19 février 1999

Un dernier cri de souffrance avant qu’une petite bouille pleine de cheveux et de larmes ne montre le bout de son nez. On le dépose sur une surface chaude et réconfortante.

- Bonjour petit ange, je suis ta maman.

Une main qui attrape la sienne, minuscule, qui se referme sur un doigt d’une taille imposante.

- Et moi ton papa.

Des regards émus, brillants de joie face à cette nouvelle vie venue parfaire leur bonheur. Ha-ru, jour, comme la lumière du jour venue éclairer leur vie pour la rendre plus éclatante encore.

Printemps 2003 - 4 ans

“Ha-ru, où es-tu ?”

Des appels inquiets, des pas précipités, paniqués, puis des bras forts, une étreinte et un soupir de soulagement.

“Tu es là, Ran soit louée tu n’as rien. Combien de fois papa t’as dit de ne pas t’approcher de l’eau, c’est dangereux”.

C’est la troisième fois cette semaine que le petit garçon disparaît. Attiré par cette immense étendue bleu et chatoyante qui semble l’appeler, lui murmurer des promesses dont il n’a pas encore idée. Il aime la douce caresse de l’eau sur ses pieds et ses orteils, comme lorsque maman le câline le soir avant d’aller dormir.

Juin 2007 - 8 ans

Au loin, il voit le groupe de garçons qui lance quelque chose à l’eau et qui rient, pendant que la petite chose se débat. Il finit par comprendre que c’est un chat. Sans réfléchir, il court, il fonce et plonge dans l’eau. Tout s’est passé en quelques secondes. Il n’a pas réalisé l’étrangeté qui se répand sur son corps, cette facilité nouvelle à nager dans les flots déchaînés de ce jour orageux.

Il ressort, soulagé que le chaton soit en vie, qu’il aille bien. Ce sont les cris qui l’alertent. Les hurlements de terreurs des garçons moldus qui le traitent de monstre. Depuis quand les monstres sauvent-il les chatons ? Puis son regard tombe sur ses mains dotés de membranes de peau, sur ses pieds palmés. Paniqué, il manque de lâcher le chaton dans ses bras.

“Papa, maman !”

Il court à en perdre haleine et cette monstruosité disparaît lorsqu’il revient à la hauteur de ses parents.

“Papa, mes mains”.

Il pleure, il a peur, il ne comprend pas ce qui s’est passé. Pour le consoler, il a le droit de garder le chaton s’il promet de s’en occuper. Il promet. Rentré à la maison, Makki son nouveau protégé séché et rassasié, son père l’invite à le rejoindre dans le salon.

Il le regarde d’un air sérieux qu’il ne lui connaît pas. A-t-il fait une bêtise ? C’est parce que les garçons l’ont vu quand il a plongé dans l’eau ?

“Tu es un demi-triton à présent Ha-Ru”.

Pas de surnom affectueux, pas de lueur de fierté dans ce regard de glace. Juste un profond dégoût qu’il verra se développer dans les mois à venir.

Il est devenu quelque chose de mal.

Avril 2008 - 9 ans

Il regarde son père, valise en main. Il ne comprend pas pourquoi papa s'en va. Qu'a-t-il fait de mal ? Sa mère pleure dans la grande chambre là-haut. Elle a fermé la porte, mais il l'entend quand même. Un dernier regard pour son fils. Une dernière étreinte avec un “je suis désolé” soufflé comme une brise d’hiver. Légère mais glacée.

Son père le pose et ferme la porte. Voilà. C'est fini. Plus de papa.

Mai 2009 -  10 ans

“Maman j'ai faim.”

Pas de réponse. Pas un regard. Les yeux perdus dans le vide, sa mère ne ressemble plus à sa mère. Son corps est maigre, cela fait déjà plusieurs mois qu'elle ne sourit plus. Elle se contente de nourrir son fils, de lui donner ce qu'il veut, avant de retourner se prostrer dans le canapé. Mais aujourd'hui, elle n'a même pas pris la peine de lui faire à manger.

Il finit par la laisser et se rend dans la cuisine. Dans un placard, il trouve un paquet de chips.

“Tiens maman, il faut manger sinon tu vas être malade.”

Il essaie de lui glisser un pétale salé dans la bouche, qui reste hermétiquement close.

Après papa, c'était maman qui allait l'abandonner maintenant ?

Juin 2009 -  10 ans

“Nounou, pourquoi maman ne veut plus manger ?
- Parce que ta maman est triste
- Elle est triste parce que papa est parti ?
- Oui
- Pourquoi il est parti ? C'est à cause de moi ?”

Un soupir, une étreinte. Il a remarqué que sa gouvernante faisait souvent ça quand elle voulait esquiver ses questions.

“C'est compliqué mon chat.”

Ça aussi elle le disait souvent. C'est compliqué. Il n'avait rien vu de compliqué quand papa était parti et les avait laissés. Tout ce qu'il avait vu, c'était le trou qui s'était formé dans sa poitrine quand il avait compris qu'il ne reviendrait pas.

Juillet 2009 -  10 ans

“Ha-Ru je te présente Seo-jun. C'est mon petit-fils. Il vient juste d'emménager ici. Je me suis dit que vous pourriez jouer ensemble cet été”.

Ha-Ru regarde le garçon en face de lui qui lui sourit. Il a l'air gentil. Et il a un joli sourire. Le genre de sourire qui fait battre son cœur trop vite. Est-ce qu’on a le droit de tomber amoureux d’un garçon ?

Mi juillet 2009 -  10 ans

“Grand-mère elle dit que t’es un garçon particulier et qu’il faut que je sois gentil avec toi, c’est parce que t’es malade ?”

Une inquiétude véritable se peint sur le visage de Seo-jun. Malade ? Est-ce que rendre malheureux les gens qu’on aime, ça peut être considéré comme une maladie ?

“Non. J’ai juste un truc spécial que les autres ont pas.
- C’est pour ça que tu disparaît tout le temps ?
- Oui
- Tu me montreras un jour ton truc spécial ?
- Je sais pas si j’ai le droit…
- Promis je dirais rien à personne
- Tu voudras plus jamais me parler après…
- Promis juré que non”.

Fin juillet 2009 -  10 ans

Il a décidé de le croire alors aujourd’hui, il va lui montrer. Et si jamais il se moque de lui, ou s’il le traite de monstre, il lui met son poing dans la figure, parole de demi-triton.

“T’es vraiment sûr de sûr ?
- Ouais”.

Il lit l’appréhension sur son visage. Tant pis pour lui. Il se déshabille, vérifie qu’ils sont bien seuls et plonge dans l’eau…
~

“Woah sérieux ? T’es une sirène ?
- Demi.
- J’arrive pas à croire que ça existe pour de vrai ! C’est trop cool ! Et les dragons aussi alors ?”

Il sourit, il est heureux. Seo-jun trouve que son don est cool, il ne l’a pas traité de monstre, même quand il s’est transformé sous ses yeux.

Il sait qu’il n’a pas le droit de montrer son pouvoir aux moldus. Ni de leur parler de la magie. Mais avec Seo-jun c’est différent. Et il trouve qu’il est cool.

Novembre 2009 -  10 ans

“Ariel, faut absolument que tu testes ce jeu ! Il vient juste de sortir et il est génial !”

Ariel. C’est le surnom que lui a donné Seo-jun depuis qu’il sait pour son don. Il aime bien quand il l’appelle comme ça, il a l’impression d’être spécial.

Aujourd’hui il a eu le droit de sortir de la maison pour aller jouer chez Seo-jun. Il regarde avec perplexité cette boîte noire dans laquelle son hyung insère un disque brillant. Des images s’allument sur le grand rectangle posé contre le mur.

“C’est quoi ?
- Tu connais pas les jeux vidéos ?
- Non
- Tu vis vraiment sur une autre planète Ariel”

La semaine suivante, un écran plat flambant neuf ainsi qu’une console dernière génération trônent fièrement dans sa chambre. C’est le début d’une grande histoire.

Novembre 2009 -  10 ans

“Ha-Ru depuis combien de temps n’es tu pas allé dans l’eau ?
- Aucune idée.”

Il est bien trop occupé à tenter de dégommer ce foutu boss depuis des heures. Il n’a pas vu le temps passer. Soo-ah est inquiète. Elle hausse la voix, ce qu’elle ne fait jamais.

“Tu arrêtes ton jeu tout de suite et tu vas t’hydrater, sinon je te confisque la console.
- T’as pas le droit d’abord, t’es pas ma mère !
- J’ai tous les droits, je suis ta grand-mère.”

Ce sont ces mots qui le font réagir. Bien sûr que lui la considère comme un membre à part entière de sa famille. Mais il ne pensait pas que c’était également le cas de la vieille dame. Docilement, il met son jeu en pause et fait ce qu’elle lui a ordonné.

Lorsqu’il sort de la piscine, à l’arrière de la maison, elle le serre contre lui.

“Tu dois prendre soin de toi. Je ne serais pas toujours là pour le faire et je ne veux pas qu’il t’arrive malheur.”

Avril 2010 -  11 ans

Salut huyng,

J’espère que tu vas bien. ça fait bizarre de t’envoyer une lettre et pas un mail ou un texto. Mais ici les interférences magiques empêchent les trucs électroniques de marcher. Je peux même pas jouer à la DS tu te rends compte ? C’est l’enfer !  

Sinon, un des élèves de l’école m’a suivi quand je suis allé me baigner dans le parc. Maintenant toute l’école est au courant que je suis une demi-sirène et m’appelle la poiscaille. Ils disent que c’est pour rire et que je suis une sorte de mascotte, mais je vois bien leur air dégoûté quand ils me voient. Personne ne veut plus se mettre en binôme avec moi.

Pourquoi tout le monde n’est pas comme toi hyung… Vivement les prochaines vacances. J’ai hâte de vous retrouver toi et grand-mère Soo-ah.

A plus,
Ha-Ru.

Mai 2010 - 11 ans

Coucou grand-mère,

J’ai envoyé des lettres à maman, mais elle ne me répond pas. Alors je t’écris à toi. L’école ne veut pas me laisser rejoindre la mer plus régulièrement. Soi-disant que conformément au code international du secret magique, il est trop risqué de me transporter plusieurs fois par semaine près d’une étendue d’eau salée.

Ils ont bien créé une sorte d’océan miniature spécialement pour moi, mais ce n’est pas suffisant. L’eau ne contient pas les propriétés qu’il faut pour mon corps et ils ne veulent pas l’entendre.

Grand-mère, j’ai si mal, je t’en supplie dit à maman de faire quelque chose…

Ha-Ru

Novembre 2010 - 11 ans

Salut hyung,

Je suis désolé de pas avoir répondu plus tôt. J’étais hyper heureux de recevoir ta lettre. Mais des élèves me l’ont confisquée avant de la jeter au feu. Ils m’ont dit que si j’étais vraiment un poisson j’avais qu’à l’éteindre en crachant de l’eau.

Je les déteste tous. Les élèves comme les professeurs qui ne disent rien. Je veux partir d’ici.

Seul point positif de tout ce bordel, j’ai commencé à traîner avec un garçon. Je crois qu’il m’aime bien. Et moi aussi…

Dis hyung, j’en ai jamais parlé à personne avant mais… je crois que je préfère les garçons. Ça fait de moi quelqu’un d’encore plus bizarre tu crois ?

A plus hyung,
Ha-Ru

Février 2011 - 12 ans

Chère Mme Strandgaard,

Nous sommes au regret de vous annoncer que nous ne pourrons renouveler l’inscription de votre fils à l’école de magie Haneul pour l’année à venir.

Je suis certain que vous comprendrez parfaitement les raisons qui nous ont poussé à prendre cette décision difficile. La condition particulière du jeune Mr Strandgaard ne nous permet pas de subvenir à ses impératifs physiques.

De plus, il semblerait qu’il ait du mal à s’intégrer auprès de ses camarades. Sans compter qu’une étrange rumeur court dans les couloirs. Votre fils serait accusé d’avoir commis certains actes que je ne citerais pas, envers un ou plusieurs camarades masculin. Sachez que ce genre de comportement n’est pas toléré au sein de notre établissement.

Respectueusement,
Lee Do-Won
Directeur d’Haneul Magic School

Mars 2011 - 12 ans


“Ha-Ru tu ne retourneras pas à Haneul l’année prochaine. Ils m’ont envoyé une lettre le mois dernier. Ils ne veulent plus de toi”.

Il est soulagé. Il ne voulait pas faire de deuxième année dans cet enfer. Quand il a été surpris en train d’embrasser le garçon qu’il aimait bien, celui-ci a prétendu qu’il l’avait forcé. Après ça, il avait écopé d’un nouveau surnom, encore plus dégradant que le premier.

Pourquoi les gens sont-ils aussi méchants ?

Avril 2011 - 12 ans

“Mais enfin, ce n’est quand même pas compliqué de préparer un simple remède contre les furoncles ! C’est du niveau première année !”

Il regarde sa mère, debout face à lui, rouge de colère. Depuis qu’il est revenu de l’école, elle a changée. Elle n’est plus couchée toute la journée sur le canapé. Maintenant elle passe son temps à lui hurler dessus pour la moindre chose qui la contrarie. Comme si tout était toujours de sa faute.

C’est elle qui est obligée de lui donner des cours, puisque l’école l’a renvoyé. Mais il n’est pas sûr d’aimer cette nouvelle mère-professeur tyrannique. A choisir, il préférerait retourner à Haneul. Au moins quand il était là-bas, il savait qu’il avait un endroit où se réfugier, un cocon qui l’attendait quand il rentrerait.

Maintenant, il n’a plus de cocon du tout.

Elle vide son chaudron d’un coup de baguette et il recommence sa potion du début. En espérant la réussir cette fois-ci.

Juin 2011 - 12 ans

“Bonjour Ha-Ru, je m’appelle Hoon-hyuk Kim, je serais ton professeur particulier à partir d’aujourd’hui.”

Il observe l’homme qui se tient devant lui. Il est jeune et souriant. Doux et rassurant. Il lui inspire confiance. Mais il doit certainement être comme tous les autres, rempli de noirceur dans son cœur.

“Maman me déteste tellement, qu’elle veut même plus me donner de cours ?”

Un profond malaise se lit sur le visage de son nouveau professeur. Il n’a pas besoin qu’on le lui dise, il le sait.

Il sourit, même si au fond de lui son cœur se fissure doucement.

“C’est pas grave, moi je l’aime quand même”.

Août 2011 - 12 ans

Un bruit de chaise qu’on repousse. Il tend sa feuille à son professeur. C’est son premier contrôle depuis qu’il a commencé l’école à la maison. Et il ne veut pas décevoir le professeur Kim. Avec grand-mère Soo-ah et Seo-jun, il est le seul à être gentil avec lui.

Sa mère est de moins en moins à la maison. Elle a trouvé un travail qui lui prend beaucoup de temps. C’est en tout cas ce qu’elle lui a dit, quand il lui a demandé pourquoi elle ne rentrait plus le soir.

“C’est pas mal ça Ha-Ru. Il faudra retravailler quelques points en métamorphose, par contre la partie botanique est parfaite. Tu as fait du bon travail, félicitations !”

Il sourit. Personne ne l’a plus félicité depuis une éternité. Finalement, les cours ça lui plaît bien. Surtout quand l’enseignant fait l’effort de s’adapter à son mode de vie et à ses besoins.

Printemps 2012 - 13 ans

“Hyung attends-moi !”

Mais Seo-jun s’éloigne toujours plus loin, se mettant à courir en entendant ses appels avant de disparaître soudainement.

“Hyung je te préviens si tu reviens pas tout de suite…
- Tu vas faire quoi Ariel ?”

Il est soudainement derrière lui et il l’attrape pour le chatouiller. Il est trop près. Son cœur palpite. Il suffirait qu’il se retourne pour... Mais il a peur. Beaucoup trop peur de le perdre, qu’il le rejette, qu’il le déteste. Comme tous les autres.

Alors il ne fait rien. Il profite simplement de sa présence et de la chance qu’il a de l’avoir dans sa vie.

Automne 2012 - 13 ans

Seo-jun :
Grand-mère nous
emmène en ville boire
un bubble tea.
SMS 13:02

Seo-jun :
Dépêche toi de t’habiller
je sais que t’es encore en pyjama
SMS 13:12

Seo-jun :
Je suis sûr que t’es même
pas levé en fait…
SMS 13:18

Seo-jun :
A quelle heure tu t’es encore
couché ?
SMS 13:19

Seo-jun :
Ok c’est bon j’arrive.
T’as intérêt à être réveillé Ha-ru
sinon tu vas me chanter
sous l’océan toute la journée
SMS 13:24

Eté 2014 - 15 ans

“Pause ! J’ai trop faim !”

Seo-jun s’étire et pose la manette. Lui préfèrerait jouer encore, mais fait de même. Ils sont seuls chez lui. Seo-jun est venu passer le week-end avec lui.

“Tu veux manger quoi ?
- Un super truc ! Tu connais la petite supérette du quartier ? Elle ouverte 24h sur 24”.

Hochement de tête de négation. Non, il ne connaît pas. C’est toujours Soo-ah qui ramène de quoi manger et lui n’a jamais mis les pieds dans ce genre d’endroits. Il ne connaît presque rien du quartier dans lequel il vit. On lui a formellement interdit de sortir, pour ne pas éveiller les soupçons, alors il reste dans sa chambre.

Pas que ça le dérange de toute façon. Il préfère passer ses journées ou soirées sur sa console, quand le professeur Kim n’est pas là pour lui donner des cours, ou Soo-ah pour cuisiner avec lui.

“Alors viens avec moi !”

Il se lève et l’entraîne derrière lui. Il n'a pas très envie de sortir. Il est très tard et il ne sort jamais quand il fait nuit. Surtout après minuit.

“Mais grand-mère Soo-ah a dit-
- On s’en fiche, elle le saura pas. On va juste manger un truc et on rentre. T’inquiète pas Ariel”.

Encore ce sourire qui lui ferait accepter n’importe quoi. Il ne dit rien et le suit docilement dans les rues désertes, en souriant.

Automne 2015 - 16 ans

“Hé Ariel, tu sais pas ce qui m’est arrivé aujourd’hui au lycée ?
- Non, quoi ?”.

Ils sont tous les deux assis au bord de l’eau, dans une petite crique où il sait qu’il peut se baigner en toute tranquillité, loin des regards indiscrets.

“Une fille m’a fait sa déclaration. C’était… étrange. C’est la première fois que ça m’arrive.
- Ah”.

Son cœur se brise. Pas ça.

“Et alors, tu lui as répondu quoi ?”

Il ne veut pas le regarder. S’il répond qu’il a accepté ses sentiments, il ne veut pas qu’il voit l’expression de douleur qui se peindra sur son visage.

“Je lui ai dit que j’étais désolé, mais que j’aimais déjà quelqu’un”.

Il relève la tête.

“Quand est-ce que tu vas me le dire Ariel ?
- Te dire quoi ?
- Que tu m’aimes”.

Le visage de Seo-jun se rapproche beaucoup trop. Il est pétrifié, il ne bouge pas. Ses lèvres sont douces et chaudes. Son cœur est rempli de mini feux d’artifices. Il est si heureux. C’est très certainement le plus beau jour de sa vie.

“Je t’aime hyung”.

Une légère brise lui caresse les cheveux. Comme si Rán elle-même le félicitait et se réjouissait avec lui de cet instant unique et précieux.

Printemps 2016 - 17 ans

“On va déménager”

L'annonce tombe comme une masse sur son cœur.

“Ma mère a découvert qu’on sortait ensemble et… elle veut plus qu'on se voit. Elle a piqué une crise quand elle l’a appris. Grand-mère a essayé de la raisonner, mais ça n’a pas marché”.

Un silence. Les remous de l’océan caressent doucement ses pieds, comme pour l’apaiser, lui dire que ce n’est pas grave.

“Je suis désolé Ariel”.

Sa gorge est nouée. Il ne sait pas quoi dire. Il ne veut pas parler.

“Et puis, je crois que je préfère les filles… “

Son cœur se brise. Pourquoi la vie finit-elle toujours par lui prendre ce qui compte pour lui ?

Il lui sourit. Tristement.

“Je comprends hyung”.

Il l’embrasse. Une dernière fois. La toute dernière. Puis il plonge. Sans un regard en arrière. S’il y retourne maintenant, il ne pourra que laisser la douleur le détruire, l’anéantir.

Été 2016 - 17 ans

Lancer le stream

Il clique sur le bouton et lance son live pour la toute première fois. Il n’y a personne pour le moment. Mais ça lui permet de se sentir moins seul.

Il n’a pas eu de nouvelles de Seo-jun depuis leur dernière conversation. Il n’est pas venu lui dire au revoir, et il l’en remercie. Il n’aurait pas pu le supporter. Il avait déjà dû supporter trop de pertes dans sa vie. Il ne voulait plus avoir à en subir de nouveau.

Au moins, dans le monde virtuel, les gens allaient et venaient et on évitait de trop s’y attacher. Ce monde-ci était mieux que la triste réalité dans laquelle il était forcé d’évoluer.

Hiver 2016 - 17 ans

Les encouragement pleuvent sur le chat, tandis qu’il s’acharne à terrasser le dernier boss du niveau. Ils ne sont pas nombreux, une petite vingtaine, mais au moins, ils sont là pour lui, il ne se sent pas seul.

Eté 2019 - 20 ans

Il a l’impression d’avoir trouvé un certain équilibre dans sa vie. Il profite de petits moments avec grand-mère Soo-ah, continue ses études en enseignement supérieur avec le professeur kim et un autre professeur, spécialisé dans certains cours plus avancés. Regarde des films, séries et animés, passe trop de temps sur les réseaux sociaux, et il streame. Il partage des moments agréables avec de parfaits inconnus qui disent l’aimer, l’adorer, ou le détester.

Il commence à avoir une petite communauté de fidèles chevaliers des mers, surnom qu’il leur a donné. Il lui arrive également de sortir, de profiter de ce monde non magique qui lui apporte tellement plus que cette communauté cachée qui le rejette sans cesse. A l’exception de son don et de ce lien indéfectible avec la déesse Ran.

Il profite de ce que lui apporte la vie et ne se pose plus de questions. Si elle décide de lui prendre quelque chose, qu’elle le lui prenne. Il trouvera autre chose pour combler le trou qu’elle aura laissé. Il a l’habitude maintenant.

Son portable vibre. Un nouveau restaurant de tteokbokki vient d’ouvrir dans la ville d’à côté. Tester toutes sortes de restaurants en direct est sa nouvelle activité du moment. Ça lui rapporte pas mal de followers sur les réseaux mine de rien.

Un petit plongeon dans la piscine, son rituel crème de soin, avant d’appliquer une dose généreuse de fond de teint ultra couvrant, sur chaque partie de son corps susceptible de laisser apparaître le moindre élément compromettant (il ne manquerait plus que la brigade magique coréenne vienne l’enfermer pour non-respect du code international du secret magique).

Et c’est parti pour une nouvelle journée palpitante !

Printemps 2021 - 22 ans

“J’ai contacté la famille de ton père”.

Il ne répond rien, prétendument trop concentré sur son jeu.

“Tu vas aller vivre quelque temps avec eux, pour faire leur connaissance et t’imprégner de tes origines”.

Cette fois, il ne peut plus prétendre ne pas entendre. Hors de question de partir d’ici.

“C’est non négociable, ils tiennent absolument à ce que tu ailles là-bas. Que tu continues tes études ou non m’importe peu. Tu es un adulte, tu dois prendre tes responsabilités à présent et vivre ta vie”.

On essaie encore de lui arracher les dernières choses qui comptent pour lui. Son cocon, sa grand-mère, son pays. Il ne veut pas y aller. Puisqu’il est adulte, il est en capacité de décider lui-même ce qu’il veut faire de son existence.

Mais rien de ce qu’il peut dire à sa mère ne la fait changer d’avis. Soudain il comprend qu’elle veut simplement se débarrasser de lui. Ne plus l’avoir dans les pattes. Autrement, c’est dans sa propre famille qu’elle l’aurait envoyé.

Puisqu’il n’a pas le choix… en avant pour débuter une nouvelle vie dont il ne veut pas, dans un pays dont il parle la langue mais ne connaît pas les coutumes, pour y découvrir une famille qu’il ne connaît qu'à travers la haine de son père, et qui l’a détruit au point qu’il soit contraint d’abandonner son propre fils.

Comment ne pas se réjouir face à une si belle perspective d’avenir ?