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Défaite de famille (Viktor)
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Toni Mørk
Toni Mørk
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Défaite de famille
*** jeudi 20 janvier 2022, soir
Echine courbée et yeux plissés, souffle irrégulier et doigts agiles, le corps tout entier de la vieille femme semble aspiré par cette lecture passionnée. Il faut dire qu’elle n’avait même pas pris le temps de poser le livre sur le petit bureau devant elle, demeurée debout le recueil tenu à bout de bras, trop pressée d’avoir enfin entre ses mains l’ouvrage tant espéré. Elle s’était jetée à corps perdu dans les mots, sautant de phrase en phrase, se noyant entre les lignes ; elle s’était gavée de tout ce savoir nouveau, appétit intarissable, oubliant tout autour d’elle et laissant défiler le temps.

Toni redresse la tête dans un sursaut de conscience. Autour d’elle quelques élèves déambulent encore entre les allées de la grande et majestueuse bibliothèque. La majorité a toutefois d’ores et déjà regagné les dortoirs, bien trop satisfaits d’avoir bâclé leurs devoirs pour retrouver leurs amis. Sans lâcher son ouvrage, Toni se penche dans l’allée centrale pour lire au cadrant de la grande horloge dix heures trente. Une petite moue surprise vient tordre ses lèvres et hausser ses sourcils. Il faudrait être raisonnable, pense-t-elle, ranger ses affaires et regagner ses appartements. Les journées commençaient bien tôt à Durmstrang, il était de mauvais ton que d’être un couche-tard. Mais Toni n’était pas du genre à se laisser dicter sa conduite par des injonctions toutes faites et des horaires forcés. Toni ne craignait pas même le temps, dont elle se jouait des effets.

Mais brusquement des bruits de chahut lui parviennent d’une des allées perpendiculaires. Elle referme le livre qu’elle cale sous son bras et se dirige vers le bruit, convaincue de devoir représenter l’autorité professorale entre ses murs qu’elle pense abandonnés de tout autre enseignant. Ce sont les frères Bakke qui lui apparaissent alors. Deux jeunes sorciers de premier cycle, que quelques mois à peine séparent, et dont les rapports fraternels sont réputés tumultueux. « Floki où est-ce que t’as fichu mon devoir d’alchimie ? Je suis sûr de l’avoir laissé là y’a pas deux minutes !? » lance le premier. « Qu’est ce que j’en sais moi, j’y suis pour rien si tu perds toujours tout Olaf ! » lui rétorque le second. Toni les regarde avec un air désabusé. Elle n’a aucune envie d’intervenir, préférerait partir, loin, regagner ses appartements finalement, et les laisser là, tous les deux, à régler leur désaccord, subir leur lien du sang. Et puis soudain une fenêtre se dégage, Viktor Mørk se révélant à elle. Espoir, la fuite finalement peut-être possible…

« Viktor ! Tu tombes à pique. Regarde ce qu’on a là. Des chamailleries familiales. C’est ton domaine ça non ? »

Elle lui adresse un large sourire, risette chargée de provocation et de sous-entendus à peine déguisés.

« Ah non attend. C’est vrai que la famille c’est génial, c’est parfait. À coup sûr ce genre de chose ne se produit pas dans la tienne. Douce et harmonieuse famille Brynjolf... Tu veux que je m’en charge du coup ? »

Elle enfonce le clou. Du Toni tout craché. Début, sans doute, d’une joute verbale animée, sous les yeux effarés des deux jeunes frères stoppés net dans leur toute fraîche querelle qu’ils n’auront même pas eu le temps de savourer.

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Viktor Brynjolf
Viktor Brynjolf
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DEFAITE DE FAMILLE
Viktor arpentait la bibliothèque d’un pas décidé, voulant se dépêcher de prendre le livre qui l’intéressait avant d’aller se coucher. Il avait cours tôt le lendemain et n’avait pas de temps à perdre avant de pouvoir rejoindre sa femme. Vive le transplanage qui lui permettait de la rejoindre à la vitesse de l’éclair, où qu’ils puissent être. Soudain, il s’arrête dans sa recherche, ayant vu quelqu’un d’intéressant du coin de l’œil. Toni Mork. Cette fameuse Toni. Plongée dans un livre. Même ainsi elle semblait pleine d’attitude supérieure au monde. Sérieuse et concentrée, elle se tenait, courbée sur son livre, les yeux allant de mots en mots, avec une certaine avidité. S’il pouvait en pouffer de rire, Viktor le ferait. Mais ce n’était pas son genre de se moquer des autres, c’est donc sans un regard en arrière qu’il continua à avancer. Jusqu’à ce qu’il entende son nom, venant de la bouche de celle qu’il regardait il y a encore quelques instants. Il se retourne. Et voit, Toni, l’air moqueur, pointer d’un coup de menton bien senti, les deux jeunes sorciers. Un peu perdu, Viktor fronce les sourcils. Il n’avait pas vu les deux frères se chamailler, il n’avait rien entendu, trop occupé à se dépêcher. Puis les mots de Toni finissent par se fondre en lui. Chamailleries familiales. Douce et harmonieuse famille Brynjolf. Le froncement de sourcils se fait plus profond. Il ne comprend pas Viktor. Pourquoi cette soudaine animosité. Pourquoi cette soudaine attaque.

Il regarde un peu mieux Toni, ne jetant pas un seul regard vers les deux jeunes sorciers. Et il voit mieux le sourire moqueur. Les yeux brillants. Les mains calées sur le livre. Le port altier de la sorcière. Alors il comprend Viktor. Il comprend qu’elle le cherche. Qu’elle le titille. Pour qu’il réagisse. Pour qu’il réponde, rétorque quelque chose.

Secouant la tête, il congédie les deux jeunes d’un geste de la main gentil, posant la main sur la tête de l’un d’entre eux, le plus jeune, afin de leur faire comprendre qu’ils n’avaient rien fait de mal mais qu’il valait mieux partir.

Puis dans un petit soupir, il se redresse, met son plus beau sourire aux dents brillantes, quoique légèrement crooked. Il savait ce que cherchait Toni. Il n’était tout de même pas né de la dernière pluie.

« Bonsoir Toni. Pas besoin de t’en charger, tu vois que c’est déjà réglé. »

Il lui lance un petit sourire, puis se rapproche. Doucement. Presque dangereusement. D’un pas lent et souple. Quand soudainement, la fumée qui l’accompagnait depuis le début devint un ours brun en chair et en os, s’interposant entre lui et Toni. L’ours souffla vers Viktor. Qui toussa face à l’haleine. Mais il comprit. Il fit quelques pas en arrière. Et l’ours redevint fumée qui s’enroula autour du tronc de l’homme.

« Tu sembles avoir un petit problème avec ma manière de gérer ma famille, Toni ? Tu serais bien étonnée de ce qui pourrait se passer derrière les murs d’une grande bâtisse. »

(c) AMIANTE



Toni Mørk
Toni Mørk
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Défaite de famille
*** jeudi 20 janvier 2022, soir
Les deux garçons étaient restés ébahis, la bouche en o et les yeux écarquillés face à l’entrée en scène des deux professeurs. Sonore et claironnante. Leurs bouilles encore rondes de l’enfance, réhaussées par les mêmes cheveux noir corbeau avaient instantanément changé d’expression, abandonnant l’irritation mutuelle pour rester figées dans l’incrédulité partagée. Tels des animaux pris dans les phares d’une voiture. Furtivement, Olaf avait lancé un coup d’œil inquiet à son aîné, sans que celui-ci ne lui rende son regard, trop absorbé à chercher une solution pour se sortir de là.

La vieille professeure de botanique les avait toujours rendus nerveux, voir agités. Un état étrange dans lequel se partageaient appréhension et méfiance. Elle était trop imprévisible pour ces deux gamins en manque de repères. Trop excessive pour des enfants habitués à une violence explosive. Alors lorsque ce professeur du cycle supérieur était intervenu, les deux garçons avaient senti leurs épaules s’alléger d’un poids et leurs poumons se vider de leur air. Le Brynjolf les avait renvoyés d’un geste bref et chaleureux, et il n’en avait pas fallu davantage pour que les deux Bakke, embarquant plumes et parchemins, se faufilent entre les professeurs, fuyant loin de ce qu’ils avaient déjà deviné être le terrain d’un affrontement qui les dépassaient. Olaf lança un dernier regard empli de gratitude au professeur, avant de disparaître à l’angle d’un rayonnage tiré à la manche par son aîné.  

Viktor se tenait droit face à Toni, un sourire carnassier sculpté par la satisfaction et la provocation.

« Bonsoir Toni. Pas besoin de t’en charger, tu vois que c’est déjà réglé » lâcha-t-il en se rapprochant de sa collègue et cousine par alliance. Toni pouvait percevoir toute la malice dans son jeu de jambes, bien trop souple et sinueux pour être innocent. Elle l’avait cherché après tout, pourquoi s’étonnait-elle qu’il lui offre une réponse aussi directe.

Sa fylgia jusqu’alors brumeuse pris sa forme corporelle, un ours brun imposant à l’haleine fétide qui ne troubla en rien la vielle sorcière. Cette apparition lui rappela toutefois qu’il était bien étrange qu’elle n’ait pas entendu Crimson lui siffler aux oreilles depuis un temps trop long pour que cela lui ressemble. Elle regarda autour d’elle, à droite, puis à gauche. Rien. Elle haussa simplement les épaules, peu atteinte par cette absence momentanée.

Elle avait à peine détourné son attention quelques secondes que l’ours était redevenu vapeur, enroulée autour de son sorcier, lui-même retranché de quelques pas. Toni ne put contenir une brève moue exaspérée face à ce trop plein de précaution. De quoi avait-il peur au juste ? Elle n’allait tout de même pas lui sauter à la gorge.  

« Tu sembles avoir un petit problème avec ma manière de gérer ma famille, Toni ? Tu serais bien étonnée de ce qui pourrait se passer derrière les murs d’une grande bâtisse. »

« Ta famille ? Laquelle au juste. Celle que tu as fuis ou celle que tu t’es efforcé de reconstruire pour compenser ? »

L’attaque était vile, basse ; ardue, acérée. Définitivement en rien élégante et mémorable.

« Les Brynjolf auraient donc finalement des secrets ? Moi qui pensais que vous étiez fidèles à ce que vous laissez paraître, un aggloméra d’amour sans aspérité. »

Elle reprit son souffle et sentit le moineau rose se poser sur son épaule. Le cœur battant, visiblement affolé. Comme toujours. « Tu ne devrais pas embêter le professeur Brynjolf, Toni. Ça ne sert à rien de remuer le passé. »

« Roh mais assez le pigeon ! Je ne l’embête pas, on discute c’est tout. »

Elle regarda Viktor. Pupilles bleus perçantes à travers les paupières tombantes.

« Pas vrai qu’on discute ? »

Elle gardait contre elle le lourd grimoire qu’elle consultait encore quelques instants auparavant. Sa main parcouru le cuir de sa couverture tandis qu’elle remettait déjà le couvert.

« Tu ne penses pas que c’était un peu facile de les laisser filer comme ça ? C’est pas leur rendre service que de les laisser se chamailler sans cesse. Subir sa famille c’est jamais une bonne chose. T’es autant au courant que moi il me semble. »


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Viktor Brynjolf
Viktor Brynjolf
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DEFAITE DE FAMILLE
Chandler avait finalement bien fait de faire reculer Viktor. Parce qu’à peine Toni avait repris la parole, que sa main le démangeait. Oui. ça le démangeait de faire partir sa main, grande ouverte, paume bien calée, pour la faire résonner au plus possible sur la joue de Toni Mork. Mais il n’était pas comme ça, Viktor. Sa main resta tout simplement à côté de son flanc et il ne se départit pas de son sourire. Il se contenta de secouer la tête, incrédule, face à tant de bassesse de la part d’une si grande femme. Enfin, était-elle si grande ? Elle qui passait son temps à trouver des petits moyens, des petites piques, pour le faire sortir de ses gonds ? Il décida de ne pas réagir face à la première phrase.

Ni celle d’après, qui était tout aussi petite et basse, à ras des pâquerettes. Quel a priori pouvait-elle bien avoir sur sa famille ? Viktor savait que sa famille était bien souvent vue comme cette famille un peu parfaite, que tout le monde rêverait d’avoir. Viktor savait aussi que lui et sa femme passaient leur temps à démentir le monde à ce sujet. A quoi bon laisser des désillusions prendre forme ? Ils étaient loin de la perfection. Ils faisaient de leur mieux, tous les jours que les Dieux leur accordaient. Et c’était tout ce qui pouvait compter, aux diables ce que les autres pouvaient penser de leur éducation.

Haussant un sourcil, il suivit le mouvement du petit moineau qui se posa doucement sur l’épaule de Toni. Il avait l’air passablement nerveux mais Viktor ne dit rien, haussant juste le deuxième sourcil face au ton sec de Toni. Quel rapport pouvait-elle bien avoir avec sa Fylgjur ?

Se contentant de hocher la tête face à la question, Viktor jouait avec les volutes de fumée qui tournaient autour de lui, implorant presque Chandler de réapparaître et de lui donner une bonne excuse pour partir d’ici. Il n’entendit qu’un petit ricanement retentir dans son crâne. Lâcheur.

"Je ne pense pas qu’une simple petite querelle pourrait tourner au drame. C’est rare de te voir t'inquiéter pour la santé d’élèves d’ailleurs ? Deviendrais-tu plus à même d’être attendrie par eux ?"

Soupir et inspiration.

"Et oui, subir sa famille, cela peut être quelque chose de compliqué. Mais les liens de sang ne veulent rien dire. Ce n’est pas parce que je partage des liens de sang avec certaines personnes que je suis obligé de les apprécier."


@toni mørk
(c) AMIANTE



Toni Mørk
Toni Mørk
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Défaite de famille
*** jeudi 20 janvier 2022, soir
Viktor était impressionnant de calme. Son sourire indévissable donnait le change à la perfection. Il confirmait qu’il était un homme aimable, bon, et avisé. Mais ce rictus contrôlé disait également qu’il venait d’une de ces familles aux manières irréprochables et à l’image maîtrisée. Le constat était sans appel. Viktor était un Mørk, qu’il le veuille ou non. Du moins il l’avait été. Et un tel commencement semblait laisser certains stigmates. Pour toujours.

Il semblait rester totalement hermétique aux attaques grossières de la vieille sorcière. Seul le petit oiseau piailleur engendra un haussement de sourcil, rapidement suivi par le second en percevant le ton que Toni employait avec sa fylgia. Toutefois, malgré ce stoïcisme à toute épreuve, Toni s’efforçait à croire qu’elle percevait dans le tréfond des pupilles du Brynjolf, les pensées qui l’animer réellement. Ses sincères opinions ; Touche de mépris saupoudré de déplaisir.

Tandis qu’il jouait avec l’ours vaporeux, il répondit à sa question.

« Je ne pense pas qu’une simple petite querelle pourrait tourner au drame. C’est rare de te voir t'inquiéter pour la santé d’élèves d’ailleurs ? Deviendrais-tu plus à même d’être attendrie par eux ? »

La Mørk ne releva pas la pique, pas plus qu’elle ne s’en offusqua. Elle n’aimait pas franchement les élèves – rares étaient les exceptions, ça n’était un secret pour personne. Rappeler son manque de considération pour eux, c’était comme affirmer que l’eau mouille et que le ciel est bleu. Une évidence. Elle préféra laisser enchaîner son interlocuteur.

« Et oui, subir sa famille, cela peut être quelque chose de compliqué. Mais les liens de sang ne veulent rien dire. Ce n’est pas parce que je partage des liens de sang avec certaines personnes que je suis obligé de les apprécier. »

« Une petite querelle cache en réalité souvent un drame », enchaîna-t-elle aussitôt.

Elle ne visait personne, mais elle visait tout de même. Tout le monde. Qu’importe se sentirait visé.

« On n’a pas tous la chance de pouvoir s’en défaire de manière aussi radicale que tu l’as fait. »

Amertume, envie, regrets. Toni rongeait son frein. Sa mâchoire se crispa et ses doigts agrippèrent encore un peu plus fermement le lourd grimoire qu’elle ne semblait pas décidée à reposer. Les jointures de ses doigts rougirent sous la pression exercée et ses paumes s’ornèrent d’une humidité disgracieuse.

Viktor lui tendait une perche qu’elle allait s’empresser de saisir.  

« Evidemment qu’il ne s’agit pas du sang. Il n’a jamais été question du sang. »

Répéter ses mots, encore et encore pour mieux se les approprier. Toute cette hémoglobine qui définissait tant de chose. Qui contrariait tant d’existences. Le choix des mots. Ces mots si importants qui définissent tout le reste. D’une toute petite identité à un destin tout entier.

Cette sève rouge qui allait bientôt se faire voler la vedette par un adversaire tellement plus sournois, bien moins palpable.

« Le nom. C’est le nom qui nous lie. Nous enchaîne. »

Elle laissa passer un demi temps. Repris une inspiration.

« Du père, au mari. »

Elle attendait une réaction sans toutefois lui laisser le temps d’émerger, reprenant aussitôt.

« Sauf chez vous les Brynjolf. Toujours dans l’exception. Les exceptionnels Brynjolf. »

Toni savait pertinemment que c’était faux sans qu’on n’ait besoin de lui rappeler. Les exemples étaient nombreux et bien présents dans son esprit. Bon nombre de familles ne pratiquaient pas la transmission du nom par le père. Les Sandmann. Sa propre famille, même, en était la preuve. Ses propres filles, qui avaient conservé leur nom, l’avait transmis à leurs enfants. Un nom qui venait toutefois du père. Un père qui était l’époux.

Malgré cette clairvoyance, le besoin de cracher son venin, d’expulser son aigreur, d’exprimer toute sa velléité. Tout cela était bien plus fort. Toni, soumise à ses passions.

Encore et encore.

Et puis un affront de plus. Comme un crachat lancé au visage.

« Tu sais Viktor, je t’envie. Dans ton monde à toi, tout semble tellement si simple… »


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Viktor Brynjolf
Viktor Brynjolf
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DEFAITE DE FAMILLE
Viktor était déjà fatigué de cet échange. Il n’était pas du genre à relever les piques et à en lancer à son tour. Il avait autre chose à faire et puis… ça ressemblait trop aux manies des Mork que de faire ainsi. Il sentait que c’était ce que Toni recherchait ; à le faire sortir de ses gonds, à le faire devenir, redevenir ?, ce qu’au fond il aurait pu, du?, être. Oui, il était fatigué de tout ça. Malgré tout, il gardait son sourire colgate afin de détourner l’attention de son interlocutrice de ses yeux qu’il sentait commençaient à devenir colériques.

Toni Mork enchaînait les remarques, les phrases piquantes. Mais Viktor senti quelque chose, comme une légère faiblesse lors de la mention du nom, de l’importance du nom. Et il ne put s'empêcher d’être d’accord avec elle. C’était le nom qui faisait tout. Le nom grandiose des Mork qui pesait toujours sur ses épaules larges, qui pesait sur les épaules plus frêles de son interlocutrice.

Alors, Viktor se laissa aller à perdre son sourire, baisser la tête pour la secouer lentement de gauche à droite puis de bas en haut puis à nouveau de gauche à droite. Il ressentait à nouveau la tristesse qu’il pouvait sentir pour sa famille, pour ceux qui, comme lui, étaient coincés dans ce carcan familial, bien loin de suivre leurs idées premières.

Il releva la tête.

“Oui, c’est bien le nom qui nous enchaîne souvent. Il est très difficile de s’en défaire, qu’il vienne du père, de la mère, du mari ou de l’épouse. Si le nom en lui-même résonne d’aigreur, de négation, de brouillard et non de joie, d’acceptation et de lumière, il étouffe, engendre de la haine de la famille mais de soi aussi.”

Un haussement d’épaules.

“Simple peut-être. Mais tu as mis le doigt sur ce qu’il fallait dire : semble.”

Il se rapproche, Viktor. Il fait quelques pas vers elle, sans que cette fois l’ours vienne se mettre entre eux.

“Les apparences sont bien souvent trompeuses, tu le sais toi-même, n’est-ce pas Toni ?”

Petite pique envers la manie de la vieille professeure de se rajeunir, toujours.

“Et tu parles d’une manière radicale, mais je ne pense pas que la radicalité soit réellement là. Leur puissance, aux Mork, me pèse encore.”

Il a décidé d’être honnête, Viktor. Parce que à quoi bon se leurrer, à quoi bon mentir.

“Pour revenir à la simplicité…pourquoi prendrais-je la peine de t’expliciter combien elle est fausse ? Tu ne fais que semblant de ne pas comprendre au fond. Pourquoi devrais-je perdre du temps à essayer de te faire changer d’avis quand tu es si butée ?”

Un soupir. Puis le sourire qui revient. Un vrai sourire cette fois-ci. Pas crooked. Pas faux. Un sourire de camarade. Un sourire qui tend la main.

“Tu te fais du mal, Toni.”

@toni mørk
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Toni Mørk
Toni Mørk
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Défaite de famille
*** jeudi 20 janvier 2022, soir
tw psychophobie
Touché.

La mention du nom avait fait mouche. À tel point que ce charmant Viktor en avait perdu son encore plus charmant sourire. Cette grimace agaçante que Toni aurait jurée indévissable de son visage, était tombée tel un Général qui abdique sur le champ de bataille. C’était sa parade ultime, son signe d’appartenance aux Mørk autant que son étendard contestataire. Cette balafre indétrônable. Et pourtant, il l’avait perdu.

Une chape de plomb s’était alors instantanément abattue sur eux. Les piques et les petits jeux verbaux avaient laissé place à un drôle de sentiment, que Toni parvenait mal à identifier. À la fois désagréablement lourd et terriblement simple, il avait fait plier la tête de Viktor vers le sol. L’abattement ? Non, plus franc. La déception ! Non, moins superficiel. La tristesse. Ah, la tristesse. Oui, c’était elle. Toni la connaissait bien. Elle avait revêtu dans sa vie multitude de visages, répondu à bon nombre de noms. Mais c’était bien elle. Il n’y avait aucun doute.

« Oui, c’est bien le nom qui nous enchaîne souvent. Il est très difficile de s’en défaire, qu’il vienne du père, de la mère, du mari ou de l’épouse. Si le nom en lui-même résonne d’aigreur, de négation, de brouillard et non de joie, d’acceptation et de lumière, il étouffe, engendre de la haine de la famille mais de soi aussi. » Les mots de Viktor vinrent confirmer les impressions, et il débita son argumentation sans que Toni ne trouve rien n’a y redire ou n’ai même envie d’y réagir. Jusqu’à cette phrase. Terrible. « Simple peut-être. Mais tu as mis le doigt sur ce qu’il fallait dire : semble. » Le front de la sorcière se souleva dans une expression d’épatement. Venait-il d’avouer lui-même que sa petite famille parfaite, heureuse et soudée n’était en réalité qu’une douce illusion. Que ce jeu auquel ils s’adonnaient tous ensemble, n’était qu’une façade ridicule, et que, derrière les portes, les cris, les pleurs, les trahisons raisonnaient comme partout ailleurs. Toni eut envie de sourire à son tour pour marquer sa victoire, sur ce même champ de bataille qui avait vu plier le genou du Brynjolf quelques instants auparavant. Comme un passage de relai. Mais il se rapprocha d’elle tout en continuant à énoncer. Elle comprit alors que la bataille était loin d’être gagnée.

« Les apparences sont bien souvent trompeuses, tu le sais toi-même, n’est-ce pas Toni ? » Elle n’aimait pas ces allusions à peine déguisées. Elle n’aimait pas non plus ce ton narquois, et sa façon de dire son prénom, comme une ponctuation à la fin d’une phrase. Encore moins l’espace entre eux qui continuait de se réduire. Le cœur de la vieille professeure s’accéléra, et la moiteur de ses mains lui fit resserrer la prise sur le gros grimoire. Elle avait envie de lui balancer au visage et partir en hurlant. Mais sans savoir pourquoi elle n’en fit rien. A la place, un air de dégoût vint s’imprimer sur sa figure et sa mâchoire se contracta nerveusement.

« Et tu parles d’une manière radicale, mais je ne pense pas que la radicalité soit réellement là. Leur puissance, aux Mørk, me pèse encore. » Oh… Pauvre petit être blessé. Comment pouvait-il oser se plaindre de quoi que ce soit lui. À elle. Lui qui avait fui, lui qui était libre. De quel droit il osait parler de ce qu’il ressentait.

« Pour revenir à la simplicité…pourquoi prendrais-je la peine de t’expliciter combien elle est fausse ? Tu ne fais que semblant de ne pas comprendre au fond. Pourquoi devrais-je perdre du temps à essayer de te faire changer d’avis quand tu es si butée ? » Toni rongeait son frein. Son pied tapotait le sol frénétiquement sans qu’elle ne l’ait décidé. Dans peu de temps ça allait démarrer au quart de tour, elle allait s’embraser comme une torche qu’on a soigneusement imbibée d’alcool. Capable de se contrôler ? Elle ne l’était plus depuis longtemps. Elle allait perdre pied, se mettre à crier ou à pleurer, l’une ou l’autre comme seule réaction possible pour exprimer l’inexprimable, comme seule réponse permise lorsqu’on a eu une vie faite uniquement de frustration et d’humiliations. Toni n’était dorénavant plus que colère et impatience. Il fallait dire que soixante-douze ans c’était long.

Alors quand elle vit cette mimique renaître sur le visage de son interlocuteur en même temps qu’il assénait sa dernière phrase, Toni décida de faire céder les vannes et de libérer, elle aussi pleine de sincérité, tout ce qu’elle avait à dire et qu’elle avait tu.  

« Tu te fais du mal, Toni. »

« Non mais attends mais tu te fous de moi ? N’est-ce pas que tu te fous de moi Viktor, le prénom de retour comme incomparable ponctuation. Dis-le et on sera quitte, parce que je ne peux pas imaginer que tu me dises ça sérieusement. Pas à moi. » Les mots se bousculaient au bord de ses lèvres. Elle avait tout à coup envie de tout dire, tout, sans pudeur ni limite, aucune, même pas celle d’être dans une bibliothèque potentiellement entendue par des collègues ou des élèves. De toute façon tout le monde le savait déjà que la vieille Mørk était folle.

« Je me fais du mal ? Moi je me fais du mal ? J’ai été la victime de tout ce système de merde, exposée de plein fouet, sacrifiée sur l’autel dont ne sait quelles traditions foireuses et tu viens me dire que je me fais du mal. Tu vas me dire que je dois mettre de l’eau dans mon vin c’est ça ? Elle ne put se retenir de rajouter après ça dans un souffle à peine audible, de toute façon comme j’en bois trop… »

La première salve était partie, elle avait jailli hors de son corps, brutale et sans détour. Et elle espérait que les mots poisonneux iraient se loger droit dans le cœur de ce cousin par alliance bien trop zélé. Ça allait mieux et ça n’irait qu’en s’arrangeant maintenant que le venin était craché avec autant de certitude. Elle en avait manqué tellement souvent durant sa vie, hésitante et poltronne pendant toutes ces années, qu’aujourd’hui elle était sûre de tout.

Malgré la colère toujours férocement chevillée au corps, elle le fixait le regard haut et mordant. « Je n’ai pas eu ta chance Viktor, alors viens pas me dire que je suis la cause de ma souffrance. C’est eux qui m’ont fait du mal. Toi comme tous les autres. » Evidemment ce pauvre Viktor n’y était individuellement pour rien. Mais de par son nom, l’ancien et le nouveau qu’il avait pu se choisir, son genre, sa posture et mille autres choses encore qui faisait de lui ce qu’il était, il faisait partie de ce pluriel comme d’un singulier uniforme dans sa domination.

« Oh et puis merde, ton sourire niais et tes mots dégueulasses, tu peux te les garder. » Dans un geste brusque, elle balança le grimoire – qu’elle tenait toujours, contre Viktor, sans savoir s’il aurait le réflexe de le retenir ou s’il leur tomberait sur les pieds. Elle se débarrassait de l’objet comme elle se débarrassait de cet échange qu’elle n’avait plus envie de continuer, qui tout à coup l’encombrait bien trop. Elle resta pourtant figée devant lui, incapable de bouger. Elle voulait partir, loin, aller se réfugier dans sa serre. Mais elle était toujours là.

Elle l’avait cherché, elle l’avait trouvé. En fait il avait raison, elle se faisait du mal.


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- - tu étais coucou, et tu vas devenir aigle mon frère. tu étais bousier, tu vas devenir pince oreille. tu n'étais qu'une petite entrée, tu deviendras plat principal.
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