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Goodbye (Alf)
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Fredrikke Mørk
Fredrikke Mørk
GÖTEBORG Livet är en kamp, ​​du måste förbereda dig för striden
« On m'invite rarement aux soirées mondaines pour toutes ces raisons. Je contrôle rien, ait plutôt tendance à dire des vérités qui font grincer des dents, et à rire trop fort. Et à danser pied nu sur des tapis très chers. Les seules soirées où on m'invite sont celle des Mørk, et chez Sixten de temps en temps. Même si dernièrement, je suis moins bien vue chez Gunnar et Toni. Elle aussi, finalement, j'ai fini par la décevoir. » Je fronce légèrement les sourcils, tandis qu’elle sort de son sac des croquettes en forme de poissons. Décevoir Toni ? M’a-t-elle déjà dit pourquoi, au cours de nos échanges dans les derniers mois ? Je ne m’en souviens plus, mais il me semble qu’on avait déjà un peu parlé de Toni, à un moment, quand j’avais mentionné avoir l’impression qu’elle m’aimait bien et que nous étions proches avant. Alfhild avait répondu quoi, déjà…? Un truc comme quoi elle était étonnée qu’on s’entendait bien. Rien sur de potentielles déceptions.  À moins que j’aie oublié…? Je hais quand même les souvenirs récents m’échappent et que je ne parviens plus à distinguer ce qui appartient à mon passé ou à mon présent. Elle sort un sac de graines de tournesol, m’arrachant un sourire trop tendre. C’est mignon, qu’elle ait pensé aux animaux. « Maintenant qu'ils ont des noms, je peux leur donner leur goûter aussi, tu ne crois pas ? Je tiens à ce qu'ils associent à Alfhild comme la tata qui les couvre de cadeaux de façon déraisonnée. » Si je me fie aux réactions de mon chat et de l’oiseau, c’est une victoire de ce côté. Le nouveau baptisé de nom de Shou penche sa tête vers le bol qu’elle a trouvé dans l’un de mes placards, tandis que l’oiseau rejoint avec empressement le rossignol bleu sur le comptoir, visiblement prêt à participer aussi à ce festin imprévu. Ma sœur s’adresse à sa fylgia qui lui répond, pendant que je m’accroupis de nouveau, sans réfléchir et par pur réflexe, pour glisser mes doigts dans le dos du chat. Caresses et nourriture : Shou vit très certainement un moment d’intense bonheur, si je me fie à son ronronnement immanquable.   « Tu seras là au repas de Yule chez Gunnar ? Est-ce que tu joueras à être lui auprès des autres ? » Mes traits sont devenus plus durs. Les yeux baissés vers le chat, feignant la concentration extrême dans l’art de gratouiller sous les oreilles, j’hausse les épaules sans répondre immédiatement. Être seul à Yule ne m’enthousiaste pas ; j’éprouve même une certaine tristesse à cette idée. Mais jouer à lui là-bas… Je n’ai pas envie de me l’infliger. « Ca peut être drôle de te voir jouer un rôle avec eux. Ou alors ça peut être franchement terrifiant. Je sais pas encore. Mais dans tous les cas ça promet un Yule étonnant. Tu vois, l'avantage d'être ta petite sœur, c'est qu'Oda m'a toujours laissée plutôt tranquille lors de ces réunions parce qu'elle était concentré sur toi. Ca c'est un impact que je trouve plutôt chouette. Et puis j'aime bien tes questionnements, ils me font réfléchir sur mes propres problèmes. » Je souris très légèrement, avec plus d’amertume que de joie. Ça peut être drôle, oui… Ou pas. Parce que même si je fais parfois des erreurs, lorsque j’essaie de faire semblant d’être bien le Fredrikke, je parviens globalement bien à l’imiter. Ou à m’imiter. Je peux imiter ses sourires, son ton, sa froideur, certaines de ses répliques. Je gaffe, parfois. Souvent même. Mais il y a toujours un moment où je rentre dans sa zone, un instant où tout est naturel, où je trouve instinctivement les bons mots, la bonne intonation. Je hais prodigieusement ces moments, qui me donnent l’impression qu’il est plus proche que je ne le crois. Trop proche.
Mes doigts délaissent le chat et je me redresse, alors qu’elle plonge de nouveau son regard dans le mien. J’aimerais tellement pouvoir le rendre chaleureux, pour elle. Pour qu’elle plonge dans une mer chaude, de celle réchauffée par le soleil et le sable, plutôt que dans un glacier. « Tu sais, ça ne me dérange pas. J'aime bien avoir cette place dans ta vie. Je dis pas juste pour te rassurer. J'ai toujours espérer qu'un jour, malgré tout, on puisse retrouver cette relation de confiance de quand on était petits. J'ai quelques souvenirs d'avant que mes pouvoirs ne se manifestent et que je dérape du mauvais côté. Je me souviens notamment, que je te suivais tout le temps quand tu partais dehors parce que tu avais toujours mille choses intéressantes à me montrer. Peut-être que de ton point de vue, c'était exaspérant, et peut-être même que tu essayais de me faire peur en me montrant les traces des ours polaires dans la toundra. Mais moi j'adorais ça. J'en garde un souvenir si cher, de ce sentiment-là de confiance aveugle et fasciné que je te faisais. » Peut-on être jaloux de soi-même ? Son récit, plutôt heureux, n’existe pas pour moi. Ce sentiment de confiance est associé à un autre, qui en a abusé. Moi, j’ai tout à reconquérir. Je dois me taper toutes les saloperies qu’il a fait, et je ne peux même pas bénéficier de cette brèche de positif, dont je ne suis pas responsable. Pas vraiment. J’en veux aussi à ce connard, pour ce qu’il a fait après. Ou avant. Cette pensée m’arrête et je calcule : j’ai tellement l’habitude de considérer que j’ai tout oublié du passé que parfois, je n’essaie même plus de me rappeler. Il y a pourtant des années qui ne m’ont pas échappées, dans mon enfance. Je m’y laisse glisser ; je songe à une petite Alfhild, qui suit son grand frère. Je pense à des traces d’ours polaire. J’espère voir quelque chose, pouvoir m’incruster dans cet épisode plus paisible, le réquisitionner, le prendre pour moi, plutôt que le laisser à lui. Je songe, fort, et peu à peu, quelques images apparaissent. Floues, trop lointaines. Ce que je me souviens, surtout, c’est qu’à une époque, je m’étais habitué à l’avoir sur mes talons. J’y prenais plaisir. C’était ma petite sœur, ma sœur à moi. Quand ce plaisir s’est-il teinté de la satisfaction de voir que je pouvais exercer mon influence sur quelqu’un ? J’ignore la réponse. Mais il y a eu une époque où je la regardais seulement avec tendresse et amour. Une époque dont je me souviens, vaguement. « Oh, ça fait dix ans cette année que папа est parti. » Dix ans. Ça ne signifie pas grand-chose pour moi. Ça pourrait être tout aussi vingt, sans que l’impact soit différent. Mais pour Alfhild, c’est probablement autre chose.

J’appuie mon bras sur le comptoir, jetant un coup d’œil aux deux oiseaux, avant de reporter mon attention sur ma sœur. : « Dix ans, c’est à la fois peu et beaucoup. J’imagine qu’il te manque ? » Question rhétorique. Moi, il ne me manque pas. Et si j’étais assez curieux pour vouloir au moins voir une photo, je n’aurais pas forcément envie de le rencontrer, si j’en avais l’occasion. Je crains l’homme à l’origine de Fredrikke, je redoute autant de découvrir qu’il est semblable à lui que totalement différent. Aucune option ne s’avère satisfaisante. «  Je me souviens un peu de cette époque, quand tu me suivais… J’aimais te montrer des choses, pouvoir être un grand frère. Les traces d’ours, c’était un peu pour te faire peur, mais c’était surtout pour te donner l’envie de tout découvrir, sans te limiter. » Même si elle était super jeune. Mais ce fragment de passé, il compte à peine vu tout ce qui a suivi. Mes yeux se font malgré tout plus tendres, alors que je l’observe. Je marque une seconde de silence, en me demandant momentanément où est encore passé cette fichue Ashes, que je ne vois plus. Tant qu’elle n’est pas allée discrètement se changer en serpent quelque part…Je reprends : « J’crois pas venir à Yules, désolé. Faire semblant que je suis lui au quotidien…C’est pesant, mais c’est encore pire avec la famille. À moins que je change d’idée, mais ça m’étonnerait. » J’ai l’impression d’encore l’abandonner. Je me promets d’y repenser, plus tard. Une autre question demeure, et j’enchaîne aussitôt : « Je me souviens plus si tu m’en as déjà parlé par lettre…il s’est passé quoi, avec Toni ? Pourquoi tu dis que tu l’as déçue ? » Une grimace m’échappe lorsque je vois, plus loin, le bout d’une queue écaillée qui se faufile dans l’entrebâillements de la porte. Foutue Ashes.
Alfhild Mørk
Alfhild Mørk
TRØBBEL För att nå toppen av trädet måste du sikta mot himlen

Goodbye

  @Fredrikke Mørk  Décembre 2022



« Dix ans, c’est à la fois peu et beaucoup. J’imagine qu’il te manque ? » Elle hoche la tête lentement, le visage dans la vapeur chaude de son thé. Oui, il lui manque. D'un manque étrange, moins brûlant qu'avant. Un manque qui s'oublie et qui, en s'oubliant, fait plus mal encore. Il lui manque dans sa tristesse de ce silence qui n'en finit plus de l'éloigner du monde. S'il était encore là, quelque part, s'il daignait au moins lui envoyer un signe, une boule duvette de linaigrette comme celles qu'il s'amusait à cueillir pour fleurir sa vaste chambre de pierre des sous-sols. Elle n'en demanderait pas tant, évidemment. Juste un morceau de parchemin vide lui suffirait. Mais elle n'a rien. Pas même le réconfort d'un rapide message d'au-revoir. Rien que la réalité brutale, murale, qui avait jaillit dans son quotidien, un beau soir de décembre. Juste avant Yule. Elle n'en n'est plus aussi dévastée qu'avant, pourtant la mélancolie qui s'est mue en longue complainte fait mouvoir ses iris dans la cuisine de Fred. C'est peu, dix ans qu'il a dit. Et pourtant c'est tellement long. Elle a tellement changé en dix ans. Elle n'est plus la petite Alfhild tout juste sortie de sa tanière, redécouvrant le monde avec son ravissement décalé et son empressement gênant. Beaucoup de ses illusions de l'époque se sont desséchées. Bouquets brunis qu'elle porte encore malgré tout en sein cœur comme un précieux trésor intangible. Parfois, elle se dit que ce serait plus simple, d'en vouloir à ce père disparu plutôt que de continuer à lui trouver encore des excuses et de se blâmer elle-même. Car elle s'en veut, comme toujours, Alfhild. C'est ce qu'elle fait de mieux, s'en vouloir pour le comportement des autres. Se mettre en cause, mettre la faute sur son comportement. Non par égocentrisme, mais parce que c'est souvent la seule réponse qui lui semble logique. La seule réponse aussi qui lui permet de fermer les yeux sur les autres raisons qui pourraient la blesser plus profondément encore. La seule raison qui la rattache à un sens mérité. «  Je me souviens un peu de cette époque, quand tu me suivais… J’aimais te montrer des choses, pouvoir être un grand frère. Les traces d’ours, c’était un peu pour te faire peur, mais c’était surtout pour te donner l’envie de tout découvrir, sans te limiter. » Ses paupières cillent pour chasser l'humidité que la vapeur de thé fait naître au bord des cils. Les yeux qu'elle relève vers l'homme sont chargés d'émotions qu'elle ne veut pas trier tant elles sont mêlées les uns aux autres. La fatigue revient, serpentant entre ses os, pour lui rappeler les efforts mentaux qu'elle fourni depuis qu'elle a osé frapper à la porte de Fred. Sans oublier la crise hemskökt de précédente. Elle se sent vidée, incapable de faire le moindre barrage aux vagues qui roulent dans son âme. Elle a envie de pleurer, de s'allonger, de se rouler en boule au creux d'un canapé chaud au son d'une conversation anodine prononcées par des voix amies. Elle a envie d'oublier son nom, qui elle est, et de n'exister que dans la vapeur flottante du demi-songe. Elle a envie d'être à nouveau cette petite fille qui avait un grand-frère à suivre partout et qui était prêt à lui monter mille choses merveilleuses de la vie. De revoir l'éclat blanc de la neige tout autour d'eux, d'entendre le murmure de la mer comme seul fond sonore à ses propres pensées. Ne plus entendre les murmures des autres, celui qui ne cesse jamais. Celui qui a tout brisé entre eux. Ses espoirs, leur amitié, leur innocence. « J’crois pas venir à Yules, désolé. Faire semblant que je suis lui au quotidien…C’est pesant, mais c’est encore pire avec la famille. À moins que je change d’idée, mais ça m’étonnerait. » Deuxième hochement de tête muet qui la fait glisser son regard vers un point plus lointain derrière lui. Elle comprend pourquoi, même si cela la rend légèrement triste. Ou soulagée. Un peu des deux. Elle n'est pas certaine après réflexion qu'elle aurait été capable de supporter Fred qui agit comme Fredrikke devant tout le monde. Mais est-ce qu'elle arrive à supporter quoi que ce soit dans les réunions des Mørk ? Depuis la dernière expérience désastreuse avec Gunnar et Toni, elle se sent si peu légitime à le faire. C'est un peu comme si elle avait déchiré son propre linceul de protection qui la préservait encore de leurs sévérités à eux aussi. Avant elle avait la sensation d'avoir le droit d'être décalée, étrange, flottante parmi eux. Désormais, les rares fois où elle s'est retrouvé dans un des salons du manoir, elle a eu l'impression d'être de trop. Pour tout le monde. Elle a fait comme toujours, elle en a rit, plus amère que d'ordinaire. Elle a parlé avec les fantômes, se moquant des regards noirs que cela avait provoqué, tout en se fracturant contre chacun d'entre eux. Oui, c'est peut-être bien mieux qu'il ne vienne pas. Qu'il ne voit à quel point elle dénote dans la famille. A quel point elle est une déception de tous les instants. A quel point elle mérite, sans doute, tous ces qualificatifs qu'il lui refuse aujourd'hui. « Je me souviens plus si tu m’en as déjà parlé par lettre…il s’est passé quoi, avec Toni ? Pourquoi tu dis que tu l’as déçue ? » Un léger voile couvre ses yeux alors que les souvenirs de cette soirée maudite revienne plus précisément dans sa mémoire. Son excitation sautillante qui hurlait dans chacun de ses gestes quand elle avait traversé le jardin des Mørk aux côtés de Fen, son nouveau colocataire. Elle revoit le tranchant avec lequel chacun des convives présents avait salué l'homme de son nom de Mørk mort par leurs décisions. Cette rage qui avait flambé immédiatement dans son être. Cette injustice, cette amertume, cette colère chargée de pluie de les voir toujours aussi fermés et enclavés dans leurs carcans. Mais tout cela n'avait été que de sa faute à elle. Elle aurait dû prévoir qu'ils réagiraient de cette façon, qu'ils ne pourraient pas juste prendre la nouvelle avec une certaine retenue. Non, les Mørk ont un sens aigu du drame et des grandes envolées quand on leur en donne l'occasion. Et Fen et Alfhild le leur avait servi sur un sublime plateau d'argent.

Le souvenir est douloureux, amer, triste. Profondément triste. Ses lèvres se perdent dans la tasse pour avaler le sourire triste qui s'y faufilait. De plusieurs longues gorgées elle englouti le thé qui s'y trouve pour noyer le mélange informe de ses sentiments à ce sujet. Toni. Elle ne peut songer à elle sans éprouver les mille regrets du rocher perdu de vue. Jusqu'à présent elle s'était toujours tournée vers sa tante pour aller s'échouer quand la vie devenait trop difficile à porter au-dessus de ses épaules. Toni qui avait été la seule à la retrouver après l'Egypte et à comprendre son départ rapide et silencieux. La seule qui l'avait accueillie sans même considérer cette année d'absence comme un sujet. La seule qu'elle tremble de perdre comme une mère. La pensée lui arrache un frisson qui fait ciller ses paupières avec empressement. « C'est rien, c'est ridicule même. » Sa voix à moitié lovée dans la tasse désormais vide sonne faux. Elle se force à parler pour ravaler la marée qui voulait s'échapper. Un soupire la traverse avant qu'elle ne relève enfin les yeux vers Fred un court instant avant qu'elle ne se remette en mouvement pour aller déposer sa tasse sur le comptoir et lui tourner le dos. Parce qu'elle n'assume pas, Alfhild, cette ultime déception dont elle est à l'origine. « L'autre fois, en juin, je me suis fâchée contre elle parce qu'elle avait appelé notre cousin Fen par son ancien prénom. Est-ce que tu te souviens seulement de Fen ? Le fils de Soli, un cracmol qu'ils ont fait passé pour mort avant de l'enfermer dans sa chambre. Une histoire qui t'en rappellera sans doute une autre. » Un souffle faussement amusé s'échappe de ses lèvres tandis qu'elle revient vers Dreymir qui s'élance vers elle pour se frotter contre sa joue. « Peu importe. De tous, je pensais qu'elle serait plus attentive que ça sur le côté déplacé d'oser l'appeler par son ancien prénom plutôt que de le considérer comme l'homme qu'il est devenu. Loin d'eux. Je me suis fâchée, et elle n'a pas compris que je n'ai pas compris qu'elle essayait de se moquer de Gunnar ou quelque chose comme ça. Et elle n'a pas compris qu'elle avait pas le droit d'utiliser Fen, une nouvelle fois, pour se moquer de quelqu'un. Enfin je m'embrouille. Je suis désolée. Je ne sais plus où j'en suis là-dedans. Je suis fatiguée. » La voix s'étire vers le murmure, simple, doux, triste. Un aveu qui va au-delà d'une fatigue de l'instant présent, au-delà du physique de la journée. Une fatigue générale qu'elle énonce avec une clairvoyance soudaine qu'elle ne perçoit même pas. Cette fois, Alfhild ne parvient pas à retrouver son énergie habituelle, et elle ne cherche pas à feindre. Ses doigts se sont remis à trembler et elle sent, la jeune Mørk, qu'il est temps qu'elle parte. Que prolonger plus longtemps cette première entrevue risque de la mener droit vers l'épuisement de ses maigres réserves et vers une potentielle crise d'angoisse. Et Fred à déjà vu assez de crise pour aujourd'hui. « En parlant de Fen, je lui avais promis d'être là pas trop tard pour l'aider sur son dernier projet de couture. » Un éclat de lumière tendre perce dans ses yeux pâles, brumes d'un matin d'hiver. Tout son corps s'excuse en même temps que ses mains se referment sur son sac de cuir. « Je devrais y aller, je ne veux pas t'embêter plus longtemps de toute façon. Mais j'espère que tu me laisseras revenir te voir ? A défaut de te croiser à Yule ? Tu as raison de pas y aller, d'ailleurs. Peut-être qu'un jour je trouverais la force d'arrêter, aussi. Mais si tu veux bien, j'aimerais. Essayer encore. » De le regarder, de manger ses pâtisseries, de lui parler, de le côtoyer avec douceur et sans crainte, de ne pas sombrer dans ses trop nombreuses pathologies, d'être moins Mørk, et plus Alfhild. Elle sourit doucement, avant de baisser les yeux, une fois de plus. Entre honte et gêne, avec la sensation de fuir et la peur de le décevoir.



Fredrikke Mørk
Fredrikke Mørk
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Mes yeux passent de ma fylgia à Alfhild, qui ne répond pas immédiatement. Ses yeux se voilent légèrement et ses lèvres avalent le contenu de sa tasse. Ma question était peut-être trop pointue, trop directe. Je suis encore perdu dans les limites des interrogations que je peux prononcer à voix haute, et celles que je devrais plutôt taire. Ce genre de maladresse arrive beaucoup trop souvent. Silencieux, sans rajouter quoi que ce soit ni m’excuser – la question me semble quand même pertinente – j’attends. Qu’elle parle ou qu’elle refuse de le faire. La deuxième option est probablement la plus plausible : elle ne me doit rien, pas même des réponses, qu’elle m’a déjà trop données. « C'est rien, c'est ridicule même. » S’il y a bien une chose de certaine, c’est que ce n’est pas rien. Fredrikke était un bon observateur. Il avait besoin de l’être, pour cibler les faiblesses des gens. Moi, je n’ai pas besoin d’être quoi que ce soit, en cet instant, pour comprendre que ce n’est pas ridicule. Toutes les réactions d’Alfhild disent le contraire. Elle soupire avant de me regarder, trop brièvement, me tournant ensuite le dos en allant déposer sa tasse sur le comptoir. « L'autre fois, en juin, je me suis fâchée contre elle parce qu'elle avait appelé notre cousin Fen par son ancien prénom. Est-ce que tu te souviens seulement de Fen ? Le fils de Soli, un cracmol qu'ils ont fait passé pour mort avant de l'enfermer dans sa chambre. Une histoire qui t'en rappellera sans doute une autre. » Je me souviens – de façon récente – davantage de Soli que de son fils. Je l’ai très rarement croisé depuis mon réveil, et la seule chose qui me vient en tête lorsque je songe à lui, c’est qu’il ne semble pas trop m’apprécier. Rien de notable, en somme. J’ignorais néanmoins ce pan de son histoire : elle ne fait que me conforter que les Mørk sont, dans l’ensemble, déséquilibrés. Elle revient vers Dreymir, tandis que j’attends la suite. « Peu importe. De tous, je pensais qu'elle serait plus attentive que ça sur le côté déplacé d'oser l'appeler par son ancien prénom plutôt que de le considérer comme l'homme qu'il est devenu. Loin d'eux. Je me suis fâchée, et elle n'a pas compris que je n'ai pas compris qu'elle essayait de se moquer de Gunnar ou quelque chose comme ça. Et elle n'a pas compris qu'elle avait pas le droit d'utiliser Fen, une nouvelle fois, pour se moquer de quelqu'un. Enfin je m'embrouille. Je suis désolée. Je ne sais plus où j'en suis là-dedans. Je suis fatiguée. » Je fronce les sourcils, alors que je noue les liens entre eux. Les éléments sont à la fois détaillés et troubles. Une simple explication entre les deux n’auraient pas pu régler la situation ? Pourquoi Tony, qui lui semble si compréhensive et gentille, aurait été déçue d’une réaction légitime ? Je n’insiste pas, retenant ma question, hochant simplement la tête à la mention de sa fatigue. Je l’ai retenue longtemps, trop longtemps, égoïstement, alors que j’aurais peut-être dû lui proposer plutôt de rentrer chez elle, aussitôt après la crise. Ce n’est pas comme si j’étais la meilleure personne pour la réconforter et prendre soin d’elle.

Le chat vient de nouveau ronronner contre ma cheville, alors qu’Alfhild poursuit : « En parlant de Fen, je lui avais promis d'être là pas trop tard pour l'aider sur son dernier projet de couture. » J’hoche de nouveau la tête, comprenant l’aurevoir implicite. Un aurevoir, c’est beaucoup mieux qu’un adieu, beaucoup mieux que ce que j’avais envisagé, la veille. Je l'observe refermer ses mains sur son sac, tandis qu'un fragment de lumière perce ses yeux.  Je préfère quand cette lumière est présente et j’espère que je ne serai plus jamais celui qui l’éteint. « Je devrais y aller, je ne veux pas t'embêter plus longtemps de toute façon. Mais j'espère que tu me laisseras revenir te voir ? A défaut de te croiser à Yule ? Tu as raison de pas y aller, d'ailleurs. Peut-être qu'un jour je trouverais la force d'arrêter, aussi. Mais si tu veux bien, j'aimerais. Essayer encore. » Impossible qu’elle m’embête. Jamais. Elle est une fleur dans mon monde en décomposition. La seule personne sur qui je suis certain de pouvoir me fier. Sauf qu’elle, ne pourrait pas avoir la même certitude. J’hoche simplement la tête dans un signe de compréhension, un sourire sincère s’étirant sur mes lèvres : « Reviens quand tu veux, tu seras toujours la bienvenue ici. » Même si je comprends que ce lieu, et ma présence, ne doit pas donner franchement envie d’y revenir. Peut-être que si je n’y étais pas, qu’elle s’habituait simplement à mon environnement et aux animaux, au tout début, pas à pas…? J’aimerais que ce genre de moments puissent être plus fréquents, sans être provoqués par un drame en sursis ou des regrets trop énormes. J’attends qu’elle achève de se préparer, avant de rajouter : « Et Alfhild…? » Je cherche les bons mots, sans les trouver. Fredrikke était peut-être charismatique et beau-parleur, mais je suis certain qu’il était peu doué, dès qu’il s’agissait d’être honnête. Mes yeux d’un bleu tendre se pose sur elle, alors que j’affirme : « J’ai été le pire des frères, mais si jamais tu as besoin de parler, de Toni, de la famille, de n’importe quoi, n’hésite pas à me contacter. » Ça n'arrivera probablement pas, mais je veux qu’elle le sache. Que cette relation ne soit pas seulement dans un sens, avec moi qui lui balance beaucoup trop de choses, sans qu’elle ne le fasse aussi. Idéalement, suite à nos dernières missives et à cette conversation, je compte réduire de toute façon le nombre de lettres où je lui parle trop de mon état. Je ne lui fais pas de câlin, je ne fais même pas mine de m’avancer vers elle. L’envie y est, pourtant. Je me contente de conclure : « Je veux être là pour toi. » Positivement. Pas seulement aujourd’hui, mais aussi les autres jours. Je veux qu’Alfhild ait un frère.

Lorsque la porte claque et que mon appartement se retrouve vide, je reste un moment à fixer le comptoir, sans bouger. J’observe sa tasse de thé, je songe à ce qui s’est dit, à ce que j’ai appris. À ses yeux qui m’évitent trop souvent. Je regarde les croquettes de poisson restantes, que le chat termine prestement. Ai-je beaucoup merdé, aujourd’hui ? Le colocataire d’Alfhild devra-t-il la réconforter de sa rencontre avec moi ? Je l’ignore.  Tout ce que je sais, c’est que je veux mieux faire.

La prochaine fois, je lui cuisinerai des roulés à la cannelle.
Alfhild Mørk
Alfhild Mørk
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Goodbye

  @Fredrikke Mørk  Décembre 2022



Il sourit, il comprend, il acquiesce même et Alfhild est soulagée qu'il ne semble pas se montrer fâché de son annonce de départ. Aussi soudain que peut-être légèrement précipité. Ses yeux cillent, se baissent, elle est sincèrement désolée de se sentir le besoin de fuir après les conversations qu'iels viennent d'avoir. Après avoir réussi à regarder ses yeux à lui plus de trois secondes sans se sentir être envahie d'une vague d'angoisses terrible. « Reviens quand tu veux, tu seras toujours la bienvenue ici. » La phrase fait naître une douce sensation de chaleur dans son ventre et Alfhild sent ses joues prendre quelques couleurs. Jamais elle n'avait songé pouvoir entendre Fred prononcer ce genre de phrase à son attention. Peut-être même qu'elle craint encore qu'il cherche à la retenir d'une certaine façon. Mais non, ce n'est plus ce qu'elle craint. Elle se rend compte qu'elle n'a pas envie de le craindre. Elle est trop prompt à vouloir oublier qui il était sans doute. Parce que c'est plus facile de faire entièrement abstraction du passé pour plonger dans ce futur qui semble en effet, réel. Possible. Ce futur qui perlait dans les lettres qu'ils s'envoient depuis quelques mois. Celui d'un Fred qui prend une place, qui lui parle sans planter des épines dans ses nerfs. Un Fred qui la considère pour se qu'elle est malgré ses innombrables défauts. Elle n'ose pas encore y croire trop fort, mais elle prend le risque de se laisser toucher par la caresse délicate de ce rêve, aussi doux et fragile qu'une aile de papillon. Tout en gardant ses yeux baissés, la jeune sœur s'active à finir de préparer ses affaires, ce qui consiste principalement à remettre une veste et boucler les lanières de cuir du sac, avant de se rapprocher, hésitante, de la sortie de la cuisine. « Et Alfhild…? » La question l'arrête net et son visage intrigué se tourne vers Fred avec un mélange de crainte floue et d'espoirs inconnus. Un mixte de sentiments qui témoignent à eux seuls de l'étrangeté de leur entrevue. Elle craint, encore un peu malgré elle, qu'il ne la retienne pour lui dire quelque chose comme ah ah je t'ai bien eue maintenant regarde comme je vais piétiner ton âme. Tout en espérant qu'il ne cherche à lui dire que quelques mots doux pour lui dire à quel point il est vraiment ce Fred qu'il dit être et non plus ce Fredrikkz qu'il était. Son cœur s'emballe, ses doigts se serrent sur le bord du sac qu'elle tient comme si elle avait peur de le voir tomber au sol tout en croisant le regard tendre de son adelphe. Le regard d'un frère qui la fait frémir tant il est doux et sincère. Du moins elle veut le croire sincère. Elle n'a plus la force de croire qu'il joue encore. Elle ne sait plus. Tout se mêle dans sa tête. Il est temps qu'elle fasse le point, qu'elle se roule en boule quelque part sous une couverture. « J’ai été le pire des frères, mais si jamais tu as besoin de parler, de Toni, de la famille, de n’importe quoi, n’hésite pas à me contacter. » Les mots la touchent comme la caresse d'une première neige et fait fondre ses dernières barrières mentales. Ses yeux écarquillent sous le sens de toute cette tendresse qu'il témoigne et qu'elle ne parvient pas à répartir assez vite. La boule lui bloque la gorge et humifie ses yeux sans qu'elle ne puisse lutter. Et elle ne lutte jamais Alfhild, de manière générale. Quand ses yeux se baissent à nouveau, un sourire immense et lumineux brille sur ses lèvres. Elle hoche la tête, muette de sentiments qui fourmillent de partout.

La Mørk fait quelques pas supplémentaires vers la porte de l'appartement, la tête toujours baissée et souriante, avant d'actionner la poignée et d'entrouvrir le battant. Alors seulement elle se retourne vers son frère, la tête penchée sur le côté, elle parvient à lui lancer un : « Merci Fred » avant de s'échapper vers l'extérieur pour de bon. La porte se referme derrière elle et son cœur explose une nouvelle fois sous différents sentiments, entre soulagements et espoirs tendres qui lui donnent un air rêveur sur le visage tandis qu'elle quitte le bâtiment. Une fois dehors, l'air frais de la fin d'après-midi est un bol d'air pur qui chasse une première vague de fatigue, momentanément. Ses poumons se remplissent d'air comme s'ils n'avaient fonctionné qu'à moitié depuis qu'elle avait passé la porte de l'appartement de Fred. Sa poitrine se dégage plus clairement et quelques larmes, de froid, roulent sur ses joues blanches. Lorsqu'elle transplane enfin devant chez elle, Alfhild se précipite à l'intérieur des odeurs familières. Son cocon l'enserre de chaleur et d'un réconfort dont elle a désespérément besoin. Tout en langage sans parole parle pour elle auprès de ses amis, il n'en faut pas beaucoup chez eux, pour déclencher une vaste opération de chocolats chaud sur le canapé au coin du feu à se raconter des histoires drôles, tout en tressant des cheveux.

Elle aura bien assez de la nuit blanche qui s'annonce pour refaire cent fois la conversation qu'elle a eu avec Fred, et relire mille fois les lignes de ce carnet aux récits sanglants.


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