Trahison

La fin de l’enfance commence par une première blessure. La blessure qui conditionnera les suivantes. La plus difficile à guérir. Pour Cal’, ce fut celle de la trahison. Et comme pour tout le monde, ou presque, elle vint de ses parents.

Ce n’était pas de "mauvais parents", en soi. Ils n’étaient même pas de "mauvaises personnes", de l’avis général. Non, ils étaient sans doute, simplement "mauvais" pour Cal’. Mauvais, dans le sens "inadaptés". Ou peut-être que c’était elle qui était inadaptée à eux. Mais elle préféra retenir la première option. Et ne leur pardonna jamais le fait de l’avoir trahie.

La trahison, ça n’a pas besoin d’être très impressionnant. Elle n’a même pas besoin d’être bruyante. Parfois, ça ne tient même qu’à quelques mots. « Tu seras bien ici, tu verras. » « Le médecin a dit que tu sortirais bientôt. » « Mais non, ça ne fera pas si mal. »

Mensonges. Même pas tout à fait conscients. Loin d’être malintentionnés. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions. Et ces phrases marquèrent pour Cal’ le début de son enfer personnel.

(…)

La seconde trahison fut moins violente. Plus douloureuse et bruyante cependant. Larmes et vacarme au programme. Plus consciente, simplement. Peut-être que le degré de violence n’était pas moindre finalement. Simplement différent. La violence est immense lorsqu’elle vient d’un parent. Elle est d’un autre ordre de grandeur quand elle vient d’un premier amour.

Là aussi, il y eut des phrases. D’autres sortes de mensonges. D’autres promesses défaites. D’autres espoirs laissés à l’agonie. Ce n’était pas non plus une "mauvaise personne". Elle n’était même peut-être même pas "inadaptée" à Cal’. Le temps ou les circonstances, peut-être, si. La fatalité, dirait les lâches et les sages.

Le résultat fut le même, cependant.
Calysta choisit, une nouvelle fois, de désigner ainsi l’arme qui la blessa : trahison.

(…)

Adulte, ce fut l’arme qu’elle choisit également. Elle trahit les attentes. Elle trahit les espoirs. Elle trahit les promesses. Elle trahit son serment. Elle trahit sa fratrie. Elle trahit ses parents.

Car l’on blesse toujours là on a soi-même été blessé.


Perfusion

L’enfer avait l’odeur de la bile. Un arrière-goût métallique.  Pas tant de sang que cela. L’odeur du sang, c’est tolérable. Elle aurait préféré saigner. Cela aurait eu plus de noblesse. Mais non. Vertiges et bile. Des jours et des jours alitée. Perfusion. Des semaines et des semaines enfermée. Réclusion.

Pour rien. Des mois dans cet hôpital moldu. Une ruine pour la famille. Sa santé déclinant. Pour rien.

(…)

L’hôpital sorcier lui sembla être un paradis. Pas de perfusion. Des potions, à la place. Pas toujours bonnes, parfois douloureuses. Mais efficaces, elles. Elle était toujours à moitié recluse, contrainte au repos, mais la plume enchantée pu enfin s’agiter sur le papier. Elle se mit à écrire à cette période, parce que, comme beaucoup de gens ayant souffert avec intensité, elle éprouva le besoin de se confier. Et la Scandinavie, nouvelle à ses yeux, portait un vent doux à sa fenêtre.

Elle pouvait lire aussi, beaucoup. De tout, y compris ses manuels scolaires, ceux qu’elle ne pouvait pas vraiment étrenner, parce qu’à cause de l’obstination de ses parents, qui avaient voulu croire en la médecine moldue, elle avait déjà perdu un an, et la seconde année s’entamait.

Alors elle apprit à étudier seule, garda d’ailleurs longuement cette habitude, quitte à renâcler lorsque ses professeurs voulurent imposer leurs méthodes. Elle avait réussi ses premiers sorts en solitaire, elle ne voulait pas être tenue par la main, ne voulait pas de surveillance, ni d’un rythme imposé : pas de nouvelle perfusion.

(…)

Elle n’a jamais voulu remettre un pied dans un hôpital moldu. Comme beaucoup d’autres choses non-magiques, elle les tient à distance. Persuadée de leur inutilité, voire de leur dangerosité. Terrifiée, au fond, par le souvenir d’une enfant hurlant dans une chambre.

Et du bruit sourd des gouttes dans la poche d’une perfusion.


Asepsie

La maladie prit fin, la réclusion également. Les deux premières années à Durmstrang furent placées sous le signe d'un optimisme et d'une joie contagieuse. L'effet du soulagement et le bonheur de la liberté retrouvée, sans doute. Malgré les deux années de retard cumulées, Calysta était tout sauf une élève à la traîne. Au contraire, si Durmstrang avait été plus souple en ce qui concernait le fait de sauter des classes, elle aurait certainement rattrapé ce retard en un ou deux semestres. Durmstrang étant ce qu''il était, cela ne se fit pas, mais loin de se plaindre, Cal profitait de son insolente facilité en classe pour profiter de l'extérieur, des activités proposées par l'Institut, et pour lire, encore et surtout.

Tout semblait lumineux, lisse et... parfait ?

(...)

Parfois, les souvenirs prennent une force au cours des ans, alors qu’ils devraient en perdre au fil du temps. Si les premières années de convalescence la laissèrent en paix, le traumatisme refit surface au cœur de son adolescence. Comme un virus qui se déclare par quelques symptômes mineurs, cela commença à l'aube de ses quinze ans, empira sur ses seize, atteint un point culminant sur ses dix-sept. Continue depuis, fluctue selon les mois, montées de fièvres qui demeurent imprévisibles.

Des manies, des angoisses, des peurs, compulsives et incontrôlables. Manies liées à la propreté, angoisses enchaînées à la peur d'être à nouveau contaminée, peurs boulets au pied qui évitent de s'écarter du chemin, de se pencher sur l'herbe humide, de se salir les mains, reléguée à la bibliothèque et à son bureau, se vengeant sur les feuilles en les souillant d’encre, substance qu’elle peut encore tolérer.

Redevenue enfant fragile en esprit, alors qu'elle est désormais jeune femme pleine de vie, elle craint la mort sans oser la nommer. Et l’inconstance règne, les crises de larmes et d’angoisse se multiplient dans sa solitude, les colères viennent de nulle part et s’abattent avec violence, l’arrogance et le sourire lumineux cachent trop bien la fragilité ancrée et la dépression qui pourrait menacer.

Alors, elle range, nettoie… et vole, c’était parfois, c’est devenu souvent. Vole non pas dans les airs, trop peur du chaos des nuages qui ne cessent de changer – à son image pourtant, après tout, le reflet de soi dans le miroir peut être une torture, elle fait partie de ces âmes qui ne se supportent pas… Non, elle vole, soutire, rafle, dérobe et maraude.

Même pas par appât du gain, elle n’a pas à se plaindre, simplement pour reprendre le contrôle, prouver qu’elle peut encore se mettre en danger, autrement, et tant pis si c’est idiot, tant pis si la loi et la morale condamnent, à chaque fois qu’elle prend ce qui ne lui appartient pas, il y a cet éclair de soulagement, cette respiration sans culpabilité, l’impression d’être en vie, la joie presque folle qui la prend quand elle a à nouveau gagné. Une manière de se débarrasser de l’envie, l’envie qui la prend quand elle songe inconsciemment à tous ceux qui ont eu droit à une enfance, une enfance que la maladie ne leur a pas volé.

(...)

Peurs plus profondément enfouies, inconscient traumatisé par la trahison et la perfusion, se terre aussi la fuite : malaise face à la proximité, terreur sourde quant à l'intimité.

Et derrière le masque de confiance et d'aplomb, derrière le sourire chaleureux et aveuglant, derrière la resting b*tch face qu’elle adopte à la perfection, derrière le charisme de la vélane qui sommeille en elle, se niche le cœur lourd comme le plomb, hermétique et toxique à tous ceux qui voudraient s'en approcher de trop près. Un terrain vierge, désinfecté régulièrement, où les incursions sont quasi immédiatement éliminées, pour que rien de douloureux ne puisse plus passer.

Aseptisé.