2003 // 7 ans Leo s’amusait, seul dans le jardin. Il s’approchait dangereusement de l’endroit où ses parents avaient plantés leurs dernières fleurs. Ils lui avaient dit de ne pas trop s’en approcher, pour les laisser pousser, mais il avait déjà oublié. Gamin tête en l’air, à qui il fallait répéter les choses au moins trois fois pour qu’il s’en souvienne. Sara Rolfdóttir le savait bien, et elle gardait un œil sur son enfant depuis la fenêtre du salon, qui donnait sur le jardin. En voyant que Leo se mettait à courir bien trop près de son précieux parterre de fleurs, elle se redressa, se préparant à aller sauver les graines. C’était sans compter la maladresse de l’enfant : on ne saura jamais sur quoi il a trébuché, mais il s’étala de tout son long dans la terre, tête la première. Sara grimaça, soupira et fit coulisser la porte-fenêtre de la véranda. Mais elle ne fit pas un pas de plus. Elle ouvrit de grands yeux, resta bouche bée. Leo avait les mains dans la terre, et il louchait presque sur les fleurs qui s’étaient mises à pousser juste sous son nez.


2007 // 11 ans Sara et Einar, comme de nombreux islandais, croyaient en la magie, ou du moins en l’existence d’elfes et de fantômes, vivant avec eux sur leur île. Mais ils ne s’expliquaient pas vraiment pourquoi tant de choses inexplicables se passaient autour de Leo, plus qu’autour de n’importe quel autre enfant. Et comme l’esprit humain était très doué pour ignorer ce qu’il ne comprenait pas, ils ne se posaient pas plus de questions que ça. C’était inexplicable, alors ils n’allaient pas essayer de l’expliquer. C’est pourquoi ils restèrent quand même dubitatif devant le courrier qu’ils avaient reçu dans leur boîte aux lettres ce matin-là. Leo et son frère, Niklas, avaient essayé de regarder, avant de se faire mettre à la porte du salon par leurs parents. Le plus âgé des deux tenait également leur petite sœur Elise dans les bras, ce qui n’était pas pratique pour écouter à la porte. De toute façon, ils n’entendaient pas grand-chose, même en se concentrant très fort. Leurs parents les connaissaient trop bien et se contentaient de chuchoter, sur un ton inquiet et précipité. Après quelques secondes de silence, les enfants entendirent les pas de leur père se diriger vers la porte, et ils s’enfuirent sans demander leur reste.

Quelques semaines plus tard, Einar parla de Durmstrang à Leo. Lui et Sara avaient discuté par courrier avec un représentant de l’école (courrier qu’il recevait par hibou, ce qui avait achevé de le convaincre que tout ça était bien réel), et ils en étaient venus à la conclusion que cette école pourrait aider Leo. Ses pouvoirs se déclenchaient sans qu’il ne les contrôle vraiment, et ont déjà donné lieu à plusieurs… accidents. S’il pouvait apprendre à se contrôler, ce serait mieux pour lui, et pour les autres. Et Einar savait bien que son fils ne se sentait pas bien au milieu des autres enfants, et Sara et lui en étaient venus à la conclusion qu’il serait mieux avec des enfants comme lui… peut-être. Une décision qu’ils n’ont pas prises à la légère, ayant bombardé de questions ce représentant avec qui ils ont été mis en contact. Leo n’a pas tout compris. Il a hoché la tête, un peu effrayé, un peu émerveillé. D’un côté, il n’aimait pas l’idée d’aller vivre dans un institut. De l’autre côté, on venait de lui apprendre que la magie existait et qu’il pouvait apprendre à la maîtriser.

« C’est bizarre non ? » Dit Leo en fourrant un cookie entier dans sa bouche. Son frère était à l’autre bout de la table, et le regardait d’un air pensif. « Hm. Ça va faire bizarre à la maison, sans quelqu’un à embêter. » Leo ne savait pas quoi penser, de cette magie. Ses parents lui avaient parlé des elfes, évidemment, mais il e s’était pas dit que les humains pouvaient faire de la magie, eux. Et il ne connaissait personne d’autre comme lui. Alors il se posait des questions. « Tu trouves que je suis bizarre ? » Dit-il, le nez froncé, l’air sérieux tout à coup. Niklas éclata de rire, ce qui vexa Leo l’espace de quelques secondes. « Hein ? Évidemment. Mais c’est cool. Peut-être que tu cracheras des boules de feu quand tu reviendras. » Son frère se leva et lui ébouriffa les cheveux au passage. Leo essaya d’avoir l’air outré, mais se mit à rire lui aussi, avant de le suivre, comme à son habitude, petite ombre toujours sur ses talons.

C’est comme ça que ses parents payèrent un aller-retour à Göteborg pour la dernière semaine du mois d’août, pour l’emmener au bateau qui allait conduire leur fils à sa nouvelle école. Ils étaient inquiets, évidemment, et lui firent promettre de leur écrire tous les jours, du moins au début. On avait beau les avoir  prévenu qu’ils ne verraient pas le bateau, ils ne pouvaient pas être décemment préparés à voir leur enfant se… volatiliser, alors qu’ils ne l’avaient pas quitté des yeux. Sur le trajet du retour, ils ne pouvaient pas s’empêcher de se demander s’ils avaient fait une cruelle erreur.

Leo ne savait pas comment réagir à un quart de ce qu’il voyait se dérouler sous ses yeux. Les autres élèves lui semblaient intimidants. Il avait essayé de poser des questions à une autre élève, qui semblait avoir son âge, mais elle l’avait juste toisé pendant quelques secondes avant de se détourner. Alors il était retourné s’asseoir dans son coin, les yeux perdus dans le paysage marin qui défilait à une vitesse folle sous ses yeux.


2008 // 12 ans Il n’avait pas eu d’autre choix que d’apprendre le décès de son frère dans une lettre de ses parents. Il n’avait pu que fixer les mots pendant de longues minutes, sans vraiment les comprendre. Sans réussir à réaliser. Il savait que la santé de Niklas s’était dégradée ces derniers mois, et il l’avait vu lui-même cet été, lorsqu’il était rentré après avoir terminé sa première année à Durmstrang. Mais quelque part, il avait toujours pensé que tout irait bien. Et il ne pouvait rien faire. Il ne pouvait pas rentrer chez lui, il ne pouvait pas parler à ses parents par téléphone. Il pouvait juste attendre les prochaines vacances, et retrouver une maison un peu plus vide.

Pas tant que ça. Après quelques semaines, il était finalement rentré pour Noël. Personne n’avait vraiment le cœur à la fête. Dès le premier jour, Leo sentait que quelque chose n’allait pas. Il s’était assis sur son lit, dans sa chambre, et fixait la porte de celle de Niklas, de l’autre côté du couloir. Il n’osait pas y aller, pas encore. Mais au bout de trois jours, il poussa la porte, sachant qu’il était là.
Et il discuta avec son frère, pendant des heures, et il était heureux. De pouvoir lui dire ce qu’il ressentait. De pouvoir sentir sa présence, même si ce n’était pas pareil. Finalement, il descendit les escaliers de sa maison quatre à quatre, content d’aller prévenir ses parents : « Je lui ai parlé ! J’ai pu parlé à Niklas ! Il est en haut ! » Il eut du mal à comprendre pourquoi sa mère avait l’air si horrifiée, et son père si triste.


2010 // 14 ans Leo essuya ses larmes, enfermé dans la chambre de Niklas, adossé contre la porte. Il inspira à fond, avant de parler. « Viens avec nous, » murmure-t-il, d’une voix à peine audible. Ils ont déjà eu cette conversation. Plusieurs fois, depuis que leurs parents ont dit à Leo qu’ils déménageaient. La prochaine fois qu’il reviendra de Durmstrang, ce sera dans une nouvelle maison. Pas la sienne. Pas la leur. Et Niklas ne les suivra pas. Peux pas, lui répond le fantôme. « Je veux pas y aller. » Il détestait déjà de ne pouvoir parler à sa famille que quelques fois par an, de ne pouvoir vraiment les voir que l’été. Il avait déjà du mal à avoir des conversations avec Elise. Et cette nouvelle maison… Non, il n’en voulait pas. Mais ses parents avaient été catégoriques. Ils n’aimaient pas le voir s’enfermer dans cette chambre toute la journée, à parler avec un fantôme. Ils disaient que cet endroit perturbait Leo. Qu’il fallait prendre un nouveau départ. Mais il ne voulait pas. Me laisse pas. Son coeur se serra. Trop d’émotions. Peur, tristesse. Colère. « Pourquoi t’es encore là ? Qu’est-ce qui te retiens ? » Il porte ses mains contre ses oreilles, comme si ça pouvait changer quelque chose. Peur. Seul. Leo voulait lui tendre la main. L’attraper. Lui dire que tout ira bien. « Je suis désolé. »


2014 // 18 ans Il les avait prévenu, pourtant. Il leur avait dit qu’il rentrerait en transplanant, étant donné qu’il venait d’avoir son permis. Sa mère lui avait répondu, lui demandant de préciser ce qu’il voulait dire. Ça arrivait de plus en plus souvent. Ils ne se comprenaient plus vraiment. Leo devait expliquer des choses qui avaient fini par faire partie de son quotidien. Il ne pouvait pas parler de ses journées à l’institut sans remarquer la taille du gouffre qui le séparait désormais de sa famille. Ses tours de magie commençaient à ne plus vraiment amuser Elise. Et il y avait cette maison, qu’il n’avait jamais réussi à apprécier. Il y passait simplement ses vacances. Il n’avait aucun souvenir à l’intérieur. Il avait l’impression d’être dans une location de vacances, attendait impatiemment de rentrer chez lui. Il pensait à Niklas. Il les avait prévenu. Il leur avait dit qu’il allait se téléporter, et ce mot, au moins, ils le comprenaient. Mais ça restait surprenant, sûrement. « Je suis rentré, » a-t-il lancé dans la maison, quelques minutes après être arrivé dans sa chambre. Il fut accueilli par un cri de surprise, un bruit de verre cassé sur le carrelage. Il s’est précipité dans la pièce d’où provenait le bruit, pour voir toute sa famille le regarder avec des yeux ronds. Ses parents finirent par lui sourire. « Leo, tu m’as fait peur. » Dit simplement sa mère avant de venir l’embrasser. Il lui répond par un sourire un peu triste.


2019 // 23 ans La rentrée avait été étrange, cette fois. Tous les élèves de dødelig avaient été appelés à rejoindre l’un des trois autres clans de Durmstrang. Il avait choisi skjerme, sans faire d’histoires, un clan qu’il estimait lui correspondre, mais il n’avait pas fait ça de gaieté de coeur. Depuis son arrivée à Durmstrang, il avait fait du clan dødelig sa fierté, un clan auquel il était fier d’appartenir. Il aimait n’être qu’avec des né-moldus, parce qu’il savait qu’ils pouvaient compter les uns sur les autres. Les plus âgés pouvaient aider les plus jeunes à se repérer, à comprendre un peu ce monde totalement nouveau. Certes, l’institut se voulait plus inclusif, sur le papier du moins, mais il n’était pas sûr que ça règlerait les problèmes, au contraire. De nombreux sorciers ne seraient pas contents de les voir dans leurs dortoirs, et certains né-moldus auraient préféré ne pas avoir ce stress en plus, ne pas être éparpillés entre les différents clans. Lui en faisait partie, en tout cas. Mais bon. Il supposait qu’il fallait bien commencer quelque part. C’était peut-être un peu égoïste de sa part, mais il préférait son petit confort à un changement radical qui serait peut-être bénéfique dans plusieurs années, quand il ne serait plus là pour le voir. En attendant, aujourd’hui, il n’avait pas retrouvé sa salle commune habituelle. Il avait presque l’impression d’être dans un tout nouvel établissement. Et il ne savait pas trop ce qu’il en pensait.