Sérieusement ? Tu te moques de moi, c'est ça ? Je te préviens, j'en ai assez de tes petits jeux tordus.

Fred,

Aurons-nous le temps de s'habituer avant qu'elle ne change à nouveau ?
Tout m'est devenu incertain.

Ce doit être utile si tu en ressens le besoin. Les morts hantent souvent les endroits ou les personnes à qui ils ont fait du tord. Peut-être que finalement ce n'est qu'une réminiscence humaine d'un remord. Un besoin un peu égocentré de savoir ce que devient la personne.
Ce doit pas être une partie de plaisir pour ceux qui avaient croisé ta route avant.
Oda trouvera ça inconscient et tu finiras dans les sous-sols. Ils ont leurs charmes ceci-dit. Ca sent bon la terre salée.

Effacer le passé me parait illusoire. Le pardon se donne, il ne se demande pas.
Enfin je crois. Ou peut-être que si, des fois. Mais cela peut paraître encore plus déplacé.

Moi ça va. J'ai renoué avec quelques souvenirs d'enfance ces dernières nuits. Sans doute un brin de nostalgie.
On ne s'était pas parlé depuis tellement d'années. Alors n'importe quel ton fait l'affaire tu sais. Je sais même pas si j'ai vraiment envie de croire que tout ça est réel et que tu n'es pas juste mort pour de vrai et que j'ai débloqué un nouveau moyen de communication inédit avec les fantômes. Tu sais, comme on débloque des compétences dans les jeux des moldus. Enfin non. Tu sais plus. Ou pas d'ailleurs. Les technologies moldues c'était pas trop ton truc. Je sais, le scoop est affolant.

Plus sérieusement, Fred, je serais maladroite de me dire perdue alors que visiblement tu as la primeur sur ce sentiment. Mais c'est ok si pour l'instant on continue comme ça. Juste, j'aimerais que ton hibou arrête de m'agresser quand je mets plusieurs jours à répondre. Je suis obligée de le distraire avec des friandises. Désolée s'il devient trop gros, je serais la seule responsable.

Alfhild  

Comment ça, tu ne te rappelles pas ?
Tu sais quoi, on va le prendre ce verre. Mais c'est moi qui fixe le lieu. Et si tu tentes quoi que ce soit, je te jure que tu vas le regretter.

Frère,

Tu mes connais bien mal pour penser que je puisse souhaiter la mort de quelqu'un. Évidemment que non. Je ne souhaite pas. Au moins en vie j'ai la possibilité de me cacher de toi si j'en ai envie. Si tu étais mort ce soir-là, mes cauchemars ce seraient réalisés. J'en ai des frissons de l'écrire. Être obligé d'entendre ta voix sans pouvoir m'y soustraire. Tu t'en serais donné à cœur joie.

Excuse-moi d'avoir mis longtemps à répondre, mais j'ai déménagé à nouveau, le manoir de Tatie était redevenu trop angoissant. Et puis je travaille cet été. C'est passionnant. J'ai presque envie de ne pas arrêté après les vacances. Mais les cours me manqueraient trop.

Je comprends pour le côté lâcheté. C'est plutôt bien de te voir le dire. J'ai l'impression qu'on est au moins deux à prier Hel pour que ta mémoire ne revienne jamais. Ça donne de l'espoir et il faut jamais s'en priver !
J'espère que tu trouveras un sens à toi et à tes démarches dans tous les cas. Est-ce que tu ressens des pulsions quand tu les croise ?

Je me souvenais de cette couronne de fleurs. Papa en avait figé les fleurs, en tout cas c'est ce qu'il m'avait dit. Je l'ai gardé longtemps dans ma chambre avant de ne plus pouvoir la supporter. Je l'ai jeté dans l'océan un jour. Je suis désolée. J'aimerais avoir des souvenirs doux à te partager, mais je n'en ai pas tellement entre nous.

Alfhild  

Frère,

Les morts n'ont plus trop de notion de cruauté. Ils sont tels qu'ils étaient, l'aigreur en plus. Tous ne le sont pas, mais majoritairement ils ne sont pas des plus agréables compagnie. Nos ancêtres qui ont l'amabilité de venir me chercher viennent rarement pour me dire que je fais tellement honneur à la famille et qu'ils sont si fiers de moi. De là j'imagine que ton passé ne serait pas venu me parler de couronne de fleurs et de sucrerie.
Mais cela n'est pas arrivé, heureusement !
Quant à ta question je suis étonnée que ton journal n'en fasse pas mention. Ou alors je ne méritais peut-être même pas d'allusion claire et précise ? A y réfléchir c'est peut-être pas plus mal ? Je ne sais pas. Je ne sais jamais avec lui.
Pour le reste, la question est trop vague et trop immense à traiter en quelques lignes. Que sais-tu de notre enfance ? De quoi te souviens-tu ? Que sais-tu de la vie que j'ai passée, cachée aux yeux des autres, recluse dans les sous-sols parce qu'Oda voulait refusait de voir ma monstrueuse malédiction parmi sa descendance ?
C'est drôle de l'écrire.
Je crois que c'est la première fois que ça m'arrive.
Ca me donne la chaire de poule.
C'était il y a si longtemps, et pourtant ça me fait toujours comme un vent froid d'hiver quand je repense à ces années.  

Le plus dur c'était toi. Toi et les autres. La facilité avec laquelle vous avez accepté le sort de votre petite soeur. Comme si au final, ce n'était rien. Comme si les liens n'étaient rien. Là-dessus oui, tu m'as fait du mal. J'avais pensé que ça ne ferait rien. Mais ça a fait tout.

Le reste, les années, les habitudes, on se fait à tout. Mais tu avais toujours le bon mot, celui qui blesse, qui ré-ouvre les blessures de l'âme. Le geste, le regard. Des blessures physiques peut-être aussi. Les adelphes sont cruels entre eux. Je ne saurais quoi dire exactement. C'est un tout. Une persécution de longue haleine.
Je suis partie de chez Oda après le départ de papa. Ca tu n'as pas apprécié. Pour aller "chez cette vieille folle de Toni" tu avais dis, en substance. Je suis étonnée de savoir que vous vous entendiez bien ? Mais on ne s'était pas trop vu ces dernières années. Je ne sais pas tout. Et je ne parlais jamais de ça avec elle. J'ai pu passer à côté de vos relations amicales.

Tu te souviens de papa ? J'écris ça et je me dis que probablement non. Angoissant. Je peux t'envoyer une photo si tu veux. Tu lui ressembles au final.

J'aime bien avoir un grand frère. Ca me change. C'est plutôt chouette. Surtout s'il commence à m'envoyer des sucreries par hibou. J'aimais bien les roulés à la cannelle, mais dernièrement je suis plus trop fan. Alors je ne sais pas trop. Le sucre et moi c'est pas les grands amours. Et puis je m'en voudrais de faire subir un tel supplice à ton hibou. Déjà qu'il ne m'aime pas beaucoup !

C'est fort ce que tu dis sur toi et tes pulsions. Ca ne doit pas être que facile à gérer au quotidien. Avec les souvenirs remontant, ce doit être plus difficile encore. Si je peux t'aider à construire de solide base pour les affronter, je n'hésiterai pas. Je n'ai pas peur de ces pulsions, frère. Ne font-elles pas parties de nous tous. Comme l'émanation primitive d'un instinct de survie. Reste à savoir contre quoi Fredrikke Mørk se débattait-il. Je me souviens avoir essayé à de nombreuses reprises de te parler, de chercher l'origine de toute cette colère qui vibrait en toi et se répercutait si fort contre nous tous. Je crois que tu n'as jamais voulu chercher à savoir. Que tu pensais qu'elle te définissait. Que tu l'habitais. Moi j'ai toujours pensé que tu voulais paraître tyran par facilité et pour faire des pieds de nez à Gunnar.

Je m'excuse ma lettre est toute décousue, mais je suis sans cesse interrompue par les autres. J'habite avec plusieurs personnes à Völva. Je ne sais vivre qu'en colocation. La précédente j'étais avec notre cousin Sture et un autre ami. Malheureusement Walpurgis, mon départ en Egypte. Une succession de choses. Et nous voilà maintenant ! On est quatre et pour l'instant j'adore vivre avec eux. Et puis on voit tellement de monde tout le temps. Ca me fait un bien fou.
Figure toi que j'ai trouvé un stage avec le cousin Ozy. Ozymandias. Au Musée ! Depuis que je suis partie en Egypte j'ai vraiment envie de continuer dans ce domaine. L'archéomagie je veux dire. Je suis dans l'Institut des langues et je voudrais devenir briseuse de sortilèges et aller faire des fouilles dans les vieux lieux magiques de nos ancêtres, et un jour briser les malédictions et privilèges reliés aux """grandes familles""". Rien que ça me diras-tu. Mais après tout je suis la première concernée alors bon. Pourquoi pas je me suis dis.

Cette lettre est un roman. Le brouillon d'un roman plutôt.  

Alfhild  

Frère,

Oui tu m'as aussi envoyé une lettre, et crois-moi elle fait moins peur que ce que tu sembles avoir envoyé à d'autres.
Je me note de parler de ce brunch avec le patriarche la prochaine fois que je le croise. Je suis à la fois perplexe que tu sois encore entier avec un accès libre à du parchemin, et qu'il ait accepté de faire un brunch avec toi en lendemain de cuite. Comme quoi, le départ de Toni l'a plus chamboulé qu'il n'y paraît. C'est peut-être pas une mauvaise chose. Tu me raconteras à l'occasion ?

Pour Aysun non, rien d'indécent. Mais le fait que tu t'en inquiètes m'inquiètes moi encore plus. Genre glaçon de piment dans la gorge. Pour te donner une image. L'idée que vous puissiez vous connaitre et sympathiser de façon, hum, indécente. Ca m'angoisse énormément. Hâte de vivre des situations gênantes la prochaine fois qu'elle vient à la coloc.

Vraiment ce journal semble être une perle de réussite macabre. J'espère qu'il est pas maudit au moins et qu'il ne va pas finir par voler ton âme. Est-ce que c'était...Grave, terrifiant, sordide l'allusion de Seb Prince dans le journal ?

A dire vrai, je ne sais pas trop. De mon souvenir, pas de grosses vagues de votre part. De l'étonnement de la part de Sela. Elle a pas trop compris au début pourquoi je venais plus aux journées chez les cousines. Mais Oda avait fait circuler que ma santé était trop fragile. Peut-être que j'étais contagieuses du type dragoncelle. Va savoir. Vous aviez sans doute une bonne raison de ne pas vous inquiéter et de ne rien deviner tout à fait. Et sans même vous en rendre compte, c'était devenu la norme, finalement. Papa a lutté un peu. Je me souviens d'explosion terrible de colère entre eux. Je sais que j'ai été la cause de cette cassure dans leur couple. Peut-être pas la seule raison, mais la pierre angulaire oui. Je ne vous en ai voulu plus tard, véritablement. Quand je suis entrée à Durmstrang, et que j'ai vu tout ce dont j'avais été privée et puis là j'ai découvert le Fred qu'il était devenu.

Je te joins une photo, c'est l'une dernière que j'ai de lui. C'était l'été avant son départ. On était allé faire du camping dans la forêt tous les deux. Je me suis toujours demandée s'il savait déjà à ce moment-là qu'il allait bientôt nous quitter. Peut-être que lui aussi, il reviendra plein sourire un de ces jours. Qui sait. Après ton miracle, j'ai le droit de tout croire non ? (Je crois que je deviens légèrement cynique en vieillissant. Ou alors j'y crois vraiment ? Sans doute un peu des deux).
Oui, physiquement. Ce Côté grand bruns aux yeux si bleus. Il avait cette allure des romantiques de la Russie blanche comme dépeinte dans la littérature. Et il riait souvent. Mais je n'ai connu que le père, et non l'homme. Je ne saurais te dire qui il était réellement.

Oh ! J'adore les plantes. Bien plus que les pâtisseries ! Je ramène toujours de partout. J'ai sans doute passé trop de temps dans la serre de Toni. Mais qu'importe. J'en prendrais bien soin promis. Je la traiterais avec amour et prévention, sachant qu'elle vient de toi. Je vais la baptiser Mercure. En référence à Freddy Mercury, un chanteur moldu. Oui. Mes plantes ont des prénoms. C'est plus facile d'en parler comme ça que de devoir sortir leurs noms latins à rallonge n'est-ce pas ?

Du courage ? J'avais plutôt en tête du désespoir, de la rage et de l'incompréhension. Sérieusement. A notre époque comment peut-on être encore si fermé d'esprit et aveugle tant de merveilles que le monde nous offre. N'est-ce pas foncièrement beau de se dire que la magie surgit partout, tout le temps, de tout être vivant ? Il serait temps d'ouvrir les yeux et de se rendre compte que ceux qui cherchent à préserver leur joyau de pureté, à force de le frotter de tous les côtés, finissent par l'élimer jusqu'à n'en faire plus qu'un grain de sable.
Et voilà, je m'égare encore.

Pour la violence tu as essayé le sport ? Peut-être devenir cogneur dans un club de Quidd ? Au moins tu pourrais exorciser ce besoin de "faire mal" en lançant ton cognard de toutes tes forces, le tout dans un cadre légal. Et tu pourrais même finir en star mondiale et avoir tellement de fan que tu ne songerais plus aux filles de mon âge (oui je parle d'Aysun). (C'est une boutade). (Mais un peu vraie toujours).

Quand je suis partie en Egypte après Walpurgis, je suis partie du jour au lendemain. Je n'avais pas réussi à prévenir quelqu'un, car j'avais peur qu'on m'en dissuade. J'avais peur d'avoir peur et de renoncer. Beaucoup de mes proches l'ont très mal vécu, et je le comprends tout à fait. Nombreux de mes hiboux sont restés sans réponse au cours de cette année à l'étranger. Au retour ce n'était pas mieux. Nous étions presque tous devenus des personnes différentes. J'étais différente. Certaines personnes ont fait l'effort cependant de m'accepter à nouveau. De reprendre contacte. Je crois que c'est important de toujours répondre. Parce que l'isolement et l'absence de réponse blesse toujours. C'est comme un abandon. Je ne voulais pas t'abandonner. Aussi peu fréquentable que tu étais. Walpurgis m'a transformée. J'avais la curiosité de savoir les transformations de ton propre accident.

Je réalise que je parle encore de l'Egypte et que visiblement tu ne sais pas. Mais d'ailleurs l'ancien Fred ne devait pas savoir non plus. Je suis donc partie peu de temps après Walpurgis, faire une année de césure au Caire dans une équipe de briseurs de sortilèges, dans les pyramides. J'étais logée chez l'un d'entre eux. C'est devenue une seconde famille. Ils m'ont aidé à me reconstruire. C'était fantastique, le désert de sable, les histoires des pyramides, les Pharaons et leurs délires mortels, les fouilles. Tout. Je suis rentée juste avant septembre de cette année et depuis je fais des stages un peu partout dès que je peux sur des chantiers de fouille ou au Musée, comme cet été !
Ah oui ? Je ne sais pas trop quoi penser de lui. C'est perturbant. Il semble perturbé. Je crois que je suis pas si surprise que ça que Fred et lui avaient un truc ensemble. Je pourrais essayer de creuser un peu la question avec lui à l'occasion. Il est plutôt chouette dans l'ensemble, malgré son côté perturbé.

Peut-être que ce roman finira en recueil épistolaire à la mémoire des illustres Mørk du Svalbard, un de ces jours.
Pas sûre que ça se vende bien cela-dit.

Alfhi