Enfance - Un rayon de lune venu effleurer les ombres de la nuit

Le 6 avril 1972, une petite bouille pleine de cris et de larmes montra le bout de son nez. Premier fils d’une famille de 3 enfants, Asgeir fut un petit garçon des plus adorables. Plus de sourires que de pleurs, plus d’éclats de rire que de caprices, Asgeir était vraiment l’enfant parfait. Rapidement, ses parents l’ont laissé prendre son indépendance - comprenez livré à lui-même une bonne partie de son enfance - alors qu’ils devaient à présent s’occuper de son petit frère, de deux ans son cadet, beaucoup moins facile à vivre.

Asgeir a rapidement appris à vivre de son côté, dans son petit univers d’enfant sage, toujours prompt à inventer toutes sortes de jeu, son activité favorite étant d’inventer des histoires plus folles les unes que les autres, desquelles il était toujours le conteur. Pas vraiment du genre à se mettre au centre de l’histoire, il préférait, étrangement, imaginer de grandes familles de chevaliers puissants, accomplissant toutes sortes de quêtes dangereuses, que lui-même n’aurait jamais eu le courage de réaliser. Ses héros n’avaient pas vraiment de noms ni de visages, jusqu’à ce qu’il entende un jour prononcer le nom de Gunnar Mork, au détours d’une conversation entre ses parents.

Gunnar, le guerrier, grand kommander, un héros comme il se l’était toujours imaginé au travers de ses récits. Dès lors, les histoires d’Asgeir n’eurent plus qu’un seul visage, celui de Gunnar le guerrier, bien loin de l’image véritable de ce grand homme qu’il devait découvrir de nombreuses années plus tard.

Un jour, bêtement, alors qu’il marchait tranquillement avec sa mère en compagnie de son frère et de sa petite sœur à peine âgée de quelques mois, il déclara qu’il voulait devenir le fils de Gunnar le guerrier. Cette idée, bien saugrenue, fit germer dans la tête de la mère d’Asgeir une ambition nouvelle. Et si effectivement, elle était en capacité de réaliser le rêve de leur fils par le biais d’un mariage ? L’idée fit son chemin, jusqu’à ce qu’elle en parle à son mari. Ils savaient de source sûre qu’il n’y avait pour le moment pas d’héritier mâle dans la famille Mork. N’était-ce pas une chance inespérée pour eux de redorer le blason de leur famille en leur offrant un possible héritier ?

Les ambitions que nourrissaient la famille d’Asgeir étaient bien grandes comparé à ce qu’ils avaient à offrir. Il allait leur falloir redoubler d’efforts pour que leur plan se réalise. Sans être totalement démunis, la famille Tveit avait de quoi mettre un toit sur sa tête, de la nourriture dans son assiette mais rien de plus. La petite masure dans laquelle ils vivaient, héritage des parents de son père, étaient le seul véritable bien qu’ils possédaient.

Ils commencèrent alors à soumettre Asgeir aux règles de l’aristocratie sorcière, les bonnes manières, le maintien, la conversation, la dignité. Le bon cœur du petit garçon le poussait à faire de son mieux pour faire plaisir à ses parents. Mais comme dit le proverbe, chassez le naturel, il revient au galop. Dès qu’ils détournaient le regard de cette petite tête brune, Asgeir sortait retrouver les aventures de Gunnar le guerrier, tout sourire et fossettes, plein de rire, de maladresses et d’attitudes qui ne siéent guère à un futur aristocrate, digne du rang de la grande famille Mork.

Ils placèrent leurs maigres espoirs dans les années à venir et la maturité à prendre. Asgeir était encore jeune, il allait bientôt faire son entrée à l’école Durmstrang, laquelle lui apprendrait ce qu’était la discipline et le respect. Avec un peu de chance, ces enseignements, couplés à ceux assimilés durant ces longues heures sacrifiées à son apprentissage, porteraient leurs fruits et rendraient enfin leur fils digne d’appartenir à la famille Mork.

Scolarité - Le savoir venu éclairer cette petite tête remplie de vide et de lumière

L’année de ses onze ans, Asgeir fit enfin son entrée à Durmstrang. Le petit garçon était si heureux qu’il ne tenait pas en place, un sourire constant plaqué sur ses joues colorées de rouge par l’excitation. Après la traversée dans l’immense navire magique, durant laquelle il s’émerveilla sur tout ce qui pouvait tomber sous son regard, il finit par accoster sur la rive menant à sa nouvelle aire d’aventures. Lui qui avait toujours attribué ses aventures à d’autres, voilà qu’à présent il devenait le héros de ses histoires, s’aventurant sur des terres inconnues pour découvrir une nouvelle vie dont il ne savait presque rien.

Lors de la cérémonie d’allégeance, conformément aux attentes de sa famille, Asgeir choisit le clan Trobbel et prêta allégeance à Hel, déesse de la mort. On lui avait bien précisé qu’il allait devoir abandonner son allégeance à Nott, la déesse de la nuit pour se tourner vers celle des morts. N’étant pas spécialement attaché à une divinité en particulier, et n’étant pas des plus croyants, il n’y vit aucun inconvénient. Un dieu ou un autre après tout, qu’est-ce que cela pouvait bien changer ? Et ses parents semblaient si fiers de le voir réaliser tous leurs souhaits qu’il ne voulait en aucun cas les décevoir. En tant qu’aîné, il se devait de répondre aux attentes familiales et montrer l’exemple à ses cadets. De plus, il avait bien compris que l’enjeu n’était pas seulement de contenter ses géniteurs, l’honneur des Tveit pesait également dans la balance.

Ce jour-là, ses yeux pétillants d’innocence plongèrent dans le regard fier et impénétrable d’une fillette de son âge. Lorsqu’on prononça son nom, son cœur explosa. Solfried Mork. C’était la première fois qu’il rencontrait quelqu’un issu de la famille du grand héros Gunnar le guerrier. C'est aussi ce jour-là qu’il se rendit compte du gouffre qui le séparait de la famille Mork. Ils avaient beau avoir le même âge, ils étaient aux antipodes l’un de l’autre. Un nouveau héros - ou plutôt héroïne - vint alors alimenter ses nouvelles aventures imaginaires. Il n’eut toutefois jamais le courage de lui parler en personne, se contentant de l’observer de loin et de l’admirer, comme on admire un astre éclatant. Et avant même qu’il ait pu s’en rendre compte, son admiration se transforma en amour véritable.

Asgeir fit une scolarité, si ce n’est exemplaire, du moins tout à fait honorable. Sans jamais faire de vagues, toujours présent pour aider ceux qui en avaient besoin, ami comme inconnu, assimilant assez facilement les cours et récoltant de bonnes notes dans toutes les matières, Asgeir était ce qu’on appelle un bon élève. Et une bonne poire également. Au début de sa scolarité, beaucoup de ses camarades se jouaient de sa trop grande gentillesse et l’envoyaient faire toutes sortes de courses inutiles, allant de récupérer un livre à la bibliothèque, à l'envoi de lettres et colis en tout genre, en passant par le dépôt de devoirs en retard dans la salle des professeurs.

Mais gentil ne rimant pas avec idiot, Asgeir se rendit rapidement compte qu’il n’était pour eux qu’un instrument. Toutefois, sa nature bienveillante ne l’empêcha pas de continuer à jouer ce rôle de larbin. Il sentait que, derrière ces comportements, se cachait autre chose. Un désir de reconnaissance pour certains, d’assouvissement de pouvoir pour d’autres, quand ce n’était pas un pur et simple besoin de se sentir exister. S’il ne devait être qu’un faire-valoir pour ses semblables, pour qu’ils se sentent bien, alors il n’hésiterait pas à se sacrifier. Pour lui, le bonheur des autres passait avant le sien. C’était là l’essence-même de la bienfaisance d’Asgeir.

L’année de ses dix-neufs ans, ses parents lui annoncèrent, pour sa plus grande joie et sa plus grande angoisse, des fiançailles avec l'aînée de la famille Mork. Ses parents avaient réalisé cet exploit qu’il pensait impossible, lui ouvrir les portes du panthéon des Mork. Mais, lui qui avait toujours observé la magnifique Solfried de loin, qui n’avait jamais eu le courage de lui dire ne serait-ce qu’un bonjour, comment allait-il se tenir face à elle sans flancher ? Il n’était rien à côté d’elle, tout comme un grain de sable n’est rien à côté d’une montagne. Il était impossible pour lui de s’imaginer aux côtés d’un être aussi exceptionnel.

Sa rencontre officielle avec sa future fiancée fut la plus belle et la plus terrible journée de sa vie. Mais le moment de terreur passé, il eut l'impression de flotter sur un petit nuage. Il avait officiellement rencontré celle qu’il adulait depuis presque sept ans et qui, par dessus tout, allait bientôt devenir sa femme. S’il se doutait que du côté de Soli ses sentiments n’étaient pas réciproque - comment éprouver quelque chose pour une personne que l’on voyait pour la première fois - il espérait de tout cœur que ses sentiments deviendraient un jour le miroir de la passion de celle qu’il aimait.

Il entama alors sa huitième année plus heureux que jamais. A la fin de leur service militaire, Solfried souhaitant continuer vers des études supérieures, Asgeir décida de faire de même et fit son entrée à l’institut des langues. Pour une fois, il choisit de suivre son cœur et pas un cursus ou des options choisis par ses parents. S’il aurait aimé s’engager dans une carrière d’écrivain - depuis qu’il avait appris à tenir un crayon, il ne relatait pas seulement ses aventures dans son monde imaginaire mais également sur papier - il se devait de garder la tête sur les épaules et de s’assurer une certaine stabilité financière. Surtout qu’il était à présent fiancé. Si la fortune des Mork n’était un secret pour personne, il avait tout de même assez de fierté pour vouloir apporter sa pierre à l’édifice - aussi petite soit-elle. Il décida donc de se spécialiser dans le journalisme. Pas la branche qui le passionnait le plus, mais il y aurait toujours du travail dans ce domaine. L’avenir d’un écrivain était beaucoup trop incertain, surtout lorsqu’on avait une famille à soutenir.

Adulte - Les joies du mariage, de la désillusion et de la honte

A l’obtention de son CERF, au bout de trois années d’études passionnantes mais éreintantes, le futur Mork décida de faire son entrée dans le monde sorcier. Il trouva rapidement un emploi de journaliste dans un petit journal local, poste qu’il devait plus au prestige de son futur nom de famille qu’à ses véritables talents de journaliste.

Quelques années plus tard, son mariage avec la belle Solfried fut célébré. Un des plus beaux jours de sa vie. Le plus beau avant celui de la naissance de son fils. Asgeir était éclatant de bonheur et de fierté d’avoir réussi à gagner le cœur de sa si belle muse, qui le regardait avec un regard brûlant d’amour, le faisant fondre en un instant.

L’acclimatation auprès de la famille Mork fut plus compliquée. Gunnar le guerrier, le héros de son enfance n’avait rien à voir avec l’austère, stoïque et autoritaire Gunnar Mork. La rencontre de son héros fantasmé, rêve de son enfance, brisa en un instant l’image qu’il s’était construite durant toutes ces années, lorsqu’il croisa le regard froid et dur de ce dernier. Il semblait toutefois avoir trouvé grâce, par il ne savait quel miracle, aux yeux de la gracieuse et fantasque Antonia Mork, sa belle-mère. Pour ce qui était du reste de la famille, comme il allait le découvrir plus tard, ses affinités dépendraient principalement de l’humeur générale du moment. Mais il ne s’en formalisa pas, ce qui comptait le plus était de protéger Soli de son extravagante famille au double miroir brisé de l’intérieur.

Les mois et les années passant, Asgeir sentait que son bonheur se ternissait malgré lui. Il n’aurait su dire pourquoi, juste une étrange impression, mais quelque chose se tramait entre Soli et lui. Il avait beau retourner la question dans tous les sens, il ne comprenait pas ce qu’il avait pu faire de travers. Lorsqu’il tentait de discuter avec elle, elle effaçait ses doutes d’une douce caresse, d’un de ses sourires angéliques ou d’une de ses bourrades qui n’appartenait qu’à elle. Mais malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à faire disparaître ce voile qui assombrissait de jour en jour le bleu regard de sa bien aimée.

Jusqu’à ce jour. Ce fameux jour où le monde avait complètement changé. Soli était enceinte. Ils allaient avoir un enfant. C’était merveilleux ! Une petite chose rien qu’à eux, une petite vie qu’ils allaient façonner, élever et aimer ensemble. Il n’aurait pu être plus heureux. Le voile de Soli semblait s’être atténué ce qui rassura Asgeir. Il fit son possible pour être le mari le plus attentionné et disponible envers la future maman. Lorsqu’enfin, neuf mois plus tard il put enfin faire la connaissance de son fils, il ne put empêcher les larmes de rouler lentement sur ses joues. Un fils. Ils avaient un fils. Un héritier pour la famille Mork, qui ferait la fierté de ce nom respecté dans le monde sorcier.

Depuis la naissance de Mikheil, Solfried était méconnaissable. Une maman ours, farouche et protectrice. Asgeir lui-même avait un mal fou à passer plus de 5 minutes seul avec son fils. Si cela lui brisait le cœur il n’en dit rien, faisant passer le bonheur de son épouse avant tout. Le lien qui unit une mère et son fils est indéfectible et d’une force sans égale. Il n’avait jamais eu un tel lien avec sa mère, il ne voulait en aucun cas être responsable d’un éloignement entre Soli et Misha, les deux êtres qui comptaient le plus à ses yeux.

Les semaines passèrent, jusqu’à ce qu’Asgeir en besoin d’un peu d’attention de la part de sa femme, ne la rejoigne un soir alors que Mikheil venait de s’endormir. S’ensuivit la plus violente dispute qu’il eut essuyé depuis les débuts de son mariage. La plus violente et la plus destructrice aussi. Lorsque Soli lui avoua enfin ce qu’il pressentait depuis un certain temps déjà mais qu’il avait préféré ne pas voir, son coeur se fissura douloureusement à chaque mots tranchants qui franchissaient les lèvres de sa femme, avant qu’il ne se brise totalement, le plongeant dans un état second dont il mit de longues semaines à se remettre. Elle ne l’avait jamais aimé, avait joué la comédie toutes ces années, elle ne voulait plus qu’il s’approche d’elle.

Comment devait-il gérer cette situation ? La femme qu’il avait aimé depuis la seconde où il avait découvert ce qu’était l’amour, ces années passés ensembles, ces moments de complicité, tout cela n’avait été qu’un piètre et malheureux mensonge. Toute sa vie s’effondrait, son monde, son univers, tout se disloquait autour de lui. Il resta des jours enfermé dans sa chambre, prétendant être atteint d’une quelconque maladie. La seule maladie qui le rongeait était celle de la honte et de la désolation.

Depuis lors, le comportement de Soli à son égard changea du tout au tout. Elle passa d’une femme aimante à méprisante, attentionnée à distante, elle était méconnaissable. Lorsqu’Asgeir réussit enfin à recoller les morceaux de son petit cœur brisé, il remit complètement sa vie en question. Il avait bien compris qu’elle n’avait fait tout ça que pour contenter le patriarche. Il n’était pas en colère contre elle. Il n’était en colère contre personne. La vie les avait façonnés ainsi, tout comme leurs réussites et leurs échecs. Lui-même était loin d’être un modèle de perfection. La preuve en était qu’il n’avait même pas été capable de voir que sa femme ne l’avait jamais véritablement aimé.

Il décida de se concentrer sur son fils et de veiller de loin sur Soli, puisque cette dernière ne voulait pas de sa présence à ses côtés. Les années passant, Asgeir eut enfin droit à quelques moments de paternité lorsque Soli, accaparée par le travail, le laissait s’occuper de son fils à sa guise. Les moments passés avec son petit garçon étaient devenus le moteur de sa vie. Il ne vivait que pour ces moments de joie éphémère qui se dissipaient bien trop vite à son goût.

La magie de Misha tardait à se montrer, mais Asgeir n’était pas inquiet, il avait encore le temps, ce ne serait pas le premier sorcier à voir ses pouvoirs révélés sur le tard. A l’aube de ses onze ans, toujours aucune trace de la moindre magie. Asgeir savait que ce serait mal vu aux yeux des Mork, mais que pouvaient-ils y faire ? Misha resterait son petit garçon quoi qu’il en soit. Il ne serait pas le premier ni le dernier cracmol d’une famille de sang-pur. Et son amour pour son fils ne changerait pas. Jamais.

Son amour pour son fils ne changerait pas, certes, mais le regard et les attentes que lui portait la famille Mork commencèrent à changer, eux. Asgeir ne put qu'assister, impuissant, à la descente aux enfers de son propre fils. A la veille de ses onzes, et sans aucune trace de pouvoir magique en lui, Mikheil fut purement et simplement déclaré mort aux yeux du reste du monde. Asgeir reçut une immense claque en pleine figure. Son propre fils, renié et passé pour mort. Qu’est-ce qui n’allait pas dans cette famille à la fin ? Malheureusement, Asgeir ne pouvait rien faire, ne pouvait rien dire. Il n’était pas le maître de cette famille, il n’était déjà pas maître dans son propre cercle intime, c’était Solfried le pilier, lui n’était rien d’autre qu’une pièce rattachée, avec un mauvais fil à couture qui commençait à s’effilocher.

Les mois passèrent et il dû subir la vision de son petit garçon, la chair de sa chair subir les pires atrocités. La séquestration de son propre fils lui meurtrissait le cœur. Il avait certes l’autorisation de sortir de temps en temps, sous surveillance et avec son apparence transformée pour qu’il ne puisse être reconnu. Certes il n’était pas le plus à plaindre, il mangeait à sa faim, avait une chambre bien remplie de jouets et doudous magiques en tout genre, mais Mikheil était prisonnier. Prisonnier de sa condition de cracmol, prisonnier de sa prétendue disparition, prisonnier de la honte qu’il représentait pour la famille Mork.

Il avait bien essayé quelques fois de convaincre Soli que tout ceci était stupide, inutile, et injuste, que Mikheil ne méritait pas d’être traité comme un paria. Mais les réactions de Solfried étaient de plus en plus virulentes. Si bien qu’il finit par ne plus oser s’opposer à elle et à l’ombre du patriarche Mork qui planait constamment sur l’ensemble de ses décisions.

Étouffant dans ce chaos familial, Asgeir finit par fuir ce cocon tissé de toiles empoisonnées. Qu’avait-il à perdre ? Il ne pouvait pas sauver son fils, il n’était rien d’autre qu’un lâche, il n’avait pas su gagner le cœur de celle qu’il avait jadis aimée. Il avait besoin d’un nouvel horizon, avant de finir totalement prisonnier lui aussi.

Un jour il fit la rencontre de celle qui devait enflammer son coeur pour la deuxième fois. Leur idylle dura pendant de longs mois, prenant tout de même garde à ce que personne ne les surprenne. Mais l’ombre de son mariage planait sur son histoire d’amour. Sa bien-aimée réclamait - à juste titre - un divorce en bonne et due forme afin qu’ils puissent enfin vivre leur amour au grand jour. Malheureusement, Asgeir ne put se résoudre à quitter Soli et surtout Mikheil, malgré les sévices qu’il subissait.

Il prit une des plus dures résolutions qu’il eut à prendre et dit adieu à la femme qu’il aimait pour revenir vers celle qui le maiprisait. Sa loyauté envers les Mork était bien trop ancrée pour qu’il puisse s’en détacher si facilement. Il revint avec un objectif en tête toutefois, rendre les moments de la vie de Misha le plus supportable possible. S’il ne pouvait le sortir de cet enfer, il s’y engouffrerait et y brûlerait avec lui.

De retour dans cette famille morcelée, Asgeir ne put faire grand chose de plus pour son fils, si ce n’était lui faire passer les plus agréables moments lorsque Soli avait le dos tourné. Il se contenta d’être présent comme il le put.

A force d’observation, il finit par comprendre que le comportement de Soli envers leur fils était aux antipodes de ce qu’elle ressentait réellement. Mais cette dernière en était-elle consciente ? Lorsqu’il tenta de lui en parler, il ne reçut que haussement de voix et insultes.

Un appel de son ancienne dulcinée le ramena à ces mois passés dans un tout autre univers. Elle attendait un enfant. Son enfant. Le deuxième enfant qu’il ne pourrait pleinement aimer et assumer. Par la déesse Hel, qu’avait-il fait pour être maudit de la sorte ?

Il rendit une seule et unique visite à sa fille, le jour de sa naissance, avant de ne laisser qu’une paternité pécuniaire à cette petite fille qu’il ne verrait jamais grandir, qu’il ne serrerait dans ses bras que cette seule et unique fois. Cette deuxième partie de lui qu’il ne pourrait aimer comme il le souhaitait.

Il passa les années suivantes à ne recevoir que des photographies de cette magnifique petite fille qui grandissait loin de lui, tandis qu’il s’était presque habitué à voir son fils enfermé chaque jour, pauvre tableau d’innocence brisée et d’amour flétrit.

Asgeir ne se départissait heureusement pas de son éternel sourire et de sa douceur bienveillante, qui lui permirent de cacher efficacement les meurtrissures de son cœur, personne ne cherchant à savoir s’il se cachait autre chose derrière cette chaleureuse gentillesse.

Mikheil fut enfin autorisé à quitter cette prison dorée infernale et s’envola loin de lui comme un oisillon sauvage. Nouvelle cicatrice sur son cœur qu’il cacha derrière un énième sourire. Ne restait que lui et sa femme, encore plus distante, froide et inaccessible qu’elle ne l’avait jamais été.

Il eut tout le temps d’observer davantage Soli, de loin, comme on analyse un sujet particulièrement saisissant et complexe. Et lorsqu’au détours d’une de leurs rares conversations, il osa aborder la possibilité d’un amour tournant autour de la grâce féminine, cherchant à l’aider à trouver le chemin de son propre bonheur, il n’en récolta qu’un poing en pleine face. Les soupçons d’Asgeir se confirmèrent mais, s’il ne lui en tint pas rigueur, il ne lui en reparla jamais.

Une nouvelle quête s’imposa à lui, dont il n’était certes pas le héros, mais dont l’issue heureuse dépendrait de ses choix. Le bonheur de Solfried, de la femme qui avait tant sacrifié pour sa famille, y comprit sa propre personne et qu’il respectait au plus haut point. Son amour brûlant pour la belle Mork avait disparu depuis bien longtemps déjà, mais il s’était transformé avec le temps. Transformé en une profonde affection pour cette femme fière et forte.

Un appel vint ébranler son monde nouvellement constitué. La mère de sa fille était morte dans un accident de voiture. Une nouvelle fois, le cœur d’Asgeir se brisa. Toutefois, cette fois-ci il était hors de question d’abandonner sa fille. Il était son seul proche parent. Il ne l’avait pas vu grandir, mais il n’était jamais trop tard n’est-ce pas ? Pour la première fois de sa vie, Asgeir tint tête à Solfried sans flancher. Il ne pouvait se résoudre à laisser sa fille seule alors qu’elle traversait une si terrible épreuve. Cette fois, il serait là, il serait présent et rien, pas même Solfried ou la famille Mork ne l’en empêcherait.

A son grand étonnement, Soli se plia à ses exigences et la petite bouille vint s’installer à la maison, dans une des chambres libres. Asgeir, plus heureux qu’il ne l’avait été ces dernières années, se jura de rendre son geste de bonté à Soli au centuple. S’ils faisaient passer sa fille pour une parente éloignée d’Asgeir pour sauver les apparences, ce dernier ne se privait pas, dans son cercle familial très restreint, de se transformer en un véritable papa gâteau.

La cohabitation risquait d’être des plus mouvementée, mais il prit le parti de miser sur les meilleures cartes qu’il avait en main pour que les deux femmes de sa vie s’entendent, si ce n’est bien, au moins de manière cordiale. Ne restait qu’un dernier détail à régler, mais détail au combien complexe, parvenir à tisser une vraie relation bienveillante avec Solfried et l’aider à trouver son propre bonheur.