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Promenons-nous dans les bois (Toni)
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Fredrikke Mørk
Fredrikke Mørk
GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden
Il est dix-neuf heures et je me demande si je m’habituerai un jour à ne pas me rappeler les traits de ceux que j’ai aimé. J’aurais aimé avoir des albums de famille à feuilleter, avant de venir ici. J’aurais aimé voir des photos et des bons moments, pouvoir me dire ici, elle prenait soin de moi, ici je la faisais rire. J’aurais aimé pouvoir envisager qu’à certains moments de mon existence, j’ai pu être aimable, faire sourire des gens, transmettre de la joie plutôt que de la hargne. Ce n’est pourtant qu’une belle utopie : je n'ai aucun album, chez moi, aucune photo joyeuse, pas de portraits de ceux qu’il a pu côtoyer. Je n’ai qu’un affreux journal, qui ne comporte que d’horribles mots.
 
J’ai rangé ma baguette au fond de ma poche, certain de ne pas en avoir besoin, malgré la sécurité qu’elle me procure lorsque je la tiens serrée entre mes doigts. Je ne porte plus mon uniforme de tireur d’élite, que j’ai laissé à l’appartement, mais le badge des bénévoles de l’hospice où je traîne après le boulot luit sur ma chemise, là où je l’ai oublié.

Toni est là, mais je me sens horriblement maladroit. Je l’ai rejointe ici avec l’enthousiasme d’un gamin et l’inquiétude d’un homme. Enthousiasme parce qu’elle m’a manqué et que les lettres ne suffisent pas toujours, lorsqu’on veut entendre une voix et voir un visage. Inquiétude parce que l’ancien Fred, aussi con pouvait-il être, était celui qui était proche d’elle. Il aurait peut-être été exceptionnellement meilleur que moi pour être de bonne compagnie, pour connaître ses goûts, pour donner les bonnes réponses et pour lui faire plaisir.

Je la regarde de biais. Toni, que je suis supposé bien connaître, mais que je ne connais pas. Toni que j’aime bien, réellement, dans cet espoir de gosse devenu adulte qui croit avoir trouvé un point d’ancrage quelque part. Je tends ma main pour attraper doucement la sienne, en tâchant de mettre un sourire sur mes lèvres figée : « Prête? » Je visualise le lieu que j’ai préparé quelques heures plus tôt, ce lieu qui me semblait paisible et agréable. Ai-je bien choisi? Vais-je réussir à la distraire, à lui faire passer un bon moment? Ses lettres, telles des bouées en plein ouragan, m’ont fait du bien et je lui suis redevable.

Nous transplanons et nos pieds se posent sur un sol dur et herbeux, d’un vert à peine assombri par le soleil qui se couche. Je relâche aussitôt sa main, mû par ce réflexe que j’ai développé dans les derniers mois, quand j’ai constaté que mon contact ne rappelait que des mauvais souvenirs à la majorité des gens.

Nous sommes dans une petite forêt tranquille, que j’ai découverte par hasard après une intervention plutôt brutale.  Des petites torches oscillent à quelques centimètres du sol, non loin d’une large couverture à carreaux, que j’ai installée avant de venir. Est-ce que cela lui plaira? Je me tourne vers elle, en camouflant mon hésitation derrière un nouveau sourire espiègle : « Parfois, il faut casser avec la routine, si on veut se changer les idées. » J’ai beaucoup hésité, avant de choisir ce lieu. Je ne sais pas ce qui s’est passé cet été dans la vie de Toni, je ne sais pas ce qui s’est passé dans la vie de Toni tout court. Je ne sais que les informations qu’elle m’a données, que ce qu’on m’a dit, que ce que je ressens. Mais je suis bien en sa présence et je me suis inquiété, lorsque j’ai appris son absence. Je ne l’ai pas harcelée de hiboux, je ne lui ai posé aucune question à son retour ; je n’en avais pas le droit et je sais respecter les silences. Mon cœur a toutefois accéléré et mes nerfs se sont tendus, lorsque j’ai entendu parler de sa disparition. Et je mentirais si j’affirmais que je n’ai pas dû me faire violence, pour ne tenter aucune recherche de mon côté. J’en avais les moyens et la réputation de l’ancien Fred aurait été suffisante pour que j’en use pour faire pression sur quelques collègues, qui aurait pu chercher. Je ne l’ai pas fait. S’il y avait eu une urgence, Gunnar serait probablement intervenu, pas vrai? Je m’étais donné septembre comme limite, une limite que je n’ai pas eu à franchir. Et maintenant qu’elle est là, après les missives échangées, maintenant que j’ai la possibilité d’essayer de lui faire passer un bon moment, je me sens aussi malhabile qu’un gamin de huit ans.  Si elle veut en parler, je serai là, et si elle ne le veut pas, je serai là aussi. Je rajoute : «  Ça te convient? Je suis mal assuré et cette fois, je ne suis pas parvenu à le camoufler. J’ai été proche de peu de gens dans ma famille et je ne veux rien gâcher.
Toni Mørk
Toni Mørk
LÆRERTEAM Den som talar mycket säger sällan vad som är bra
Promenons nous dans les bois
*** soirée de novembre 2022, forêt tranquille proche de Göteborg
Une main tendue vers elle, un sourire qui étire ses lèvres, et le jeune homme qui lui demande : « Prête ? ». Face à ce charmant spectacle, Toni ne peut que répliquer par la même mimique rieuse. Les yeux emplis de malice, elle saisit la main et lui répond pleine de précipitation : « Et comment ! ».

Un homme qui lui donnait rendez-vous, en tête à tête, insistant sur le fait que la nature de leur entrevue serait une surprise ? Toni ne s’était pas sentie flattée de la sorte depuis de bien nombreuses années. Son époux ne l’emmenait plus nulle part depuis trop longtemps pour qu’elle s’en souvienne. Fut un temps il en emmenait une autre. Probablement plus sortable et convenable que sa femme. Une trahison qui avait parachevé de les éloigner. Aujourd’hui il n’emmenait plus personne. Même pas celle qui était – malgré tout, demeuré à ses côtés. Comme si l’idée même était impensable. Comme si Toni était devenue étrangère, ou trop familière. Comme s’il la craignait, ou la méprisait. Alors dans un difficile équilibre, ils restaient immobiles. Divisés ensemble.

Son neveu semblait s’être inquiété de son absence inexpliquée durant l’été. L’un des seuls. Du moins, l’un des rares à lui avoir manifesté. A son retour, après quelques hiboux échangés, il avait insisté pour qu’ils se rencontrent. De la méfiance, elle s’était rappelée l’incident qui avait frappé le jeune Mørk, et n’avait dès lors plus été que surprise. Une telle attention, et voilà que Toni se laissait même charmer. La pointe d’appréhension qu’elle percevait chez Fredrikke la rendait confiante. Autrefois Fred n’était jamais soucieux, toujours infaillible et effroyablement inquiétant. Doublement pour Toni tant il lui rappelait par certains aspects Gunnar. A présent, les choses étaient différentes, la situation inversée. Lui ne se souvenait de rien, elle de tout.

Le transplanage mené par Fredrikke avait été doux et sans accroc. Un atout que Toni savait apprécier, car les voyages chaotiques n’étaient plus de son âge.
Toni prit le temps de découvrir les lieux à mesure que son regard se posait sur le décor qui les entourait. Autour d’eux des arbres se dressaient en petit bois, et sous leur pas de l’herbe tendre se couchait sans révolte. Toni était émerveillée par l’endroit qu’elle trouvait sincèrement agréable. La botaniste en elle aurait eu envie d’explorer les lieux en détail mais elle se retint sans mal, sachant parfaitement ce pour quoi elle avait accepté la rencontre.  

Il se tourne vers elle, sourire mutin : « Parfois, il faut casser avec la routine, si on veut se changer les idées. » Toni ne pouvait qu’acquiescer à la formule aux vues de son escapade estival. Cinquante ans qu’elle avait attendu de la briser cette routine. Et elle y était enfin parvenue. Pour un temps.

« Ça te convient ? » lâche-t-il, ne parvenant soudainement plus à dissimuler son hésitation.

Lui adressant un sourire exagérément attendri, Toni s’avance vers lui, réduisant quasi à néant l’espace qui les séparait jusqu’à présent. Se saisir de la moindre brèche, surprendre son interlocuteur, prendre l’ascendant physique sur l’autre, faire naître de la gêne, ne pas laisser le répit s’installer, prendre les devants, mener la danse, étaient autant de ruses qu’elle avait appris à ses dépens aux côtés de l’ancien Fred. Aujourd’hui les anciennes armes dont il avait, sans le moindre scrupule, usé sur sa tante se retournerait contre lui. Elle avait parfaitement retenue sa leçon. Une main glissant contre son épaule, la voix chaude, elle répond finalement. « C’est absolument parfait. Ça fait longtemps qu’on n’a pas pris autant soin de moi très cher neveu. »

Son regard coule sur les petites torches réparties un peu partout dans la clairière. Au centre une large couverture à carreaux a été minutieusement installée. Il s’est donné du mal pense-elle intérieurement.

« Tu as vraiment pensé à tout. » déclare-t-elle en pointant les éléments observés.

« Je ne pensais pas que ma disparition t’inquiéterait au point d’organiser un rendez-vous qui me fasse passer l’envie de repartir un jour. » Elle laisse éclater un léger rire et décide de s’accroupir pour s’asseoir sur la nappe à carreaux, dissimulant parfaitement son dégoût.

« Champagne ? » conclut-elle gaiement, en redressant le regard vers lui.

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@Fredrikke Mørk
Fredrikke Mørk
Fredrikke Mørk
GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden
Je ne suis pas naturellement doué pour plaire aux autres. Je me sais fondamentalement plus talentueux pour arracher des grimaces que des sourires, mais je travaille sur cette capacité avec acharnement. Lorsque Toni s'avance vers moi, mes sourcils se froncent. L'habitude de me prendre différents sorts à la figure depuis mon réveil me pousse instinctivement à envisager qu'elle pourrait vouloir m'attaquer, même si c’est absurde comme pensée. Pourquoi voudrait-elle me faire du mal, alors qu’elle est l’une des rares de la famille avec qui je m’entendais bien avant ? Elle glisse sa main contre mon épaule qui s’est raidie et je m’efforce de me détendre, en sentant mes muscles trop tendus. « C’est absolument parfait. Ça fait longtemps qu’on n’a pas pris autant soin de moi très cher neveu. » Son affirmation m’arrache un léger rictus, alors que je songe à Gunnar. N’a-t-il pas planifié dans leurs jeunes années des surprises pour son épouse ? Probablement pas. De ce que j’ai vu de lui jusqu’à présent – et j’évite généralement les occasions où je pourrais me retrouver en sa présence pour ne pas gaffer – la principale surprise dont il semble capable serait peut-être de se lever à une heure différente qu’à l’accoutumée. Mais je me trompe peut-être ; j’en sais très peu sur les membres de la famille de Fredrikke, qui me semblent bien plus associés à lui qu’à moi. Qu’il soit parvenu à être proche de Toni, qui m’apparaît si différente de la personnalité qu’il avait, m’a d’ailleurs étonné au début lorsque j’ai appris leur relation. Je préfère ne pas savoir s’il jouait avec elle ou s’il l’appréciait réellement – de mon côté, c’est assurément la seconde option.

Je la vois regarder les torches qui illuminent la clairière et je me sens rougir, baissant momentanément les yeux. Je ne savais pas trop quoi faire, pour la distraire et lui faire passer un bon moment. J'espère avoir visé juste et que ce décor peu conventionnel lui plaira. « Tu as vraiment pensé à tout. » J’hausse les épaules, tout en relevant mes pupilles vers elle. Je n’ai pas pensé à tout, non, et j’ai même envisagé d’écrire à Alfhild pour connaître les préférences de Toni, mais j’ai finalement décidé de pas la déranger davantage par des écrits intempestifs. « Je ne pensais pas que ma disparition t’inquiéterait au point d’organiser un rendez-vous qui me fasse passer l’envie de repartir un jour. » Croit-elle que je tente de l’empêcher de partir de nouveau, si elle le veut ? Mes sourcils se froncent davantage, alors qu’un mince sourire s’étire sur mes lèvres. Face aux membres de ma famille, je suis toujours partagé entre le rôle de l’ancien Fredrikke que je dois jouer pour sauver les apparences et mon désir d’être moi-même – même si ce moi-même a des contours bien flous. Avec Toni, je ne sais pas de quel côté pencher. Elle appréciait soi-disant l’autre Fred, mais je doute fortement qu’il ait pu parvenir à nouer une relation durable avec elle en étant désagréable.

« Champagne ? » Je n’ai pas pensé au champagne et cette constatation accentue ma gêne. Je souris maladroitement, en m’assoyant non loin d’elle, en maintenant une distance raisonnable. « Du vin blanc, ça fonctionne aussi ? » J’aurais dû penser au champagne. Je m’en fais la réflexion alors que j’ouvre délicatement le panier que j’ai amené, dont j’extirpe une bouteille de Chardonnay et deux coupes.  Mes yeux pâles se tournent vers elle et mes lèvres se pincent brièvement, marquant un instant d’hésitation, avant que je ne précise :   « Je ne cherche pas à te faire passer l’envie de disparaître. » J’ai entendu son léger rire tout à l’heure et je me doute que sa phrase était plus légère que sérieuse, mais la précision me semble malgré tout importante. Je ne sais pas ce qui s’est passé exactement dans la vie de Toni, mais je sais que je respecterai toujours ses décisions. Je rajoute, un très mince sourire s’ébauchant sur mon visage : « J’imagine que t’avais tes raisons et que si t’as pris cette décision, c’est qu’elle était la meilleure pour toi. » Et elle pourrait la reprendre, n’importe quand. Je veux aujourd’hui la distraire, pas juger ses choix, je veux simplement lui signaler que je suis là pour elle, même si je ne suis que son neveu. Ses lettres m’ont fait du bien et je tiens à lui rendre la pareille. Mon sourire s’accentue, alors que je sors un tire-bouchon du panier, entreprenant de retirer le sceau de cire autour du bouchon de la bouteille de vin :   « Même si ça m’a largement inquiété, oui. » Parce que je tiens à elle, même si je n’ai aucun souvenir de notre ancienne relation. Je plante le bout métallique dans le bouchon, que j’extirpe facilement, avant d’entreprendre de verser le vin dans les coupes, poursuivant : « Mais cette inquiétude est secondaire, ce qui est importe, c’est comment toi tu vas. Et je veux juste te dire que…si ça doit réarriver et que t’as besoin de quelque chose, tu peux me contacter. Je sais être discret et je serai toujours prêt à t’aider. » J’ai relevé mes pupilles vers elle, tout en lui tendant sa coupe peut-être un peu trop remplie. Mes joues sont légèrement rosées, mon sourire ne camoufle pas ma gêne. J’espère tellement bien faire et parvenir à la distraire que je ne remarque pas que ma propre coupe, posée en équilibre précaire sur la nappe, menace de se renverser si je n’y prend pas garde.
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