m’arrachent un froncement de sourcils d’étonnement, alors qu’elle baisse les yeux vers sa tasse après avoir soupiré. S’excuser pour lui, quelle idée absurde. S’excuser, tout court. Ce qui est fait est fait, aucun pardon ne peut enrayer ce qui a été subi. Elle n’est pas la coupable de toute façon et je me demande, en voyant ses paupières se fermer une fraction de seconde puis se rouvrir sur une autre grimace, à quel point elle doit se prendre des commentaires sur lui. Je ne dois pas être le seul à avoir été tenu à distance par mes préjugés et l’association que j’ai fait avec son frère – et mon manque de sociabilité, autant être honnête avec moi-même.

Son sourire revient, éclatant et presque contagieux et je suis son regard jusqu’à ma pitoyable tentative de rangement de sachet. « Merci pour le sachet de thé. Il te plaît ? Le thé ? Je ne suis pas certaine qu'en boire sous un chêne dans un cimetière fasse de moi quelqu'un qui vaut le coup. A la limite, un cliché de Mørk sans doute. Il faudrait que je songe à soigner mon décor. Peut-être rajouter un peu de fumée et un cercle de runes. Bon ok, le cercle de runes ça m'arrive déjà d'en faire quand je veux être tranquille. Manque plus que me faire soigner sur une pierre tombale et j'aurais atteint le top du cliché j'imagine. » J’hoche la tête pour répondre à sa question sur la thé, tandis qu’un léger rire m’échappe. J’imagine bien la scène…Un soin sur une pierre, sous une lune éclatante et une pluie battante, histoire de compléter le cliché.   « Merci quand même pour la proposition, j'y penserai la prochaine fois qu'un essaie de m'enterrer vivante. Enfin dis comme ça, dans un cimetière, ça ne semble pas être la meilleure association. Rapport à l'enterrement, tout ça. »   Quelqu’un de normal serait probablement tétanisé par les phrases prononcées ou se confondraient en murmures empathiques. Moi, je me contente de rire de nouveau, son un peu grinçant, parce que l’emboîtement des mots me fait marrer. Leur signification me laisse plus insensible ; j’en comprends qu’elle doit faire allusion à cet événement où je n’étais pas, mais qui ont marqué beaucoup de gens. Certains plus que d’autres…Selon leur implication. J’imagine que ça devait être pénible, mais chacun ses problèmes. « Excuse-moi, ma blague était nulle. Je passe mes traumas dans l'humour. Mais avec moi tu risques pas d'avoir trop de travail, je préfère danser sur de la musique que sous une pluie de sortilèges. » Sa plaisanterie était excellente et même si elle ne l’avait pas été, pourquoi s’en excuser ? D’autant plus qu’elle a blagué sur un sujet qui la concernait, elle, et que si c’est son moyen pour gérer, personne ne devrait rien avoir à y redire quoi que ce soit. « Je n'ai pas grand chose à t'apporter en retour, si ce n'est de pouvoir servir de messager entre toi et un fantôme, au besoin. Enfin sauf pour ta petite patiente. Désolée. Non, en fait, j'ai pas tellement de service à te rendre en échange. » J’hausse les épaules, l’air de dire que ce n’est rien. Je n’étais pas en train d’exiger d’elle quelque chose ou de lui proposer un accord. Quant au fantôme…Elle m’a tout de même aidé, d’une certaine façon. Je rétorque : « Ta blague était parfaite. Et je n’attends rien en échange, sinon j’aurais énoncé clairement les termes du marché. C’est pas non plus de la générosité, je vois simplement pas l’intérêt de laisser quelqu’un souffrir quand j’ai les capacités de le soigner. » Certains prononceraient les mots compassion, mais ils impliquent trop de sensibilité à ce que vit autrui, et je m’en tiens loin. Je suis plutôt indifférent, quand je ne parviens pas à traiter les blessures d’une personne ; ou agacé, à la rigueur, parce qu’entendre quelqu’un geindre, vraiment, c’est insupportable. Mon sourire s’étire légèrement, alors que je poursuis : « Et puis soigner une Mørk sur une pierre tombale...Ce serait assurément très cliché, mais ça ferait une magnifique expérience à raconter aux emmerdeurs pour les voir hésiter sur la véracité de l’histoire. » Emmerdeurs qui sont extrêmement nombreux, dans ce magnifique monde sorcier.

J’avale une autre gorgée de thé, tout en jetant un coup d’œil distrait à ma fylgia qui s’éloigne légèrement, pour aller crapahuter proche d’une pierre tombale carrée. Trop curieuse, ou lassée de cette conversation. J’opterais plus pour la première option. Mes pupilles glissent sur Alfhild, alors que je cherche à confirmer mon hypothèse, sans vouloir inviter à un déballage de traumatisme: « Enterrée vivante hein ? J’en déduis que tu étais à Walpurgis. Plutôt original, comme trauma. Je ne te lancerai pas sur le sujet d’un air compatissant, je ne suis pas un adepte des moments potentiellement larmoyants. » Quoicque…Quelque chose me dit que ce ne serait pas son genre et qu’elle traiterait sûrement du sujet d’une façon un peu moins chiante. Ou avec un humour glauque, ce qui pourrait être intéressant. Je dépose de nouveau ma tasse sur mes genoux, sans détourner mon regard, qui se fait un peu plus insistant : « Quant à Fredrikke…Même si des excuses pouvaient servir à quelque chose – ce qui n’est pas le cas - , ce ne serait pas à toi de les faire. Tu n’es pas lui et tu n’es pas responsable de ses actes. » Ma voix, exceptionnellement, s’est adoucie. J’ai remarqué la vague sombre qui a recouvert peu à peu ses yeux, lorsque j’ai parlé de son frère. J’ignore tout ce qu’elle approuve ou non, mais je sais que vivre avec des frères aux agissements insupportables peut être plutôt chiant. Je rajoute : « Il ne m’a rien fait, je l’aurais très certainement enterré moi-même, s’il avait tenté quoi que ce soit. Mais je ne suis pas un fan de ses talents de tatoueur. Il t’en a fait un aussi, ou c’est quelque chose qu’il réserve à ses amis préférés ? » Une phrase lâchée d’un ton désinvolte, sans arrière-pensées. J’imagine que c’est connu dans sa famille, qu’il aime bien marquer certaines personnes.
Alfhild Mørk
Alfhild Mørk
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Let's talk about dead

 @Dax Tcherkassov   Juin 2022



Elle s'est détendue Alfhild, au fur et à mesure de la conversation, retrouvant son énergie de début de soirée. Dans son coin, Dreymir a refermé les deux yeux dans un signe de sérénité complet. Boule blanche parfaitement ronde contre le vert de la mousse du creux entre les branches du chêne, sa fourrure rempli entièrement l'espace si bien que la renarde semble avoir creusé elle-même le trou pour correspondre à sa taille. Dax de son côté s'est contenté de hausser les épaules d'un air neutre, visiblement peu troublé par l'idée qu'Alfhild ne puisse lui rendre aucun service en échange du sien. « Ta blague était parfaite. Et je n’attends rien en échange, sinon j’aurais énoncé clairement les termes du marché. C’est pas non plus de la générosité, je vois simplement pas l’intérêt de laisser quelqu’un souffrir quand j’ai les capacités de le soigner. » L'attitude et la façon de penser du sorcier l'intrigue. Parce qu'elle a plutôt l'habitude de partager ce mécanisme, aider quand elle en a la compétence, sans demander de faveur en retour. Sans même songer à ce que l'on puisse vouloir lui en rendre une. Mais l'inverse s'est trop souvent montré à elle, si bien que la Mørk a pris l'habitude de réfléchir à ce qu'elle peut donner en échange des aides des autres. Voilà une chose que sa famille a finit par réussir à lui apprendre, que rien ne se donne gratuitement. Et ce qui peut l'être en apparence, ne l'est jamais en définitive. Aussi, regarde-t-elle avec intérêt Dax et son affirmation concernant son intérêt dans l'affaire. Elle a noté aussi le mot marché venu naturellement dans sa phrase comme s'il avait l'habitude d'utiliser un tel vocabulaire. Cela lui rappelle quelques rumeurs qu'elle a peut-être entendu à son sujet, mais d'un rapide mouvement de tête elle chasse cette idée de son crâne et se contente d'avaler une petite gorgée de thé, réalisant que ce dernier est déjà presque vide. Une légère brise nocturne vient chatouiller ses cheveux, et elle se laisse porter par les odeurs de terre chaude qu'elle transporte avec elle. Finalement, oui, la soirée est plutôt agréable et bien plus reposante que si elle était restée seule avec ses pensées. « Et puis soigner une Mørk sur une pierre tombale...Ce serait assurément très cliché, mais ça ferait une magnifique expérience à raconter aux emmerdeurs pour les voir hésiter sur la véracité de l’histoire. » Son rire résonne une fois de plus entre eux, et elle hoche la tête, absolument en accord sur l'idée que raconter un tel événement énerverait certaines personnes emmerdantes au quotidien. A force d'en parler, elle a presque envie de provoquer la situation volontairement. Juste pour voir. Juste pour imaginer le regard scandalisé d'Oda, pour ne citer qu'elle. Son sourire se fait plus narquois à cette idée et elle se note mentalement de penser, sérieusement, à Dax à la moindre occasion. Peut-être même qu'elle pensera à prendre un appareil photo ce jour-là, pour immortaliser l'instant. Ca ferait une très chouette photo, elle, ensanglantée, les pouces en l'air et un sourire éclatant sur le visage, avec un Dax neutre, peut-être un demi-rictus aigre sur les lèvres, en train de la soigner d'un coup de baguette magique. Le tout sur la dalle froide de la pierre tombale, avec Dreymir qui roule des yeux au ciel. L'idéal serait assurément une photographie en noir et blanc, légèrement surexposée pour jouer sur des contrastes angoissant, et ajouter du grain à l'ensemble de la scène. Ce serait chouette. Elle pourrait s'en servir pour faire des cartes de vœux pour la nouvelle année par exemple. Et l'envoyer ainsi à tous les Mørk. Cela l'amuse trop Alfhild, pour qu'elle ne puisse pas espérer que cela se produise pour de vrai dans un futur plus ou moins proche. Même si l'idée de se blesser suffisamment pour nécessité une telle intervention passe en troisième plan dans ses considérations. Ce n'est pas comme si elle avait spécifiquement envie d'avoir des sérieuses blessures prochainement. Encore moins d'être dans une situation qui nécessite des soins. Elle a encore suffisamment de cauchemars à propos de Walpurgis pour chercher à diversifier ses traumatismes sanguinolents. « Enterrée vivante hein ? J’en déduis que tu étais à Walpurgis. Plutôt original, comme trauma. Je ne te lancerai pas sur le sujet d’un air compatissant, je ne suis pas un adepte des moments potentiellement larmoyants. » Comme s'il avait suivi son propre schéma de pensées, et cela serait étonnant vu le caractère chaotique de celles d'Alfhild, Dax enchaine sur son allusion précédente au festival du Solstice. Elle grimace quand il prononce son nom à haute voix. Cela fait longtemps qu'elle ne l'a pas entendu de la bouche de quelqu'un d'autre qu'elle-même. Et ça lui fait un drôle d'effet. Peut-être est-ce à cause de la brise d'été ou bien du souvenir porté par ce nom devenu étrangement absent des discours des sorciers, mais sa peau se parsème d'une chair de poule qui dresse ses poils un peu trop nettement sur ses bras. Son regard s'accroche à celui du sorcier, et elle se rend compte qu'il la regarde avec une certaine forme d'instance qui l'intrigue. « Quant à Fredrikke…Même si des excuses pouvaient servir à quelque chose – ce qui n’est pas le cas - , ce ne serait pas à toi de les faire. Tu n’es pas lui et tu n’es pas responsable de ses actes. » Cette fois ce n'est certainement pas la brise qui dresse ses poils sur sa nuque quand il nomme l'adelphe. Tout simplement parce qu'aucun souffle de vent n'est venu murmurer dans ses cheveux à ce moment-là, et qu'elle a trop bien senti le frisson désagréable qui a parcouru son épiderme. Elle a toujours du mal à entendre le prénom complet de ce frère qu'elle apprend pourtant à redécouvrir au grès des missives de ces derniers mois. Depuis son réveil du coma et la nouvelle personnalité qui semble avoir pris le dessus sur l'ancienne. Mais les traumatismes sont trop présents, trop ancrés, trop nombreux pour être récusés par quelques courriers échangés. Son regard se décroche de celui de Dax, part se loger plus loin, sur les gestes de la fylgia partie dans l'escalade d'une pierre un peu plus loin. Elle suit les mouvements des membres, les ombres qui jouent avec la fourrure de l'animal pendant qu'il bouge, et elle se perd un instant dans cette contemplation plutôt que dans le souvenir de ce prénom qui lui évoque tant de choses désagréable. Elle préfère Fred. Définitivement. Comme si le suffixe rikke s'était mué en réceptacle de toute sa noirceur. « Il ne m’a rien fait, je l’aurais très certainement enterré moi-même, s’il avait tenté quoi que ce soit. Mais je ne suis pas un fan de ses talents de tatoueur. Il t’en a fait un aussi, ou c’est quelque chose qu’il réserve à ses amis préférés ? » Si la première partie de la phrase la rassure, la fin crispe ses doigts sur sa tasse pleine d'une seule et unique dernière gorgée de thé. Son sourire se fige avant de sombrer dans une vague de remords. Songer aux actes de l'adelphe ouvre toujours son cœur en deux, déversant une rivière de culpabilité dans son âme. De tout ce qu'elle sait, et contre lequel elle n'a jamais tenté de faire quelque chose. Avec le recul, l'âge qui s'accumule sur ses épaules, et les témoignages de plus en plus nombreux de ses amis, elle réalise Alfhild, de l'inaction dont elle s'est rendue coupable. Et, par déviation, de sa complicité. De part sa position, de part leur lien familial, elle aurait dû agir. Un sourire triste revient tirer des lèvres qui ont légèrement tremblé avant de passer l'effroi à travers le prisme du sarcasme. Ses yeux quittent le pelage du panda roux pour revenir errer du côté des yeux de Dax. « Non, je n'ai pas eu droit à ses talents là. Et je savais pas que c'était si répandu que ça, et que ce soit une habitude ? Mais je sais que c'est quelque chose qu'il a fait. Malheureusement. » Elle repense à Vence Alfhild. Et sa voix refuse de poursuivre sur cette idée. Elle n'a pas oublié son récit. Elle n'a pas oublié, malgré l'alcool qui coulait dans ses veines lors de cette soirée-là. Encore un souvenir qu'elle n'arrive pas à classer entre désir d'oublie, et besoin de mémoire. « Ses attentions envers moi sont moins physiques que psychologiques. Pas le genre de choses pour lesquelles tu pourrais me soigner sur une tombe désolée. Ceci dit, cela ne l'as pas motivé non plus à lever le petit doigt à Walpurgis pour m'aider. J'aurais presque cru qu'il préférait être le seul responsable de mes traumas mais j'avais tord.  » Même là, elle n'avait pas été assez importante aux yeux de Fredrikke, pour qu'il intervienne. Elle n'avait rien attendu de lui à cette époque, et pourtant, elle avait quand même été blessée, un peu plus profondément, dans cette vérité-là. Il l'aurait laissé périr sous la baguette d'un autre sans éprouver le moindre regret. Pas même de déception. Même pas pour elle. « Mais faut croire que les gens aiment bien l'idée de me mettre sous terre. Il n'y a rien de larmoyant dans ce souvenir. C'est presque plutôt drôle quand on y pense. Cette tendance qu'ils ont tous à vouloir me mettre sous terre pour cacher l'échec que je suis à leurs yeux. Même si pour Niklás je suis pas sûre d'avoir saisi totalement ses motivations. J'ai trop rapidement fini en crise, à m'enfoncer sous terre et à entendre des morts hurler. C'était plus ça, finalement, le plus difficile. Voir des gens mourir, je veux dire, les voir vraiment, passer de l'autre côté. Avec toute leur détresse qui explosait dans ma tête. Je crois même qu'à un moment je l'ai mordu, Niklás. Tellement j'étais prise dans leurs rages à eux. » Un léger rire roule dans sa gorge alors qu'elle repousse sa tête en arrière, jetant un regard dans la voûte noire de la nuit. « J'imagine la scène, une gamine, le visage couvert de terre et de sang, qui lui dit des trucs insensés, et qui lui saute dessus pour lui mordre la main. Ca devait être cocasse. Je comprends qu'il ce soit dit que je devais pas être d'une grande valeur. » Son sourire se fait plus amusé tandis qu'elle redresse la tête pour poser un regard vaporeux dans les yeux de Dax. C'est un des derniers souvenirs assez clairs qu'elle a de cette soirée. Celui qui précède la dissociation complète dans laquelle elle avait sombré ensuite. Le reste ce ne sont que des bribes de ce que les autres lui avaient racontés. « Pardon je parle trop sur des trucs inintéressants. Enfin, pour toi ça devait être une période de travail chargée ici après le festival. » Elle grimace un sourire amusé tout en promenant son regard sur les tombes alentour. Elle se demande notamment si les morts de Walpurgis sont ici, et si leurs proches viennent se recueillir souvent, et une forme de culpabilité reviens se loger au creux de son estomac. « Je sais que je devrais pas me sentir coupable pour ses actes à lui. Mais je ne peux pas m'empêcher de penser que c'était aussi mon rôle de faire quelque chose pour l'empêcher. Parce qu'on partage la même famille. J'aurais dû agir plutôt que fuir et laisser faire. » Le murmure roule entre des lèvres qui ont perdu leur sourire et qui finissent par se perdre dans la dernière gorgée de thé presque trop tiède. Elle se parle à elle-même plus qu'à Dax, elle ne songe pas à se dire qu'elle ne devrait pas dire tant de choses personnelles à un inconnu. Elle ne songe pas qu'elle se met trop facilement elle-même en danger. Elle ne songe jamais à ce genre de choses Alfhild. Ou quand elle le fait, c'est seulement pour se rendre coupable d'avoir, légèrement, cherché à se mettre au milieu des problèmes. Comme a Walpurgis. Si elle n'avait pas cherché à aller parler au sorcier fou, elle n'aurait probablement pas attiré son attention sur elle. Et les choses auraient été bien différentes. La culpabilité est une bien étrange chimère, qui puise dans des mécanismes étranges, bien ancrés, qui la retiennent prisonnière de ses angoisses plus étroitement que ne l'ont fait les murs des sous-sols d'Oda Mørk.





Dax Tcherkassov
Dax Tcherkassov
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Ceux qui posent des questions personnelles sans assumer leur indiscrétion regrette parfois leur manque de tact, devant les réactions de leur interlocuteur. Ce n’est jamais mon cas. Lorsque je vois le sourire d’Alfhild se figer, puis revenir de nouveau tristement sur des lèvres qui ont un peu tremblé, je n'éprouve rien. Pas de gêne, pas de remords, pas d’empathie. J’attends silencieusement sa réponse, attentif à ses réaction, alors que ses yeux reviennent errer du côté des miens : « Non, je n'ai pas eu droit à ses talents là. Et je savais pas que c'était si répandu que ça, et que ce soit une habitude ? Mais je sais que c'est quelque chose qu'il a fait. Malheureusement. » Est-ce que c’est répandu ? Je n’en sais rien. Je ne l’ai vu que sur la peau de deux personnes, mais ce sont deux personnes de trop. Et c’est bien aléatoire, que j’aie eu l’occasion de constater ce tatouage…Les possibilités qu’il soit présent sur d’autres victimes, dont j’ignore l’identité, sont plus que plausibles. En soi, ça ne me concerne pas. Je ne ferai rien de plus que ce que j’ai déjà fait, je n’irai ni le dénoncer ni le confronter, parce que je n’aurais aucun intérêt à le faire. Mais cet élément augmente le mépris que je ressens à son égard. « Ses attentions envers moi sont moins physiques que psychologiques. Pas le genre de choses pour lesquelles tu pourrais me soigner sur une tombe désolée. Ceci dit, cela ne l'as pas motivé non plus à lever le petit doigt à Walpurgis pour m'aider. J'aurais presque cru qu'il préférait être le seul responsable de mes traumas mais j'avais tord.  » Vraiment un frère de rêve. Je fixe l’étudiante, en me demandant brièvement ce que ça doit faire, de grandir en compagnie d’une telle personne. Un être qui assiste à l’enterrement de son adelphe sans faire quoi que ce soit.

Mes frères agiraient-ils de la même façon…? Non. Ils sont des enfoirés, c’est assuré, mais on se protège généralement entre nous. Du moins, au minimum. Quand on ne se blesse pas plutôt mutuellement et qu’on ne lance pas des contrats contre l’un de la fratrie…. Les Tcherkassov ont comme mantra de régler leurs problèmes entre eux ; on se méprise, on se déteste, on se rend coups pour coups, mais on ne laisserait pas quelqu’un assassiner l’un de nous sous nos yeux sans réagir. Sauf si c’était un de nous, qui tient la lame. « Mais faut croire que les gens aiment bien l'idée de me mettre sous terre. Il n'y a rien de larmoyant dans ce souvenir. C'est presque plutôt drôle quand on y pense. Cette tendance qu'ils ont tous à vouloir me mettre sous terre pour cacher l'échec que je suis à leurs yeux. Même si pour Niklás je suis pas sûre d'avoir saisi totalement ses motivations. J'ai trop rapidement fini en crise, à m'enfoncer sous terre et à entendre des morts hurler. C'était plus ça, finalement, le plus difficile. Voir des gens mourir, je veux dire, les voir vraiment, passer de l'autre côté. Avec toute leur détresse qui explosait dans ma tête. Je crois même qu'à un moment je l'ai mordu, Niklás. Tellement j'étais prise dans leurs rages à eux. » Rien n’est drôle dans l’histoire qu’elle me raconte, mais rien ne me tord le ventre. Le récit me laisse indifférent et la fin m’amuse ; imaginer la morsure, dans une telle débandade, me semble absurdement marrant. J’ébauche un sourire, alors qu’un rire roule dans sa gorge et qu’elle repousse sa tête vers l’arrière : « J'imagine la scène, une gamine, le visage couvert de terre et de sang, qui lui dit des trucs insensés, et qui lui saute dessus pour lui mordre la main. Ca devait être cocasse. Je comprends qu'il ce soit dit que je devais pas être d'une grande valeur. » Ou il s’est dit que c’était plutôt original, comme façon d’attaquer. Enfin, moi, c’est ce que j’aurais pensé. Mais je ne suis pas un dégénéré comme Niklàs. J’imagine que l’événement a dû être désagréable et que les souvenirs doivent être traumatiques. Sauf que c’est l’histoire de toutes les vies, de passer par des moments pénibles. Certaines se font enterrer vivantes ; d’autres perdent leurs plantes préférées. Ce n’est pas équivalent, mais ce qui est cocasse, c’est que les réactions peuvent l’être. Alfhild parvient à sourire en me racontant une scène macabre, tandis que ma collègue qui m’a raconté la perte de son cactus domestique hier était en larmes. Foutues larmes. Je préfère l’histoire d’Alfhild, qu’importe les mécanismes de protection qui peuvent se camoufler derrière son humour. « Pardon je parle trop sur des trucs inintéressants. Enfin, pour toi ça devait être une période de travail chargée ici après le festival. » J’hausse les épaules, sans la contredire ni répondre immédiatement. Tous ceux qui sont décédés n’ont pas été enterrés ici, mais oui, la période a été plus emmerdante qu’à l’accoutumée. Mais pas à cause de la charge de travail. « Je sais que je devrais pas me sentir coupable pour ses actes à lui. Mais je ne peux pas m'empêcher de penser que c'était aussi mon rôle de faire quelque chose pour l'empêcher. Parce qu'on partage la même famille. J'aurais dû agir plutôt que fuir et laisser faire. » Je grimace un rictus froid, alors que mes traits se font plus neutres. Je ne suis pas psychomage et pour ce genre de propos, avec lesquels je suis en d’accord, je ne suis pas doué pour répondre convenablement – et je n’ai aussi aucune volonté de le faire. C’est débile, de penser que c’était son rôle de faire quelque chose. Totalement débile. Je porte ma tasse à mes lèvres, avalant une énième gorgée, tout en réfléchissant au reste de ses propos. Mes yeux se fixent sur les tombes, dont certaines luisent faiblement dans les ténèbres environnantes, et j’affirme d’un ton neutre: « C’était une période chargée, mais surtout chiante. Y’a eu tellement d’articles dans les journaux autour de ces morts…Ils n’ont pas été abandonnés, même ceux qui n’avaient peut-être pas de famille. Ils sont pas à plaindre, même si leur décès a été brutal. Et à côté de ça, y’avait les autres anonymes de chaque jour, qui continuent de s’éteindre silencieusement et d’être enterrés tout aussi tranquillement, sans fleurs ni murmures. » Est-ce que ça m’agaçait ? Sans aucun doute. J’ai plus de pitié pour les oubliés que pour ceux qui sont encensés, même si la fin des seconds peut avoir été plus douloureuse que celle des premiers. Je me fous éperdument de comment les gens décèdent : brutalement, doucement, douloureusement ou sans un bruit, une mort est une mort, un cadavre est un cadavre, qu’il soit complet ou non. Mais les réactions de l’entourage ensuite…Je vois de tout. Du meilleur de l’humanité – à lequel je crois très peu – au pire. Et je serre parfois trop fortement le manche de ma pelle.

J’avale une dernière gorgée, avant de déposer la tasse sur le sol, à côté de mes genoux. Mes iris reviennent se poser sur Alfhild, alors que je poursuis : « Être dans la même famille qu’un connard, c’est pas une obligation à se transformer en défenseur auprès de toutes ses victimes. » Sinon, je serais devenais un homme charitable, dévoué et généreux. Ou crevant dans la culpabilité. J’ai compris très jeune ce que faisait mon père et mes frères, j’ai été embarqué très tôt dans leurs magouilles. J’ai compris tout aussi vite que deux de mes frangins appréciaient un peu trop la violence ; je n’ai jamais cherché à les dénoncer ou à m’interposer trop clairement. J’ai fais ce que je devais faire, sans plus et sans remords pour toutes ces fois où je ne suis pas intervenu. Je reprends, neutre : « J’ai jamais compris ce délire de culpabilisation de certains, quand leur proche font un truc débile et qu’ils s’en sentent responsables. Mes frères sont des enfoirés, mais j’irai pas me dresser sur leur chemin pour protéger tous ceux qui croisent leur route. Tant pis pour leurs victimes. À la limite, je peux les aider après. » Mais je n’aurais pas fait plus. Mon rôle, ma seule priorité, c’est de survivre et de veiller sur ma sœur. Le reste, c’est secondaire. Tous les autres sont secondaires. Moi d’abord, eux ensuite. Si j’ai le temps et que ça ne m’emmerde pas trop. Un mince sourire s’étire sur mes lèvres, tandis que je continue : « Tu dis pas ces phrases sur l’échec que tu représentes aux yeux des autres pour que je te rassure hein ? Je te connais pas assez pour me montrer hypocritement bienveillant. » Ça non plus je n’en vois pas l’intérêt, de toute façon. Je me dis que chaque personne doit être en mesure de s’évaluer elle-même ; si elle ne le peut pas, il ne faut pas compter sur moi pour être apaisé. Pourtant, je rajoute, la voix plus moqueuse : « Mais pour ce que ça vaut, c’est-à-dire rien…Moi je te trouve intéressante. Et t’as pas besoin de me mordre pour ça. »   Une référence un peu glauque à ses propos sur Niklàs. Oui, décidément, imaginer cette scène me fait quand même marrer.
Alfhild Mørk
Alfhild Mørk
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Let's talk about dead

 @Dax Tcherkassov   Juin 2022



L'homme grimace dans sa tasse de thé et Alfhild se demande si son thé n'a pas trop infusé finalement. Ou si la fraîcheur du breuvage n'est soudain pas devenu insupportable pour son invité du soir. Tout en oblitérant volontairement les possibilités que ce soit son murmure précédent qui ait provoqué une telle réaction. Si elle avait accepté de réfléchir à cette éventualité, elle ce serait sans doute méprise sur la grimace de Dax. Peut-être aurait-elle songé que la froideur de son rictus était une réponse appropriée à son manque d'action envers Fredrikke. Peut-être qu'il approuve silencieusement l'idée qu'elle aurait dû agir et se confronter à l'adelphe plutôt que de se morfondre dans sa culpabilité rétrograde. Dreymir laisse échapper un infime grognement à peine audible. Une vibration profonde qui vibre contre le tapis de mousse où elle s'est lovée en boule blanche parfaite. Même sa truffe noire a disparue sous les poils de sa queue. Seuls ses yeux d'or clair ouverts en demie-lunes, surveillent les pensées la sorcière. Parce qu'à force d'essayer de ne pas penser à ce que ce rictus sous-entendais, Alfhild ne peut s'empêcher d'y penser un peu trop clairement. Et Dreymir déteste quand sa sorcière se méprend aussi clairement sur les intentions de ses interlocuteurs. « C’était une période chargée, mais surtout chiante. Y’a eu tellement d’articles dans les journaux autour de ces morts…Ils n’ont pas été abandonnés, même ceux qui n’avaient peut-être pas de famille. Ils sont pas à plaindre, même si leur décès a été brutal. Et à côté de ça, y’avait les autres anonymes de chaque jour, qui continuent de s’éteindre silencieusement et d’être enterrés tout aussi tranquillement, sans fleurs ni murmures. » Le regard qu'elle pose sur Dax est bien plus intrigué que précédemment. Elle hoche doucement la tête Alfhild, étrangement en accord avec le discours du fossoyeur. Elle-même ressent une pointe d'amertume rouler dans son coeur à l'idée de ces trop nombreuses tombes anonyme. Des sans-noms. Trop nombreux. Sans famille pour venir célébrer leur mémoire. Sans ami pour venir sourire à leurs souvenirs. Il fut un temps, qui lui semble si lointain, où son cousin et elle partaient à l'aventure des morts inconnus, suivant leurs voix dans leurs têtes à la recherche d'identité. Des vastes enquêtes qui les amusaient terriblement. Cela lui semble si loin. Un autre temps. Une autre simplicité de vie, une autre innocence. Il y a des événements qui marquent des fractures trop importantes pour être réparées. Une ombre nostalgique passe dans le regard bleuté d'Alfhild. Elle réalise soudain qu'elle a grandit. Trop. Cela va faire dix ans que son père est parti. La pointe qui s'enfonce dans son âme fait luire ses iris d'une humidité soudaine qu'elle ne cherche pas à dissimuler. Le regard de Dax s'est perdu dans la contemplation des tombes autour d'eux de toute façon, et l'onde s'éloigne avant même d'avoir coulé. Un sourire doux vient étirer un coin de ses lèvres, et elle se laisse songer à sa vie passée en une fraction de seconde. Contrairement à ce qu'elle pense parfois, et ce que les autres lui disent, elle a grandit Alfhild. Réellement. Elle s'est même améliorée dans ses relations aux autres, sans quoi elle ne serait pas là à tenir une véritable conversation avec un inconnu sans que celui n'ait déjà fuit au loin le regard gêné. Mais les yeux du russe qui vient se reposer sur elle ne sont pas écarquillés de malaise. Ils sont neutres, d'une passivité presque apaisante. Elle se fait soudain la réflexion que ce doit être agréable d'avoir un tel regard calme à contempler pendant qu'il vous soigne. Est-ce que tous les médicomages et personnels soignants ont des regards aussi posés ? Est-ce que c'est quelque chose qu'on apprend en cours ? Est-ce que cela fait partie de l'attitude obligatoire des soignants ? Un court instant, avant que Dax ne reprenne la parole, elle essaie de se rappeler ses propres expériences à l'hôpital. Mais sa mémoire ne trouve que des regards désolés, inquiets et d'une compassion exagérée. Peut-être bien qu'elle aurait préféré ce calme neutre des yeux de Dax, à l'époque. « Être dans la même famille qu’un connard, c’est pas une obligation à se transformer en défenseur auprès de toutes ses victimes. » Cette fois c'est elle qui grimace Alfhild, dans un demi-sourire amusé. Elle sait bien, qu'elle ne devrait pas. Encore moins présenté avec les mots du jeune homme. Mais malgré tout, ce besoin est si ancré dans sa chair, qu'elle ne parvient pas à s'en défaire. Un jour, elle arrivera sans doute à faire un travail dessus. Mais pas pour l'instant. Pas quand Fred refait surface dans sa vie avec toute cette nouvelle innocence qui la touche profondément. Pas quand avec la disparition de sa mémoire, viennent les révélations de l'ampleur de ce qu'il était avant. Un frisson glacé roule le long de sa colonne vertébrale. Elle ne sait pas encore où tout cela les mènera. Elle ne sait même pas encore ce qu'elle doit penser de toute cette nouveauté qui la prend de court. « J’ai jamais compris ce délire de culpabilisation de certains, quand leur proche font un truc débile et qu’ils s’en sentent responsables. Mes frères sont des enfoirés, mais j’irai pas me dresser sur leur chemin pour protéger tous ceux qui croisent leur route. Tant pis pour leurs victimes. À la limite, je peux les aider après. » Elle hausse les épaules quand Dax affirme ne pas comprendre son délire de culpabilisation. Elle ne peut pas lui en vouloir Alfhild, depuis leur début de conversation elle a bien compris que l'homme est bien plus posé dans sa tête qu'elle ne le sera jamais. Et elle en est sincèrement ravie pour lui. Parce qu'elle ne souhaite à personne de vivre les angoisses qu'elle traverse au quotidien. « Tu dis pas ces phrases sur l’échec que tu représentes aux yeux des autres pour que je te rassure hein ? Je te connais pas assez pour me montrer hypocritement bienveillant. » Elle rigole Alfhild, face à cette phrase qu'elle aurait totalement pu prononcer elle-même. Ce genre de petite phrase pour lesquelles on lui dit si souvent qu'elle manque de bienséance et de codes sociaux. D'un geste de tête négatif, elle se redresse pour attraper les deux tasses désormais vides posées dans l'herbe et les remettre en côte à côte face à elle. « Mais pour ce que ça vaut, c’est-à-dire rien…Moi je te trouve intéressante. Et t’as pas besoin de me mordre pour ça. » Le regard azur de la jeune Mørk s'illumine d'un éclat brillant. Son sourire s'étire une fois de plus et elle pouffe doucement tout en fouillant dans son sac pour remettre la main sur sa baguette magique. Cherchant désormais à l'aveugle, les yeux posés sur le visage moqueur de Dax, elle met un peu plus de temps que prévu dans l'amoncellement d'objets diverses qui sont dispersés dans ses affaires. Ce n'est que lorsqu'elle sent le bois chaud du charme contre le bout de ses doigts qu'elle reporter entièrement son attention sur la conversation, affichant une légère attitude pensive, se repassant tout ce que l'homme vient de dire, et notamment son point de vue forcément diamétralement opposé au sien concernant sa relation à son adelphe. « Je ne te savais pas si drôle Dax. J'aime beaucoup ton humour. C'est pas tous les jours que je croise quelqu'un d'aussi peu gêné que moi par le récit de toutes sortes de choses que les autres appellent morbides. Ou dérangeantes. D'ordinaire les gens restent pas m'écouter jusqu'à la fin et fuient rapidement pour des conversations moins déplacées. Merci d'avoir partagé ce thé avec moi. Tu en veux un autre ? » D'un geste elle pointe sa baguette vers la tasse vide tapotant distraitement la porcelaine, avant de lancer un nouveau sort d'eau chaude dans la sienne. Après tout elle était venue là pour profiter de sa soirée et atténuer ses angoisses avant sa première journée de stage au Musée demain matin. Et la nuit est encore jeune. Et sa tasse était vraiment toute petite. De ses gestes mesurés et maitrisés, elle a déjà les doigts plongé dans sa boite de thé en vrac, égrenant les feuilles séchées, avant de rouvrir celle contenant son sachet de thé encore humide, et de le remplir sans même regarder ce qu'elle fait. « Qu'est-ce que tes frères font de si désapprouvés pour que quelqu'un de non fréquentable comme toi les juges aussi durement ? Des choses qui sont dans le même registre que le mien ? » Loin d'être gênée par cette idée, cela l'amuse plus qu'autre chose, ne sachant pas réellement qu'elle genre de famille est celle de Dax. Elle n'a pas oublié qu'il a parlé de prison précédemment, ni que certaines rumeurs le décrivent de peu fréquentable ce qu'il a lui même reconnu juste avant. Ce n'est pas comme si elle allait s'offusquer si jamais il comptait lui dire qu'ils sont en réalités membre d'une mafia russe de dangereux criminels recherchés par les autorités. Après tout, elle est une Mørk. Son arbre généalogique comprend les noms des nombreux sorciers qui répondent à ce même titre. Son sachet de thé à nouveau rempli, elle le plonge dans l'eau chaude avant de se lécher distraitement les doigts et de reprendre la parole. « Quand j'étais plus jeune, avec un cousin un aimait se promener dans les cimetières et repérer les tombes délaissées et essayer ensuite de retrouver l'histoire de la personne. Et si possible, retrouver son lieu de mort pour partir à la recherche de son fantôme. On partait à la chasse aux fantômes, on menait des enquêtes. C'était drôle. Mais on avait peu de succès. Les gens ont tendance à mourir dans des lieux improbables. Ca nous aurait bien aidé de te connaître à l'époque. Tu dois savoir et entendre plein de choses sur ceux que tu enterres. Nous on étais des enfants avec des voix dans la tête et trop de restrictions. Enfin c'était une autre époque. Et je ne te raconte pas tout ça pour que tu me rassures non. J'avais l'air de demander ça ? C'était pas mon intention. Je me pose juste des questions à haute voix pour essayer de comprendre. Mais souvent ça sert à rien. Tu comprends pas ma culpabilité, tant mieux pour toi vraiment, moi je comprends rarement les intentions des gens. » Elle pouffe d'un rire léger, une nouvelle fois, avant de jeter un regard complice en biais à Dreymir qui lui rend un regard d'un calme tranquille, avant de revenir porter ses yeux vers Dax, sa baguette à nouveau posée sur la deuxième tasse vide, l'air de demander si elle doit, ou non, la remplir à nouveau.



Dax Tcherkassov
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Elle fouille dans son sac et j'observe son sourire, à lequel je joins le mien. Un trait fin, qui peut ressembler à de la joie. La conversation, de laquelle je n'attendais rien, est agréable. Ou alors, c'est mon interlocutrice qui l'est : Alfhild parvient à capter mon intérêt. J’apprécie cette impression qu’elle est décalée par rapport au reste du monde. Évoluer dans les marges me semble plus louable et palpitant que de suivre docilement le même chemin que toute la société. « Je ne te savais pas si drôle Dax. J'aime beaucoup ton humour. C'est pas tous les jours que je croise quelqu'un d'aussi peu gêné que moi par le récit de toutes sortes de choses que les autres appellent morbides. Ou dérangeantes. D'ordinaire les gens restent pas m'écouter jusqu'à la fin et fuient rapidement pour des conversations moins déplacées. Merci d'avoir partagé ce thé avec moi. Tu en veux un autre ? » Drôle ? L’étonnement du qualificatif me fait oublier momentanément de répondre à sa question. Je considère avoir un humour un peu particulier, souvent sombre. Mes répliques visent rarement à faire rire mon interlocuteur. Du moins, pas volontairement. Mais le genre de sujets à lesquels Alfhild fait allusion sont loin de me déranger. Ce genre de choses, je ne les considère pas morbides. Elles font partie de l’existence, tout simplement. Même l’acte Niklàs s’ancre dans la vie. Une vie enlevée, plutôt qu’entretenue. Mourir, qu’importe comment, n’est-ce pas la suite inévitable et prévisible ? Tout le monde peut être prophète et avoir raison, ne serait-ce que sur une seule prédiction, en affirmant : [i] Je vais mourir. [i] Pourquoi une telle inéluctabilité serait glauque ou triste ? C’est simplement la pierre finale qui achève une route, pavée de plusieurs cailloux, ou recouverte d’herbes sauvages.

Elle pointe sa baguette vers la tasse, emplissant sa tasse vide d'eau. Je suis le mouvement mesuré de ses mains, adroits à remplir le sachet de thé de feuilles égrenées. « Qu'est-ce que tes frères font de si désapprouvés pour que quelqu'un de non fréquentable comme toi les juges aussi durement ? Des choses qui sont dans le même registre que le mien ? » J’aurais peut-être pu prévoir la question, si j’avais été plus alerte. Je parle habituellement peu de ma famille, parce que je n’aime pas révéler trop d’informations sur moi-même. Mais ici, dans ce sanctuaire de la mort, en compagnie de quelqu’un qui ne me fait éprouver aucune hostilité instinctive, je me sens un peu moins méfiant. Et puis, plusieurs personnes à Durmstrang connaissent l’existence de mes frères. Ils ne sont pas un secret, pas comme Ana. Et si quelqu’un voulait se venger de moi en s’en prenant à eux, je ne pourrais que le remercier. L’interrogation ne me tire donc aucun froncement de sourcils ; j’étire simplement un peu plus mes lèvres en un sourire sincère, parce que j’apprécie les questions directes. Alfhild plonge son sachet dans l’eau, se léchant les doigts – un geste qui me répugne. « Quand j'étais plus jeune, avec un cousin un aimait se promener dans les cimetières et repérer les tombes délaissées et essayer ensuite de retrouver l'histoire de la personne. Et si possible, retrouver son lieu de mort pour partir à la recherche de son fantôme. On partait à la chasse aux fantômes, on menait des enquêtes. C'était drôle. Mais on avait peu de succès. Les gens ont tendance à mourir dans des lieux improbables. Ca nous aurait bien aidé de te connaître à l'époque. Tu dois savoir et entendre plein de choses sur ceux que tu enterres. Nous on étais des enfants avec des voix dans la tête et trop de restrictions. Enfin c'était une autre époque. Et je ne te raconte pas tout ça pour que tu me rassures non. J'avais l'air de demander ça ? C'était pas mon intention. Je me pose juste des questions à haute voix pour essayer de comprendre. Mais souvent ça sert à rien. Tu comprends pas ma culpabilité, tant mieux pour toi vraiment, moi je comprends rarement les intentions des gens. » Elle pouffe de rire, sa baguette posée proche de ma tasse ; je me rappelle alors sa question précédente et j’hoche légèrement la tête, en fixant d’abord le contenant vide, puis elle, en un signe d’assentiment. Je n’ai rien de prévu pour le reste de ma soirée, outre errer. Son histoire m’en rappelle une autre : je passais plusieurs heures à me promener entre les tombes, quand j’étais gamin. J’ai amélioré mon anglais en lisant les messages inscrits sur les pierres tombales ; ils sont plus variés et inusités qu’on pourrait le croire.  Certains sont tristes, d’autres semblent être des énigmes. Et ce sont les énigmes qui m’intéressaient ; j’inventais une vie à ces décédés, surtout ceux qui étaient abandonnés. Les pierres enfantines attiraient particulièrement mon attention : je créais de toutes pièces une existence joyeuse à ceux qui partaient trop tôt. Du haut de mes courtes jambes, avec toute ma naïveté de gosse qui découvre graduellement la pourriture de l’existence, je leur associais des parents aimants, doux, présents. Et j’imaginais ces petits disparus vivre paisiblement de courtes années entre ces adultes affectueux, dans un monde où il est possible de s’appuyer sur eux et d’être réconfortés dans des moments d’angoisse.

Une belle utopie. Je ne me laisse plus aller à de telles puérilités imaginaires. Seule la réalité m’importe ; elle est crasseuse, sanglante et misérable. Je m’en accommode. Ma main glisse contre mes cheveux, pour repousser une mèche blonde derrière mon oreille : « Leurs intentions, j’peux les comprendre, mais leurs émotions…C’est autre chose. J’en vois rarement l’intérêt. » Ce qui ne m’empêche pas de percevoir les dites émotions. Je peux capter les raisons qui poussent quelqu’un à être triste ou en colère, mais la plupart du temps, je trouve ces raisons débiles. Je rajoute avec un mince sourire : « Tes récits sont pas morbides, pas plus que les miens. » Qu’importe ce que les autres pourraient bien en dire. J’hésite légèrement pour la suite, sur ce que je veux ou non dévoiler. Mes yeux scrutent les siens silencieusement, d’un regard trop perçant, alors que je pèse le pour ou le contre. Y a-t-il vraiment un contre…? Son frère est aussi un enfoiré, du même acabit. Et je n’imagine pas la Mørk tenter quoi que ce soit contre moi, à partir de ce que je lui ai dit ce soir. Je reprends  d’un ton détaché: « Mes frères…Font des trucs dans le même registre que le tien, ouais. Pour de l’argent. Et je les blâme pas pour ça. Je les blâme parce qu’ils prennent un peu trop leur pied, quand ils font souffrir quelqu’un. Et qu’ils se foutent des vies qu’ils enlèvent. » S’ils n’avaient simplement pas de remords, je m’en foutrais. Je n’en ai pas, lorsque je fais des contrats. J’agis comme je le dois, sans me soucier de ceux qui sont trop faibles pour se défendre eux-mêmes correctement. En théorie, du moins. Mais je n’ai aucun plaisir à blesser quelqu’un et j’ai une préférence pour les contrats qui impliquent la discrétion, l’analyse, l’ébauche d’un plan élaboré. Mes frères apprécient le pouvoir qui vient avec la violence, ils aiment les larmes et l’abus. Un rictus moqueur prend place sur mes lèvres, tandis que je déclare dans un ricanement : « Le plus vieux a voulu prendre la mienne, quand je suis retourné chez moi pour la première fois. Le côté sorcier, ça lui plaisait pas trop. Disons que ça me fait un tatouage d’un autre acabit. » Distraitement, je tapote mon torse, comme si elle avait pu voir sous ma chemise la marque qui s’y trouve. Une longue cicatrice aux bords imprécis, qui s’étend du haut jusqu’à la moitié de mon abdomen. Cadeau d’un couteau à cran d’arrêt, par une bande qui avait pris soin de m’enlever ma baguette alors qu’il m’attaquait par surprise. Mes frères ne laisseraient personne m’enlever la vie sous leurs yeux, non…sauf s’ils sont les commanditaires de l’attaque. Le souvenir est vieux, mais l’animosité est toujours tout aussi vive ; j’ai toujours soupçonné que mon frère aîné était le responsable. Je retournais pour la première fois à Londres, lorsque c’est arrivé. J’étais un adolescent encore un peu candide, qui espérait…quoi ? Je ne sais plus. Mais j’ai compris, définitivement, que ma magie était vue comme un obstacle, si je refusais de la mettre à profit pour servir les desseins familiaux. J’ai aussi capté qu’entre Tcherkassov, tous les coups étaient permis, tant que c’était fait proprement. J’abaisse les yeux vers le sol, laissant distraitement mes doigts effleurer l’herbe, alors que je poursuis d’un ton pensif: « C'est marrant, cette histoire de chasse aux fantômes. Si un jour t'as envie de retenter le coup avec ton cousin, préviens-moi, ça m'amuserait. Quand j'étais enfant, j'aimais bien aussi repérer les tombes délaissées. Je pouvais pas trouver leur fantôme comme toi, mais je cherchais leur histoire. Parfois, je retrouvais leur famille. Je me souviens d’une vieille dame que j’en engueulé, parce que je comprenais pas qu’on puisse ne pas fleurir la tombe de quelqu’un décédé trente ans plus tôt.  J’ai conservé l’habitude de fleurir les tombes de ceux qui reçoivent peu de visiteurs. Même si ça sert à rien. » C’est beau, au moins. Et je suis sensible à la beauté d’une pierre fleurie, paisiblement, indifférente à toute la laideur de celui qui a posé là l’ornement.
Alfhild Mørk
Alfhild Mørk
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Let's talk about dead

 @Dax Tcherkassov   Juin 2022



Dax approuve la question silencieuse qu'elle tentait de faire passer dans son regard et ses gestes explicites. Si elle avait des doutes concernant sa façon assez compréhensive de lui demander si elle devait ou non remplir sa tasse, ils s'effacent immédiatement dans un sourire lumineux. Elle est heureuse d'Alfhild d'avoir réussi à se faire comprendre, pour une fois, et encore plus de pouvoir offrir un deuxième thé à une personne qu'elle commence à apprécier. C'est surprenant, mais pas désagréable. Après tout, elle n'a rien contre l'idée de sympathiser avec quelqu'un qui aime fréquenter les cimentières autant qu'elle peut-être, et qui ne soit pas une personne capable de parler avec des résidus fantomatiques. Même si elle apprécie les autres hemskökt qu'elle fréquente bien entendu. C'est tout aussi agréable de savoir que ce n'est pas qu'une passion marginale de quelques maudis - selon les dires de la communauté magique - mais que d'autres plus sains trouvent leur compte dans le silence de ces lieux déserts. Tout en faisant une rapide rétrospective de sa première rencontre officielle avec Dax Tcherkassov, un sourire flottant sur les lèvres, elle s'active autour de la tasse de celui-ci. L'eau fume à nouveau et ses doigts ont retrouvé le toucher doux et rêche à la fois des feuilles de thé séchées. « Leurs intentions, j’peux les comprendre, mais leurs émotions…C’est autre chose. J’en vois rarement l’intérêt. » Lui reprend la parole de cette voix si calme et posée qui la fascine par sa régularité. La sienne ne cesse de jouer tous les excès possibles, passant de murmures aux éclats en une seule phrase depuis le début de leur conversation. Peut-être que si elle s'exerçait à maitriser un peu mieux son corps, elle aurait moins souvent mal à la gorge ? La question, distraction momentanée, est rapidement chassée par la succession d'idées qui découle de la phrase du russe. Les émotions, un bien vaste sujet qu'elle maitrise tout autant que les intentions. C'est à dire de façon décalée. Les siennes sont des paquets de feuilles qui ne cessent de fleurir sur les branches des arbres, de se décrocher en tourbillon délicats ou en bourrasques vertigineuses, avant de se dissoudre au sol dans un craquement sec sous la chaussure d'un passant. Peut-être, que si elle n'avait pas constamment les mots des autres qui chantent dans sa tête des émotions dénaturées par le temps, elle parviendrait à mettre de l'ordre plus facilement dans celles qu'elle perçoit chez les autres. Ou peut-être pas. Au fond cela n'a pas d'importance. La Mørk a accepté cette incapacité depuis longtemps. Quand bien même elle continue d'en souffrir de temps en temps. Parfois. Régulièrement. « Tes récits sont pas morbides, pas plus que les miens. » Le petit sachet de thé à nouveau plein, elle le fait doucement descendre dans la tasse de Dax avant de lever un regard amusé, et légèrement intrigué, vers lui. C'est vrai qu'il doit avoir des histoires intéressantes à raconter lui aussi, et elle se mord distraitement l'intérieur de la joue en réalisant qu'elle a peut-être monopolisé la parole, comme elle le fait toujours si bien, au lieu de lui laisser également de l'espace pour s'exprimer. Est-ce qu'elle a fait ça ? Son regard se coule en coin vers Dreymir qui somnole toujours en cercle rond dans son creux de mousse. Dans la masse blanche de sa fourrure de neige, elle perçoit un très léger éclat doré qui l'observe avec une sérénité si éloignée de l'agitation nerveuse qui gagne sa conscience. Constatant qu'aucun signe probant ne viendra de sa fylgia pour répondre à cette question muette-là, Alfhild recentre son attention sur le russe qui la fixe avec une étrange intensité réflexive qui fait agrandir ses yeux de perplexité. Elle n'a pas longtemps à se demander ce qui questionne tant le sorcier, car il reprend la parole d'une voix détachée, aussi simple que s'ils parlaient du sachet de thé qu'elle tient toujours du bout des doigts à moitié en suspension, à moitié dans l'eau chaude : « Mes frères…Font des trucs dans le même registre que le tien, ouais. Pour de l’argent. Et je les blâme pas pour ça. Je les blâme parce qu’ils prennent un peu trop leur pied, quand ils font souffrir quelqu’un. Et qu’ils se foutent des vies qu’ils enlèvent. » Sa tête se penche légèrement sur le côté dans une cascade de cheveux blonds. Elle n'est pas spécialement étonnée d'entendre les mots qui sortent de la bouche de Dax, mais elle est pensive concernant une réalité qu'elle essaie de se représenter. S'en prendre à d'autre, pour de l'argent. Elle saisit étonnamment bien le principe. Le faire avec délectation, beaucoup moins. Cela lui rappelle d'étranges conversations qu'elle avait pu avoir elle-même ou avec les fantômes qui habitaient sa tête quand elle était enfant. Quand on vit avec la mort au quotidien, quand on descend des Mørk, certains sujets sombres sont plus facilement évoqués et réfléchis dès un âge assez jeune. Sous ses airs candides, elle n'est pas entièrement désertée de toute conscience de noirceur. La mort et les meurtres font partis de son environnement familial. Les complots, les coups de baguette qui déchirent une lignée et remplacent un héritier par un autre. Son arbre généalogique est plein de ces ramifications ensanglantées. Mais tout cela ne sont que des faits, des actions, des conséquences. Les motivations, les intérêts, les besoins de les exécuter lui suit plus étrangers. C'est tout cela qu'elle démêle dans sa tête en écoutant Dax parler. Du monde moldu elle connait si peu de choses Alfhild, qu'elle ne peut que se demander qu'elles peuvent bien être les motivations des frères Tcherkassov pour glisser sur les mêmes vices que Fredrikke. « Le plus vieux a voulu prendre la mienne, quand je suis retourné chez moi pour la première fois. Le côté sorcier, ça lui plaisait pas trop. Disons que ça me fait un tatouage d’un autre acabit. » Dax tapote son torse et Alfhild suit du regard le geste. Elle n'est pas certaine de comprendre de quel genre de tatouage il parle, et elle n'est pas réellement sûre de vouloir savoir. Non pas que la vue d'une blessure soit quelque chose qui l'a mette mal à l'aise, mais imaginer un acte violent l'est bien plus. Son imagination florissante à tendance à toujours rajouter des sensations presque physiques aux descriptions qu'on peut lui faire. Qu'il garde la nature du tatouage en question secret lui convient donc. Ses yeux finissent par se baisser complètement vers ses doigts et Alfhild ne prend qu'alors conscience du sachet humide encore retenu par un geste arrêté en l'air par sa distraction naturelle. Les muscles relâche immédiatement l'objet parfumé avant que la main ne s'essuie dans l'herbe. Elle attrape ensuite la anse pour repositionner la tasse fumante vers les jambes de son interlocuteur. Son regard reste un instant perdu dans la contemplation des ridules qui s'ouvrent en continu à la surface du thé. Ses pensées dérivent tout en cherchant des points d'accroches qui ne soient pas trop offensant. Elle sait que les sorciers nés de famille moldues ne sont pas toujours très bien acceptés dans celles-ci. Tout comme les cracmols ne le sont pas dans des familles sorcières. Chacun rejette l'autre, la différence, celui de l'autre monde. Cette réalité l'attriste profondément Alfhild, et la révolte plus encore. Elle ne peut que songer à Fen, parce qu'elle le connait et le côtoie presque au quotidien. Parce qu'il est sa famille, son colocataire, et qu'elle sait la discrimination dont il fait preuve. A partir de là, elle ne peut que imaginer celle que Dax a pu vivre dans la sienne. Mais sans doute qu'elle imagine mal, de façon distordue, depuis son regard de sorcière privilégiée. Distraitement, une fois de plus, ses doigts ont repris une danse nerveuse sur le bord de sa propre tasse chaude. « C'est marrant, cette histoire de chasse aux fantômes. Si un jour t'as envie de retenter le coup avec ton cousin, préviens-moi, ça m'amuserait. Quand j'étais enfant, j'aimais bien aussi repérer les tombes délaissées. Je pouvais pas trouver leur fantôme comme toi, mais je cherchais leur histoire. Parfois, je retrouvais leur famille. Je me souviens d’une vieille dame que j’en engueulé, parce que je comprenais pas qu’on puisse ne pas fleurir la tombe de quelqu’un décédé trente ans plus tôt.  J’ai conservé l’habitude de fleurir les tombes de ceux qui reçoivent peu de visiteurs. Même si ça sert à rien. » Les mots trouvent des échos dans ses propres émotions. Elle ne trouve pas que ça serve à rien, au contraire. Alors elle redresse la tête Alfhild avant de prendre le temps de détailler plus attentivement le visage du jeune homme assis à ses côtés. Des traits minces, des tons neutres sous lesquels percent une pensée réfléchie, un amour discret de choses aussi simples qu'une tombe fleurie. Un court instant elle se demande comment doit être sa vie à lui qui semble si apte à traverser les obstacles sans broncher un sourcil, mais qui se sent remué par une pierre froide et délaissée, et le décès trop rapide d'une de ses petites patientes. Soudain, elle regrette, plus profondément que toute à l'heure, de ne pas avoir su l'aider. Une certaine honte s'accroche à ses entrailles, et elle baisse la tête Alfhild, sans avoir dit un mot. Encore une feuille d'émotion trop vite fleurie, qu'elle déchire entre ses propres mains maladroites. « Ca sert toujours, c'est beau les fleurs. Et la beauté n'est jamais inutile. » Le murmure vaporeux plonge vers l'herbe qu'elle dévisage à présent. Entre ses jambes croisées, la mousse se mêle aux brins verts parsemés de quelques fleurs aux pétales endormis. « De nombreux morts te sont probablement très reconnaissants de fleurir leur mémoire à la place de ceux qui ne pensent plus à eux. Si tu savais comme ils détestent être oubliés. » Elle grimace en souriant Alfhild, avant de plonger son visage dans sa tasse fumante pour savourer une première gorgée de ce nouveau thé, qui mérite encore une ou deux minutes d'infusion pour révéler tout son arôme. « Ca me manque de faire ces chasses au fantôme, mon cousin et moi...On se voit moins qu'avant. Lui aussi à traversé Walpurgis, notre particularité est devenue moins...innocente, certaines choses ont changé à jamais. Mais ça me ferait plaisir de tenter le coup avec toi, à l'occasion. Peut-être que...» Elle s'arrête dans sa phrase, pensive, avant de reprendre la parole d'une voix plus rapide : « Je travaille en ce moment sur la réalisation d'une amulette runique de protection pour me prémunir un peu, si jamais j'arrive à quelque chose de concluant, je te tiendrai au courant. Peut-être que je pourrais alors venir à l'hôpital, pour ta petite patiente. Et si je n'y arrive jamais, on peut se tenir à des choses plus classiques. Les morts perdus ce n'est pas ce qui manque. Mais je ne t'apprends rien. Entre ton travail ici, et celui de tes frères, c'est sans doute une réalité que tu connais bien. Mieux que moi peut-être. » Un léger rire roule dans sa gorge avant qu'elle ne secoue la tête. Elle trouve cette conversation parfaite Alfhild, incroyablement drôle par les tournures saugrenues qu'elle prend. Ca l'amuse même d'imaginer toutes ces ramifications détournées qui les relient, Dax et elle, malgré leurs deux mondes et univers si éloignés. « Je suis désolée que ta famille n'ai pas su voir la richesse de ta propre particularité dans cette magie qui s'est éveillée en toi. Je trouve ça fascinant de voir qu'on a pu traverser des choses similaires, tout en venant de deux mondes jugés si antagonistes. Chez les Mørk on met de côté, laissé à l'oubli dans des sous-sols, ceux qui sont maudis comme moi, ou ceux dont la magie ne s'éveille jamais. C'est drôle non ? De se dire que malgré leurs efforts pour se croire meilleurs que les autres, ils sont tous les mêmes. Drôle ou triste, mais si peu surprenant. Encore une chose que je n'arrive pas à comprendre, ce besoin de se hiérarchiser dans nos sociétés. Mais je m'égare, excuse-moi. Ca ne fait sens que dans ma tête, probablement. » Alfhild retire son sachet de thé de l'eau chaude, recommence le même manège que précédemment et vide les plantes détrempées à même le sol avant de replier le sachet brun et de le ranger dans sa petite boite de fer.



Dax Tcherkassov
Dax Tcherkassov
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Je l’ai observée avec intérêt préparer mon thé. J’ai constaté avec amusement qu’elle a retenu en otage le sachet pendant un bon moment. Par distraction peut-être ? La tasse est revenue près de moi, avec le même risque d’être trop amer si j’oublie le sachet. Celle qui se trouve à mes côtés redresse la tête et détaille mon visage, sans que je détourne le regard. Les yeux des autres ne m'embêtent pas, sauf lorsque j'y lis trop clairement du dégoût et du mépris. Mais même dans ce genre de cas, je n'ai pas l'habitude de regarder ailleurs. On m’a toujours enseigné à ne pas fuir devant personne, même dans quelque chose d’aussi banal qu’une conversation. Alfhild baisse finalement la tête, sans avoir parlé, et je me demande quelles réflexions l'ont effleurée. « Ca sert toujours, c'est beau les fleurs. Et la beauté n'est jamais inutile. » J’acquiesce en silence. Mon père n’a jamais compris mon appréciation des choses simples de la nature, les lacs, les fleurs. Il méprisait mon amour de l’art – amour seulement visuel, je maîtrise mieux le scalpel que le crayon – et des beaux paysages. Je suis trop habitué à la laideur ; son opposé me plaît, même si la beauté n’appartient pas à mon monde. « De nombreux morts te sont probablement très reconnaissants de fleurir leur mémoire à la place de ceux qui ne pensent plus à eux. Si tu savais comme ils détestent être oubliés. » J’hausse les épaules avec indifférence. Je me fous éperdument de la reconnaissance des vivants, mais au moins, dans certains moments, elle sert à quelque chose. Celle des morts me passe encore plus au-dessus de la tête. Je fleuris leurs tombes parce que je fleuris leur tombe, point. Pas pour obtenir la moindre reconnaissance ou pour combler leur âme d’êtres qui n’aiment pas être oubliés. En théorie. Je sais que mes gestes, parfois, ne respectent pas entièrement mes principes. Contradiction humaine…et faiblesse. Tout se travaille. « Ca me manque de faire ces chasses au fantôme, mon cousin et moi...On se voit moins qu'avant. Lui aussi à traversé Walpurgis, notre particularité est devenue moins...innocente, certaines choses ont changé à jamais. Mais ça me ferait plaisir de tenter le coup avec toi, à l'occasion. Peut-être que... » Je l’observe, attentif à la suite. Je ne songe pas à lui demander qui est son cousin. Ce genre de détail trivial, qui appartient surtout au domaine de la curiosité, ne me servira à rien et ne m’intéresse pas. « Je travaille en ce moment sur la réalisation d'une amulette runique de protection pour me prémunir un peu, si jamais j'arrive à quelque chose de concluant, je te tiendrai au courant. Peut-être que je pourrais alors venir à l'hôpital, pour ta petite patiente. Et si je n'y arrive jamais, on peut se tenir à des choses plus classiques. Les morts perdus ce n'est pas ce qui manque. Mais je ne t'apprends rien. Entre ton travail ici, et celui de tes frères, c'est sans doute une réalité que tu connais bien. Mieux que moi peut-être. » Un rire coule de sa gorge, alors que ma tête se secoue en même temps que la sienne, mais dans un signe de négation. Je lui ai peut-être parlé dans le but d’être rassuré sur ma petite décédée, mais je ne l’entraînerai pas dans un lieu où elle évite d’aller, même avec une amulette. Je suis foncièrement égoïste, mais pas au point d’entraîner quelqu’un vers une potentielle souffrance, simplement pour apaiser mes rares problèmes de conscience. Quant à son allusion sur mes connaissances de la mort liés au travail de mes frères, je ne compte pas la relever. Je déteste aborder ce genre de sujet.

Je jette un coup d’œil à mon thé, sans y toucher. Combien de temps dois-je laisser le sac tremper, déjà ? Tant pis. « Je suis désolée que ta famille n'ai pas su voir la richesse de ta propre particularité dans cette magie qui s'est éveillée en toi. Je trouve ça fascinant de voir qu'on a pu traverser des choses similaires, tout en venant de deux mondes jugés si antagonistes. Chez les Mørk on met de côté, laissé à l'oubli dans des sous-sols, ceux qui sont maudis comme moi, ou ceux dont la magie ne s'éveille jamais. C'est drôle non ? De se dire que malgré leurs efforts pour se croire meilleurs que les autres, ils sont tous les mêmes. Drôle ou triste, mais si peu surprenant. Encore une chose que je n'arrive pas à comprendre, ce besoin de se hiérarchiser dans nos sociétés. Mais je m'égare, excuse-moi. Ca ne fait sens que dans ma tête, probablement. » Mes yeux bleutés s'attardent sur les mouvements de ses doigts, qui reproduisent les mêmes gestes que précédemment. Certaines routines sont apaisantes. Mes billes reviennent se poser sur elle, alors que j’affirme d’un ton neutre : « Ça ne fait pas du sens que dans ta tête. Moldus ou sorciers, ce sont les mêmes vices, les mêmes défauts, la même corruption. L’un des deux tient simplement une baguette, ça élargit les possibilités, surtout quand on a des envies de domination et un orgueil immense. » Je ne considère pourtant pas que les sorciers sont plus redoutables que les moldus. C’est partout pareil ; le même nombre de déchets, de corrompus, d’individus exécrables. La seule différence, c’est que les sorciers ont entre les mains un puissant moyen pour faire souffrir les autres. Et forcément, ça fait plus mal. À cette qualité exécrable, on peut ajouter la ségrégation qu’ils exercent entre les sangs purs et les autres. Mais les moldus aussi ne cèdent pas leur place dans ce domaine, à leur façon. Mes doigts s’emparent du sachet de thé, reproduisant ses mouvements. Les yeux fixés sur le petit sac brun, je reprends : « C’est ta seconde allusion au sous-sol…Je ne rebondirai pas dessus, parce que je n’éprouverais probablement pas les émotions appropriées pour une telle histoire et ça vexe certaines personnes. Mais je tiens compte du fait que ça t’a visiblement marquée.»   Et que ce que je soupçonnais, soit qu’elle parlait bien d’elle précédemment lorsqu’elle avait mentionné la tendance de sa famille à enfermer des gens au-sous sol, est probablement la possibilité la plus exacte. Une enfance particulière, donc. Mais j’ai toujours considéré que chaque individu traîne avec lui son bagage écoeurant, ses histoires peu agréables, ses drames. Chez certaines personnes, le bagage est mince, chez d’autres, il occupe trop de place. C’est la vie. J’essaie de faire en sorte que mes gosses, ceux dont je m’occupe, ne traîne pas derrière eux une valise trop lourde. Pour les autres, ceux qui sont déjà adultes, je ne peux  - et ne veux – rien faire.

Je place le sachet dans la petite boîte de fer, après l’avoir vidé. Mes yeux remontent jusqu’au visage d’Alfhild et ma voix, pendant une très courte seconde, échappe à mon contrôle. Elle se fait plus aigre, porteuse d’une rancœur aussi vieille que moi :   « En ce qui concerne ma famille, elle a au contraire nettement vu la richesse que pouvait lui apporter la magie. Elle a moins apprécié que je ne veuille pas l’utiliser pour les enrichir. » Et c’est là que les problèmes sont apparus. Mes frères ont peut-être été jaloux dès le début – surtout l’aîné – mais ils n’auraient pas agi directement si je n’avais pas refusé de mettre mes nouveaux dons à leur disposition. J’écarte rapidement le sujet, portant ma tasse à mes lèvres, avant d’affirmer avec une voix redevenue plus aimable : « Je trouve ça cool, les amulettes de protection et ce genre de trucs. C'est pas une compétence que je maîtrise. » Elle aurait pourtant pu m’être utile, mais j’ai toujours respecté mes limites dans le domaine et en enchantement, sans chercher à les dépasser. Mes priorités étaient ailleurs, dans les soins, les poisons et la défense. Un mince sourire s’étire sur mes lèvres, tandis que je rajoute : « T'en fait pas, pour ma petite patiente. Avec ce que tu m'as dit, même avec une amulette, vaut mieux que tu ne te présentes pas là-bas. C'est pas la première morte que je dois gérer, ni la dernière, ça ira. » La proposition, néanmoins, est appréciée.
Alfhild Mørk
Alfhild Mørk
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Let's talk about dead

 @Dax Tcherkassov   Juin 2022



« Ça ne fait pas du sens que dans ta tête. Moldus ou sorciers, ce sont les mêmes vices, les mêmes défauts, la même corruption. L’un des deux tient simplement une baguette, ça élargit les possibilités, surtout quand on a des envies de domination et un orgueil immense. » Elle penche la tête sur le côté, attentive à ce qu'il confirme de ses propres pensées. L'entendre de la part d'une personne qui connait bien mieux les moldus qu'elle est une source étrange de soulagement et de tristesse. Quelque part, elle aurait préféré qu'il infirme ses propos et qu'il condamne sa vision biaisée de sang pur sur la question. De cette façon, elle aurait pu garder l'espoir que leur monde soit moins moche que celui des sorciers. Que l'espoir peut-être se situe chez eux et dans leurs sociétés moins gangrénées par la soif d'orgueil et de domination comme il dit. Malheureusement les choses n'ont pas l'air d'être plus idylliques chez les moldus, insinuant que le soucis n'est pas l'excès de pouvoir conféré par la magie, mais bien la nature profonde de l'être humain trop facilement perverti par ses propres capacités à marcher sur un autre. Et ces réflexions ne font qu'enfoncer un peu plus les résolutions d'Alfhild à marcher à son tour sur toutes ces considérations faussées par la croyance prédominante que sa famille et celles des autres descendent de Dieux aux pouvoir tout puissants. Briser les chaînes des descendances qui légitimes tout une palette de comportements derrière lesquels nombreux des Douze se cachent lui semble plus légitime que jamais. « C’est ta seconde allusion au sous-sol…Je ne rebondirai pas dessus, parce que je n’éprouverais probablement pas les émotions appropriées pour une telle histoire et ça vexe certaines personnes. Mais je tiens compte du fait que ça t’a visiblement marquée. » Attirés par le mouvement des doigts, ses yeux suivent les gestes de Dax qui répète consciencieusement ceux qu'elle avait fait précédemment, libérant les feuilles de thé du sachet dans l'optique de le ranger. Un sourire amusé redonne vie à son visage qui s'était lissé dans les brumes des pensées. Elle ne sait pas de quelles émotions non appropriées il parle, mais elle a des sérieux doutes Alfhild sur le fait qu'elle en serait vexée. Sauf peut-être si c'était pour saluer l'initiative qui avait celle d'Oda et qu'il montre un appétit étrange pour les détails les plus sordides. Et quand bien même cela serait sa réaction, il n'est pas certain qu'Alfhild en serait vexée. Surprise peut-être, mais rien d'autre. Après tout, pour les réactions déplacées elle a eu l'adelphe à ses côtés pendant de nombreuses années, et les Mørk en général. Les trois quart n'en parlent pas, c'est à peine si ils l'écoutent quand elle en parle, jamais ils ne rebondissent dessus, pas même un pincement de nez. L'indifférence est totale, assumée, la même que celle qu'ils devaient afficher tacitement entre eux pendant qu'elle manquait les rendez-vous familiaux depuis l'enfermement de son sous-sol. Personne n'a jamais cherché à raisonner Oda. Aucune voix pour venir la chercher à Yule, sous prétexte que sa santé était trop fragile. Elle a connu toute sorte de réaction Alfhild, alors non, elle ne pense pas que celle de Dax serait en mesure de la vexée aujourd'hui.

Le sachet est placé dans le petite boite de fer et le sourire de la sorcière s'étire plus largement avant d'hocher la tête en signe de remerciement muet. « En ce qui concerne ma famille, elle a au contraire nettement vu la richesse que pouvait lui apporter la magie. Elle a moins apprécié que je ne veuille pas l’utiliser pour les enrichir. » Elle grimace dans une moue qui comprend trop bien là où il veut en venir. Elle en est sincèrement désolée pour lui même si elle commence à saisir que le russe n'aurait rien à faire de ce sentiment. Mais cela ne l'empêchera pas de le ressentir et de jeter quelques fleurs de douceur mentalement sur la vie du sorcier qui lui fait face. Son corps se penche un peu avant pour attraper la boite de fer, la refermer, et la glisser dans son sac de cuir. Pendant ce temps Dax reprend la parole d'une voix plus douce que précédemment, même si la Mørk n'avait pas spécifiquement remarqué qu'elle avait changé de tonalité quand il avait évoqué la réaction de sa famille face à son refus de mettre sa magie au profit du bien commun Tcherkassov. « Je trouve ça cool, les amulettes de protection et ce genre de trucs. C'est pas une compétence que je maîtrise. » Comme à chaque fois que le sujet est amené dans une conversation, ses yeux s'illuminent et son sourire se fait plus radieux. Ce n'est pas tant de la fierté de ses propres créations ni de ses compétences, qu'un amour simple et pur pour les runes et cette magie qui lui parle depuis sa plus tendre enfance. « T'en fait pas, pour ma petite patiente. Avec ce que tu m'as dit, même avec une amulette, vaut mieux que tu ne te présentes pas là-bas. C'est pas la première morte que je dois gérer, ni la dernière, ça ira. » Elle ne sait pas Alfhild, si cette idée est une bonne chose ou non. Elle qui vit avec la mort devrait trouver l'idée normale et logique, pourtant quand il s'agit d'enfant, elle y est toujours plus sensible. Pourtant c'est inexorable, des enfants meurent tous les jours, aussi injuste cela soit-il. Ce n'est pas Hel qui donne les limites et les quotas de deux qui doivent rejoindre son royaume. Si on devait accuser quelqu'un dans cette vaste mythologie, c'est aux Nornes qu'il faudrait s'en prendre. Dans la réalité, il n'y a aucune fatalité, juste la vie qui s'écoule et s'arrête, parfois trop vite, dans une impasse non prévue. Elle aime croire et adresser des prières, mais sa propre conscience du hasard et de la faculté à mener son propre destin est trop forte pour être entièrement engloutie dans des facéties croyantes. « J'adore faire des amulettes et chercher de nouvelles combinaisons de runes. Combiné à la bonne matière et aux bonnes énergies magiques, les résultats peuvent être incroyables. Il suffit de voir la magique qui se dégage de certains anciens artefacts. Non pas que mes petites amulettes puissent un jour atteindre une telle technicité ni un tel pouvoir. » Elle pouffe doucement avant de redresser son buste dans un sursaut et de poser ses deux mains dans la mousse derrière elle. La tête renversée en arrière, ses yeux suivent les lueurs de la nuit d'été qui étire encore quelques couleurs violacées dans l'ombre bleu de la nuit. Les jours bientôt ne quitteront plus la voute céleste et les nuits seront dépossédées de leurs manteau d'obscurité complète. « Si tu as besoin d'une amulette de discrétion ou de furtivité, n'hésite pas. Elles font parties de celles que je maitrise le mieux avec celle de protection mentale. Parce que sont celles que j'utilise le plus pour me faufiler hors du dortoir pendant mes insomnies. » Sa tête se redresse avec un sourire espiègle. Elle adresse même un clin d'oeil complice à Dax « Mais c'est un secret, je compte sur toi pour ne pas trop l'ébruiter, je passe déjà suffisamment de temps en retenue. » Ses doigts caressent distraitement la mousse tandis que sa tête roule à nouveau sur le côté, rêveuse : « Je parle souvent de ce sous-sol désolée. Parce que j'y ai passé près de sept années. C'est une part importante de mon enfance et de là viennent la plupart de mes bizarreries sociales. » Son sourire reprend des courbes plus douces, presque tendres à l'évocation de ces souvenirs singulier : « Pas toutes mes bizarreries, ma particularité a aussi un rôle non négligeable, et surement d'autres choses innées. Enfin, je n'en parle pas pour être plainte, ni prise en pitié, mais plus souvent pour m'en amuser. C'est ma propre blaguer personnelle, de moi à moi, c'est égoïste, mais j'aime bien me faire rire toute seule. De toute façon les gens comprennent rarement mon humour comme je te disais, ça les met mal à l'aise plus qu'autre chose. Tant pis pour eux, moi ça m'amuse beaucoup. Oda, ma...génitrice, m'a isolée pour ne pas que je contamine mes adelphes avec ma particularité. Elle ma reprochée en quelque sorte de ne pas être à la hauteur pour participer à son vaste plant de domination de la branche de Mørk sur son frère Gunnar. » Un éclat de rire roule dans sa gorge tandis qu'elle se redresse pour de bon, attrapant sa tasse de thé et noyant le rire dans une longue gorgée, le regard pétillant de lueurs amusées. « Dommage que les moldus ne soient pas clairvoyant sur les rapports de domination. J'avais le maigre espoir qu'ils puissent être moins corrompus que nous. » Un soupir traverse sa poitrine avant qu'elle ne repose ses yeux sur Dax et son incroyable capacité à rester droit et statique qui la fascine. « Tes petits patients ont beaucoup de chance de t'avoir. Tu as l'air de quelqu'un de stable, c'est rassurant. Et apaisant. Ca doit leur fait un bien incroyable. » En tout cas, son attitude actuelle parvient à la canaliser, elle, et cela est assez incroyable pour qu'elle soit obligée de le remarquer.



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